Le premier défi face à l’incertitude est de trouver des points fixes qui orienteront durablement l’entreprise et permettront une réelle création de valeur.
Ruptures technologiques incessantes et soudaines, mondialisation des échanges et de la compétition, surgissement de concurrents nouveaux venant d’autres marchés et géographiques, risques politiques et économiques croissants, etc.
Mille raisons qui nourrissent l’incertitude, et rendent bien aléatoire l’art de la prévision et caduques les plans à moyen terme construits il y a pourtant peu.
Alors, face à ces changements incessants, nombre de dirigeants rendent les armes et prônent l’agilité à tous crins. Leur credo devient : « Soyons capable de saisir toute nouvelle vague pour la surfer et tirer parti de ce que l’on n’a pas prévu. »
Bien, bien…
Mais comment avancer en allant une fois à gauche, puis à droite, une fois en avant, puis en arrière ? Peut-on considérer que la stratégie relève du mouvement brownien, et ériger les mathématiques du chaos comme science de la création d’un avantage concurrentiel ? Comment concilier cela avec le temps nécessaire pour implémenter une action stratégique ?
Car, il ne suffit pas de dire pour être compris, de mettre en place des formations pour que les équipes acquièrent immédiatement de nouvelles compétences, ou de dessiner de nouveaux organigrammes pour que les organisations se transforment : la mise en œuvre d’une stratégie prend du temps, ce d’autant plus que l’entreprise est grande et présente sur de multiples géographies et métiers.
Et ce n’est pas tout. A force de changer sans cesse, on épuise les femmes et les hommes qui composent la ressource essentielle de l’entreprise. Ils n’ont plus le temps de prendre leurs marques, et les réseaux informels qui assurent le fonctionnement réel se désagrègent. On fatigue ainsi les systèmes et les organisations. On assèche aussi ses ressources financières.
Bref, l’entreprise s’affaiblit sous des hémorragies continues.
Il faut donc comprendre que le premier défi face à l’incertitude est d’arriver à trouver des points fixes qui apporteront des ancrages stratégiques et la stabilité indispensable à la création de valeur durable.
Si L’Oréal a réussi à devenir en une quarantaine d’années un leader mondial, c’est parce qu’elle vise un point fixe, la beauté. Pour reprendre les termes employés en interne : « Depuis un siècle, L’Oréal se consacre à un seul métier, la beauté …en répondant à l’infinie diversité des besoins et des envies de la beauté à travers le monde. »
Pour déployer cette stratégie, L’Oréal utilise l’agilité : arrêter plus rapidement ce qui ne fonctionne plus ou pas, amplifier ce qui réussit, être en éveil constant par rapport à ce qui pourrait advenir, etc. Tout cela au service d’un seul objectif : conforter et accélérer l’atteinte de son point fixe visé.
Ainsi l’agilité n’est pas première, mais seconde, c’est-à-dire au service de la stabilité de la stratégie.
Comme un fleuve dont les méandres et la modification de son cours en cas d’excès de pluie n’ont pour objectif que de permettre l’atteinte de la mer… toujours au même endroit.
Je n’ai jamais vu la Seine aller se jeter une fois à Dieppe, puis une autre fois en aval de Caen, sous le prétexte que la météo avait été trop incertaine…