29 avr. 2015

SANS INCERTITUDE, IL N’Y A PAS DE VIE

L’art du bricolage
« Pour favoriser l’esprit d’initiative de ses ingénieurs, 3M a érigé́, dès les années 50, la règle des 15% : chaque chercheur peut consacrer 15% de son temps professionnel à des projets d’innovation personnels. » (1)
L’innovation et le développement supposent une organisation et des règles précises, mais comme pour l’évolution et le développement de la vie, il est impossible et dangereux de prétendre prévoir à l’avance ce qui va se passer. La plupart des découvertes naissent par hasard, et souvent suite à une erreur : les célèbres Post-it de 3M sont le fruit d’une colle qui ne colle pas vraiment.
Pour beaucoup, le concept central de l’innovation est la sérendipité, c’est-à-dire le fait d'effectuer une trouvaille inattendue par chance ou par malchance, par erreur ou par maladresse. Reste à repérer que l’on vient par hasard de faire une découverte riche de potentiel, et à la transformer en un succès marketing et industriel.
Le rôle du management est donc d’abord de créer les conditions de l’émergence de la vie et de la croissance, et non pas de les contenir et de les définir. Il est aussi de permettre d’amplifier ce qui est embryonnaire, et de faciliter les focalisations sur ce qui est en train de réussir.
Malheureusement face à la montée de l’incertitude et à la peur des échéances à venir, à l’inverse, bon nombre de Directions Générales demandent toujours plus de comptes rendus, de prévisions, et sophistiquent sans cesse les systèmes de planification.
(1)  60 ans 3M en France, communiqué de presse 27 août 2012
(extrait des Radeaux de feu)

27 avr. 2015

LES LIMITES SONT LES JOINTURES

Le tissu de la vie végétale
Par rapport à la matière inerte, l'assemblage du vivant est plus subtil, moins net, moins brutal : homéostasie et auto-organisation sont des fils qui tissent finement et souplement le vivant. Les limites sont paradoxalement à la fois nettes et floues, précises et imprécises, car les membranes qui tracent la frontière entre le dedans et le dehors, sont aussi celles qui unissent et joignent : elles sont les peaux qui, en même temps, limitent chacune des cellules et les réunissent entre elles. Étrange paroi, sans laquelle la cellule se dissoudrait dans ce qui l’entoure, et grâce à laquelle elle respire : la membrane est à la fois vide et plein.
Pour comprendre cette construction paradoxale, faisons un détour par l’observation d’un livre, celui-ci par exemple. Si vous observez son texte, il y a des blancs, c’est-à-dire des espaces, qui ne portent en eux-mêmes aucun sens, ne représentent rien, ne sont que vide, absence. Pourtant, si vous les enlevez, vous n’avez plus ni phrases ni mots, mais seulement une succession de lettres dont n’émergent plus rien, et certainement pas un livre. Ces espaces sont les membranes des mots : ils en définissent le début et la fin, et sont les liens qui font émerger le sens. Ils séparent et réunissent, ils sont le vide qui donne le plein. Grâce à eux, on passe du niveau des lettres à celui des mots, puis des mots à la phrase, et des phrases au livre.
De même, la membrane de la cellule non seulement la définit et la circonscrit, mais est aussi ce par quoi la cellule échange avec le reste du monde, et capte les éléments dont elle a besoin pour vivre. C’est encore grâce à elle qu’elle peut s’unir avec d’autres congénères, et progressivement construire le niveau supérieur. Comme les blancs des mots, la membrane sépare et réunit.
Il n’y a pas que les cellules qui s’associent, les plantes savent aussi se combiner entre elles et se nourrir l’une avec l’autre : les truffes vivent en symbiose avec les racines, les lichens escaladent les écorces, et le gui s’accroche dans le bois… La nature est un enchevêtrement de végétaux qui élaborent des écosystèmes de plus en plus sophistiqués. 

24 avr. 2015

ILS NAISSENT ÉGAUX, MAIS CELA NE DURE PAS !

La vie végétale : l’art du bricolage
Assis sur la terrasse de ma maison en Provence, je regarde les chênes qui commencent à apparaître nettement au milieu des lignes des lavandes : certains ont largement dépassé le mètre de haut, alors que d’autres sont à peine visibles et restent cachés parmi les herbes voisines. Pourtant, ils ont été plantés en même temps, voilà environ cinq ans, proviennent du même producteur, et se trouvent sur le même type de sol. Difficile à croire quand on les regarde aujourd’hui.
Dans quelques années, au pied de certains, on trouvera peut-être des truffes… ou peut-être pas. Impossible à prévoir à l’avance. Je vois déjà le chien qui, le nez au raz du sol ou flairant les effluves flottant dans l’air, partira en chasse de ces trésors éventuellement cachés. Tel un magicien plongeant sa main dans le vide de son chapeau, il en sortira les lapins qui transformeront de banales omelettes en plats rares et recherchés.
Voilà la règle du végétal et de la vie : un peu plus d’eau ici, un peu moins de minéraux dans la terre là, un rien d’ombre portée par un arbre voisin, des racines qui se déploient plus ou moins, sans parler des herbes sauvages qui viennent se semer et se reproduisent au hasard du vent, et rien ne se passe de la même façon. Au fil des années, tout diverge et suit des chemins qui ne peuvent être constatés qu’a posteriori.
Mes chênes, tous nés de glands apparemment égaux, ne le sont plus, et ne le seront jamais. Et rien ne dit que les plus grands seront ceux qui donneront le plus de truffes. Ainsi va le monde végétal : bien que régi par un ordre rigoureux, il foisonne, bifurque, et bricole.

21 avr. 2015

L'INCERTITUDE EST CRÉÉE PAR DES ORDRES, ET NON PAS PAR LE DÉSORDRE

Vidéo « Les Radeaux de feu »
Contrairement à ce qui est communément dit et pensé, ce n’est pas le désordre qui crée l’incertitude, mais des ordres dont l’évolution est imprévisible

17 avr. 2015

AU PAYS DE LAWRENCE D’ARABIE ET D’INDIANA JONES

Un moment à Petra
Une route faite de sable part de là où le taxi m’a laissé. Tout est soleil et or. Petra est dissimulé. Je sais que je le trouverai au débouché de la sente sablonneuse, qui part devant moi.
Un groupe de jeunes jordaniens juchés sur leurs chevaux, dansent comme une samba. Jouent-ils ? Non pas vraiment. Ils sont là à la recherche de touristes qu’ils pourraient accompagner. Je reste un moment à les regarder, fasciné par le ballet de leurs courses. Sans raison précise, les images de Lawrence d’Arabie me reviennent. Je revois la course dans le désert, quand les cavaliers se battent pour se saisir d’un trophée.


Sortant de ma torpeur, je m’engage sur le chemin qui se dessine devant moi. Petit à petit, il s’engage dans un défilé qui devient de plus en plus étroit. La lumière parvient difficilement à y pénétrer. Je chemine dans une obscurité qui me rappelle celle des cryptes. Aller vers Petra, c’est un peu entrer en religion. Je sens le caractère sacré et secret du lieu.
Puis, au détour d’un dernier virage, une porte majestueuse, irradiée de soleil, apparaît. Quelques minutes, plus tard, je suis dans un cirque immense, cerné de temples, tous sculptés à même les cavernes. La voie étroite pour y parvenir rend encore plus étonnante le débouché.
Lawrence d’Arabie cède la place à Indiana Jones. Un instant, je goûte le plaisir d’être enfin arrivé à ce temple qui est le but de ma dernière croisade. Vais-je y trouver la coupe du Saint Graal ?

Non, je ne crois pas… 
Malgré la chaleur, pris par une envie soudaine, je mets à courir, et, à petites foulées, je parcours le site, escaladant les collines, m’arrêtant pour une perspective, une silhouette, ou parfois simplement pour rien. Volonté de m’extraire des touristes qui sont restés en bas.
Les minutes deviennent des heures. Le temps est suspendu, dans le silence du vent, et des quelques chèvres qui avancent au loin.
Cette chaude torpeur, des années plus tard, flotte encore en moi. Magie unique d’une cathédrale inversée, où, au lieu de marcher dans un lieu fermé et de savoir le monde à l’extérieur, on est dehors et des dedans nous cernent, présents et inaccessibles. Ce dehors est pour toujours en moi, et j’y ai gagné un Graal que je n’ai ni trouvé, ni conquis.

15 avr. 2015

UN HOMME SEUL NE PEUT RIEN

L’entreprise au cœur de l’incertitude et des émergences
La plupart des livres de management, des colloques ou des propos d’experts tournent autour de la décision : comment décider dans l’incertitude ? Les actionnaires, comme les salariés ou les pouvoirs publics semblent rêver d’un gourou charismatique qui saurait trouver le cap et sauver son entreprise du chaos environnant.
Mais comment dans un Neuromonde tissé d’incertitudes croissantes, du foisonnement de matriochkas s’emboîtant et se chevauchant, d’émergences multiples et imprévues de propriétés rendant obsolètes ce qui était pensé comme certain la veille, un dirigeant, seul ou avec une équipe rapprochée, pourrait-il sauver une collectivité ? A-t-on jamais vu une tribu de fourmis de feu sauvée par quelques individus ? Il n’y a que dans les rêves d’un cinéaste que la fourmi Z-4195 peut à elle seule sauver toute sa communauté !
Daniel Kahneman est un de ceux qui a le mieux montré les limites de l’homme miracle. Dans son dernier livre, Thinking fast and slow, il s’en prend au mythe tant de la « main magique » dans le basket professionnel que du PDG sauveur de son entreprise :
« Bien sûr, certains joueurs sont plus précis que d'autres, mais la séquence de tirs ratés et réussis satisfait tous les tests du hasard. La main magique n'est vraiment qu'une vue de l'esprit, les spectateurs étant toujours trop prompts à vouloir déceler ordre et causalité au cœur du hasard. »
« Si le succès relatif d'entreprises semblables était déterminé entièrement par des facteurs que le PDG ne contrôle pas, vous vous apercevriez que dans 50 % des cas, la société la plus forte serait dirigée par un PDG moins efficace. Avec une corrélation de 0,3, vous croiserez le meilleur PDG aux commandes de la meilleure entreprise dans 60 % des paires. (…) Ne vous y trompez pas : améliorer les chances de succès en les faisant passer de 1 pour 1 à 3 contre 2 est un avantage incontestable, tant sur le champ de course que dans les affaires. » (1)
En effet si l’impact direct du leader est réel, n’est-il pas évident qu’au fur et à mesure du déploiement du Neuromonde et des méga-entreprises, il est de plus en plus limité, et que tout dirigeant est de moins en moins légitime à clamer que c’est d’abord grâce à lui seul que le succès est arrivé ?
(1) Daniel Kahneman, Thinking Fast and Slow, Kindle Edition, emplacements 2585 et 4613
(extrait des Radeaux de feu)

13 avr. 2015

LES DÉFIS DU DIRIGEANT DANS LE MANAGEMENT PAR ÉMERGENCE

Pour un Dirigeant porteur de sens et de compréhension
Le radeau des fourmis de feu flotte cahin-caha, pris dans les courants tourbillonnants du fleuve gonflé par les pluies diluviennes. Impossible d’éviter cette souche qui vient le percuter, ou ce rocher contre lequel les eaux le télescopent. Qu’importe, il est résilient, et personne ne peut le détruire : les fourmis tiennent bon, et collectivement sont insubmersibles et indestructibles. Rien ne les détourne de leur avancée. Celles qui sont sur la peau du radeau guettent l’opportunité qui permettra d’accoster et de reprendre leur marche en avant terrestre. Tel ce radeau, ainsi va l’entreprise.
Mais les hommes et les femmes qui le composent ne sont pas des fourmis : chacun est riche de sa personnalité, de son histoire, de ses compétences, de ses rêves, de ses envies, de sa compréhension. La cohésion de l’ensemble résulte, comme nous venons de le voir, de processus beaucoup plus subtils, tissés de confiance et confrontation, associant lâcher-prise, vision commune, geste naturel et prise d’initiatives. Aussi pour faire que ce radeau collectif ne soit pas le jouet des événements, et que ce ne soit pas le fleuve et les éléments qui choisissent sa destination, l’art du management doit être également subtil : il ne peut être question pour le dirigeant de se voir ni comme une reine véhiculée et protégée passivement par ses troupes, ni comme un Dieu tout puissant, sachant tout et décidant de tout.
À lui et à son équipe de direction de trouver le cap, de faire que la rivière devienne fleuve, d’apporter confiance et stabilité, de créer les conditions pour que chacun puisse effectivement agir individuellement et collectivement… Pour cela, il doit agir dans le non-agir, décider par exception, accompagner et soutenir, jamais ne cesser de vouloir mieux comprendre et apporter du sens.
Tels sont les défis du dirigeant dans le management par émergence.
(extrait des Radeaux de feu)

10 avr. 2015

INCERTITUDE ET ART MILITAIRE

Pour une ergonomie des actions émergentes – Vidéo
Comment l'art militaire a depuis longtemps appris à accepter l'incertitude et à en tirer parti

7 avr. 2015

BROUILLARD DE LA GUERRE ET DANGER DE LA CENTRALISATION

Pour une ergonomie des actions émergentes
Les chefs militaires ont depuis longtemps été confrontés à la nécessité de mener des actions en milieu incertain, aussi est-il intéressant de donner la parole aux théoriciens de l’art militaire.
Clausewitz disait en 1832 : « Il n’existe pas d’autre activité humaine qui soit si continuellement et si universellement contrainte par le hasard et que, en raison de ce dernier, la conjecture et la chance y jouent un rôle essentiel. »
Il illustrait ceci au travers d’une expression : le brouillard de la guerre. Napoléon, lui-même, avait dit : « La guerre n’est faite que d’événements fortuits ; un général devrait toujours conserver l’élément qui lui permettra d’en tirer parti. » Dans ce monde incertain, dans le brouillard généré par la multiplication des aléas, seule, une action décentralisée peut être efficace : seul, celui qui est au combat, face à la réalité des situations peut savoir quelle décision il faut prendre. C’est d’ailleurs l’attitude inverse du commandement français lors de la guerre de 1870, qui, selon le maréchal Foch, serait à l’origine de la défaite : « Un trait caractéristique notable, chez tous les chefs français était leur complète passivité qui attendait constamment l’impulsion du dehors. Les généraux français ne marchaient qu’en vertu d’ordres fermes venus d’en haut ; chacun s’attachait, pour l’exécution de ces ordres, à la lettre, et se trouvait complètement déconcerté quand survenait tout à coup une situation imprévue. »
Certains vont penser qu’il est dangereux de laisser le commandement local choisir ce qui lui apparaît le plus efficace. Mais c’est l’inverse qui est encore plus dangereux : dans le monde de l’incertitude, l’action centralisée est inefficace, car inadaptée et trop peu réactive. Ceci a été clairement résumé, dès 1883, par le maréchal allemand Von der Goltz : « L’initiative rencontre assez d’ennemis puissants pour qu’on ne lui en suscite pas de nouveaux : la paresse d’esprit, le laisser-aller, la routine, la peur des responsabilités, l’instinct des moutons de Panurge, le besoin d’attendre que les événements nous poussent à agir au lieu de nous faire un devoir d’agir spontanément après nous être efforcés de voir clair dans la situation. Toutes ces influences déprimantes paralysent du reste facilement notre action. Si par-dessus le marché on les favorise en rognant l’initiative, en lui coupant les ailes, elles ne tarderont pas à étouffer tout germe de vie. »

3 avr. 2015

LA TERRE ET LE CIEL

Jeux de lignes
Notre monde urbain est fait de lignes qui structurent et rythment le paysage de nos villes.
Ceci est singulièrement vrai de Pékin où elles sont omniprésentes.

Elles y sont non seulement limites naturelles, mais symboliques. 
Elles relient entre eux les lieux et les monuments. Elles sont la traduction physique du spirituel. Elles sont jonctions entre le sol et le ciel.

Avec elles, la Chine immuable et impériale nous observe à tout jamais…