Un regard critique, argumenté et acéré sur le sens de la montée des
populismes
En ces temps de perte de repères, de remise en cause de la démocratie
dans des pays où elle semblait ancrée pour toujours – y compris en France… –, de
montée en puissance de pensées et mouvements « populistes » venant de
gauche comme de droite – inutile malheureusement d’avoir besoin d’aller dans
les extrêmes pour les trouver –, voilà un livre plus que bienvenu : « Le
siècle du populisme » de Pierre Rosanvallon.
Pierre
Rosanvallon y déploie de façon claire et synthétique une analyse sur les
ressorts de cette montée en puissance en prenant appui à la fois sur l’histoire
et sur le présent.
Un
diagnostic froid et glaçant qui se termine fort heureusement par une esquisse
de pistes de solutions.
Impossible
de résumer ce livre sans le dénaturer. A vous de le découvrir. N’hésitez pas car
il est limpide et accessible à tous. Et tellement indispensable qu’il devrait
figurer parmi les livres de classe, et être envoyé à tout adulte qui sait lire J
Voici
juste quelques citations en guise d’apéritif, en espérant qu’elles vous
donneront envie d’accéder à l’original !
Extraits
tirés de « Le siècle du populisme » de Pierre Rosanvallon :
Ce
livre a pour objet de proposer une première esquisse de cette théorie manquante
(la théorie du populisme). Avec l’ambition de le faire dans des termes qui
permettent une confrontation radicale – c’est-à-dire qui va à la racine
des choses – avec l’idée populiste. Ce qui implique de la reconnaître
comme étant l’idéologie ascendante du XXIe siècle, une reconnaissance
nécessaire à l’instruction de sa critique approfondie sur le terrain de la
théorie démocratique et sociale. »
« L’empereur
n’est pas un homme, c’est un peuple. » (Louis Napoléon, 2 décembre
1851) (…) Alors que les libéraux pensent que la représentation a pour but de
refléter la diversité et de constituer ensuite une forme de cohérence à travers
les mécanismes de la délibération parlementaire, les bonapartistes voulaient
qu’elle exprime immédiatement une unité présupposée.
« Il y a
une chose plus forte que la Constitution […] c’est la volonté du peuple.
Qu’est-ce qu’une Constitution en effet ? C’est une production du
peuple ; c’est lui, le peuple, la première source du pouvoir et, s’il le
souhaite, le peuple peut abolir la Constitution. » (George Wallace,
gouverneur de l’Alabama au tournant des années 1970). Populistes de gauche et
populistes de droite ne diffèrent pas sur ce point : la Constitution est
pour eux la simple expression momentanée d’un rapport de forces. C’est estimer,
en d’autres termes, que la sphère du droit n’a aucune autonomie, et que tout
est donc politique.
On peut
rappeler à ce propos la fameuse apostrophe à ses adversaires d’un socialiste
français en 1981 : « Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes
politiquement minoritaires. »
C’est
ainsi toute une conception du public qui est en cause dans la vision césarienne
du politique. Le public n’est jamais compris comme l’espace en travail de
l’interaction et de la réflexion entre les groupes et les individus ; il
n’est appréhendé que sous les espèces figées des institutions légitimées par
l’élection.
Les
journaux étaient appréhendés dans cette perspective comme
« des centaines de petits États au milieu de l’État », des
institutions privées qui jouaient un rôle politique. Ils étaient une
puissance publique en mains particulières : le journaliste, résumait ce
théoricien du régime, intervient dans la vie publique avec sa conscience ou ses
intérêts personnels comme seul mandat. Il n’est élu par personne alors qu’il
incarne un véritable pouvoir social. (…) Pour dire les choses autrement, le
journal peut être considéré comme une puissance aristocratique dans un monde
démocratique. (…) « Les journaux, qui ne représentent et ne sauraient
représenter que des intérêts individuels, doivent être subordonnés aux intérêts
généraux », disaient-ils (les bonapartistes).
Les cours constitutionnelles et les institutions indépendantes de
régulation ont souvent été décrites comme « libérales », au sens où
elles protégeraient les individus des risques de tyrannie de la majorité. Il
est vrai qu’elles ont de ce point de vue un « effet libéral ». Mais
il faut en même temps bien les considérer comme des institutions pleinement
démocratiques, c’est-à-dire participant à la mise en œuvre d’une souveraineté
collective. (…) Ce caractère démocratique doit d’abord s’attacher au mode de
nomination de ceux qui composent ces institutions, les soumettant à diverses
séries d’épreuves et de vérifications (conditions de compétence ; critères
d’indépendance ; soumission à des auditions publiques ; transparence
de tous ces éléments et encadrement de l’intervention du pouvoir exécutif). La
qualité démocratique d’une institution doit par ailleurs s’apprécier au regard
de ses conditions d’organisation (le caractère collégial de ces
institutions ayant une importance décisive). Elle doit enfin se lier à des
règles spécifiques de fonctionnement (transparence ; publicité des
délibérations ; reddition de comptes ; évaluation ;
communication citoyenne ; interaction avec des organismes de la société
civile intervenant dans le même champ). On voit là qu’il reste beaucoup à faire
pour définir et organiser la qualité démocratique de ce type d’institution.