17 juil. 2015

HISTOIRE DE TRAVESTISSEMENT

Une nuit à Pékin (juillet 2005)
La nuit est tombée depuis longtemps, pourtant l’air est toujours aussi moite et chaud. Difficile de respirer parmi les rues étroites dans lesquelles je circule à pied. Encore une heure à attendre avant que le spectacle ne commence, un spectacle de travesti dans un petit bar perdu dans les méandres de la mégapole.
Alors c'st lentement que j’avance, au hasard des ouvertures et des rencontres. Pas mal de monde malgré l’heure tardive, mais bien peu par rapport à la foule de la journée. Douceur de l’ambiance, feutrée par le manque de lumière et la lourdeur de l’atmosphère. Peu de bruits, juste les bruissements des conversations et des cliquetis des baguettes

Petit à petit, il se transforme. Tout à l’heure, il sera toujours lui-même, mais avec l’apparence d’une autre. Magie du travestissement et du jeu des apparences. Il pourra alors laisser place à sa fantaisie pour le plaisir des spectateurs réunis.
Petit à petit, j’oublie où je suis et ce que je vois : c’est la Chine qui est en train de se travestir. N’est-elle pas en train de perdre son âme en se lançant tête perdue dans une mondialisation qui n’a jamais été son histoire, ni sa culture ?
Comment elle qui a toujours vécu coupée du reste du monde, protégée par des successions d’enceintes - le mur de la Grande muraille, le mur de la Cité Interdite - va-t-elle résister au flux de tous ces étudiants qui, après avoir séjourné plusieurs années en Occident, reviennent dans leur mère patrie ? Flux continu qui fait monter la puissance de l’hybridation.
Beaucoup en Europe ont peur du métissage du monde, mais nous nous sommes construits de métissages successifs. Notre histoire est faite de mouvements, de mélanges et de fusions. La Chine non.
Alors oui, c'est la Chine, en cette nuit pékinoise, qui se prépare à se transformer et à renaître nouvelle et différente. Que deviendra-t-elle ? Impossible à prévoir… 

15 juil. 2015

S’ACCEPTER TEL QUE L’ON EST POUR POUVOIR LÂCHER-PRISE

Comprendre que l'on n'est pas "deux"
Diriger efficacement, c’est aussi ne pas penser qu’il y a d’un côté celui qui travaille, de l’autre celui qui a des émotions. Les deux sont indissociables, nous ne sommes pas multiples, nous ne sommes qu’un, et toute tentative de division est un déni de soi-même. Celui qui vibre devant un match de football, à la lecture de Marcel Proust ou devant un film de Woody Allen, est aussi celui qui a à choisir quel investissement faire, relire un business plan ou évaluer la performance de ses collaborateurs. Lors de nos formations, on nous a fait croire que le management serait du domaine du rationnel et de la science, alors que l’être privé relèverait lui d’une autre sphère. Cette frontière est fausse et artificielle.
Cette acceptation de soi-même dans toutes ses composantes, toute sa diversité et tous ses mystères est un préalable pour pouvoir lâcher-prise, et avoir confiance en soi et en les autres. C’est un défi, car nous ne pouvons pas nous empêcher de comprendre ou de vouloir le faire : la tension entre cette volonté et l’acceptation du dépassement est réelle et irréductible. On ne peut que vivre avec, chaque jour un peu mieux.
C’est une condition nécessaire pour accepter ses intuitions, et ne pas se réfugier derrière une mathématisation artificielle du monde : on ne peut pas trouver une mer à l’issue d’un cheminement logique, car partir du futur est d’abord affaire d’imagination. Certes, cette imagination se nourrit de faits et d’informations, et il ne s’agit pas de tirer sa mer à la loterie ou chez une cartomancienne. Mais ce n’est pas par un raisonnement rationnel et séquentiel que l’on passe de ces faits à la mer, c’est par un saut créatif. Sans rêve, pas de créativité.

10 juil. 2015

SUR LE DOS DU MONSTRE QUI DORT

Sur la muraille de Chine (2003)
L’air est glacial, environ une dizaine de degrés en dessous de zéro. Le vent vif vient en souligner les morsures. Le neige, tombée il y a quelques jours, recouvre le paysage et fournit un miroir aux rayons du soleil.
Tout autour de nous, un paysage de montagnes qui se chevauchent à l’infini. Pékin, qui n’est pourtant qu’à un peu plus de cent kilomètres, est bien loin. Aucun bruit, aucune pollution, quasiment personne.
Sur le sommet de la montagne, une énorme chenille dort, immensément immobile. Caméléon de l’histoire, elle a su, pour se dissimuler, s’habiller des tons des pierres sur lesquelles elle repose. Un regard rapide ne prêterait guère attention à ses aspérités. Elle est pourtant bien là, sentinelle qui veille depuis deux mille ans, sur la tranquillité de l’Empire céleste.

Doucement, nous montons sur son dos, en prenant garde à ne pas la réveiller. La glace recouvre ses aspérités qui se font marches. La progression est lente et difficile.

Au bout de quelques minutes, je me retourne. 
Au loin sur certaines montagnes, je la vois qui se poursuit, animal mythique et infini. Les autres, nues, boudent, en regardant jalousement leurs sœurs habillées de la ceinture impériale.
Chacun ici sait qu'il n'a rien à craindre de ce qui, depuis presque toujours, protège les siens.

8 juil. 2015

NE PAS CHERCHER À TOUT COMPRENDRE

Accepter le dépassement
A vouloir tout comprendre, on est amené à mathématiser ce qui ne peut pas l'être. Le management passe par l'acceptation du dépassement.

6 juil. 2015

LES DÉCIDEURS SONT MORTS, VIVE LES DIRIGEANTS

Pour un Dirigeant porteur de sens et de compréhension
Les décisions d'un Dirigeant sont certes importantes et nécessaires, mais face à la masse des décisions qui se prennent constamment au sein de l'entreprise et autour d'elle, elles ne sont que de peu de poids dans ce flot constant. Aussi la question clé n'est plus tant la décision que la capacité à faire émerger une direction à peu près stable de ces mouvements chaotiques : Diriger est donc de plus en plus manager par émergence.

3 juil. 2015

PERSPECTIVES CHINOISES

A Pékin
La cité interdite ne l’est plus guère de nos jours, et n'est qu'un parc d’attraction touristique. Continûment peuplée d’une foule de Chinois et Chinoises partis à la recherche d’un passé révolu, elle est vide de la cour qui l'habitait autrefois. Dommage…
Aussi, plutôt que de suivre un flux qui m’est doublement étranger, je me laisse perdre non plus dans ce lieu ceint et clos, mais le long des murs qui le définissent. Membranes figées et impénétrables, ils dessinent la cellule dans laquelle battait le cœur de l’empire.
Peints du rouge impérial, ils dressent des perspectives qui poussent le regard à l’infini. Presque aucun détail ne vient freiner cette fuite, juste quelques pics qui surgissent inutilement.
Alors la cité redevient interdite, et je rêve des bruissements anciens faits par les dizaines de milliers d’eunuques qui, en silence, se pressaient de toutes parts, et d'un empereur condamné à régner sur des terres immenses sans pouvoir quitter sa cellule de 9999 pièces…


Difficilement, je m’extrais de ma rêverie pour rejoindre les abords du parc Beihai.
Là sur le vaste trottoir qui le cerne, un groupe de vieillards devise. L’un assis sur une chaise joue d’un instrument qui m’est inconnu, et dont il tire des sons qui viennent d’un autre monde.
Un autre, avec l’aide d'un grand pinceau et d'un peu d'eau, dessine des idéogrammes. Son ballet est lent et méthodique. Religieusement, il écrit de l’éphémère, qui, grâce à l’absence de soleil, durera un peu plus longtemps : « Seul, celui qui ne cherche ni gloire ni richesse, peut avoir de grands idéaux ; seul, celui est en paix dans son cœur, peut penser et voir loin devant »

1 juil. 2015

QU’EST-CE QUE DIRIGER ?

Une affaire de sens et de courage
Diriger, ce n’est pas que fixer ce cap, c’est aussi être présent et exemplaire au quotidien. Ce n’est pas seulement dire et montrer, c’est aussi être capable de traduire ses pensées en actes et démontrer leur faisabilité. Le leadership n’est jamais acquis.
Diriger, ce n’est pas non plus avoir peur de décider, c’est avoir compris que ses propres décisions sont parfois nécessaires, mais sont toujours de peu de poids face à toutes les décisions qui se prennent sans cesse et de partout.
Diriger, c’est aussi, dans notre monde de medias, souvent être le porte-drapeau de son entreprise, non pas pour se mettre en avant, mais pour la mettre en avant : être fier du succès de ceux que l’on représente, et que l’on incarne.
Diriger c’est finalement souvent une affaire de courage. Mais pas le courage factice du violent ou de celui qui se croît supérieur. Non, le courage calme de celui qui s’engage : engagement face aux choix stratégiques qu’il a fait et qu’il n’a peur ni d’expliquer, ni de revendiquer, ni d’assumer ; engagement aux côtés de ceux qui, chaque matin, agissent ; engagement le cas échéant pour défendre l’entreprise et le collectif accumulé qu’elle représente.

29 juin 2015

COMMENT AGIR ENSEMBLE DANS L'INCERTITUDE

Les deux piliers de l'action dans l'incertitude
La confrontation permet d'ajuster les interprétations, la confiance permet une confrontation positive.



(Présentation de mon livre "Les mers de l'incertitude")

24 juin 2015

LA CONFRONTATION EST LA SŒUR DE LA CONFIANCE

Pouvoir s'ouvrir aux autres et au monde
À la confiance, il est nécessaire d’adjoindre sa sœur, la confrontation, c’est-à-dire la mise en commun et en débat des interprétations et des points de vue, internes comme externes.
Pourquoi ? Parce que tout est trop mouvant, trop complexe, trop multiforme pour être compris par un individu isolé ; parce que chacun d’entre nous est trop prisonnier de son expertise, de son passé, de l’endroit où il se trouve, pour avoir une vue complète et absolue ; parce que l’objectivité n’est pas de ce monde, que tout est contextuel, que seules les interprétations existent, et les faits restent cachés et obscurs ; parce que, sans confrontation avec le dehors, l’entreprise se sent, petit à petit, invulnérable, dérive, et se réveille, un jour, tel un dinosaure, déconnectée de son marché, de ses clients et de ses concurrents.
Qu’est-ce donc que la confrontation ? Elle est le chemin étroit entre nos deux tendances naturelles, qui sont le conflit et l’évitement. Mus par nos réflexes inconscients, ceux qui viennent des tréfonds de la jungle que nous avons quittée il n’y a pas si longtemps, nous voyons d’abord un point de vue différent, comme une menace et une remise en cause : si nous nous sentons suffisamment forts, nous chercherons le conflit, pensant le gagner ; si c’est le sentiment d’infériorité qui domine, comme une gazelle face à un lion, nous fuirons.
La confrontation est une troisième voie : elle est ouverture aux autres, mise en débat de ses convictions et ses interprétations, recherche des hypothèses implicites, souvent inconscientes, qui ont conduit chacun, à sa vision du monde, et à recommander telle solution, plutôt que telle autre. Le but de la confrontation est d’ajuster les interprétations, de construire une conviction collective, de prendre ensemble une décision, et de définir les modalités d’actions.
Finalement, c’est l’absence de confrontation qui est un signal d’alerte, car, pour tout projet complexe, il n’est pas normal que tout le monde soit spontanément d’accord. Cela signifie soit que l’analyse a été trop superficielle, soit que certaines parties prenantes ont évité la discussion. Quand un projet avance trop vite, quand aucun arbitrage n’est nécessaire, c’est qu’une partie du champ de contraintes n’a pas été pris en compte. On constate alors a posteriori les dégâts : l’objectif n’est pas atteint, ou les délais ne sont pas respectés, ou les coûts ont dérapé… ou les trois.