10 mars 2018

OÙ SONT LES CLÉS ?

Extrait de mon livre « Coming in » : puzzle
"Jusqu’à présent, je m’étais contenté de vivre sans réfléchir, sans me retourner en arrière. Toujours dans l’action. Juste dans le flux. Comme un requin, par peur de manquer d’oxygène, je ne m’étais pas arrêté. Surtout pas. Courir, courir encore et encore. Un homme pressé.
Un souvenir ponctuel justement, celui de la scène où, dans le film "L’homme pressé", Alain Delon décidait d’acheter séance tenante une maison en exigeant de ses occupants de la quitter immédiatement. Je me rappelais avoir alors pensé : « Je pourrais faire pareil ». La même folie et le même mépris des autres. Était-ce moi cet homme pressé ?
Sur le balcon, face au Gange, à sa lenteur tranquille, à l’évidence de son flux, je voyais que mon passé m’avait échappé. M’échappait. Or comment faire mon coming in sans le fil d’Ariane de ma vie ?
Oui, le défi était là : arriver à retrouver en moi la clé ou les clés. Elle ou elles devaient être quelque part. Oubliées. J’étais la résultante de ce que j’avais vécu. Je devais l’être. Il le fallait.
Comme les personnages de la nouvelle de Jorge Luis Borges, je circulais sans fin dans ma bibliothèque de Babylone. J’errais dans les alvéoles, ouvrais au hasard un ouvrage, et désespérais d’y trouver une phrase qui aurait un sens. Quelque part, il y avait la réponse à mes questions. Où ? A chaque fois, ce n’était qu’une succession de lettres dénuée de sens. L’arrangement avait été élaboré par un démiurge malintentionné. Mais mon obstination et ma détermination ne fléchissaient pas.
Chacun des événements que j’avais vécus, chacune des émotions que j’avais ressenties avaient été décomposés. Devant moi, je n’avais qu’une myriade de particules disséminées dans le réseau quasi infini de mes neurones. Là un son, ici une couleur, plus loin une image, devant une odeur, derrière une sensation.
Comment trier ? Quoi avec quoi ? Quelle pièce pourrait s’emboiter avec celle-ci ?"

7 mars 2018

POURQUOI LE MOUSTIQUE PIQUE-T-IL ?

Ainsi va l'évolution...
Maudit moustique. Ma nuit n’est qu’un long chapelet de batailles inutiles. Ma main maladroite et endormie essaie en vain de mettre un terme à la vie de cet insecte. 
Au matin, le nombre des boutons rouges dresse le score du match lamentablement perdu : 4-0. Pas brillant… 
Mais, au fait, pourquoi le moustique nous pique-t-il ? Vous êtes-vous déjà posé la question ? Non ? Moi, si. J’ai voulu savoir pour quelle raison ce petit avorton vient régulièrement perturber mon sommeil. Sans parler de toutes les maladies qu’il propage joyeusement tout autour du monde.
Est-il le fruit de la création divine ? Un peu d’enfer offert gracieusement et gratuitement ? Un apéritif de ce qui attendra bon nombre d’entre nous ?
Ou plus prosaïquement le fruit logique de l’évolution ? L’expression d’une volonté ? 
Pas vraiment. Plutôt le jeu de l’amour et du hasard. Une rencontre fortuite.
Voilà l’histoire…
Il y a longtemps, très longtemps, un lointain ancêtre du moustique a développé un appendice pour aspirer un liquide, par exemple de l'eau. Une sorte de pipette. Pratique pour boire rapidement. Et donc accroître les chances de survie. 
Un jour, l'un d'eux s'est posé sur la peau d’un animal quelconque – une femme ou un homme si cela vous fait plaisir –, et peut-être par fatigue, a appuyé sa tête. Alors l'appendice a pénétré la peau. Là, il a trouvé un liquide riche et nourrissant : du sang. Super bon, a-t-il pensé ! Du coup, non seulement il est revenu, mais il en a parlé à ses congénères. Rapidement ils en sont tous devenus accros. Des junkies du sang.
Et voilà, comment cette espèce est devenue une sorte de vampire nocturne : par le hasard de la rencontre d'un appendice créé pour aspirer un liquide et d'une peau perméable pour assurer la respiration.
Cette rencontre fortuite a modifié le cours des espèces : le moustique a prospéré, la malaria a pu se propager, et nos nuits être chroniquement pourries.

Ainsi va la vie. Elle avance, cahin-caha, sans raison, sautant de possible en possible au hasard des rencontres...

3 mars 2018

COMING OUT OU COMING IN ?

Extrait de mon livre « Coming in » : in et pas out
"Souvent à la radio, à la télévision ou dans la presse, on entend parler de « coming out ». Untel ou unetelle ont fait son coming out. Ou encore ont été « outés ». Rien de plus stupide que cette expression. 
Comme si l’homosexualité est une variété de furoncle qu’il faut percer pour que son pus jaillisse en plein jour : « Purgez donc cette vilaine boursouflure, et tout ira bien ensuite, vous verrez ! » 
Comme si une part essentielle de notre personnalité peut sortir sans dommage collatéral. (…)
Je n’avais honte ni de qui j’étais, ni de ce que j’avais fait. Ce n’était pas la question. Si certains étaient gênés de me savoir homosexuel, autant cesser tout de suite de les voir ! L’homosexualité n’est pas une maladie, a fortiori contagieuse. Non, je n’avais pas peur de cela. 
Dans l’expression « coming out », il y a surtout implicitement l’idée d’une destruction, d’une implosion sentimentale. C’était précisément ce que je vivais actuellement : à force de trop de coming out, je me désintégrais. Je brûlais. Chaque morceau de mon identité s’écartait des autres, chaque parcelle de mon « Je » suivait sa propre trajectoire. Divergente. Toutes divergentes. (…)
Non, le coming out n’est pas la solution, mais le problème. Il me fallait arrêter mon coming out, arrêter mon implosion. Tant qu’il en était encore temps. (…)
Continuer mon coming out, ce serait l’échec assuré. Mon autodestruction. Au mieux, le rejet par tous ceux qui m’avaient connu autre : pourquoi accepteraient-ils de me découvrir différent ? Au pire, la rupture par fragmentation. Désintégration. (…)
J’avais besoin de l’inverse. D’un coming in. 
Pour pouvoir décider ce que je voulais faire, et le décider pour moi ainsi que Marc me l’avait dit, il me fallait réparer ma fracture. De l’intérieur, et non pas de l’extérieur. In et non pas out. Prendre le temps de plonger en moi. 
Pour comprendre comment et pourquoi j’étais passé à côté de moi-même. Comment et pourquoi j’avais élaboré une identité fictionnelle et artificielle. Comment et pourquoi celle-ci n’était pas seulement « fictionnelle et artificielle », mais représentative de qui j’étais. Comment et pourquoi mes deux parties – mon identité apparente et celui que j’avais pris l’habitude d’appeler « mon Alien » – étaient indissociables et constituaient ensemble mon identité réelle. Comment et pourquoi l’Alien n’en était pas un. Comment et pourquoi cet Alien était moi. Moi aussi. Comment et pourquoi sans lui je ne serais pas moi.
Bref comprendre qui j’étais."

28 févr. 2018

LES TRAINS US ROULENT « DERRIÈRE » LES CHEVAUX DE GUERRE ROMAINS !

Notre passé vit au présent
Un jour, je me suis posé une question existentielle : pourquoi diable aux USA, la distance standard entre deux rails est-elle de 4 pieds et 8,5 pouces ? Pourquoi pas une chiffre rond ? Ou 50% plus large ?
Pour répondre, j’ai joué à Sherlock Holmes. Et voilà ce que j’ai trouvé :
1. Les chemins de fer US ont été construits sur le même écartement qu'en Angleterre, par des ingénieurs anglais expatriés : ils ont pensé que c'était une bonne idée car cela permettait d'utiliser des locomotives anglaises. Mais pourquoi les Anglais l’ont-ils choisi avant ? 
2. Les premières lignes de chemin de fer anglaises furent construites par les ingénieurs qui avaient construit les tramways : aussi ont-ils repris cet écartement.
3. Les personnes qui construisaient les tramways, construisaient aussi les chariots : ils ont donc utilisé les mêmes méthodes, les mêmes outils et donc l’écartement des chariots.
4. Tous les chariots avaient le même écartement, car partout les routes avaient déjà des ornières : un espacement diffèrent aurait causé la rupture de l'essieu du chariot.
5. L’origine de ces ornières remonte aux grandes routes construites par l'empire romain pour accélérer le déploiement des légions romaines : leur espacement correspond à la taille des chariots de guerre romains.
6. Les chariots romains étaient tirés par deux chevaux galopant côte-à-côte. L’écartement des roues est le résultat du compromis suivant : les écarter pour assurer une meilleure stabilité du chariot, sans se trouver dans la continuité des empreintes de sabots laissées par les chevaux ; les rapprocher pour limiter les risques d'accident lors du croisement de deux chariots.
Donc en résumé : l'espacement des rails US provient d’une optimisation faite 2000 ans auparavant, sur un autre continent, et est liée à la dimension de l'arrière-train des chevaux d’alors.
Je ne suis pas certain que cette explication soit exacte, mais reconnaissez qu’elle est amusante.
Et elle illustre bien la rémanence du passé qui est caché dans notre quotidien : si les Romains avaient opté pour des chars tirés par un seul cheval, nos trains seraient différents. 
Troublant, non ?

24 févr. 2018

CHUTE ET RÉGRESSION

Extrait de mon livre « Coming in » : Cauchemar
"Irrésistiblement, je glisse. 
Mes mains tentent de s’agripper à la moindre aspérité. Pour tout résultat, mes paumes ne sont que plaies, mes ongles arrachés. Ma vitesse s’accélère sans cesse. Trop vite, je vais trop vite. Bientôt je serai broyé, explosé sur le sol que je vais finir par atteindre.
Aucune lumière, le noir absolu, juste le souffle de ma vitesse. Une pensée m’obsède : freiner ma chute, coûte que coûte. Essayer à tout prix. Jouer des coudes. En vain. Essayer encore et encore. Les genoux, puis les pieds. La chute se poursuit. Inexorablement. Au-dessus, le rond du jour n’est plus qu’un point à peine perceptible. Inutile de crier : aucun son ne peut sortir du puits dans lequel je plonge. J’ai été jeté dans des oubliettes.
Soudain, je rebondis sur le sol. Brutalement, mais sans ressentir ni douleur, ni contusion. Juste le froid et l’élasticité d’une terre souple et humide. Odeur de putréfaction. 
(…)
Étranger à moi-même, j’erre, les bras en avant. Maladroit, je renverse tout, ici une lampe, là une table de chevet. Je bute sur une chaise et m’y assois un instant. Je désire mon lit qui m’échappe. Les débris de la lampe s’incrustent dans la chair de mes pieds nus. Je sens mon sang s’écouler, devinant que le flot visqueux macule le sol.
A défaut de lit, j’atteins le mur du fond. Il est blanc et impersonnel. Aucun relief, juste la froideur du plâtre à nu. De rage, mes poings se serrent, et je commence à boxer la paroi. 
Gauche, droite, gauche, droite, gauche, droite. Seconde après seconde, l’intensité de mes coups s’accroît. Le mur se creuse, mes phalanges saignent. Gauche, droite, gauche, droite, gauche, droite. Frapper encore et encore. Même pas mal. Gauche, droite, gauche, droite, gauche, droite. Plus fort, plus vite. Ne pas réfléchir. Simplement cogner. Même pas mal. Gauche, droite, gauche, droite, gauche, droite. Crever ce mur pour accéder à ce qui est de l’autre côté. Crever pour ne pas crever. Gauche, droite, gauche, droite, gauche, droite. Ne pas accepter de rester emmuré. Combat à mort. Gauche, droite, gauche, droite, gauche, droite. Je sais que ce mur m’engloutira, mais qu’importe. Lui ou moi. Lui et moi. Gauche, droite, gauche, droite, gauche, droite.
D’un coup, le plâtre devient béton. Bien qu’en sang, je continue à frapper. Gauche, droite, gauche, droite, gauche, droite. Mais que faire contre un mur indestructible ? Je stoppe le combat, lèche mes blessures, et me repais du fluide rouge qui s’en écoule. D’un dernier élan, je percute de la tête l’enceinte, et, à moitié assommé, tombe sur le sol. Je couvre ma tête de mes bras. 
Je suis boule, fœtus. Aucun bruit. Doucement, irrésistiblement, ma cellule rapetisse. Les murs glissent vers moi, le plafond descend. Mon espace vital se réduit lentement. L’air commence à me manquer. Bientôt, je serai écrasé, broyé, détruit. Mais non, car moi aussi, je rapetisse. Je régresse. La paroi n’est plus rigide, mais a la douceur et la chaleur d’une peau. Je comprends que j’ai trouvé refuge dans celle que je n’aurais jamais dû quitter : j’ai réintégré l’utérus de ma mère. Je sens nos cœurs battre à l’unisson. Je tape contre la paroi de son ventre. M’entendra-elle ?
En sueur, je me réveillai."

20 févr. 2018

POURQUOI LE POULET A-T-IL TRAVERSÉ LA ROUTE ?

Était-ce historiquement inévitable, dans sa nature ou accidentel ? 
Pourquoi un poulet traverse-t-il une route ?
Il a forcément une raison, voire plusieurs, mais lesquelles.
Interrogation majeure et apparemment simple. Pourtant, comme toujours, dès que l’on creuse la question, elle se complexifie et les réponses sont multiples.
Du coup, in fine, on est face à tout un champ de possibles. Lequel est le bon ?
Je vous laisse faire votre choix parmi les réponses que j’ai trouvées sur internet.
Personnellement, probablement parce que je suis moi-même un consultant, j’ai un faible pour la réponse proposée par Consulting&Co. J’aime la volonté d’aller au fond de la question, de ne pas avoir peur de multiplier les analyses, et d’apporter une assistance complète au poulet dans sa grande aventure, le tout très certainement pour un coût proprement astronomique…
Donc, pourquoi le poulet a-t-il traversé la route ?
Aristote : C'est dans la nature du poulet de traverser les routes.
Platon : Pour son bien. De l'autre côté est le Vrai.
Descartes : Pour aller de l'autre côté.
Moise : Et Dieu descendit du Paradis et Il dit au poulet "Tu dois traverser la route". Et le poulet traversa la route et il jubila.
Bouddha : Poser cette question renie votre propre nature de poulet.
Hippocrate : A cause d'un excès de sécrétion de son pancréas.
Machiavel : L'élément important c'est que le poulet ait traversé la route. Qui se fiche de savoir pourquoi ? La fin en soi de traverser la route justifie tout motif quel qu'il soit.
Darwin : Les poulets, au travers de longues périodes, ont été naturellement sélectionnés de telle sorte qu'ils soient génétiquement enclins à traverser les routes.
Martin Luther King : J'ai la vision d'un monde où tous les poulets seraient libres de traverser la route sans avoir à justifier leur acte.
Freud : Le fait que vous vous préoccupiez tous du fait que le poulet ait traversé la route révèle votre fort sentiment d'insécurité sexuelle latente.
Karl Marx : C'était historiquement inévitable.
Ernest Hemingway : Pour mourir. Sous la pluie.
Albert Einstein : Le fait que le poulet traverse la route ou que la route se déplace sous le poulet dépend de votre référentiel.
Consulting&Co : Deregulation of the chicken's side of the road was threatening its dominant market position. The chicken was faced with significant challenges to create and develop the competencies required for the newly competitive market. Consulting&Co, in a partnering relationship with the client, helped the chicken by rethinking its physical distribution strategy and implementation processes. Using the new Poultry Integration Model (PIM), AA helped the chicken use its skills, methodologies, knowledge, capital and experiences to align the chicken's people, processes and technology in support of its overall strategy within a Program Management framework. Consulting&Co drove a diverse cross-spectrum of road analysts and best chickens along with AA consultants with deep skills in the transportation industry to engage in a two-day itinerary of meetings in order to leverage their personal knowledge capital, both tacit and explicit, and to enable them to synergize with each other in order to achieve the implicit goals of delivering and successfully architecting and implementing an enterprise-wide value framework across the continuum of poultry cross-median processes. The meeting was held in a park-like setting, enabling and creating an impactful environment which was strategically based, industry-focused, and built upon a consistent, clear, and unified market message and aligned with the chicken's mission, vision, and core values. This was conducive towards the creation of a total business integration solution. Consulting&Co helped the chicken change to become more successful. Thanks for your attention.

(Ce texte en italique a été trouvé sur internet)

18 févr. 2018

COMMENT ASSUMER L’ALIEN QUI EST EN MOI ?

Extrait de mon livre "Coming in" : L’Alien
« Dans ma maison en Provence, j’avais patiemment remonté tous les murs en pierres sèches. J’avais appris l’art de poser à cru les pierres les unes sur les autres. Trouver d’un coup d’œil laquelle saisir. Comprendre que le plus facile et le plus efficace, ce n’était pas d’accorder la priorité aux grosses pierres. Non, car rarement elles s’emboiteraient ensemble. Mieux valait se servir des petites, puis poser de temps en temps des grandes pour relier le tout. Et finir par une rangée où elles étaient posées en vertical, la compression assurant la solidité. J’arrivais ainsi à monter des murs de deux mètres de haut.
J’avais fait pareil avec ma vie. Depuis vingt ans, j’avais posé une pierre après l’autre. Rien de gros, rien de spectaculaire. Juste de petites pierres. Un geste après l’autre. Une réunion après l’autre. Un dîner après l’autre. Un mensonge après l’autre. Le tout aboutissait à un mur immense et résistant à tous les chocs. Au cœur, bien caché, végétait mon Alien. Un homosexuel qui, afin de ne pas exploser, éjaculait dans des saunas ou des bars obscurs. Vidange nécessaire et sans lendemain. Oui, un tout solide, à défaut d’être cohérent. Aucun ciment, aucun liant, juste des pierres. Sèches. Sec.
Décider de rejoindre Marc dynamiterait ce mur. Me dynamiterait. De ma nouvelle vie potentielle avec lui, je n’avais aucun repère, aucune expérience. Ce futur inconnu n’était pas moi. Du moins ni le moi d’hier, ni le moi d’aujourd’hui. Quitter Cécile et les enfants, c’était me quitter. Tout le monde ne me connaissait que grimé et déguisé. Mes amis, mes camarades de travail, ma famille. Tout le monde. 
Que deviendrais-je ? A leurs yeux, je n’existerais plus. Sans mur, je ne serais rien. Le mur n’était pas une protection, il était moi. Sans lui, je me dissoudrais. Il n’était pas ma carapace, mais mon ossature. Sans lui, je serais flasque, mou, sans consistance.
Mais, rester avec Cécile n’avait pas non plus de sens. L’Alien ne rentrerait plus jamais dans sa niche, je le savais. Il était sorti pour de bon. Je sentais encore dans ma chair le moment où, dans l’avion pour Cagliari, il avait surgi et m’avait pour un temps dévoré, englouti. Ensuite, il avait laissé un peu d’espace à mon passé. Un peu, mais pas tout. Il était là et bien là. J’étais définitivement un "Je-Il".
L’Alien tapait chaque jour plus fort contre les fondations qui me soutenaient. Mon mur n’y résisterait pas. Pas longtemps. Déjà il se fissurait. Le barrage volerait bientôt en éclat, et le torrent de l’eau contenue me submergerait.
Que faire ? »

16 févr. 2018

JE PENSE AU TRAVERS DE MES LANGAGES

C’est grâce à nos langages que nous interprétons le monde dans lequel nous vivons 
Nos langages ne sont pas seulement les langues que nous maitrisons. Ainsi les mathématiques ou le jeu d’échec sont aussi des langages : 
- Là où le profane ne voit que des assemblages de lettres, de chiffres et de symboles, le mathématicien lit le problème et architecture des solutions,
- Si l’on présente à ce joueur d’échec des pièces correspondant à une partie réellement jouée, il lit la configuration, la mémorise très rapidement, et pourra la reproduire sans se tromper. Si les pièces sont posées au hasard, il ne verra plus de configuration et aura autant de difficulté qu’un débutant à se souvenir de la localisation des pièces. 
- De même un Chinois, face à un texte écrit en mandarin, lit les caractères, là où je ne vois que des traits que je suis incapable de reproduire. Si ces caractères étaient des traits faits au hasard, il se retrouverait dans la même situation que moi.
Ainsi, chacun de nous détient un ensemble de langages – les langues que nous maitrisons, les expertises acquises, notre histoire familiale et personnelle –, et c’est grâce et à travers eux que nous sommes à même d’interpréter le monde dans lequel nous vivons et d’en extraire des informations et du sens. 
L’entreprise, elle aussi, se nourrit d’interprétations. Comme pour un individu, elles reposent sur des langages. Les langages sont essentiellement ceux des mots, mais pas seulement : chaque population technique a son propre langage qui est un de ses vecteurs d’efficacité. Les mots eux-mêmes dans une grande entreprise relèvent des langues multiples : même s’il existe toujours une langue dominante qui sert de support à la communication collective, cela suppose pour bon nombre un double effort de traduction.
Comment franchir ces obstacles en entreprise ? Un des leviers est la construction d’une culture commune, c’est-à-dire d’un langage commun. Ce langage repose sur un ensemble de signes verbaux et non verbaux qui sont des raccourcis permettant à chacun d’échanger et de construire une compréhension commune face à une situation donnée.

14 févr. 2018

IL EST IMPOSSIBLE DE SE COMPRENDRE… QUOIQUE…

Comment communiquer ?
Prenons un cas extrêmement simple : vous voulez parler, pour une raison ou une autre, d’une table. Vous employez le mot sans précaution particulière, sans y mettre aucun affect. Vous parlez « techniquement » d’une table. Vous êtes neutre et calme. 
Normal, non, puisque la table est un objet simple que tout le monde connaît. Aucun risque de ne pas être compris. Pas de problème, pas de raison de « se prendre la tête », n’est ce pas ?
Oui, mais il se trouve que celui à qui vous parlez a un père menuisier qui avait pour spécialité de faire des tables. Toute son enfance, votre interlocuteur l’a passée auprès de ce père, sa mère étant morte alors qu’il était très jeune. Un père castrateur, donneur de leçons et qui lui répétait tout le temps : « Tu vois, des tables comme celles-là, tu ne sauras jamais en faire. ». 
Quelques années plus tard, il s’était orienté vers une école d’ingénieur. Pour prouver à son père que, s’il ne pouvait pas faire des tables comme les siennes, il avait d’autres talents.
Tout cela est bien loin maintenant, puisqu’il a près de cinquante ans. Certes, mais son père vient de mourir. La semaine dernière. L’enterrement était hier.
Et vous êtes debout, face à lui, vous son supérieur hiérarchique. Et vous lui parler de table. Du coup, tout son passé lui revient. Il ne vous écoute plus. Il est ailleurs…
Évidemment cette histoire est caricaturale, et vous n’avez à peu près aucune chance de vous retrouver dans une situation aussi extrême. 
Mais à chaque fois que vous exprimez quelque chose – quoi que ce soit –, vous employez des mots qui, pour vous, correspondent au sens que vous voulez donner, à votre interprétation : vous parlez à partir de votre histoire et de votre vision du monde.
Votre interlocuteur, celui qui reçoit votre message, l’interprète lui à partir de son histoire, son expérience et l’ensemble de ses ressorts émotionnels propres.
Difficile de se comprendre… sauf si l’on a pris le temps de comprendre quel est celui à qui l’on s'adresse, ou que l’on arrive à construire une histoire qui parlera à tous. Une parabole comme dans la bible par exemple…
Me suis-je fait comprendre ? J

12 févr. 2018

VAINCRE LA GUEULE DE BOIS DE LA DÉPENSE PUBLIQUE

Extrait de "2017 : le Réveil Citoyen"
Il y a deux ans, je publiais mon livre « 2017 : Le réveil citoyen », un essai politique qui comprenait à la fois un diagnostic et un ensemble de propositions. 
J’y abordais notamment un sujet qui reste toujours d’actualité : notre maladie de la dépense publique. En voici, quelques extraits…
"Depuis tant de matins, la France se lève avec une solide gueule de bois. Depuis tellement d’années qu’elle fait la fête grâce à la dépense publique. Quand elle a un problème, c’est sa recette miracle : trop de chômeurs ? Qu’à cela ne tienne, on va augmenter les allocations. Pas assez de logements ? Qu’à cela ne tienne, on va inventer une aide fiscale de plus. Trop de pauvreté ? Qu’à cela ne tienne, on va augmenter les allocations. Combien de verres de dépense publique avons-nous bus ? Impossible de les compter. Tout est flou. Car la France a appliqué le dicton populaire en soignant le mal par le mal : s’il n’y avait pas assez d’emplois, si tous les déficits explosaient, si la dette était abyssale, c’était parce que la dépense publique était insuffisante. Un peu plus de dépense publique, et vous verrez, mon bon Monsieur, la croissance va repartir et nos problèmes disparaîtront. Regardez l’Éducation nationale décrocher : vous n’allez quand même pas abandonner nos enfants, au moment où tout le monde clame que l’avenir est dans l’accroissement des compétences. Allez encore un petit verre, et Messieurs les Français, vous vous sentirez mieux ! (…)
Il était une fois un pays qui avait un très grave problème de chômage. Pourquoi ? Parce qu’il n’y avait plus assez d’activité. Alors le Président de ce pays, qui était un homme très sage et très puissant, eut une idée : il créa deux entreprises, l’une qui creuserait des trous, l’autre qui les boucherait. Il mit à la tête de chacune un homme de confiance. Et le miracle advint : plus la première se développait, plus la seconde avait du travail. Et réciproquement. En un rien de temps, le chômage fut résorbé. Partout on creusait, partout on bouchait. 
À votre regard, je vois que vous trouvez mon histoire stupide, et que vous pensez que je me moque de vous. Tout le monde sait bien que l’économie réelle ne se développe pas ainsi. Que le chômage ne baisse durablement que si l’activité des entreprises d’un pays crée une valeur réelle. Or creuser des trous pour les reboucher, cela n’en crée pas. Vrai. Mais, laissez-moi maintenant vous donner quelques exemples issus de ce qui se passe dans notre pays.
D’abord, parlons de nos ronds-points : c’est notre passion et avec trente mille construits, nous en avons six fois plus qu’en Allemagne, et continuons à en ajouter cinq cents chaque année.  Non contents de les multiplier, nous avons aussi le record du coût unitaire. Pourquoi ? Parce qu’en leur milieu, on trouve selon les cas, un mini-musée, un succédané de jardin public, ou une construction indéfinissable. Toutes ces œuvres ont une caractéristique commune : elles sont inaccessibles, puisque des voitures tournent constamment autour. C’est le propre d’un rond-point, non ? Un reste de lucidité m’a toujours interdit d’essayer d’emmener un des mes petits-enfants y jouer. Trop dangereux et trop pollué. Un jour, j’ai voulu visiter l’un de ces musées. Mal m’en a pris : j’ai créé un gigantesque embouteillage et écopé d’une contravention. 
La création de ces « œuvres » inaccessibles induit un surcoût qui se compte en dizaines de milliers d’euros par rond-point, voire en centaines de milliers. Et cerise sur le gâteau, la présence de ces superstructures entrave la visibilité : à cause d’elles, souvent l’on ne voit plus l’autre côté, ni donc l’arrivée potentielle d’une voiture. Un comble : ces « œuvres » ne se contentent même pas d’être simplement inutiles, mais elles sont de surcroît nocives, puisqu’elles dégradent la fonction de base des ronds-points, à savoir la sécurité routière. (…) Au total, c’est plus d’une dizaine de milliards d’euros qui ont été dépensés pour rien. Cet argent, ne croyez-vous pas qu’il serait plus utile ailleurs ? Je vous laisse choisir : dans les écoles, la justice, les prisons… ou alors dans votre poche. (…)
Une remarque en guise de conclusion provisoire sur la dépense publique : je ne suis ni pour, ni contre. Pourquoi ? Parce que raisonner en terme de référendum n’a aucun sens. La question à se poser n’est pas celle-là, mais celle de son utilité : est-ce qu’avec ce projet ou ce financement, plus de valeur ajoutée est créée, oui ou non ? Si la réponse est oui, pas de problème ; si la réponse est non, il faut surtout ne pas le faire, et laisser l’argent dans la poche des contribuables qu’ils soient particuliers, professionnels ou entreprises. Car même si Keynes doit se retourner dans sa tombe – Paix à son âme ! -, un accroissement de la dépense publique ne crée de la croissance que s’il crée plus de valeur. Ou alors lançons immédiatement des entreprises qui creusent des trous et d’autres qui les bouchent, ce sera plus simple et plus rapide."