20 févr. 2013

LA MER OU LA MÉTA-STRATÉGIE, CE POINT FIXE CHOISI POUR LA VIE

 La pensée stratégique en univers incertain (3)
Qu’est-ce donc que la stratégie, et comment la définir en la reliant aux activités de l’entreprise ?
Pour ce faire, je crois qu’il est indispensable de penser en fonction des différents horizons qui se présentent à l’entreprise. J’en distingue personnellement quatre.
D’abord le plus lointain, celui qui fixe l’objectif à très long terme, ce point fixe que doit choisir une entreprise et s’y tenir : c’est ce que j’appelle « la mer », ce futur qui attire la course des fleuves. 
C’est souvent ce qui est appelé la vision, mais je lui préfère le mot de stratégie, voire de méta-stratégie, car je crains que d’aucuns pensent qu’une « vision » est théorique et utopique.
Bien au contraire, même si cet objectif n’est jamais atteint, c’est lui qui doit orienter l’ensemble des actes de l’entreprise. 
Ainsi L’Oréal n’en a-t-il jamais fini de viser la beauté, Danone et Nestlé la nutrition et la santé, ou Saint Gobain l’habitat.
Je rappelle que cette méta-stratégie est choisi pour la vie, car, comme je l’écrivais dans les Mers de l’Incertitude, :
« C’est possible : une mer est un attracteur stable dans le chaos du monde, un besoin fondamental et stable qui, quels que soient les aléas, sera toujours là. Les problèmes sont toujours multiples et leur résolution est une tâche sans fin.
C’est nécessaire : comme un fleuve se renforce au fur et à mesure qu’il progresse, une entreprise ne peut pas changer de mer sans repartir de zéro. Au début, une entreprise n’a qu’une intuition de la mer, c’est petit à petit qu’elle va développer une compréhension fine, créer des offres de mieux en mieux adaptées, développer des savoir-faire internes…
C’est l’identité même de l’entreprise : c’est la mer qui donne le sens à l’action collective et soude les équipes internes. Changer de mer, ce n’est pas seulement changer de stratégie, c’est changer d’identité. Changer de mer, c’est risquer de ne pas être compris et suivi, de voir éventuellement même éclater l’entreprise. »
Mais comment s’articule cette méta-stratégie, avec le quotidien de l’entreprise ?
(à suivre)

19 févr. 2013

STRATÉGIE, VOUS AVEZ DIT STRATÉGIE ?

La pensée stratégique en univers incertain (2)
Voilà donc bien un thème qui reste l’apanage du dirigeant : fixer la stratégie. Personne ne conteste que ce soit de sa responsabilité, et tout le monde s’attend à ce qu’il la décide.
Aucun doute là-dessus… quoique s’est développée ces dernières années la mode de la stratégie participative : un processus stratégique devrait impliquer un maximum de personnes, et émerger d’un travail collectif. C’est devenu tellement une mode, que c’est presque un lieu commun, voire un dogme pour bon nombre. Oser imaginer que la stratégie serait le fruit de quelques-uns perdus dans les moquettes d’un siège lointain serait donc un crime de lèse-majesté contre le bon sens communément partagé.
Et bien, au risque de me retrouver cloué au pilori par les spécialistes de tous bords, j’en suis arrivé à penser le contraire.
Pourquoi ?
Commençons par définir les mots que l’on emploie, cela ne fait jamais de mal. Que veut dire « stratégie » ? Je constate qu’il est employé quotidiennement, ce sans que l’on se rende compte combien il peut être ambigu, et générateur de contre-sens.
Pour certains, vu l’incertitude qui règne, dès que l’on dépasse le court terme, c’est-à-dire l’horizon du budget, la stratégie commencerait. On aurait ainsi la juxtaposition entre des actions immédiates et une stratégie, qui, dès lors, se trouverait fluctuer au hasard des évolutions et des humeurs. N’est-ce pas alors la négation même de la stratégie ?
D’autres parlent d’un marketing stratégique qui viendrait s’intercaler entre le marketing et la stratégie. Pour cela, il requalifie le marketing, de marketing opérationnel. Est-ce à dire que le marketing stratégique ne le serait plus ? Quel est aussi le sens respectif de la stratégie et du marketing stratégique ? Personnellement, je n’y ai toujours vu surtout qu’une immense confusion, et un manque de clarté.
Enfin pour beaucoup, la stratégie est, comme je l’indiquais ci-dessus, ce sur quoi la collectivité des dirigeants, ce en associant le plus grand nombre, est d’accord. L’hypothèse implicite est que l’élargissement de la participation conduirait à un enrichissement de la stratégie et à une meilleure mise en œuvre ensuite. Mais comment penser que, vu l’incertitude qui se diffuse et la complexité des analyses à synthétiser, le cap va émerger d’un tel élargissement ? Et pourquoi les compétences requises pour réussir à élaborer une stratégie seraient celles requises pour manager au plan opérationnel ?
Les grands gagnants de cette expansion de processus stratégiques complexes, et de plus permanents et sans cesse renouvelés et enrichis, sont les cabinets de conseil qui y voient un eldorado sans fin. Mais je doute que ce soit celui de leurs clients…
(à suivre)

18 févr. 2013

PRIVILÉGIER L’ÉMERGENCE À LA DÉCISION

La pensée stratégique en univers incertain (1)
Il y a deux semaines, j’avais terminé une série de cinq articles consacrés à « pourquoi toute décision est faussée », en concluant que, au mieux le ou les décideurs étaient identifiés, mais que leur connaissance de la situation était toujours imparfaite, et que les conséquences réelles de toute décision étaient largement inconnues. De plus comme je le rappelais la semaine dernière, tout dirigeant doit savoir que ses processus inconscients sous-tendent largement ses choix.
Comment alors diriger et comment fonder ses décisions, sans se fonder uniquement au hasard et à la chance ?
Première remarque de bon sens, puisque tout décision est faussée, moins on décide, mieux on se porte, et moins on a de chances de se tromper. Ainsi je crois que diriger efficacement, n’est pas d’abord de décider, mais de permettre à l’entreprise de décider, ou plus exactement puisque l’entreprise n’est que l’expression des hommes qui la composent, et des systèmes qui les organisent, faire en sorte que le mode de management, le choix des hommes et les systèmes en place conduisent à une émergence efficace.
Ce management par l’émergence, je l’ai déjà évoqué dans des articles parus en février et mars 2012, et repris l’été dernier en un seul article. Je ne vais donc pas revenir à nouveau en détail sur dessus, je cite simplement les thèmes qui y sont développés :
Relier mer visée et action individuelle : faire en sorte que chacun comprenne en quoi ce qu’il fait se relie au tout,
Allier inquiétude et optimisme : savoir que le pire peut surgir à tout moment, s’y préparer, et tout faire pour qu’il n’arrive pas,
Rechercher la facilité pour pouvoir faire face à l’imprévu : comme l’imprévu va se produire, ne pas avoir de réserves et s’être mis dès le départ « dans le rouge », c’est être certain de ne pas aller au bout,
Ne pas tout définir, ne pas tout optimiser : le flou est indispensable pour permettre les ajustements dynamiques,
Se confronter continûment : être d’accord spontanément n’est ni normal, ni bon signe. La confrontation est une étape nécessaire pour ajuster les interprétations et les actions.
Savoir prendre son temps : la personne efficace est celle qui sait être un paresseux vertueux, c’est-à-dire quelqu’un qui alloue parcimonieusement son temps, et ajuste son rythme à ce qu’il traite.
Certes, mais il n’en reste pas moins que, même si diriger ce n’est pas quotidiennement décider, c’est aussi décider, et notamment fixer la stratégie de l’entreprise…
(à suivre)

15 févr. 2013

HISTOIRE DE TRAVESTISSEMENT

A Pékin (5)
Cinquième et dernière libre évocation de Pékin : une nuit en juillet 2005
La nuit est tombée depuis longtemps, pourtant l’air est toujours aussi moite et chaud. Difficile de respirer parmi les rues étroites dans lesquelles je circule à pied. Encore une heure à attendre avant que le spectacle ne commence. Un spectacle de travesti dans un petit bar perdu dans les méandres de la mégapole.
Alors j’avance lentement, au hasard des ouvertures et des rencontres. Pas mal de monde malgré l’heure tardive, mais bien peu par rapport à la foule de la journée. Douceur de l’ambiance, feutrée par le manque de lumière et la lourdeur de l’atmosphère. Peu de bruits, juste les bruissements des conversations et des cliquetis des baguettes.
Je m’assieds un moment pour manger avec eux et boire une bière. Impossible de se parler, car personne ne connaît l’anglais, et mon chinois est quasiment inexistant. Mais qu’importe, nous communiquons par des sourires et des regards…

Petit à petit, il se transforme. Tout à l’heure, il sera toujours lui-même, mais avec l’apparence d’une autre. Magie du travestissement et du jeu des apparences. Il pourra alors laisser place à sa fantaisie pour le plaisir des spectateurs réunis.
Petit à petit, j’oublie où je suis et ce que je vois : c’est la Chine qui est en train de se travestir. N’est-elle pas en train de perdre son âme en se lançant tête perdue dans une mondialisation qui n’a jamais été son histoire, ni sa culture ?
Comment, elle qui a toujours vécu coupée du reste du monde, protégée par des successions d’enceintes, le mur de la Grande muraille, le mur de la Cité Interdite, va-t-elle résister au flux de tous ces étudiants qui, après avoir séjourné plusieurs années en Occident, reviennent dans leur mère patrie ? Flux continu qui fait monter la puissance de l’hybridation.
Beaucoup en Europe ont peur du métissage du monde, mais nous nous sommes construits de métissages successifs. Notre histoire est faite de mouvements, de mélanges et de fusions. La Chine non.
Alors oui, la Chine, à l’instar de Hai en cette nuit pékinoise, se prépare à se transformer et à renaître nouvelle et différente. Que deviendra-t-elle ? Impossible à prévoir… 

14 févr. 2013

LA CONFIANCE NE SE DÉCRÈTE PAS, ELLE SE CONSTRUIT

Sans confiance, rien n’est possible
Cette semaine, j’ai abordé successivement le thème du temps, de la nécessaire décentralisation et des forces qui luttent contre elles, et hier le profil souhaité du dirigeant. Je vais la clore en revenant une fois de plus sur l’importance de la confiance.
En effet, la confiance n’est pas une valeur seconde, car :
- Elle est le socle du management dans l’incertitude : comment accepter l’incertitude, et comprendre qu’elle est source d’opportunités, si l’on a peur pour soi à court terme, et si l’on n’est pas convaincu que, en cas de problèmes, tous ceux qui m’entourent seront solidaires et source de support et de réconfort ?
- Elle est le ciment de l’action collective : travailler avec les autres, c’est ne pas avoir peur de se mettre à nu, être prêt à parler de ses doutes, savoir s’opposer quand on pense le contraire. Pensez à l’action des commandos : si les membres qui le composent ne sont pas soudés, rien n’est possible.
La confiance ne se décrète pas, elle se crée, et ce à quelques conditions :
- Chacun doit être convaincu que le chef n’est pas seulement compétent, mais juste et légitime. Il est le premier responsable du climat général dans l’entreprise. Un proverbe chinois dit : « Le poisson pourrit par la tête ».
- Le but poursuivi doit être fédérateur et vu comme lui aussi juste et légitime. Les armées se battent pour leur pays, une entreprise ne peut pas se battre collectivement pour un cash-flow.
- Chacun doit comprendre son rôle et comment il se relie au but poursuivi. La confiance ne naît pas de l’obéissance aveugle et subie.

13 févr. 2013

ON PEUT SOUS-TRAITER LES CALCULS, PAS LA PENSÉE

Vers des dirigeants visionnaires, philosophes et historiens ?
Dur, dur d’être un dirigeant performant, surtout si l’on croît qu’il s’agit seulement d’avoir une tête bien faite, garnie d’équations, de mathématiques et de business plan en tous genres !
Pour résumer ma pensée sur ce que devrait être le profil du dirigeant, voici quelques qualités qui me semblent essentielles :
- Il sait que, quels que soient ses efforts, ses décisions et ses actes seront conduits majoritairement par ses processus inconscients : Il doit l’avoir intégré, et donc se méfier des situations où son expérience et son passé pourraient l’amener à avoir des intuitions fausses. Ceci milite à ne pas vouloir diriger des entreprises dans lesquelles il n’a pas grandi, ou qui sont trop éloignées des précédentes où il a travaillé.
- Il a compris que l’incertitude n’est pas le témoin d’un déficit de connaissance ou une anomalie, mais le fruit du développement du monde, et croît inévitablement avec le vivant : s’il lutte contre l’incertitude, et croît qu’il la réduit par le contrôle et la prévision, il fait fausse route. Renforcer son entreprise, c’est accroître l’incertitude, tout en développant une capacité collective à en tirer parti.
Les mots et le langage qu’ils emploient, ne sont pas seulement ce avec quoi il communique, mais d’abord ce au travers de quoi il pense : comme il est important d’affûter un couteau pour découper efficacement une viande et savoir utiliser le bon tranchant, l’art du langage est celui de la précision. Tout dirigeant doit prêter attention aux mots qu’il utilise, et comment ils conditionnent sa pensée et la compréhension de ceux qui l’entourent. L’art des mots est souvent plus important que celui de l’art de la règle de trois, car les calculs peuvent être sous-traités, la pensée non.
Il recherche la confrontation comme moyen d’ajuster les interprétations : il sait que les points de vue de chacun dépendent de l’endroit où l’on se trouve et de sa propre expérience. Il est donc normal de ne pas être d’accord avant toute discussion, c’est l’inverse qui est surprenant et preuve d’évitement.
il inspire confiance et la diffuse dans toute l’entreprise : sans confiance, il est impossible de vivre dans l’incertitude et de développer une confrontation positive. C’est donc une qualité majeure du dirigeant, et doit être un des ses objectifs quotidiens : comment accroître la confiance collective et individuelle au sein de son entreprise.
En conclusion de ce panorama rapide des qualités qui me semblent requises pour diriger, je dirais que je le vois d’abord comme un visionnaire philosophe et historien, c’est-à-dire quelqu’un capable de voir où sont les mers qui attirent le cours des fleuves, de se préoccuper du sens des actes de son entreprise, et de comprendre l’importance et la vulnérabilité des interprétations.

12 févr. 2013

L’ILLUSION DU CONTRÔLE PAR LA CENTRALISATION

Croire piloter parce que l'on décide : "Decido, ergo sum" ! 
Plus celui qui décide est face à la situation réelle, plus il a entre les mains non seulement les données du problème, mais aussi les voies et moyens d’actions, et plus l’action entreprise a des chances d’être efficace.
C’est ce qui milite en faveur de la décentralisation, et à ne décider qu’a minima, au niveau central. Tel est bien la logique actuelle qui prévaut dans l’art militaire : donner de plus en plus d’autonomie aux forces de terrain, tout en veillant à ce qu’elles connaissent bien quel est le but visé.
Mais cette tendance est bien théorique dans les entreprises, et dans les faits, rarement mise en œuvre.
Pourquoi diable ? Ceci est dû souvent par une conjonction de causes :
Le déficit de confiance : celui qui détient les rênes du pouvoir se croît souvent supérieur, et pense que les abandonner aux autres est une prise de risque. Il ne voit pas combien sa compréhension de la situation peut être faussée par la distance, et combien la vraie prise de risque est décider lui-même les modalités de l’action.
L’illusion de la connaissance, notamment grâce aux systèmes d’information : grâce aux technologies de l’information, le centre est connecté en temps réel avec tout ce qui se passe, et imagine qu’il peut voir et comprendre tout ce qui advient, mieux que ceux qui sont sous l’épreuve des balles. Mais ces informations ne sont toujours que partielles, froides, et paradoxalement surabondantes : comment faire la synthèse de ces tableaux de chiffres qui défilent continûment ?
La globalisation des medias, et la vulnérabilité du centre : plus rien n’est loin du centre, et tout peut l’atteindre immédiatement. Une erreur même mineure, commise dans une filiale lointaine, peut avoir des effets catastrophiques, par exemple en terme d’image pour l’entreprise.
La judiciarisation du monde : Le dirigeant sait qu’il peut être juridiquement responsable de tout ce qui advient dans son entreprise, y compris pour des actes qu’il n’a pas personnellement décidé. Ce n’est vraiment de nature ni à la détendre, ni à faciliter la décentralisation.
Malgré tous ces obstacles réels, je reste convaincu que la pire des décisions est de vouloir décider de tout et de ne pas décentraliser… mais cela ne veut pas dire qu’il faut le faire sans en définir les règles et les modalités !

11 févr. 2013

SALE TEMPS POUR LA RÉFLEXION ET L’ACTION

Décider trop tôt n’est pas décider à temps !
Le monde est de plus en plus turbulent, et tous les managers sont pris dans des tourbillons contradictoires.
Ainsi que je l’écrivais dans mon livre, Les mers de l’incertitude, il ne faut pas pour autant être malade du temps :
« Si agitation rimait avec efficacité, toutes les entreprises seraient performantes. Mais souvent, cette agitation rime avec moindre réactivité réelle, moindre compréhension de ce qui se passe, moindre rentabilité. Confusion entre activité et performance, agitation et progression… (…) Toute personne qui ne court pas et n’est pas débordée est suspecte. Même en réunion, on doit lire ses mails et y répondre, et seul le présent et le court terme comptent… (…)
Car, la question n’est pas d’aller vite dans l’absolu, mais d’adapter la vitesse à ce que l’on veut faire, d’ajuster rythme et durée. Une idée centrale est de comprendre l’interaction entre la durée d’observation et l’analyse que l’on peut mener : un corps observé sur une courte durée peut sembler solide, alors qu’il ne le sera plus au bout d’un certain d’observation. »
Quatre remarques pour compléter mes propos d’alors :
- Toute activité, toute entreprise, tout projet est un flux, un mouvement. Toute réflexion, notamment tout business plan, est une photographie, c’est-à-dire un arrêt sur image (même s’il est le plus souvent composé d’un ensemble de photographies prises à des instants différents). Il y a donc une perte de la réalité du temps qui, au lieu d’être continu, devient discret. Penser en terme de flux et de dynamique est pourtant essentiel.
- Ces flux ne sont pas toujours linéaires, ni en progression. Ils peuvent être circulaires, comme dans la succession des saisons et de l’agriculture. La distinction  entre flux linéaire et circulaire est majeure.
- Il faut savoir résister à la maladie collective de l’urgence, et, au contraire, décider le plus tard possible, car toute décision est la fermeture d’options. L’anticipation peut être souvent non seulement contre-productive, mais dangereuse.
- L’art de la décision est aussi celle du choix du moment où l’on prend la décision. Il n’y a en la matière aucune règle, à part celle d’avoir compris que ce choix était critique, et devait être réfléchi, et non pas simplement le résultat des courants et des événements. 

8 févr. 2013

ABSENCE DE CONNEXION

A Pékin (4)
Poursuite de mon patchwork chinois, cette fois les 22 et 23 décembre 2004
Noël est proche, plus que trois jours à attendre. Même si cette fête ne fait partie ni de la religion, ni de la culture chinoises, les rues de Pékin se sont quand même habillées pour la fête.
Mais, ici sur la place Tiananmen, rien ne transparaît de ces festivités. Le blanc de la neige souligne le rouge de drapeaux. A l’arrière-plan, coiffant l’entrée de la Cité interdite, trône toujours un portrait géant de Mao, rappel de l’empereur rouge disparu, qui, au contraire de Staline en Russie, n’a pas été déboulonné de l’iconographie officielle.
Difficile d’imaginer dans le calme de cet après-midi de décembre, que, quinze ans plus tôt, en juin, en ce même endroit, se déroulait le face à face entre un étudiant, symbole de la révolte, et un char, symbole du pouvoir en place. Sauf que le deuxième n’était pas qu’un symbole, mais bien l’expression d’une puissance bien réelle et déterminée à rester en place…

Dans la partie sud de Pékin, se tient le Palais du Ciel. Le palais y est petit, discret, le jardin domine. Parmi la multitude des allées, un alignement est essentiel, et relie directement ce jardin à la Cité Interdite. Au cœur de cet alignement, se trouve une pierre circulaire, apparemment anodine.
C’est pourtant elle qui concentre la magie du lieu, et c’est pour elle que l’Empereur venait se rendre ici. Sur cette pierre, si l’on médite selon les règles, on entre en communication avec le Ciel. L’internet avant l’heure en quelque sorte.
Juché sur elle, encapuchonné de jaune, j’ai essayé à mon tour. Rien ne s’est passé. Défaut de connexion manifeste. J’avais pourtant cru que la couleur de mon blouson, qui rappelait un peu le jaune que seul l’Empereur avait le droit de porter, ferait l’affaire. Mais non, manifestement pas.
Quand le boîtier de mon modem ADSL est défectueux, quand je n’arrive plus à me connecter, je peux appeler le service clientèle, la hot line. Drôle de nom pour désigner un service souvent inexistant et qui n’a rien de chaud… Mais au moins, j’ai l’impression de pouvoir faire quelque chose pour rétablir la connexion.
Ici, je ne vois ni combiné que je pourrais saisir, ou ni numéro à appeler. Seulement des Chinois qui me regardent interloqués…

7 févr. 2013

UNE COLOCALISATION COMPÉTITIVE ENTRE FRANCE ET MÉDITERRANÉE EST-ELLE IRRÉALISABLE ?

Et si la solution était de dépasser nos oppositions et nos peurs
L’Allemagne tire sa force non seulement de sa capacité à construire dynamiquement des consensus et des rapports de confiance entre les entreprises, et à l’intérieur des entreprises, mais aussi du maillage tissé avec les ex pays de l’Est : tirant parti du plus faible coût salarial, ses entreprises disposent d’un nouvel avantage compétitif. Sans compter que la croissance des ces pays, est aussi une source de revenus.
En France, nous avons d’abord à rebâtir ce climat de confiance, ce sera long, mais c’est indispensable. C’est le socle sans lequel rien ne sera possible.
Et si, comme l’Allemagne avec les pays de l’Est, nous avions aussi une opportunité pour accroître notre compétitivité et relancer notre croissance : le bassin méditerranéen. Telle est l’hypothèse que l’Ipemed abordait dans sa conférence sur la colocalisation en Méditerranée : est-il possible en tissant des partenariats entre des entreprises françaises et nord-africaines de construire une aire de co-développement ?
Il y a du chemin à parcourir, mais l’idée est séduisante, et est sans doute réalisable. Comme l’indique l’Ipemed dans son document de présentation : « Associer les deux rives dans un même système productif ne se fera pas facilement, ni de la même façon selon les secteurs d’activité. Dans certains cas, on en restera encore un certain temps à des délocalisations classiques, dans d’autres on se rapprochera d’un système productif intégré mais encore avec une forte dissymétrie en faveur du Nord. L’essentiel est de considérer que la colocalisation est un stade possible et souhaitable du vaste ensemble des partenariats productifs, et qu’elle montre que ces partenariats peuvent être équilibrés entre Nord et Sud, ce qui change la vision qu’on peut en avoir : le Sud n’est pas voué à rester en position subalterne, les remontées en gamme sont possibles, des champions nationaux peuvent et doivent émerger au Sud, des entreprises du Sud doivent pouvoir se développer en Europe. »
En 1955, Claude Lévi-Strauss écrivait à la fin de Tristes Tropiques : « Si, pourtant, une France de quarante-cinq millions d’habitants s’ouvrait largement sur la base de l’égalité des droits, pour admettre vingt-cinq millions de citoyens musulmans, même en grande proportion illettrés, elle n’entreprendrait pas une démarche plus audacieuse que celle à quoi l’Amérique dut de ne pas rester une petite province de monde anglo-saxon. Quand les citoyens de la Nouvelle-Angleterre décidèrent il y a un siècle d’autoriser l’immigration provenant des régions les plus arriérées de l’Europe et des couches sociales les plus déshéritées, et de se laisser submerger par cette vague, ils firent et gagnèrent un pari dont l’enjeu était aussi grave que celui que nous refusons de risquer. ».
Nous avons alors manqué cette chance historique. Saurons-nous saisir cette nouvelle qui se présente à nous, et construire de vrais partenariats équilibrés, bâtis sur la compréhension et le respect de l’autre ?