Le jeudi 27 décembre 2012 est paru dans le Figaro un article que j’ai cosigné avec Stéphane Cossé 1. Il est aussi paru dans les Echos le 31 décembre 2012. Le voici ci-dessous in extenso :
Depuis plus de trente ans, chaque gouvernement se fait le chantre de l’aide aux PME. Cette fois encore, il dit avoir mis en place un dispositif nouveau et performant, à travers notamment la création d’une banque publique d’investissement et le recours à un crédit d’impôts. Les 42milliards d’euros de prêts, garanties et interventions en capital de la BPI, couplés aux 20 milliards de crédits d’impôts ? Seront-ils la potion magique tant attendue ? À en croire la réaction du Medef et de bon nombre de commentateurs, on pourrait en avoir l’impression, et pourtant, malheureusement, les doutes subsistent.
Passons sur les difficultés auxquelles il faut s’attendre de la BPI, lourde machine peuplée de fonctionnaires et de banquiers, à évaluer la pertinence d’un plan de développement d’une PME. Concernant le crédit d’impôts, malgré les volontés d’accélérer le processus, sa mise en œuvre ne sera effective qu’en 2014. Le gouvernement promet qu’il ne demandera aux PME, en contrepartie de ce crédit, aucun engagement formel. Mais comment en être sûr avec un ministre du Redressement productif dont le discours est pour le moins empreint de dirigisme ? Les dirigeants de PME vont-ils se lancer dans des dépenses immédiates et certaines, dans un contexte d’annonces tantôt rassurantes tantôt interventionnistes, et sur la base d’un mécanisme perçu comme futur et aléatoire ? La confiance est la première condition de l’investissement. Or, force est de constater que, depuis trop longtemps, l’inconstance et l’incohérence du politique entraînent une défiance logique de la part des entreprises.
Il existe pourtant une mesure simple qui modifierait structurellement la donne : nos PME ont essentiellement besoin, comme cela est le cas en Allemagne, d’être payées quand elles livrent leurs produits, et non pas trois mois plus tard. Ce retard de paiement, qui peut aller parfois jusqu’à six mois, les empêche trop souvent de se développer. Les sommes en jeu sont considérables : le crédit inter-entreprises représente globalement 500 milliards d’euros par an.
Pour une PME en plein développement, attendre d’être payée par son client, le plus souvent une grande entreprise, c’est autant de besoin de financement supplémentaire à dégager pour financer sa croissance. Face à ce besoin, le dirigeant doit se retourner vers son banquier pour obtenir un crédit de trésorerie qui va lui coûter l’essentiel de sa marge bénéficiaire, freinant d’autant la croissance de ses fonds propres et le financement de ses investissements.
De surcroît, en maintes occasions, l’entrepreneur devra, pour obtenir ce crédit, mettre en garantie ses biens propres, témoignage de son engagement personnel. Rapidement si la croissance est au rendez-vous, ses biens personnels ne suffiront plus comme garantie, et aucun financement ne sera accordé.
Voilà bien un handicap structurel qui empêche l’émergence d’entreprises moyennes, celles qui font tant défaut à notre développement industriel, à nos exportations et nos innovations. Naturellement, les entreprises de distribution et les grandes entreprises recourant à la sous-traitance sont farouchement opposées à l’arrêt de ce décalage de paiement qui leur profite. De même, les banques veulent conserver ces crédits de trésorerie rentables.
Voilà un sujet où un arbitrage du gouvernement en faveur des PME serait le bienvenu : la grande distribution et les banques domestiques ne sont, pour leur part, pas soumises à la concurrence internationale et les emplois ne risquent pas d’être délocalisés. Quant aux banques, libérées du financement de la trésorerie des PME, elles pourraient alors mieux financer les grandes entreprises et la distribution.
Que faire en pratique ? La réponse est simple : il faut changer le droit commercial pour que, à l’instar de l’Allemagne (qui a en la matière un avantage compétitif), le transfert de propriété soit effectif au paiement, et non plus à la livraison. Tant que ce ne sera pas le cas, les PME resteront réticentes à se retourner contre un client, car elles savent qu’elles risquent de perdre des marchés à venir.
Alors, chiche ! Pour relancer la production en France, le gouvernement devrait prendre une telle mesure qui n’exige ni intervention de l’État ni soutien financier: le tissu des PME françaises immergées dans la compétition mondiale aurait enfin les moyens de financer par elles-mêmes leur croissance.
(1) Maître de conférences à Sciences Po et membre du comité d’orientation d’Europa Nova