16 déc. 2010

RÉGIME FLUVIAL OU TORRENTIEL ?

Le régime torrentiel n'est pas sans dangers...

Concernant un écoulement d'eau, il y a deux types de régime, le régime fluvial et le régime torrentiel. :
Selon Wikipedia :
« Pour un cours d'eau un même débit peut être obtenu de deux façons différentes :
Fr > 1 : régime torrentiel, avec une faible hauteur d'eau et une forte vitesse (équivalent d'un régime supersonique). Dans ce régime, le fluide est "tiré" par les forces qui le meuvent (la gravité le plus souvent), sans que la masse de fluide en avant soit une gène.
Fr < 1 : régime fluvial, avec une forte hauteur d'eau et une faible vitesse (équivalent d'un écoulement subsonique). Ce régime est "piloté par l'aval" : le comportement des particules en mouvement est contraint par celles qui les précèdent.
La transition du régime torrentiel au régime fluvial provoque un ressaut hydraulique (qui ressemble à un mascaret, mais n'en est pas un) : la hauteur d'eau s'accroit brusquement. »

Tout cours d'eau a une tendance naturelle à passer à un régime fluvial. Pour cela, il va creuser son lit, et emporter les obstacles. Le régime torrentiel n'est que provisoire :
  • à la naissance du cours d'eau (cas des torrents de montagne) : Dès que la pente diminuera, dès que la rivière aura suffisamment grandie, elle passera au régime fluvial
  • pour faire face à un accident de terrain : une fois l'accident franchi, le régime redevient fluvial ; la violence de l'eau du régime torrentiel va progressivement lisser cette difficulté, jusqu'à essayer de la supprimer
  • lors de pluies exceptionnelles : la taille du lit de la rivière peut se révéler insuffisant pour écouler la quantité d'eau tombée et l'écoulement devient alors provisoirement torrentiel. Les conséquences peuvent alors être catastrophiques pour tout ce qui se trouve sur le passage de l'eau (notamment les ponts…)
Quand une entreprise va vers sa mer, je crois aussi que le régime naturel est fluvial, c'est-à-dire calme, tranquille et posé, et qu'il ne faut passer en régime torrentiel, c'est-à-dire se précipiter, que pour faire face à des circonstances exceptionnelles. Sinon, comme quand l'eau devient torrent, les conséquences peuvent être désastreuses…

15 déc. 2010

TRANSFORMATION D’ENTREPRISE ET IDENTITÉ

Comme un fleuve, une entreprise se transforme en avançant

De la même façon que la Seine n'est pas l'eau qui est en train de passer sous le pont Mirabeau, ni seulement le fleuve qui passe là, comment définir ce qui fait qu'une entreprise reste elle-même quand elle subit une transformation profonde ? On retrouve la question de l'identité de l'entreprise. Comme indiqué précédemment, cette identité est reliée à la culture de l'entreprise et repose sur les règles qui la définissent. Elle ne se décide pas brutalement, elle est le résultat de son histoire. La Direction peut vouloir l'infléchir et la faire évoluer, elle ne peut pas la changer instantanément.

Enfin, l'identité de l'entreprise doit être partagée par tous, direction comprise, et ne peut pas être imposée : la Seine ne reste un fleuve face aux aléas que parce que toutes les molécules d'eau qui la composent suivent les mêmes règles communes. Soyons clairs, il ne s'agit surtout pas de dire que tout doit être aligné dans le détail : ces règles communes ne doivent définir que quelques principes qui viennent assurer la cohésion d'ensemble, sans tout rigidifier.

Ces questions peuvent sembler un peu théoriques et loin des préoccupations habituelles qui occupent les esprits des dirigeants. Je crois pourtant qu'il est important de chercher à y répondre si l'on veut maintenir ce qui soude une entreprise, ce qui lui permet d'être auto-organisée. Sinon, l'entreprise peut soit se déliter et se désagréger, soit se rigidifier : aucune Direction Générale ne pourra maintenir de force la cohésion de l'entreprise sans la détruire.

A force de ne pas s'intéresser à ce qui fait et a fait l'identité d'une entreprise, ou de simplement ne pas y prêter une attention suffisante, on risque de voir a posteriori bon nombre de salariés se désimpliquer, ne plus comprendre quel est leur rôle et ce que l'on attend d'eux, voire la quitter. Je peux rattacher bon nombre de problèmes actuels rencontrés par ces entreprises à cette non prise en compte.


Extrait des Mers de l'incertitude

14 déc. 2010

DENTS DE LA MER OU RETOUR DU JEDI ?

Quand Hollywood envahit notre monde…

Voilà que les Dents de la mer quittent Hollywood pour se retrouver dans la mer rouge : des requins viennent d'attaquer et de tuer une nouvelle touriste sur les plages de Charm el-Cheikh (voir l'article du Monde : « Charm el-Cheikh visée par des attaques meurtrières de requin »). Comme le dit l'article dans un sous-titre avec un « understatement » très british : ce n'est pas normal !
Est-ce un nouveau signe du risque de désagrégation que j'évoquais dans mon article de mardi dernier ?

Dans ce cas, devons-nous nous attendre à une Tour infernale ou à l'ouverture de la faille de San Francisco ? A moins que nous subissions une invasion d'extra-terrestres comme dans « Mars attacks ! » ?

Comme je reste optimiste et suis certain que nous allons finir par basculer du bon côté de la force, je pense que nous allons plutôt voir arriver le retour du Jedi !

13 déc. 2010

« ON NE DOIT PAS S’INTERDIRE DE RALENTIR LA BOURSE »

Quand accélérer a-t-il une utilité sociale ?

Il est suffisamment rare de voir un dirigeant en appeler à un ralentissement, pour ne pas relever les propos tenus le 9 décembre dernier par Jean-Pierre Jouyet, Président de l'Autorité des marchés financiers, dans le Monde et repris par le Figaro.
Dans cet article, en réponse à la question « Doit-on ralentir le marché ? », il répond :
« Cela relève plus d'une réflexion du G20 que de l'Europe, mais il faut réfléchir à ce qu'apporte cette accélération des échanges : quels sont les bénéfices financiers, économiques, pour quelle utilité sociale ? On ne doit pas s'interdire de ralentir les transactions si cela fait courir un risque systémique et facilite les abus de marché. »

Enfin la bonne question : en quoi, l'accélération des échanges crée-t-elle une valeur réelle ? Et j'ajouterais : en quoi la volonté de tout faire plus vite, crée-t-il une valeur réelle ?
Comme j'aime à le dire, on ne peut pas réfléchir vite à long terme. Ou encore, s'il suffisait de courir pour être efficace, toutes les entreprises le seraient, car je n'y vois que des gens courir (1)
Il est donc urgent de prendre le temps… de réfléchir sur le temps et la vitesse. Mon propos n'est évidemment de proposer de tout ralentir, mais de se poser la question de l'adéquation entre la vitesse et le sujet traité.

(1) Voir « À force de zapper, on ne sait plus prendre le temps de la réflexion : Prendre son temps, est-ce perdre du temps ? » et « Ne plus être malade du temps : On ne peut pas penser vite à long terme »

10 déc. 2010

9 déc. 2010

POURQUOI LUTTER CONTRE L’INCERTITUDE, C’EST LUTTER CONTRE LA VIE

Un nouvelle critique de mon livre

EPEE, société de conseil en intelligence stratégique, créée pour servir et accompagner le développement international des entreprises françaises et européennes, vient de mettre en ligne une critique de mon livre « les mers de l'incertitude » (voir l'article). La voilà in extenso.

« COMMENT DIRIGER AVEC L'INCERTITUDE

Prévisions démenties, informations contradictoires, statistiques battues en brèche, événements inattendus, retournements de situation, surprises « stratégiques », crises imprévues,… l'incertitude est omniprésente dans notre quotidien, privé ou professionnel. Dans la sphère de l'entreprise (où nombre d'entre nous passons plus de temps que dans nos familles), dirigeants et responsables doivent composer avec elle tout en assurant le maximum, possible, de sécurité et de sérénité au sein des équipes et dans leurs relations avec leur environnement.
Entre renforcement et emprise constante d'une discipline collective affirmée autour d'objectifs précis et chiffrés, que l'on espère fédérateurs et assurant la rentabilité à long terme « contre vents et marées », et politique de « l'abandon consenti aux aléas » dont il convient au contraire de tirer avantage en privilégiant la rentabilité à court terme, quel parti choisir ?
Pour Robert Branche, polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, haut fonctionnaire (peu de temps !) puis responsable de la stratégie chez L'Oréal (1), et aujourd'hui consultant auprès des dirigeants de plusieurs grands groupes français, une troisième voie existe pourtant, qu'il explore dans cet ouvrage tout à fait original, aux titres et sous-titres intrigants et un brin provocateurs.
Fort d'une longue expérience du conseil stratégique, il développe ici l'idée selon laquelle « une entreprise, comme un fleuve, doit se fixer pour objectif une mer, qui sera son attracteur stable dans les aléas de l'incertitude ».
Mais quand on a écrit cela… il convient d'en dire plus et surtout de le démontrer faute à passer pour un doux rêveur, ce que n'est à l'évidence pas notre auteur ! Alors, après, dans une longue mais indispensable première partie, exposé pourquoi l'incertitude n'est pas provisoire mais bien structurelle, « pourquoi elle n'est pas le témoin de l'incomplétude de notre savoir, mais le moteur permanent de notre monde », et pourquoi « lutter contre elle, c'est lutter contre la vie même », Branche s'attache à répondre, avec une multitude d'exemples concrets tirés de la réalité de la vie de ses « clients », aux trois questions suivantes : quelle attitude doit avoir le dirigeant ? Comment doit-il se fixer un ou des objectifs ? Comment doit-il agir au quotidien ?
Ceci en évitant deux pièges symétriques : penser que l'on peut s'abstraire de l'incertitude : « mon entreprise est protégée ; elle maîtrise son futur et s'organise en conséquence ; elle sait mieux que les autres et le futur sera ce que j'ai prévu pour elle » et a contrario, renoncer à toute anticipation et confier son avenir à la chance : « puisque rien ne peut être prévu de façon fiable, seule l'action immédiate compte ; il est illusoire de penser le futur ». Autant de citations exactes entendues, ici reproduites par l'auteur…
… Qui recommande plutôt de tirer parti de l'incertitude, de « diriger en lâchant prise », en « abandonnant l'idée de prévoir et planifier au-delà de l'horizon immédiat », en refusant de « tout contrôler et tout piloter depuis le sommet (…), de se laisser emporter par les mouvements ambiants, de mieux maîtriser « son » temps, et d'accepter les intuitions ».
Sauf et seulement, consent-il, si l'entreprise est dans une situation d'urgence extrême, si sa survie à court terme est en jeu, si le dépôt de bilan menace…
Nous n'en dirons pas plus pour laisser à ceux que ce concept de management novateur intéresse découvrir par eux-mêmes pourquoi Robert Branche conseille à ses clients de « faire le vide », sans a priori, de ne plus être « malades du temps », tout en étant « intensément attentifs », de ne plus « tout prévoir sur tableur Excel » mais de « choisir à partir du futur et des « mers » accessibles pour choisir au présent », d'apprendre à « mettre du flou dans l'organisation », renforçant ainsi singulièrement la résilience de l'entreprise.
Et pour ceux que ce concept de « mer » intriguerait toujours, je leur conseille à mon tour la lecture (pour commencer…) des pages 108 et 109, qui ne devrait pas les laisser indifférents. »


(1) En fait j'ai été chef de groupe marketing, et non pas responsable de la stratégie

8 déc. 2010

TRAVAILLE-T-ON À SON BUREAU ?

Une conférence qui remet la notion de travail en perspective

Jason Fried, dans une conférence qui vient d'être mise en ligne sur TED.com (voir l'intégrale ci-dessous) porte un regard intéressant et amusant sur les conditions de travail au bureau. Il commence avec cette question « simple » : "Pourquoi toutes les entreprises dépensent-elles autant d'argent pour créer et équiper des bureaux, alors que, quand on interroge quelqu'un sur l'endroit où il veut aller pour réellement faire quelque chose, il ne répond jamais 'son bureau' ? »

Voici un florilège de cette conférence :

« Vous n'avez plus jamais une journée de travail, vous avez des moments de travail. »

« A cinq heures de l'après-midi, vous réalisez que vous n'avez pas fait grand chose. (…) J'étais au travail, assis à mon bureau ; je me suis servi de mon ordinateur dernier cri et du nouveau logiciel pour lequel j'ai été formé. Je suis allé aux réunions auxquelles je devais assister. J'ai eu des conférences par téléphone. J'ai fait des choses, mais je n'ai rien accompli de vraiment important. »

« Vous êtes comme quelqu'un qui, quand il se lève le matin, se dit : je n'ai pas bien dormi. J'ai fait ce qu'il fallait, je suis allé au lit, je me suis couché, mais je n'ai pas vraiment dormi. On dit que l'on va dormir, mais, en réalité, on ne va pas dormir, on s'en rapproche et cela prend un moment. (…) Aussi comment bien dormir si l'on est interrompu tout le temps ? (…) Alors pourquoi s'attendre à ce que les gens travaillent bien au bureau alors qu'ils y sont tout le temps interrompus ? »

« Toutes les discussions et décisions que vous pensiez avoir à prendre à 9 heures du matin le lundi, oubliez-les simplement et tout ira bien. Les gens auront le matin libre, ils pourront vraiment réfléchir, et vous verrez que peut-être tout ce que vous aviez prévu de faire, vous n'aviez pas vraiment à le faire. »


7 déc. 2010

SALUTAIRE CONTRE-POUVOIR OU DÉBUT DE DÉSÉGRÉGATION ?

Un avion pris en otage, un appel contre les banques, la divulgation des notes confidentielles…

Ce week-end, une centaine de passagers, mécontents d'un changement de plan de vol, essaient de prendre en otage leur propre avion (voir « Les passagers se révoltent: un avion de Jet4you bloqué une nuit à Toulouse ».

La semaine dernière, Cantona a lancé son appel à un boycott des banques. Cet appel relayé par Facebook et repris par tous les média se trouve amplifié par la polémique qu'il a déclenchée.

Ces jours derniers, impossible d'échapper au phénomène Wikileaks. Personne ne parle du contenu des informations diffusées – ou si peu –, non, ce qui anime toutes les rédactions, c'est le principe de la diffusion d'informations confidentielles.
Étrange comme ces trois informations qui n'ont rien à voir entre elles, ni par le sujet traité, ni par leur importance, viennent se télescoper et mettent en lumière une forme de perte de repères et de confiance : perte de confiance dans la compagnie à laquelle on a acheté son billet, perte de confiance dans ces banques qui contribuent au fonctionnement de l'économie, perte de confiance dans la diplomatie et les gouvernements qui dirigent le monde.
Est-ce le signe d'un salutaire contre-pouvoir, un lutte saine face à la célèbre sentence de Lord Acton « Le pouvoir corrompt. Le pouvoir absolu corrompt absolument » ?
Ou le signe d'une désagrégation du ciment qui fait que nos sociétés collectives existent ?

Manifestement, de plus en plus de personnes ont aujourd'hui peur de l'incertitude qui les entourent et de moins en moins confiance dans les réponses qui sont données par les pouvoirs en place – économiques comme politiques –.
Si l'on ne veut pas basculer du mauvais côté de la force, il est urgent de reprendre confiance les uns dans les autres. Or ceci ne passe certainement pas par l'attisement des peurs individuelles et collectives.
Et c'est malheureusement ce que fait un média comme TF1 : par exemple, dans le digest accessible le 6 décembre matin par les liens RSS issus du site TF1.fr, sur les dix informations mises en avant, on a :
  • Le crash du Concorde,
  • Un policier renversé volontairement,
  • Trois morts dans une avalanche,
  • Cherbourg sous un mètre d'eau,
  • Le cambriolage chez Ségolène Royal (deux fois)
  • Les passagers qui bloquent l'avion,
  • Deux enfants sauvés, suite à une rupture de la glace,
  • Un SDF qui meurt de froid,
  • La relaxe de Mauroy et Cohen-Solal concernant les emplois fictifs
Soit donc huit informations négatives sur dix… et les deux « positives » sont implicitement inquiétantes car l'un parle de rupture de glace et l'autre d'emplois fictifs.
Or une telle focalisation de TF1 sur les drames est habituelle. Une réponse du type «  C'est ce qui est nécessaire pour développer l'audience » ne serait pas pour me rassurer…

6 déc. 2010

« TU M’EN DONNES COMBIEN DE MON LOT ? »

Un samedi matin au marché aux truffes de Richerenches

Tous les samedis matins, se tient à Richerenches, en Drôme provençale, le plus important marché aux truffes de France. Drôle de marché…
Du côté des offreurs, impossible de savoir exactement quelle est la quantité qui est proposée. Chacun arrive avec une sacoche plutôt ventrue. Mais ne contient-elle que des truffes ? Est-elle gonflée par d'autres objets ? Et comment savoir quelles sont la taille et la qualité de ces truffes ? Quelle est la proportion de melanosporum et de tuber ? Sont-elles noires ou blanches ?...
Du côté des acheteurs, chacun est recroquevillé dans le coffre de sa voiture, là où se passent les discussions et les transactions éventuelles. A quel prix est-il prêt à acheter ? Combien vient-il de proposer ? N'est-il intéressé que par des grosses truffes ?
Comment savoir ?

Aucune chambre de compensation n'existe, aucun tableau d'affichage n'indique le prix actuel des transactions, aucune donnée sur les quantités proposées et recherchées. Tout se passe sur le mode heuristique. On est entre soi : on n'achète qu'à un producteur connu, on ne vend qu'à un acheteur connu. On regarde, on se promène, on demande à un ami. Les allées bruissent de « Combien t-a-il proposé ? », « T'en a combien ? Elles sont comment ? », « T'as déjà vendu ? Moi, je préfère attendre, cela devrait monter ».
L'un préfère attendre, pensant que, dans quelques minutes, il pourra vendre 50 ou 100 € de plus le kilo. Un autre a vendu et se demande déjà s'il a bien fait. Un peu comme un casino, comme une roulette. Il ne manque que la présence d'une voix qui annoncerait « Attention, attention, les jeux seront bientôt faits » !

Étonnante métaphore réelle de ces marchés qui régentent le monde et fixe le prix de la plupart de nos biens. A bien y penser, il n'y a pas tant de différences entre le fonctionnement d'un marché aux truffes et celui de l'immobilier parisien ou celui de la fixation d'un cours de bourse ou d'une monnaie.
Simplement, ici à Richerenches, il n'y a ni électronique, ni d'ordinateur, et les sommes en jeu sont sans commune mesure. Finalement, c'est encore ce marché là qui reste le plus transparent…

3 déc. 2010

2 déc. 2010

NOUS SOMMES LIBRES ET RICHES DU CHAOS DE NOTRE PASSÉ ET DE NOS RACINES

Ah, si nous pouvions parcourir notre passé !

Dans le roman de Paul Auster, La nuit de l'oracle (*), l'écrivain Sydney Orr invente un monde qui maitrise le voyage dans le temps :
« Conscient des risques de rupture et de désastre qu'elle implique, l'État n'accorde à chacun qu'un seul voyage durant sa vie. (…) Vous commencez deux cents ans avant votre naissance, en remontant à peu près sept générations, et puis vous revenez progressivement au présent. Le but de ce voyage est de vous enseigner l'humilité et la compassion, la tolérance envers le prochain. Parmi la centaine d'aïeux que vous rencontrerez en chemin, la gamme entière des possibilités humaines vous sera révélée, chacun des numéros de la loterie génétique aura son tour. Le voyageur comprendra qu'il est issu d'un immense chaudron de contradictions et qu'au nombre de ses antécédents se comptent des mendiants et des sots, des saints et des héros, des infirmes et des beautés, de belles âmes et des criminels violents, des altruistes et des voleurs. A se trouver confronté à autant de vies au cours d'un laps de temps aussi bref, on gagne une nouvelle compréhension de soi-même et de sa place dans le monde. On se voit comme un élément d'un ensemble plus grand que soi, et on se voit comme un individu distinct, un être sans précédent, avec son avenir personnel irremplaçable. On comprend, finalement, qu'on est seul responsable de son devenir. »

J'aime vraiment cette idée, non pas seulement par sa dimension poétique, mais parce que cela permettrait effectivement à chacun de percevoir combien la vie procède par tâtonnements, hasards et bifurcations. Ceci nous montrerait aussi que nous sommes le fruit de métissages, de mélanges et de transformations.

Peut-être reviendrions-nous de tels voyages un peu plus ouvert à l'autre et comprenant mieux que le choc des cultures et des différences est ce qui crée le progrès ?

Et comme l'a écrit Paul Auster, on comprendrait « qu'on est seul responsable de notre devenir » et que nous sommes libres et riches du chaos de notre passé et de nos racines.


 

(*) Éditions Babel, Actes Sud 2004

1 déc. 2010

LES MERS DE L’INCERTITUDE EN VIDÉO

Un condensé en 4 fois 2 minutes

Tout au long de ces dernières semaines, j'ai mis en ligne régulièrement des vidéos – au moins une par semaine –. Elles contribuent, – du moins  je l'espère! – à rendre ce blog plus vivant.

Parmi cette liste qui commence à être longue, quatre me semblent particulièrement illustratives de mon propos.

J'ai pensé qu'il serait utile de les rediffuser dans un même article. Les voilà donc réunies :









30 nov. 2010

QUI PROFITE ET EST DÉSTABILISÉ PAR LA MONDIALISATION ?

Un juste retour de boomerang ? (suite)

Je poursuis ma réflexion à partir de l'évolution du RNB, telle que publiée dans mon article d'hier.

Si l'on observe la situation des pays d'Afrique du Nord et de nos anciennes colonies d'Afrique Noire, la situation est plus diverse :
- Le Sénégal et la Côte d'Ivoire voit leur situation se dégrader très fortement depuis les années 60, avec une légère inflexion pour la Sénégal depuis les années 90 : depuis 1962, l'écart vis-à-vis de la France a été multiplié par 4, passant de 10 à 40.
- Les autres pays ont une évolution rappelant celle de la Chine ou de l'Inde, mais avec des évolutions beaucoup plus lentes : du début des années 60 au milieu des années 90, accroissement des inégalités par rapport à la France, puis amélioration mais beaucoup plus lente. Le Gabon a très peu évolué dans un sens comme dans l'autre en restant toujours autour d'un rapport de 5.


Ainsi le développement s'est fait jusqu'au milieu des années 90 essentiellement à notre profit. Notamment la délocalisation de l'industrie textile vers l'Afrique du Nord qui a eu lieu dans les années 80 ne s'est pas du tout traduite par un rattrapage.
La baisse depuis lors est donc là aussi d'abord un rééquilibrage, mais modeste : en 2009, l'écart entre la France et le Maroc retrouve la situation de 1980, avec la Tunisie il est encore plus grand qu'au début des années 60 …

Finalement, tout ceci montre clairement que nos sociétés occidentales se construites sur et grâce à la mondialisation et aux échanges entre nations. C'est ce qui a nourri notre croissance, jusqu'à présent. Maintenant, nous « subissons » un effet boomerang, dû au rééquilibrage. Ce dernier est rapide et brutal vis-à-vis des pays les plus défavorisés comme la Chine et l'Inde, plus lent vis-à-vis des autres. Nous sommes donc « condamnés » à faire des économies, car, en quelque sorte, nous remboursons des dettes passées.

Une dernière remarque concernant la Chine. Autant notre modèle de société, d'économie et de développement repose sur l'ouverture et les échanges avec l'extérieur, autant celui de la Chine repose sur un système historiquement fermé. Jusqu'à ces dernières années, la Chine n'a quasiment pas échangé avec l'extérieur. Depuis une quinzaine d'années, ceci a changé : flux régulier, croissant et important d'étudiants chinois dans les universités occidentales, et qui reviennent tous dans leur pays d'origine (poussés notamment par l'effet de l'enfant unique qui les ramène vers leurs parents) ; diplomatie chinoise qui prend des positions loin de ses bases pour sécuriser des accès à des ressources primaires (énergie, minerai, alimentation) ; internationalisation des entreprises chinoises.

Comment la Chine va-t-elle faire face aux conséquences de cette ouverture ? Jusqu'où cela déstabilisera-t-il le modèle culturel et politique chinois ? Nul ne sait. Mais il est certain que ce flux lent et constant qui fait croître cette ouverture, sera porteur de changements très importants.

Finalement, la mondialisation est moins une remise en cause pour nous – nous nous sommes construits grâce à elle – que pour la Chine…


 

29 nov. 2010

MONDIALISATION ET ÉVOLUTION DU REVENU NATIONAL BRUT PAR HABITANT

Un juste retour de boomerang ?

Le 15 novembre dernier, dans mon article intitulé "Les arbres ne montent pas au ciel", je m'étonnais de la tendance de bon nombre de commentateurs à comparer les taux de croissance français et chinois sans prendre en compte l'écart entre revenu national brut (RNB) par habitant (il est en 2009 de 42680 € en France et de 3590 € en Chine)

Je viens d'avoir la curiosité de reprendre les statistiques fournies par la Banque Mondiale et de regarder l'évolution du rapport entre le RNB français par rapport aux trois pays qui font la une des commentaires, à savoir la Chine, l'Inde et le Brésil. Le graphe ci-dessous montre le résultat.


On voit que, jusqu'au milieu des années 90, l'écart entre la France versus la Chine comme l'Inde s'accroît très significativement : il passe d'environ 20 au début des années 60 à 60 versus la Chine et plus de 70 versus l'Inde. Dans le même temps, il n'y a quasiment aucune évolution par rapport au Brésil, le rapport restant quasi stable autour de 7.

A partir de mi 95, les choses changent avec une évolution rapide et parallèle de la Chine et de l'Inde. Notons que le rapport avec l'Inde reste supérieur à celui des années 60 : il est de l'ordre de celui de la fin des années 70. La Chine vient, elle, seulement depuis 2006 d'avoir un rapport meilleur que celui des années 60. La symétrie entre les courbes avant et après 95 est aussi frappante.

Le Brésil évolue, lui, beaucoup moins vite, mais c'est « logique » car il part d'une situation nettement moins défavorable. On constate aussi une oscillation du rapport : l'amélioration sensible depuis 2004 qui voit passer le rapport de 9,1 à 5,3 en 2009 va-t-elle se poursuivre ?

Je ne sais pas comment vous réagissez à la lecture de ce graphe, mais cela montre un paysage plutôt différent de celui propagé la plupart du temps : l'évolution actuelle n'est-elle pas d'abord un juste rééquilibrage ?

25 nov. 2010

QUAND COCA-COLA PREND DES ALLURES ARABISANTES

Mais où allons-nous ?

En février de cette année, j'avais écrit un billet interrogatif concernant Mc Donald : le Mc Donald situé à proximité de la gare Saint Lazare et qui a une allure de taverne alsacienne, est-il un test en vue d'une européanisation du concept (voir « MC DO S'APPRÊTE À TOUT CHANGER ! »
) ?

J'étais toujours face à cette interrogation existentielle et pour tout dire un peu inquiétante, quand je suis tombé sur une photo venant d'être prise à Grenade en Espagne. Sur cette photo (voir ci-joint), on voit une tentative d'hispanisation de la marque Coca-Cola. Se trouvant de plus en Andalousie, cette version hispanisée a aussi des relents d'arabisation et se met à ressembler à un décor de mosquée.

Qu'en penser ?

Est-ce une nouvelle tentative des marques américaines de se fondre dans le paysage européen pour mieux envahir nos esprits ? Une forme d'action que je ne peux pas ne pas rapprocher du Mc Do alsacien de Paris. Dans quel monde allons-nous si de telles pertes de repère deviennent le lot commun ?

Ou alors, est-ce une maquette en vue d'un lancement dans le monde arabe, un test discret dans le sud de l'Europe ? Allons-nous voir fleurir de partout le long de la Méditerranée, ce logo version mosaïque ?

A suivre…

24 nov. 2010

ELF AVAIT-IL VOCATION À ÊTRE UNE ENTREPRISE DE FROMAGE ?

Attention à rester focalisé !

A la fin des années 80, j'avais eu l'occasion de découvrir que le groupe Elf Aquitaine était présent au capital de la laiterie Entremont. Interpellé par ce qui me semblait une participation pour le moins « saugrenue » – Que pouvait bien faire une groupe pétrolier et gazier dans le capital d'une fromagerie ? –, je m'étais enquis des raisons qui en étaient à l'origine.

La réponse qui me fut fournie alors était simple : cette participation était le résultat d'une succession de décisions isolément logiques et rationnelles. En simplifiant les voici :
- Comme tous les groupes pétroliers, Elf a développé une chimie importante, au départ directement en liaison avec le pétrole.
- La direction en charge de l'activité chimique avait développé ce secteur et cherché de nouveaux marchés.
- Le secteur des biotechnologies avait été retenu comme prometteur. Une équipe avait été mise en place pour s'en occuper.
- Au sein des biotechnologies, les produits liés au lactose avaient été choisis, car identifiés comme porteurs.
- L'équipe en charge de développer la biotechnologie à partir du lactose, avait montré que l'accès à la matière première était critique.
- Elf a donc pris une participation dans Entremont pour sécuriser l'accès au lactose.

La logique était donc implacable… mais il n'en restait pas moins qu'Elf n'avait rien à faire dans une laiterie !

Je repense aussi à cet autre groupe dont j'analysais un peu plus tard les activités de distribution pétrolière. Une de ses filiales était en même temps dans la commercialisation de produits de jardinage. Son directeur interrogé m'avait alors répondu : « Oui, c'est normal, car, quand nous livrons du fuel domestique, nous traversons le jardin. » No comment !

Voilà un des dangers des grands groupes lors de la mise en œuvre d'une stratégie : ne pas se disperser, ne pas croire aux synergies trompeuses, et rester focalisés.

Cela me fait aussi penser à un récent commentaire entendu à la radio concernant les radars de contrôle de vitesse. J'ai cru comprendre que la préoccupation du gouvernement était de les rendre rentables, car ils coûtaient trop chers. Puis-je poser une question simple : « Pourquoi développe-t-on des radars ? Pour gagner de l'argent ? » ?

23 nov. 2010

TED, LE SITE DES TÉLESCOPAGES CRÉATIFS

Ideas worth spreading

Dans le monde surabondant de l'information internet, il est souvent difficile de repérer les lieux numériques susceptibles de nourrir notre réflexion. Il s'agit en effet selon moi de mêler pertinence de l'information et nouveauté du regard. Rare… Bien sûr, je pourrais passer des heures sans fin à zapper au travers de la toile, mais alors je n'aurais plus le temps pour prendre du recul et me confronter au réel.

Le site TED (www.ted.com) est de ce point de vue remarquable. Ce site est un patchwork de présentations vidéo faites par des personnes venant de tous les horizons et toutes les nationalités. Tous les sujets et thèmes sont abordés (du politique à l'économie en passant par la philosophie ou les sciences) et le seul point commun est la qualité et l'originalité des propos tenus.
TED a aussi fait des « petits » dans tous les pays. Est ainsi né en France en 2009, TEDxParis (www.tedxparis.com)

J'aime ce télescopage et me promène donc régulièrement dans les allées de ce site. J'ai déjà eu l'occasion à plusieurs reprises d'écrire des articles faisant référence à certaines de ces présentations (voir par exemple « IL EST MOINS DANGEREUX D'INVENTER UN LION QUE D'EN MANQUER UN ! » ou « EN EMPILANT DES BLOCS SIMPLES, ON CONSTRUIT UN SYSTÈME COMPLEXE ROBUSTE »).

Voici ci-dessous deux conférences récentes :
- Celle de R.A Mashelkhar qui montre que l'innovation peut venir d'Inde en nous apprenant ou en réapprenant « l'ultra-low cost design » ou l'art de faire mieux pour des coûts semblant absurdement bas,
- Celle d'Eric Below qui explique comment plus d'information et apparemment plus de complexité peuvent conduire à des solutions meilleures et plus simples.




22 nov. 2010

IL N’Y A PAS D’ESPOIR SANS INCERTITUDE

Le management « par les mers » pour allier sens collectif et liberté individuelle

Depuis longtemps, et encore souvent aujourd'hui, on associe le bon dirigeant au premier de cordée. Celui qui sait emmener ses équipes vers des sommets de plus en plus hauts, de plus en plus difficiles. La vie est un combat qu'il faut délivrer chaque jour, une série d'épreuves. La récompense est dans le but, dans le fait d'arriver un jour au sommet. Le présent est dur, mais cela n'a pas d'importance, il n'est qu'un point de passage obligé.
A l'opposé, face à l'effondrement des repères, à la multiplicité des risques, à l'incapacité de diriger depuis la tête une entreprise, on en vient à penser que le bon dirigeant n'est qu'un animateur, celui qui va faciliter les choses, aider chacun à se révéler, laisser faire les courants naturels. La vie est un flux dont il faut suivre, en opportuniste, les aléas. La récompense est dans le présent, dans le fait de pouvoir saisir le bon mouvement. Le but n'a pas d'importance, il n'est seulement qu'un résultat.

Mon propos, tout au long de mon livre « Les mers de l'incertitude », est de montrer que je crois à une voie dialogique, c'est-à-dire comprenant les deux :
- Le dirigeant s'assure qu'un cap est fixé, ce qui va focaliser les initiatives individuelles, et donner un sens aux actions quotidiennes. C'est aussi ce qui va apporter une visibilité aux actionnaires et à ceux qui investissent dans l'entreprise. Comme tout est dans le brouillard, ce n'est pas un sommet qu'il vise, mais une mer, c'est-à-dire ce qui attire les courants et constitue ainsi un point de stabilité.
- Le dirigeant sait qu'il est illusoire et dangereux de planifier précisément comment rejoindre cette mer, que le pire peut survenir à tout moment, et que le succès ne dépendra que bien peu de lui, mais pour l'essentiel de la résultante des initiatives locales. Pour cela, il va maintenir du flou, promouvoir la confrontation et développer une écologie de l'action.

Cette approche dialogique est celle de « Diriger en lâchant prise » : diriger en choisissant la mer et en s'assurant que les conditions sont réunies pour l'atteindre ; lâcher prise en laissant chacun agir et en profitant des opportunités de l'incertitude. Au tandem « direction et lâcher prise », répond celui de « mer et incertitude ». Ceci suppose que dirigeants et actionnaires sentent l'entreprise, son écosystème et ses mers. Ceci n'est possible qu'avec de la stabilité, de la permanence et de la durée.
La direction donne le sens, le lâcher prise une forme de plaisir. Je retrouve là la définition du bonheur donnée par Tal Ben-Shahar, à savoir une « sensation globale de plaisir chargé de sens ».1

Ainsi, dans l'incertitude croissante qui emporte tout, manager efficacement, c'est finalement apporter cette forme de bonheur, cet équilibre de sens et de plaisir.
En contre-point de Jean-Paul Sartre qui écrivait : « Je préfère le désespoir à l'incertitude »2, je dirais plutôt qu'il n'y a pas d'espoir sans incertitude, et qu'elle est la condition du bonheur. Plutôt rassurant, non ?

(1) Tal Ben-Shahar, professeur de bonheur à l'Université de Harvard, L'apprentissage du bonheur, p.74
(2) Le Diable et le Bon Dieu


Extrait des Mers de l'incertitude

19 nov. 2010

INCERTITUDE ET ÉVALUATION

_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________