28 févr. 2013

AVOIR UNE DIRECTION GÉNÉRALE QUI DÉCIDE DE LA STRATÉGIE, CE N’EST PAS LIMITER LA LIBERTÉ… BIEN AU CONTRAIRE !

La pensée stratégique en univers incertain (8)
Donc décider la méta-stratégie et les chemins stratégiques relève de la Direction Générale, et inutile de chercher à associer beaucoup de monde autour d’elle, car ce serait une perte de temps et une dilution de l’efficacité : on ne peut pas fixer le cap en étant une multitude à réfléchir. Ceci ne veut évidemment pas dire que la Direction Générale doit être coupée de son entreprise. Surtout pas ! Elle doit être nourrie par elle, et, si possible, y avoir grandi pour la connaître de l’intérieur.
Ma conviction et mon expérience m’ont montré que ce que attendent ceux qui composent l’entreprise, ce n’est pas d’être associé à la décision de ces objectifs ultimes, mais que ces choix soient faits, qu’ils soient clairs, et que chacun sente que la Direction Générale est unie et convaincue de leur bien-fondé.
Mais alors qu’en est-il du 3ème niveau, celui des actes stratégiques, ne relève-t-il pas lui aussi de la Direction Générale ?
Non car, dans les grandes entreprises, c’est-à-dire celles qui opèrent mondialement et sont composés de filiales et divisions multiples, c’est la responsabilité des patrons d’unités : c’est à eux de réfléchir, à partir de ce qu’ils connaissent de leur division, filiale ou groupe de filiales, comment traduire la stratégie globale en stratégie locale, ce que j’appelle actes stratégiques.
Revenons une fois de plus sur le cas de L’Oréal : vu le nombre de marques et de pays, comment la Direction Générale pourrait décider de la stratégie de chaque marque ? Cela n’aurait aucun sens, serait dangereux et contre-productif. Non, son rôle est de s’assurer que chaque patron de marque ou de pays a convenablement compris la stratégie globale, puis de challenger leurs propositions pour les obliger à approfondir leurs réflexions. La Directeur Général se mue en une forme de coach stratégique qui explique, forme, soutient, conteste… et in fine, valide ou non. Alors la stratégie des marques émergera des situations réelles, venant en quelque sorte à la rencontre de la pensée théorique de la Direction Générale qui avait, elle, imaginé la stratégie globale.
Quant au 4ème niveau, c’est celui des opérations. Et ne nous trompons pas, il est riche et difficile.
Je me souviens encore de ce matin de printemps 2006 où le Directeur Général de la filiale dans laquelle je me trouvais, est venu, accompagné du Directeur marketing, me dire : « Robert, nous avons décidé de lancer un nouveau shampooing au sein de la filiale. Il doit être positionné autour de la vitalité. A vous de jouer ! »
Je ne me suis pas senti frustré de ne pas avoir participé à la décision de lancer un tel shampooing, car comment aurais-je pu apporter quoi que ce soit, moi qui n’étais qu’un chef de groupe marketing débutant.
Je ne suis pas non plus senti bridé, car il me fallait traduire cette idée en réalité : trouver la marque, la formule, le packaging, le niveau de prix, la communication… Le champ était vaste et passionnant, et j’avais quasiment carte blanche et le soutien du groupe pour le faire. Bien sûr chacun élément a été validé, chaque option a été discutée, mais c’est bien moi qui proposait.
Cette expérience reste, aujourd’hui encore, un de mes meilleurs souvenirs.
Voilà ma vision de la stratégie et de son articulation avec les opérations.

Demain, comme tous les vendredis, vous trouverez une digression à partir de photographies témoignant de voyages passés. Puis pour le mois à venir, un « Best of » car je vais d’abord respirer l’air des montagnes, puis me centrer sur l’écriture de mon prochain livre. Retour au live donc début avril au plus tard !

27 févr. 2013

CHOISIR LA MER ET LES CHEMINS D’ACCÈS RELÈVE DE LA DIRECTION GÉNÉRALE

La pensée stratégique en univers incertain (7)
Dès le début de cette série d’articles sur la pensée stratégique, j’indiquais que la stratégie était l’apanage du dirigeant, et que c’était bien là le champ privilégié où il devait exercer son pouvoir, et surtout son talent de décideur. Mais il fallait d’abord avoir précisé ce que j’entendais par stratégie. C’est chose faite avec les 4 niveaux :
- la méta-stratégie qui fixe le cap, la mer que vise le fleuve : la beauté pour L’Oréal, la nutrition et la santé pour Nestlé, l’habitat pour Saint Gobain…
- les chemins stratégiques qui définissent comment l’on va se rapprocher de cette mer : les produits pour la peau, les cheveux et les parfums, portés dans des marques mondiales couvrant tous les circuits de distribution pour L’Oréal,
- les actes stratégiques qui précisent comment on avance sur ces chemins : le portefeuille de marques avec pour chacune son positionnement, toujours pour L’Oréal,
- les actions opérationnelles qui concrétisent les actes stratégiques : les produits effectivement lancés
Ma conviction est que le rôle majeur, et en fait unique, de la Direction Générale est de se centrer sur les deux premiers niveaux qui sont ceux qui définissent le cadre stratégique stable de l’entreprise : la méta-stratégie et les chemins stratégiques.
En effet d’abord ce sont eux qui engagent le long terme de l’entreprise et sont l’ossature et le ciment de tout le reste. Se tromper sur eux, c’est tout l’édifice qui s’effondre : viser une mer qui n’en est pas une, soit parce qu’elle n’est pas réellement un besoin stable et durable, soit parce qu’elle est inaccessible et incompatible avec ce qu’est l’entreprise, et tous les efforts seront vains. Choisir des chemins qui seront des impasses ou qui ne rapprocheront pas de la mer visée, et rien ne sera construit, les ressources seront dilapidées.
Ensuite, les trouver est un art difficile et complexe qui allie une qualité de visionnaire – être capable de s’abstraire des bruits ambiants et des idées reçues pour penser à partir du futur pour percevoir les points fixes, et imaginer ce qui n’existe pas encore –, et de réalisme – savoir s’assurer que cette vision n’est pas un rêve inaccessible, et qu’elle est compatible avec ce que peut faire l’entreprise –. Ce travail doit être mené par un noyau extrêmement restreint, et aux compétences adaptées à ces difficultés.
Enfin, ce choix n’est pas à faire souvent, au contraire : on choisit sa méta-stratégie et les chemins pour toujours… ou presque. Une fois le choix fait, ce n’est plus que d’inflexions et d’enrichissements qu’il s’agit. Aussi si la Direction Générale doit avoir toujours en tête ces deux premiers niveaux de la stratégie, cela ne va pas mobiliser beaucoup de son temps… une fois qu’ils auront été définis.
L’action quotidienne de la Direction Générale sera surtout alors de s’assurer de la bonne compréhension par tous de ces choix, et de valider tout ce qui émerge à partir de là, c’est-à-dire ce qui se passe pour les niveaux 3 et 4.
(à suivre)

26 févr. 2013

LES MATRIOCHKAS DES ACTES DE L’ENTREPRISE

La pensée stratégique en univers incertain (6)
Résumons où nous en sommes :
- 1er niveau : l’entreprise a choisi la mer qu’elle vise, sa méta-stratégie, ce point fixe qui guide durablement ses efforts. Dans le cas de L’Oréal, cette méta-stratégie est la beauté.
- 2ème niveau : elle a défini les chemins qu’elle veut suivre pour atteindre cette méta-stratégie. L’Oréal a précisé qu’elle s’intéresse à la peau (cosmétique et maquillage), le parfum et les cheveux, en étant présente dans tous les canaux de distribution, ce au travers de marques mondiales, dédiées à un canal donné. Cette stratégie n’a pas vocation à évoluer, sauf événement majeur.(1)
- 3ème niveau : elle a précisé comment traduire ces chemins en actes stratégiques précis, c’est-à-dire comment transformer ces chemins théoriques en actes concrets. L’Oréal a défini la liste de ses marques, en indiquant pour chacune son positionnement, son canal, et les familles de produits qui la composent. Ce portefeuille évolue dynamiquement, ainsi que les familles de produits présentes, ce en fonction de l’avancée de l’entreprise et du contexte concurrentiel.
Reste maintenant à mettre en œuvre effectivement ces actions stratégiques, et à développer des produits jusqu’à les amener jusqu’aux clients : quelles sont les actions exactes à réaliser au cours de l’année en cours et des années suivantes en terme de fabrication, de commercialisation, de conception… Tel est le rôle du 4ème niveau.
Ainsi au sein du L’Oréal, pour chaque marque, les produits à développer et commercialiser sont précisés, par exemple : combien de shampooings, avec combien de références, et en réalisant tout ce qui est nécessaire pour que chaque shampooing soit effectivement accessible aux clients : film publicitaire, packaging, formule, prix, référencement dans la distribution… Ce quatrième niveau est sans cesse remis en cause et adapté : les produits existants sont revisités pour s’assurer que leur positionnement reste valable, les films publicitaires sont modernisés, des promotions et des animations ont lieu… En parallèle, sont mis en place les processus industriels assurant l’élaboration des produits au meilleur coût.
On a donc de la sorte un emboîtement en poupées russes, une fois de plus des matriochkas : des actions immédiates qui réalisent des produits, emboîtées dans des marques qu’elles contribuent à construire, elles-mêmes donnant naissance à l’expansion mondiale de l’entreprise dans les marchés qu’elle a choisis, ceci la rapprochant chaque jour un peu plus de sa mer, et donnant corps et réalité à sa méta-stratégie.
Telle est ma réponse à comment articuler stratégie et actions quotidiennes. Cette réponse étant donnée, je vais pouvoir revenir au rôle du dirigeant, et de ce sur quoi doit porter sa décision.
(à suivre)
(1) Une inflexion a été donnée à partir des années 80, avec l’adjonction de la notion de marque ombrelle qui, au sein d’une marque, regroupe une famille de produits. Ainsi les produits coiffants de la marque L’Oréal sont tous fédérés sous la marque ombrelle Studio Line, les shampooings sous celle d’Elsève. Ceci permet de consolider les investissements publicitaires, et assurer une stabilité de la marque ombrelle, alors que les produits qui la composent changent rapidement.

25 févr. 2013

LES ACTES STRATÉGIQUES DESSINENT LES CHEMINS QUI VONT À LA MER

La pensée stratégique en univers incertain (5)
En reprenant l’exemple de L’Oréal là où je l’avais laissé dans mon dernier article, voilà donc l’entreprise dotée non plus seulement d’une méta-stratégie, cette mer qu’elle vise, mais d’une stratégie qui précise les familles de produits auxquelles elle s’intéresse, et la volonté de disposer d’un portefeuille de marques mondiales couvrant tous les circuits de distribution, et spécialisées dans un circuit donné.
On arrive alors au troisième niveau, celui des actes stratégiques, ceux qui vont effectivement chercher à rendre concrète la stratégie : quelles sont les marques que L’Oréal veut lancer et entretenir ? Pour chacune, quels sont sa promesse, son circuit de distribution, et la famille de produits qu’elle recouvre ?
Autant les deux premiers niveaux sont extrêmement stables, autant ce troisième est dynamique et évolutif :
- Le positionnement d’une marque est figé dans ses grandes lignes, notamment quant au circuit de distribution et au niveau de prix, mais il évolue dynamiquement en fonction de la situation concurrentielle, ainsi que des autres marques se développant au sein du groupe L’Oréal. Ainsi, l’acquisition d’une nouvelle marque peut amener à lui rattacher une marque existante, comme cela a été le cas avec Gemey suite à l’acquisition de Maybelline.
- Les familles de produits inclus dans une marque sont susceptibles de changer, essentiellement par ajout : ainsi la marque L’Oréal comprend une ligne cosmétique seulement depuis le début des années 80, et une ligne de gels coiffants depuis le milieu des années 80.
- Au sein d’une famille de produits, les produits effectivement présents changent beaucoup plus fortement : par exemple les produits coiffants de L’Oréal sont regroupés sous la marque ombrelle Studio Line, et sont en perpétuelle évolution.
Mais avec cette dernière remarque, on passe au quatrième niveau, celui qui ne relève plus de la stratégie, mais de la mise en œuvre de celle-ci : une fois décidé le lancement ou l’élargissement d’une marque, comment faire en sorte que tel ou tel produit soit effectivement accessible au client, et ce dans les meilleures conditions concurrentielles ?
(à suivre)

22 févr. 2013

ÉTRANGERS DANS LEUR PAYS

Guatemala 1997
La folie de la sortie de l’aéroport de Guatemala city, et le calme des rues d’Antigua sont loin, le marché de Chichicastenango bat son plein, mais ce n’est plus lui qui attire mes regards et concentre mon attention.
En lisière des échoppes, trône une église, nappée de fumée. Sur les marches, des Indiens et des Indiennes devisent.
Ont-ils comme moi voulu se retirer un peu de l’effervescence des transactions qui s’enchaînent sans fin ? Sont-ils des marchands ou des passants ? Comment savoir, et quelle importance ?
Et que ressentent-ils au pied de ce Dieu qui leur a été imposé, et leur semble encore si étrange ? Font-ils semblants en souvenir des répressions vécues par leurs ancêtres ?
Plus je les regarde, et plus ce sont des questions qui m’envahissent. Je ne sais plus qui est étranger à cette scène, eux ou moi.
Comment relier le passé qui émerge de leurs tenues chamarrées et celui des pierres ? Ne suis-je pas plus issu du catholicisme qui dégouline sur ces marches, qu’eux ?
Finalement, je crois que leur sitting est une protestation contre cette religion qui n’a jamais été la leur, un cri silencieux contre ces envahisseurs que j’incarne et représente, un pied-de-nez à ce Dieu auquel ils tournent le dos.

21 févr. 2013

LES CHEMINS QUI MÈNENT À LA MER

La pensée stratégique en univers incertain (4)
Une fois qu’une entreprise a choisi sa mer, sa méta-stratégie, sa vision comme certains l’appellent, comment la relier au quotidien de l’entreprise ? En effet, si les actions immédiates mise en œuvre ne sont pas en cohérence avec cette méta-stratégie, si rien n’est fait pour se rapprocher de sa mer, ne serait-ce que de quelques mètres, elle restera une vision théorique et fictive : pour qu’une méta-stratégie en soit une, encore faut-il qu’elle se concrétise dans le quotidien !
Comment donc passer de cet objectif lointain aux actions immédiates ?
Une deuxième étape est nécessaire, et qui, elle aussi relève de la stratégie, mais qui est moins stable que la vision : quels sont les chemins que, compte-tenu de ses ressources actuelles et de la situation concurrentielle, se fixe l’entreprise pour avancer vers sa mer, chemins qui doivent être les plus résilients possible, c’est-à-dire les moins susceptibles d’être remis en cause ?
Prenons l’exemple de L’Oréal : sa méta-stratégie, sa mer, est la beauté.
Premier niveau de traduction et d’explicitation : L’Oréal a décidé de s’intéresser non pas à la beauté en général, mais à la beauté au travers des cheveux, de la peau et du parfum. Concernant la peau, il a été considéré que seuls les produits de soin en faisaient partie, excluant tout ce qui est savon (1). Ceci permet de définir toutes les familles de produit auxquelles il faut s’intéresser : shampooing, laque, gel, cosmétique, maquillage, parfums…
Deuxième niveau de traduction : L’Oréal a décidé d’être présent dans tous les circuits de distribution : grand public (hypermarchés, supermarchés, magasins populaires, grands magasins), coiffeurs, pharmacie, parfumerie, vente à distance…
Troisième niveau de traduction : ceci se fera au travers de marques mondiales, dont chacune portera une promesse spécifique, et sera focalisée sur un circuit de distribution.
Ces deux choix sont bien stratégiques, car ils engagent le futur de l’entreprise et structurent ses actes. Idéalement, ils n’ont pas à être remis en cause, mais rien n’est figé : L’Oréal peut revoir les produits auxquels l’entreprise s’intéresse, et les circuits de distribution évoluent.
Quant au portefeuille de marques, il évolue au fur et à mesure du développement de L’Oréal : au départ deux marques phare, L’Oréal et Lancôme ; aujourd’hui la liste est longue, avec en plus Garnier, Vichy, Biotherm, et bien d’autres (voir la photo ci-jointe). Mais cette liste de marques relève déjà largement du troisième niveau.
Nous voilà donc passé d’une méta-stratégie stable et qui fixe définitivement le cap, à une traduction en des termes beaucoup plus concrets.
Une remarque sur ces chemins : plus ils seront nombreux et indépendants les uns des autres, plus la stratégie sera globalement résiliente aux aléas.
Restent maintenant à passer aux actions concrètes à mener dans l’entreprise, notamment ces marques et leurs produits réels.
(à suivre)

(1) Notons toutefois que les savons douche liquide, compte-tenu de leur adhérence avec les shampooings, n’ont pas été écartés.

20 févr. 2013

LA MER OU LA MÉTA-STRATÉGIE, CE POINT FIXE CHOISI POUR LA VIE

 La pensée stratégique en univers incertain (3)
Qu’est-ce donc que la stratégie, et comment la définir en la reliant aux activités de l’entreprise ?
Pour ce faire, je crois qu’il est indispensable de penser en fonction des différents horizons qui se présentent à l’entreprise. J’en distingue personnellement quatre.
D’abord le plus lointain, celui qui fixe l’objectif à très long terme, ce point fixe que doit choisir une entreprise et s’y tenir : c’est ce que j’appelle « la mer », ce futur qui attire la course des fleuves. 
C’est souvent ce qui est appelé la vision, mais je lui préfère le mot de stratégie, voire de méta-stratégie, car je crains que d’aucuns pensent qu’une « vision » est théorique et utopique.
Bien au contraire, même si cet objectif n’est jamais atteint, c’est lui qui doit orienter l’ensemble des actes de l’entreprise. 
Ainsi L’Oréal n’en a-t-il jamais fini de viser la beauté, Danone et Nestlé la nutrition et la santé, ou Saint Gobain l’habitat.
Je rappelle que cette méta-stratégie est choisi pour la vie, car, comme je l’écrivais dans les Mers de l’Incertitude, :
« C’est possible : une mer est un attracteur stable dans le chaos du monde, un besoin fondamental et stable qui, quels que soient les aléas, sera toujours là. Les problèmes sont toujours multiples et leur résolution est une tâche sans fin.
C’est nécessaire : comme un fleuve se renforce au fur et à mesure qu’il progresse, une entreprise ne peut pas changer de mer sans repartir de zéro. Au début, une entreprise n’a qu’une intuition de la mer, c’est petit à petit qu’elle va développer une compréhension fine, créer des offres de mieux en mieux adaptées, développer des savoir-faire internes…
C’est l’identité même de l’entreprise : c’est la mer qui donne le sens à l’action collective et soude les équipes internes. Changer de mer, ce n’est pas seulement changer de stratégie, c’est changer d’identité. Changer de mer, c’est risquer de ne pas être compris et suivi, de voir éventuellement même éclater l’entreprise. »
Mais comment s’articule cette méta-stratégie, avec le quotidien de l’entreprise ?
(à suivre)

19 févr. 2013

STRATÉGIE, VOUS AVEZ DIT STRATÉGIE ?

La pensée stratégique en univers incertain (2)
Voilà donc bien un thème qui reste l’apanage du dirigeant : fixer la stratégie. Personne ne conteste que ce soit de sa responsabilité, et tout le monde s’attend à ce qu’il la décide.
Aucun doute là-dessus… quoique s’est développée ces dernières années la mode de la stratégie participative : un processus stratégique devrait impliquer un maximum de personnes, et émerger d’un travail collectif. C’est devenu tellement une mode, que c’est presque un lieu commun, voire un dogme pour bon nombre. Oser imaginer que la stratégie serait le fruit de quelques-uns perdus dans les moquettes d’un siège lointain serait donc un crime de lèse-majesté contre le bon sens communément partagé.
Et bien, au risque de me retrouver cloué au pilori par les spécialistes de tous bords, j’en suis arrivé à penser le contraire.
Pourquoi ?
Commençons par définir les mots que l’on emploie, cela ne fait jamais de mal. Que veut dire « stratégie » ? Je constate qu’il est employé quotidiennement, ce sans que l’on se rende compte combien il peut être ambigu, et générateur de contre-sens.
Pour certains, vu l’incertitude qui règne, dès que l’on dépasse le court terme, c’est-à-dire l’horizon du budget, la stratégie commencerait. On aurait ainsi la juxtaposition entre des actions immédiates et une stratégie, qui, dès lors, se trouverait fluctuer au hasard des évolutions et des humeurs. N’est-ce pas alors la négation même de la stratégie ?
D’autres parlent d’un marketing stratégique qui viendrait s’intercaler entre le marketing et la stratégie. Pour cela, il requalifie le marketing, de marketing opérationnel. Est-ce à dire que le marketing stratégique ne le serait plus ? Quel est aussi le sens respectif de la stratégie et du marketing stratégique ? Personnellement, je n’y ai toujours vu surtout qu’une immense confusion, et un manque de clarté.
Enfin pour beaucoup, la stratégie est, comme je l’indiquais ci-dessus, ce sur quoi la collectivité des dirigeants, ce en associant le plus grand nombre, est d’accord. L’hypothèse implicite est que l’élargissement de la participation conduirait à un enrichissement de la stratégie et à une meilleure mise en œuvre ensuite. Mais comment penser que, vu l’incertitude qui se diffuse et la complexité des analyses à synthétiser, le cap va émerger d’un tel élargissement ? Et pourquoi les compétences requises pour réussir à élaborer une stratégie seraient celles requises pour manager au plan opérationnel ?
Les grands gagnants de cette expansion de processus stratégiques complexes, et de plus permanents et sans cesse renouvelés et enrichis, sont les cabinets de conseil qui y voient un eldorado sans fin. Mais je doute que ce soit celui de leurs clients…
(à suivre)

18 févr. 2013

PRIVILÉGIER L’ÉMERGENCE À LA DÉCISION

La pensée stratégique en univers incertain (1)
Il y a deux semaines, j’avais terminé une série de cinq articles consacrés à « pourquoi toute décision est faussée », en concluant que, au mieux le ou les décideurs étaient identifiés, mais que leur connaissance de la situation était toujours imparfaite, et que les conséquences réelles de toute décision étaient largement inconnues. De plus comme je le rappelais la semaine dernière, tout dirigeant doit savoir que ses processus inconscients sous-tendent largement ses choix.
Comment alors diriger et comment fonder ses décisions, sans se fonder uniquement au hasard et à la chance ?
Première remarque de bon sens, puisque tout décision est faussée, moins on décide, mieux on se porte, et moins on a de chances de se tromper. Ainsi je crois que diriger efficacement, n’est pas d’abord de décider, mais de permettre à l’entreprise de décider, ou plus exactement puisque l’entreprise n’est que l’expression des hommes qui la composent, et des systèmes qui les organisent, faire en sorte que le mode de management, le choix des hommes et les systèmes en place conduisent à une émergence efficace.
Ce management par l’émergence, je l’ai déjà évoqué dans des articles parus en février et mars 2012, et repris l’été dernier en un seul article. Je ne vais donc pas revenir à nouveau en détail sur dessus, je cite simplement les thèmes qui y sont développés :
Relier mer visée et action individuelle : faire en sorte que chacun comprenne en quoi ce qu’il fait se relie au tout,
Allier inquiétude et optimisme : savoir que le pire peut surgir à tout moment, s’y préparer, et tout faire pour qu’il n’arrive pas,
Rechercher la facilité pour pouvoir faire face à l’imprévu : comme l’imprévu va se produire, ne pas avoir de réserves et s’être mis dès le départ « dans le rouge », c’est être certain de ne pas aller au bout,
Ne pas tout définir, ne pas tout optimiser : le flou est indispensable pour permettre les ajustements dynamiques,
Se confronter continûment : être d’accord spontanément n’est ni normal, ni bon signe. La confrontation est une étape nécessaire pour ajuster les interprétations et les actions.
Savoir prendre son temps : la personne efficace est celle qui sait être un paresseux vertueux, c’est-à-dire quelqu’un qui alloue parcimonieusement son temps, et ajuste son rythme à ce qu’il traite.
Certes, mais il n’en reste pas moins que, même si diriger ce n’est pas quotidiennement décider, c’est aussi décider, et notamment fixer la stratégie de l’entreprise…
(à suivre)

15 févr. 2013

HISTOIRE DE TRAVESTISSEMENT

A Pékin (5)
Cinquième et dernière libre évocation de Pékin : une nuit en juillet 2005
La nuit est tombée depuis longtemps, pourtant l’air est toujours aussi moite et chaud. Difficile de respirer parmi les rues étroites dans lesquelles je circule à pied. Encore une heure à attendre avant que le spectacle ne commence. Un spectacle de travesti dans un petit bar perdu dans les méandres de la mégapole.
Alors j’avance lentement, au hasard des ouvertures et des rencontres. Pas mal de monde malgré l’heure tardive, mais bien peu par rapport à la foule de la journée. Douceur de l’ambiance, feutrée par le manque de lumière et la lourdeur de l’atmosphère. Peu de bruits, juste les bruissements des conversations et des cliquetis des baguettes.
Je m’assieds un moment pour manger avec eux et boire une bière. Impossible de se parler, car personne ne connaît l’anglais, et mon chinois est quasiment inexistant. Mais qu’importe, nous communiquons par des sourires et des regards…

Petit à petit, il se transforme. Tout à l’heure, il sera toujours lui-même, mais avec l’apparence d’une autre. Magie du travestissement et du jeu des apparences. Il pourra alors laisser place à sa fantaisie pour le plaisir des spectateurs réunis.
Petit à petit, j’oublie où je suis et ce que je vois : c’est la Chine qui est en train de se travestir. N’est-elle pas en train de perdre son âme en se lançant tête perdue dans une mondialisation qui n’a jamais été son histoire, ni sa culture ?
Comment, elle qui a toujours vécu coupée du reste du monde, protégée par des successions d’enceintes, le mur de la Grande muraille, le mur de la Cité Interdite, va-t-elle résister au flux de tous ces étudiants qui, après avoir séjourné plusieurs années en Occident, reviennent dans leur mère patrie ? Flux continu qui fait monter la puissance de l’hybridation.
Beaucoup en Europe ont peur du métissage du monde, mais nous nous sommes construits de métissages successifs. Notre histoire est faite de mouvements, de mélanges et de fusions. La Chine non.
Alors oui, la Chine, à l’instar de Hai en cette nuit pékinoise, se prépare à se transformer et à renaître nouvelle et différente. Que deviendra-t-elle ? Impossible à prévoir…