Siri Hustvedt dans son livre, la Femme qui tremble, illustre la fragilité de notre mémoire et notre capacité à sculpter nos souvenirs :
« L’un de mes tout premiers souvenirs date de quand j’avais quatre ans. Cela se passait chez ma tante, à Bergen, en Norvège, pendant un repas en famille. Les principales composantes visuelles de l’incident sont la table familière, la salle de communes familière, et sa fenêtre donnant sur le fjord. Je revois clairement cette pièce dans ma tête car, treize ans plus tard, j’ai habité chez ma tante et mon oncle, dans cette maison. (…)
Je m’approche de ma cousine et lui tape le dos pour tenter de la consoler. Les grandes personnes se mettent à rire et d’humiliation brûlante me saisit. Ce souvenir ne m’a jamais quittée. (…)
L’erreur que j’ai faite ne concerne pas mon émotion mais l’endroit où je me trouvais quand mon orgueil a été blessé. Il est impossible que cette atteinte à mon amour propre ait eu lieu dans la maison dont je me souvenais parce que, lorsque j’avais quatre ans, cette maison n’existait pas encore. J’ai replacé ce souvenir à un endroit que je pouvais me rappeler, plutôt qu’à celui que j’avais oublié. (…)
J’avais besoin, pour garder l’évènement, de l’enraciner quelque part. Il lui fallait un cadre visuel, sans quoi il serait parti à vau-l’eau. »