L’individu humain : le futur anticipé (1)
Depuis longtemps, bon nombre d’entre nous se croient le but de la création : ce monde que nous habitons aurait été fait pour nous, et nous en serions non seulement les habitants, mais la finalité et la justification. L’emploi du mot « environnement » est un témoin de la domination de cette croyance : quand nous commençons à nous préoccuper de l’avenir de notre planète, le mot que nous employons ne nous définit par comme un de ses composants parmi d’autres, mais comme le cœur. A l’instar des Chinois qui habitent le « pays du milieu », nous nous pensons au centre du monde.
Pourquoi donc refuser la logique de l’évolution ? Est-ce si difficile de ne pas nous penser comme la justification de ce qui nous a précédé, et de nous voir comme une étape dans ce processus, un animal de plus, un « animal plus »… en attente d’une suite qui a déjà probablement commencé
Mais si nous sommes nés des temps du minéral, du végétal et de l’animal, si en nous se développent l’incertitude, les emboîtements et les émergences, cet « animal plus » que nous sommes n’est pas un animal parmi d’autres : notre puissance est sans commune mesure, et c’est grâce à elle que nous avons assis notre suprématie sur notre planète… au moins jusqu’à présent.
D’où vient donc cette puissance ? Quelles sont les subtiles différences qui, tout en nous inscrivant dans la continuité de ce qui nous a précédé, lui ont permis d’émerger et de se propager ?
Maurice Merleau-Ponty voit en l’homme une conscience qui se construit : « L'homme n'est pas d'emblée une conscience qui possède dans la clarté ses propres pensées, mais une vie donnée à elle-même qui cherche à se comprendre elle-même. » (1)
Vladimir Nabokov répond ainsi : « Être conscient d’être conscient d’être… Si je sais non seulement que je suis, mais également que je sais que je le sais, alors j’appartiens à l’espèce humaine. Tout le reste en découle. ». (2)
Et Siri Hustvedt complète : « A mon avis, il est absurde de prétendre que le rat n’est conscient ni du son ni du choc. (…) Ce qu’il ne possède pas, c’est le niveau le plus élevé de conscience de soi des humains. (…) Il ne dispose pas d’un narrateur interne qui lui raconte l’histoire de ses aventures dans le labo avec ses savants gargantuesques producteurs des sons et de désagréables chocs électriques. » (3)
(1) Maurice Merleau-Ponty, Sens et non-sens, p.82
(2) Vladimir Nabokov, Strong Opinions, 1973, traduction issue du cours 2011 de Stanislas Dehaene au Collège de France
(3) Siri Hustvedt, La femme qui tremble, p.132