« Q. : Vous avez dit, réécrivant le titre d’un film de Sofia Coppola, que vous vouliez être "lost in connection". N’était-ce qu’un jeu de mots ?
R. : Non, ce n’était pas qu’un jeu de mots. Je cherchais à expliciter le cœur de ma démarche.
Dans ce film, Bill Murray incarne un acteur perdu dans un Japon qu’il ne comprend pas et ne veut pas comprendre. Pour se protéger de ce qu’il perçoit comme une agression, il ne quitte pas son hôtel, une cloche dans laquelle il s’enferme et s’isole. Séparé par les vitres qui l’entourent, immergé dans un luxe aseptisé, anonyme et international, il pourrait être n’importe où.
Coupé par sa langue et sa culture, il est "lost in translation", car, au lieu de vivre ce qui se passe, il veut le traduire. Il est emmuré – "en‑Murray" si j’osais –, dans ses habitudes, ses connaissances, son passé.
Pour entrer en relation, c’est l’inverse qu’il faut faire. L’accès au réel suppose le culot d’avoir abaissé préalablement ses protections, de s’être mis à nu, prêt à plonger dans l’instant tel qu’il est. Profondément. Sans repères, sans guide, sans plan, sans anticipation.
Aussi, avant de voyager, je ne lis rien, surtout pas, et suis ignorant de ce que je verrai, accomplirai, de ce que je ne devrai pas manquer. Pour ne pas inscrire mes pas dans ceux des autres et de la foule, ne pas vivre ce qui l’a déjà été, éviter les idées préconçues. La magie du direct, sans informations, sans filtre, sans accompagnateur. Seul. Découverte brute et abrupte.
Sans repères, assis sur le rebord d’un temple, ou accoudé au balcon d’un palais, ou immergé dans une forêt de bambous, des rêves m’envahissent, le réel s’estompe pour faire de la place à mon imaginaire foisonnant. Je le peuple de personnages, reconstruis les ruines et fais rejaillir l’eau des fontaines. Entouré de fantômes et de chants, absorbé par le réel ainsi revisité et complété, je suis intensément vivant.
Alors, "lost in connection", je crée. »
(Extrait de mon livre Par hasard et pour rien)