14 nov. 2012

NOUS NE SOMMES PAS SEULEMENT CELUI QUI PENSE CONSCIEMMENT EN NOUS

A la découverte de « Thinking, Fast and Slow » de Daniel Kahneman (2)
Arrêtons-nous donc d’abord sur ce que Daniel Kahneman entend par Système 1 et Système 2.
Simplifiant et caricaturant volontairement le fonctionnement de notre cerveau, il imagine qu’il est composé de deux systèmes agissant simultanément et régissant notre comportement et nos décisions :
- Le Système 1 est spontané, c’est-à-dire involontaire et non contrôlé : rapidement et automatiquement, il émet des jugements sur tout ce qui nous entoure.
- Le Système 2 est réfléchi, c’est-à-dire conscient et maîtrisé : lentement et volontairement, il analyse la situation et propose des solutions.
Nous nous identifions à ce Système 2 dont nous percevons le travail… sans nous rendre compte de tout celui fait par l’autre.
Voici ce qu’en dit Daniel Kahneman au début de son livre :
« Quand nous pensons à nous-mêmes, nous nous identifions au Système 2, le soi conscient, qui raisonne, qui a des convictions, fait des choix et décide que penser et que faire. Bien que le Système 2 croie être au cœur de l'action, c'est le Système 1 automatique qui est le héros du livre. Pour moi, le Système 1 produit sans effort les impressions et les sentiments qui sont les sources principales des convictions explicites et des choix délibérés du Système 2. Les opérations automatiques du Système 1 engendrent des enchaînements d'idées étonnamment complexes, mais seul le Système 2, plus lent, peut élaborer des pensées en une série ordonnée d'étapes. »
Ainsi notre pensée est duale à la fois rapide et lente (d’où le titre anglais… qui devient en français seulement les deux vitesses de la pensée…).
Pour être efficace, il nous faut être capable de tirer parti de la vitesse du Système 1… sans être trompé par ses jugements hâtifs, et souvent inexacts. Il nous faut aussi ne pas laisser le Système 2 vouloir contrôler ce qui ne peut pas l’être ou construire des raisonnements qui n’en sont pas.
Son livre part à la découverte des nombreuses situations où cet optimum est loin d’être atteint…
(à suivre)

13 nov. 2012

QUAND DANIEL KAHNEMAN SYNTHÉTISE SES TRAVAUX

A la découverte de « Thinking, Fast and Slow » de Daniel Kahneman (1)
A 77 ans, Daniel Kahneman a publié fin 2011 un nouveau livre, « Thinking, Fast and Slow » (1), dans lequel il retrace le parcours de ses réflexions, ses études et ses découvertes, qui lui ont notamment valu d’être le lauréat du prix Nobel d’économie en 2002.
Cet ouvrage est beaucoup trop riche et dense pour que je puisse en faire état en un seul article. J’ai donc décidé de lui consacrer une série à partir d’aujourd’hui. J’y alternerai des verbatim, et des réflexions qu’ils m’inspirent.
Première remarque générale : il y a une grande proximité et beaucoup de rebonds entre ce livre, et les travaux de Stanislas Dehaene, psychologue cognitif et neuroscientifique, professeur au Collège de France à la chaire de psychologie cognitive expérimentale (voir la série d’articles que je lui ai consacré du 18 juin au 13 septembre dernier).
Le premier point commun est bien sûr le poids donné aux processus inconscients pour reprendre la terminologie employée par Stanislas Dehaene, ou au Système 1 selon celle de Daniel Kahneman : pour tous les deux, nos processus conscients et maîtrisés sont soutenus, conditionnés et orientés sans que nous nous en rendions compte.
Le choix fait par Daniel Kahneman d’employer l’expression « Système 1 » a un mérite important : celui d’éviter le risque de confusion avec l’inconscient tel que défini par la psychanalyse. Ceci devrait faciliter la compréhension de ces mécanismes, et leur acceptation. Une question simplement : pourquoi n’a-t-il nulle part, dans son ouvrage, fait référence au fait que ce qu’il appelait « Système 1 » et « Système 2 » était dénommé par les neurobiologistes comme « Processus inconscients » et « Processus conscients » ?
Un autre point commun est notre propension à constamment prévoir le futur sur la base de notre connaissance du passé… et bien souvent, en nous trompant sur la solidité de nos prévisions.
Mais quittons ces généralités et rentrons dans un parcours du livre de Daniel Kahneman, et commençons par une explicitation de ce qu’il entend par « Système 1 » et « Système 2 »
(à suivre)
(1) Il vient de paraître en français sous le titre « Système 1/ Système 2 : Les deux vitesses de la pensée »

12 nov. 2012

ÊTRE LÀ, SANS VOULOIR CHANGER QUOI QUE CE SOIT

A la découverte d’un prophète de l’acceptation de soi et de l’abandon
A l’occasion de l’émission littéraire La Grande Librairie animée par François Busnel, j’ai découvert le philosophe Alexandre Jollien. Une rencontre étonnante avec quelqu’un qui sort de l’ordinaire, un homme qui a su dépasser son handicap physique et être l’apôtre du lâcher prise et de l’acceptation de soi. Au bout de quelques secondes, j’ai été captivé par la profondeur et la légèreté de sa pensée – avec lui, les deux ne sont plus incompatibles ! –, et ai oublié le caractère haché de sa diction.
J’ai aussitôt après, fait l’acquisition de son dernier livre, « Petit traité de l’abandon, pensées pour accueillir la vie telle qu’elle se propose » et m’y suis plongé avec délices. C’est une merveille d’intelligence, d’ouverture et d’humanité dont je vous recommande la lecture.
En voici quelques phrases piochées au hasard de ma lecture :
Il s’agit donc davantage de « laisser être » que d’accepter. Accepter, c’est encore du travail pour le moi.
« Ma femme n’est pas ma femme, c’est pourquoi je l’appelle ma femme » : c’est seulement à partir du moment où je sais que les étiquettes enferment les choses et les gens – et que cela les tue –, que je peux en faire usage.
Je ne rencontre jamais deux fois ma femme parce qu’elle change instant après instant.
On reprocha au philosophe Diogène le Cynique d’avoir faussé la monnaie. Il répondit en substance : « C’est tout à fait vrai, et quand j’étais petit, je faisais pipi au lit, mais cela ne m’arrive plus. » (…) Et l’amour inconditionnel, c’est peut-être cela. Aimer sa femme, ici et maintenant, sans l’enfermer dans ce qu’elle a été.
Un contradicteur de Spinoza, Blyenbergh, lui opposa l’exemple, ô combien fameux, de l’aveugle, objectant à peu près ainsi : « Mais l’aveugle n’est pas parfait. Il lui manque quelque chose. La vue, précisément. » Spinoza lui rétorque en substance : « Est-ce qu’il vous manque des ailes ? » Si l’on me demandait cela en effet, je répondrais d’emblée : « Non, bien sûr, il ne me manque pas d’ailes. »
Ne rien vouloir changer. C’est, paradoxalement, ce qui m’a le plus aidé à changer. Essayer d’être là. Même pas essayer, être là, sans vouloir changer quoi que ce soit.
Ce qui nous sauve, c’est de savoir que l’on ne peut pas guérir de ses blessures mais que l’on peut vivre avec, que l’on peut cohabiter avec elles sans qu’il y ait nécessairement de l’amertume.
Car une chose est certaine : au terme de la vie, nous perdrons tout. Alors autant tout lui donner. Autant considérer la santé des enfants, notre propre santé, nos amis, comme des cadeaux immenses et non comme un dû. En somme, la gratitude, c’est revisiter tout ce que l’on reçoit avec une liberté nouvelle et en profiter encore plus, sans s’accrocher, sans s’agripper.
Et l’on prête à Gandhi cette formule merveilleuse : « Il faut vivre simplement pour que d’autres puissent simplement vivre. »

9 nov. 2012

ÉCRIRE CE QUE JE NE VEUX PAS VIVRE

Qui suis-je ?
Jeux de mots, jeux de vies…
EN DEÇÀ DE MOI
Comment mettre des mots sur ce qui n’en a pas ?
Comment parler de l’indicible, de ce qui est caché,
De ce qui n’existe peut-être que parce que non exprimé,
De ce qui est moi, mais n’est jamais dit ?

Tout au fond, en deçà de mes pensées,
Dans le noir de ce qui n’est ni vécu, ni touché,
De ce qui n’est qu’effleuré, qu’imaginé,
De ce qui n’est que fantasme, que refoulé,
Parfois j’ai joué de l’idée de le faire,
J’ai senti sur ma peau les plaies de mes rêves,
J’ai été l’esclave de ce qui n’était pas.

Alors des touches de ce clavier, des lettres de cet écran,
Du jeu de ces phrases, de l’enchaînement de ces lignes,
J’ai fait les liens qui ne m’ont pas attaché,
Les coups que mon corps n’a pas endurés,
Les humiliations que mon esprit n’a pas ressenties,
Et j’ai pu continuer, intact et protégé.

8 nov. 2012

SORTIR DE SES HABITUDES POUR RESTER CONNECTÉ AU RÉEL

Pour avoir une chance de sentir ce qui se passe ou ce qui risque de se passer, il nous faut désapprendre ce qui s’est passé, et voir le monde non plus seulement depuis l’endroit où nous nous trouvons (2)
Personnellement, je me déplace physiquement pour prendre du recul et de la distance. Voyages multiples, et alternance entre Paris et ma maison en Drôme provençale. Quand je pose des pierres pour construire un mur en pierres sèches, quand je retourne la terre pour aider un jeune chêne à émerger du chiendent, quand je tronçonne des arbres pour dessiner un chemin dans le bois, mon esprit flotte sans but, sans aspérités, sans raison. Je regarde celui que je suis à Paris, je repense à un dossier en cours, je vois se dessiner avec un relief différent les situations. J’ai tourné un peu dans mon planisphère personnel et les perspectives sont changées.
Si nous ne faisons pas ces efforts de décentrage, de remise à distance, nous risquons de nous retrouver prisonnier de nos habitudes, de notre vision du monde. Posons-nous la question suivante : dans nos activités quotidiennes, professionnelles comme privées, est-ce que nous analysons toujours une situation telle qu’elle est avec ses nouvelles potentialités, ou est-ce que nous la lisons au travers de notre prisme et cherchons à retrouver en elle ce que nous avons déjà rencontré et vécu ?
Pour une entreprise, plus son histoire est longue et riche, plus elle aura tendance à lire les situations au travers de ce prisme. Plus les managers seront expérimentés, plus ils auront tendance à rechercher dans le présent ce qu’ils ont déjà vécu et plus ils risqueront de jeter l’eau chaude.
Faire le vide, sortir de ses habitudes, oublier ce que l’on sait un moment pour ne pas penser à partir de soi. Si l’entreprise ne le fait pas, si elle reste centrée sur sa propre vision, si elle ne se méfie pas de ce prisme déformateur, elle peut manquer des évolutions majeures et même se trouver menacée. Plus l’incertitude se développe, plus ce risque est grand.
Attention aussi aux dirigeants qui se laissent enfermer dans leurs habitudes, ne fréquentent que les mêmes restaurants ou les mêmes cercles, ne rencontrent plus que les mêmes personnes. Ils vont se déconnecter du réel et auront de moins en moins la possibilité de vérifier la pertinence de leurs interprétations et de comprendre le monde dans lequel s’inscrivent leurs actions. Certes on peut faire des affaires sur les parcours de golf, mais on peut aussi s’y couper du monde.

(Extrait du livre "Les Mers de l'incertitude")