Quand Léon Tolstoï méditait sur l’art de la guerre et le rôle du Général en
chef
La campagne de Russie menée par
Napoléon est au cœur de La Guerre et La Paix.
Léon Tolstoï y mène une réflexion sur la portée réelle des décisions prises par
quelques individus, fussent-ils les commandants en chef, versus les
circonstances et la réalité de ce qui se passe sur le front.
J’y vois une matière utile à
méditer pour tous ceux qui s’intéressent au management et à l’impact des
dirigeants.
En voici quelques extraits :
Sur le libre-arbitre et le pouvoir autonome du chef
« C'est donc de leur ensemble, et non de l'une
d'elles en particulier, que les événements ont été la conséquence fatale :
ils se sont accomplis parce qu'ils devaient s'accomplir, et il arriva ainsi que
des millions d'hommes, répudiant tout bon sens et tout sentiment humain, se
mirent en marche de l'Ouest vers l'Est pour aller massacrer leurs semblables,
comme, quelques siècles auparavant, des hordes innombrables s'étaient
précipitées de l'Est vers l'Ouest, en tuant tout sur leur passage ! »
« Le fatalisme est inévitable dans
l’histoire si l’on veut en comprendre les manifestations illogiques, ou, du moins
celles dont nous n’entrevoyons pas le sens et dont l’illogisme grandit à nos
yeux, à mesure que nous nous efforçons de nous en rendre compte. »
« Bien que Napoléon plus que jamais
convaincu, en l’an de grâce 1812, qu’il dépendait de lui seul de ne pas verser
le sang de ses peuples, plus que jamais au contraire il était assujetti à ces
ordres mystérieux de l’histoire qui le poussaient fatalement en avant, tout en
lui laissant croire à son libre arbitre (…) Aucun des actes de leur soi-disant
libre arbitre n'est un acte volontaire: il est lié à priori à la marche
générale de l'histoire et de l'humanité, et sa place y est fixée à l'avance de
toute éternité. »
Sur la capacité à prévoir et à anticiper précisément ce qui va se passer
« Comment existerait-il une théorie et une
science là où les conditions et les circonstances restent inconnues et où les
forces agissantes ne sauraient être déterminées avec précision? Quelqu'un
peut-il deviner quelle sera la position de notre armée et celle de l'ennemi
dans vingt-quatre heures d’ici ? »
« Où peut donc être la science là où tout
est vague, où tout dépend de circonstances innombrables, dont la valeur ne
saurait être calculée en vue d'une certaine minute, puisque l'instant précis de
cette minute est inconnu ? »
Sur l’impact des États-majors
« Et puis, le cavalier n’est-il pas toujours
plus fort que le pion, et deux pions plus forts qu’un, tandis qu’à la guerre un
bataillon est parfois plus fort qu’un division, et parfois plus faible qu’une
compagnie ? Le rapport de forces de deux armées reste toujours inconnu.
Crois-moi : si le résultat dépendait toujours des ordres donnés par les
états-majors, j’y serais resté, et j’aurais donné des ordres comme les autres.
»
« A la suite de ces rapports, faux par la
force même des circonstances, Napoléon faisait des dispositions qui, si elles
n’avaient pas déjà été prises par d’autres d’une manière plus opportune,
auraient été inexécutables. Les maréchaux et les généraux, plus rapprochés que
lui du champ de bataille et ne s’exposant aux balles que de temps à autre,
prenaient leurs mesures sans en référer à Napoléon, dirigeaient le feu,
faisaient avancer la cavalerie d’un côté et courir l’infanterie d’un autre.
Mails leurs ordres n’étaient le plus souvent exécutés qu’à moitié, de travers
ou pas du tout. »