15 avr. 2016

DOUBLE INCENDIE

Fin

Bientôt la nuit sera totale, 
Mais le soleil n’a pas encore tout à fait fini de disparaître.
Depuis longtemps le feu déchire le bois, 
Mais l'entremêlement de branches n’est pas encore qu’un souvenir.
Bientôt, seule la lueur rouge des braises éclairera les lieux, 
Car celle des cieux se sera éteinte.
Ensuite, elle aussi disparaîtra, 
Et je n’aurai alors plus qu’à me retirer silencieusement.
Car celle des cieux se sera éteinte.
Alors la nuit et le vide règneront... jusqu'à demain
(montage de deux photos prises en Drôme provençale en février 2012)

13 avr. 2016

LA BATAILLE CONTRE LA MORT : UN COMBAT ENCORE LARGEMENT INÉGAL

The Great escape – patchwork (2)
Frappant de voir combien l’espérance de vie moyenne a stagné autour de 40 ans – à part quelques chutes lors des épidémies –, jusqu’à la fin du 19ème siècle… sauf pour les ducs : pour eux, la grande évasion du pays de la mort a commencé dès le milieu du 18ème siècle, soit 150 ans plus tôt. Cette observation faite en Angleterre est valable pour toute l’Europe.
Depuis, c’est l’envolée régulière grâce à la quasi disparition de la mortalité infantile et au traitement des grandes maladies : de plus en plus on n’y meurt essentiellement plus que de vieillesse… ou d’accident. L’inégalité face à la mort a donc largement disparu dans nos pays.
Changement majeur s’il en est : « Pourquoi l’espérance de vie a-t-elle doublé de 40 à 80 ans en 150 ans ? Vu la longue histoire de milliers d’années de stabilité et même de décroissance, c’est sûrement un des changements le plus spectaculaire, rapide et positif de l’histoire de l’humanité. Non seulement presque tous les nouveaux nés deviennent des adultes, mais chaque jeune adulte à plus de temps pour développer ses compétences, ses passions, sa vie, un gigantesque accroissement des capacités et du potentiel pour le bien-être. »
Qu’en est-il maintenant des autres pays ? Partout on constate une progression de l’espérance de vie, mais avec un retard qui reste important, même s’il tend lentement à se réduire : on vit aujourd’hui encore environ 25 ans de moins en Afrique sub-saharienne et une quinzaine années de moins en Asie.
Un seul cas réellement spectaculaire dans cette analyse, celui de la Chine qui a réussi dans les années 60 à mettre fin à la famine et a ainsi considérablement réduire son handicap.
Le tableau d’aujourd’hui est malheureusement clair :
- Dans les pays les plus riches, plus de 80 % des morts ont plus de 60 ans et moins de 1% moins de 4 ans, versus respectivement 27 et 35% dans les plus pauvres,
- Le cancer et les maladies cardiovasculaires représentent près de deux tiers des décès dans les pays les plus riches, versus 20%,
- Les maladies comme les infections respiratoires, les diarrhées, le Sida ou la tuberculose ont été quasiment complètement éradiquées dans les pays riches…
Un constat donc sans appel qui montre qu’il y a bien une corrélation entre le niveau de vie et l’espérance de vie.

(à suivre)

11 avr. 2016

QUALITÉ DE VIE, ESPÉRANCE DE VIE ET POUVOIR D’ACHAT

The Great escape – patchwork (1)
Tirant son titre du célèbre film, le livre d’Angus Deaton, prix Nobel d’économie 2015, est le récit de la vraie « Grande évasion », celle de l’humanité face à la privation et à la mort. Où en sommes-nous et quelles sont les inégalités en matière de bien-être et santé ? Comment comparer les situations entre les pays ? Quelles sont les politiques qui ont été menées et ont-elles été efficaces ?
Ceci n’est pas un résumé de ce livre, mais un patchwork personnel, construit autour de ce qui m’a le plus frappé.
Forte corrélation d’abord entre qualité de vie (1), espérance de vie et pouvoir d’achat : dans les deux cas, on observe un lien direct avec le niveau de revenu par habitant d’un pays ("GDP per capita"), et une corrélation quasiment linéaire (2). Une démonstration de l’exactitude du proverbe qui affirme que « si l’argent ne fait pas le bonheur, elle y contribue » ! 
Quelques pays surperforment en matière de qualité de vie comme le Danemark, à l’inverse d’autres comme le Japon ou la Bulgarie. Notons aussi le décrochage de la durée de vie au Nigéria, Angola et Afrique du Sud où les ravages du sida se font sentir…
Pourquoi un telle proximité entre espérance de vie et qualité de vie : l’hypothèse est que bien vivre dans un pays, c’est d’abord pouvoir y vivre longtemps. Première inégalité majeure donc : selon le pays où l’on naît, on vivra plus ou moins longtemps.
Changeons maintenant la question et au lieu de demander une appréciation sur la qualité de vie, posons une question plus personnelle sur les émotions positives ou négatives éprouvées la veille. Cette fois, la dispersion est beaucoup plus forte et la corrélation avec le niveau de revenu moins nette. Les Danois ou les Italiens se déclarent cette fois nettement moins heureux, alors que des pays comme le Bangladesh ou le Népal le deviennent. Où l’on voit donc que la contribution de l’argent au bonheur n’est pas si nette !
Faisons enfin attention à ne pas tirer des conclusions trop hâtives de toutes ces comparaisons et ces jugements apparemment objectifs : tout repose sur la capacité à comparer les niveaux de revenus entre pays. Or comment savoir quelle est la valeur d’un dollar entre des pays aussi dissemblables ? 
Déjà que ce n’est pas si facile à faire entre des pays apparemment proches comme l’Europe et les États-Unis, comment le faire avec l’Afrique, l’Amérique du Sud ou l’Asie ? 
Premier exemple : « Un des produits de base pour un Britannique est la pâte à tartiner Marmite. Chez eux, c’est bon marché et tout le monde l’achète. Aux États-Unis, Marmite est disponible, mais cher (…) Si nous comparons les prix entre les deux pays à partir de Marmite, nous allons conclure que les USA sont un pays très cher. Si nous regardons maintenant les prix relatifs de biens très courants aux USA – comme par exemple les crackers Graham ou le bourbon qui sont rares et chers en Grande Bretagne –, alors ce sera la Grande Bretagne qui deviendra un pays cher. ».
Autre exemple : « Compte-tenu de l’incertitude de 25 % sur la parité en pouvoir d’achat ("PPP"), nous pouvons dire seulement que le pouvoir d’achat d’un Chinois converti en dollars se situe en 2011 entre 13 et 22 % de celui d’un Américain. La puissance économique totale de la Chine se situe elle quelque part entre 56 et 94 % de celle des États-Unis. ».
Difficile de s’y retrouver : attention à un excès de mathématiques, et surtout à tous les raisonnements basés sur des décimales !
(à suivre)
(1) Évaluée à partir d’une question posée aux habitants : quelle est leur qualité de vie ressentie sur une échelle de 1 à 10 (de la pire à la meilleure vie)
(2) En échelle logarithmique, c’est-à-dire qu’à chaque graduation, la valeur est doublée, ou, formulé autrement, cela signifie que plus le revenu augmente, plus la variation doit être importante pour obtenir le même effet.

8 avr. 2016

RAPPROCHEMENT INSOLITE

Sans raison
L’un peut voler, l’autre pas.
L’un n’a qu’un spectateur, l’autre une myriade de jeunes lycéennes.
L’un est posé sur le sol, l’autre surplombe le paysage.
L’un est sur un ilot au sud des Philippines, l’autre est l’emblème de la fière Singapour.
Ni l’un, ni l’autre ne connaît son frère opposé et improvisé.
(photos prises aux Philippines et Singapour en août 2013)

6 avr. 2016

LA NÉCESSITÉ DE PENSER ET AGIR GLOBALEMENT

Interview par Jean-Michel Lobry - WEO TV (6)
Pour réussir le changement, il faut penser et agir globalement, l'inverse des Horaces et des Curiaces

4 avr. 2016

LES DÉPENSES PUBLIQUES INUTILES

Interview par Jean-Michel Lobry - WEO TV (5)
Quelques exemples de dépenses publiques inutiles

1 avr. 2016

DISJOINTS

Moments volés
Nous ne voyons que lui, un peu de corde et beaucoup de bleu,
Son regard est au loin, ailleurs, tourné vers ce qui nous échappe.
Nous ne savons rien de ce qui le préoccupe, il ne sait rien de nous qui le regardons,
Incompréhensions, parallèles, disjonctions temporelles et spatiales.
Nous sommes les voyeurs de lui qui agit,
Lui est l’acteur d’un théâtre involontaire.
Logique de ces moments volés à coup de pixels numériques,
Logique de ces mondes qui ne font que se frôler.
(montage de photos prises en Inde, à Varkala en janvier 2014)

30 mars 2016

DÉPENSER DES MILLIARDS D'EUROS EN ŒUVRES D'ART INUTILES AU MILIEU DES RONDS-POINTS

Interview par Jean-Michel Lobry - WEO TV (4)
A quoi bon dépenser de l’argent public pour construire des « œuvres d’art » inaccessibles autour desquelles tournent des voitures ?

25 mars 2016

TOUT POUR NE PAS ÊTRE CHÔMEUR !

Le chômage à Pâques vu par Reiser dans Charlie Hebdo
Presque 40 ans plus tard jour pour jour, l'humour dévastateur et irrévérencieux de Reiser dans Charlie Hebdo est encore la meilleure réponse à la dernière progression du chômage ! 
Aussi, en cette veille de week-end pascal, je ne résiste pas à l’envie de publier cette une de 1977.
L’occasion d’abord de rappeler à tous ceux qui l’ont oublié que Charlie Hebdo s’est essentiellement moqué de la religion catholique, normal puisque c’est elle qui domine largement dans notre pays. 
Un regard irrévérencieux qui m’amuse, car j’aime à imaginer un Jésus suffisamment devenu homme pour avoir le libre arbitre de choisir de ne pas ressusciter.
Un dessin aussi qui est malheureusement encore plus d’actualité en 2016 : si Jésus hésitait à ressusciter en 1977 alors que le taux de chômage était inférieur à 5% à ce moment-là, pour sûr, il refuserait aujourd’hui !
Comme je ne crois pas que la solution viendra du ciel, ce quelle que soit la foi que l’on peut avoir, il serait temps d’agir, non ? 
Car aucun de nous n’est suffisamment divin pour refuser de ressusciter et rejoindre le ciel. 
Car nous, nous sommes condamnés à vivre ici et maintenant !

23 mars 2016

UNE TRANSFORMATION QUI PRENDRA AU MOINS 10 ANS

Interview par Jean-Michel Lobry - WEO TV (3)
C'est parce que la transformation prendra plus de 10 ans qu'il faut l'enclencher dès 2017

21 mars 2016

LE DÉFI 2016 : COUPLER LES MOUVEMENTS CITOYENS ET QUELQUES POLITIQUES

Interview par Jean-Michel Lobry - WEO TV (2)
Arriver à fédérer les mouvements citoyens en 2016 et les rapprocher des politiques pour effectivement enclencher une refondation en 2017

18 mars 2016

MIROIR

A la recherche d’un moi perdu
Mon corps est là assis, sur une chaise, face au Mékong,
Mes pensées sont les mots dans lesquels mes yeux plongent.
Attraction hypnotique du mouvement lent et massif de l’eau,
Chute infinie dans le zoom sans fond des descriptions proustiennes.
Le vert s’efface, le présent se gomme, le passé me revient.
Je suis envahi par mes souvenirs, par mes moi enfouis.
Le lieu n’a plus d’autre importance que de permettre ma survie,
Le compost sépia de mon histoire se recompose.
De ce télescopage involontaire, de cette collision,
De cette rêverie apparemment exotique, mais ô combien banale,
De ce moment hors sol, de cet arrêt sur image,
Je renaîtrai tout à l'heure... peut-être.

Il est 15h, le 6 août 2007, et je suis en train de lire A la recherche du temps perdu, en lieu lui aussi perdu en Thaïlande du Nord, quelque part entre Chiang Saen et Chiang Kong.

16 mars 2016

14 mars 2016

LES NOUVELLES ORGANISATIONS

L’entreprise vivante – Frédéric Laloux (3)
C. LES NOUVELLES ORGANISATIONS
6. L’ENTREPRISE RESPONSABLE
Le dogme de la mathématisation et de la croissance sans fin arrive à sa limite. N’y a-t-il pas d’autres dimensions importantes comme la communauté, l’harmonie, la coopération ?
Naît alors progressivement un nouveau monde, le monde du pluriel, du complexe et du 3.0. Les relations n’y sont plus seulement verticales et top-down, mais horizontales et bottom-up. Les dirigeants y deviennent des leaders au service de leur organisation.
Une triple nouvelle rupture se produit :
- Le pouvoir est de plus en plus transféré à ceux qui font face aux problèmes : l’empowerment se déploie,
- La culture devient la glu de l’organisation et les objectifs permettent à chacun de vouloir se dépasser,
- La création de valeur n’est plus seulement pour l’actionnaire, mais aussi pour les salariés, les partenaires, et plus largement toute la société. 
L’entreprise devient socialement responsable, et alors que précédemment la métaphore de l’organisation était celle de la machine, elle devient celle de la famille.
7. L’ORGANISATION VIVANTE
Sous la double pression des exigences croissantes d’autonomie des individus et des interrelations de plus en plus fines entre tous les acteurs, est en train de naître un nouveau mode : l’organisation comme un être vivant, capable de choisir son but et de s’auto-organiser.
Cette reconnaissance de l’organisation comme vivante va de pair avec celle de l’individu : ensemble et séparément l’un et l’autre ont des hauts et des bas, visent à faire bien ici et maintenant, s’appuient sur leur vraie nature. L’individu ne sépare plus vie personnelle et professionnelle, et l’entreprise ne se pense plus indépendamment de son écosystème et de ses concurrents.
Dans ce nouveau mode de fonctionnement, diriger n’est plus décider, et devient comprendre et faciliter. Ceci conduit à :
L’auto-management : chacun étant un adulte il n’y a aucune raison de ne pas lui faire confiance, et continuer à le traiter comme un enfant qu’il faut constamment surveiller et à qui l’on doit dire quoi faire et comment. Dès lors plus besoin d’encadrement, plus de distinction entre cols bleus et cols blancs, plus d’exécutants entourés de chefs et sous-chefs.
Le tout : L’organisation repose sur des unités de base, très autonomes, et dotées de tout ce qu’il faut pour fonctionner. Les rôles et les fonctions n’y sont pas définis a priori, et émergent dynamiquement des situations, des évolutions et des savoir-faire individuels. C’est la fin de l’empowerment, car, dans un système auto-organisé, il est inutile de se battre pour avoir du pouvoir, puisqu’on l’a.
La finalité en mouvement : Classiquement la stratégie est pensée a priori et on reconfigure l’entreprise en fonction de l’objectif à atteindre : l’organisation est un moyen au service de la stratégie. Là, l’approche est radicalement différente : il s’agit de comprendre la stratégie qui est celle de l’organisation. Toute organisation a un but naturel qu’elle poursuit : « La vie veut naître. La vie ne peut pas être arrêtée. Chaque fois que l’on essaie de la contenir, ou d’interférer avec son besoin fondamental d’émerger, on se crée des problèmes. S’associer avec la vie, travailler en cohérence avec son mouvement, suppose de prendre sérieusement en compte la direction de la vie. »
*
*              *
Deux remarques en guise de conclusion.
La première est issue du livre et rappelle que, même si tous ces modes d’organisation sont nés successivement, aucun n’a réellement supplanté les précédents, mais tous cohabitent entre eux : notre monde est un millefeuille organisationnel, chaque niveau apportant sa spécificité propre : 
- La loi des gangs est présente dans nos sociétés,
- La bureaucratie est omniprésente dans l’administration publique, et les castes n’ont pas disparues,
- La loi quantitative du profit, du marché et du marketing règne largement au sein des grandes entreprises,
- La responsabilité progresse et les associations non marchandes fleurissent,
- L’organisation vivante naît ici et là
L’efficacité globale est liée à cette juxtaposition, à condition que chaque mode soit centré sur ce qu’il fait le mieux.
La deuxième est une interrogation personnelle : comment transformer nos organisations politiques pour y injecter de la vie ? Peut-on demain diriger une ville, une région, un pays en s’inspirant de l’organisation vivante ?
Je crois que tel est le défi collectif de ce XXIème siècle !

11 mars 2016

TOURNER POUR TROUVER UNE ISSUE

Dans ma tête un rond-point
Un arrêt sur image au cœur d’un abattoir à Alger, une caméra paresseuse qui se pose face à des regards, des gestes et des paroles.
Face à nous, presque nés là et peut-être destinés à y mourir, des hommes y vivent, dorment, travaillent, rêvent. 
Face à nous, nés ailleurs et certainement destinés à y mourir, des bœufs s’y débattent, sont pendus, se résignent, saignent.
La foule n’est jamais présente, elle est avant ou après, nous ne sommes que dans l’entre-deux, quand les paroles se délient, quand les corps se reposent, quand les esprits vagabondent.
Chacun dans sa tête, eux comme nous, tourne autour d’un rond-point sans savoir quelle route prendre, il y en a tant…
Si vous cherchez de l’action ou une histoire, si vous avez envie d’échapper à vous-mêmes, si c’est un divertissement qu’il vous faut, n’allez surtout pas tourner avec eux dans leurs têtes.
Si une rêverie vous tente, si prendre pour un temps les chemins de traverses du vide vous attire, si la beauté d’images et de quelques mots vous stimule, si plonger dans le miroir d’un moment suspendu vous enchante, alors venez vous perdre dans leurs têtes, et avec un peu de chance, vous y trouverez la vôtre.

9 mars 2016

LES ORGANISATIONS CLASSIQUES

L’entreprise vivante – Frédéric Laloux (2)
B. LES ORGANISATIONS ÉTABLIES
3. LES GANGS
Il y a environ 10 000 ans, naît l’individu – c’est-à-dire la perception de soi en tant qu’une partie distincte du tout, qui peut souffrir et mourir. –  et son pendant, l’autre, rival et ennemi potentiel. Les rapports entre humains ne sont que des rapports de force, et seules les récompenses et les punitions sont comprises.
Comme l’individu est né, le division du travail devient possible : apparaissent les chefs, les soldats, les esclaves. Les tribus peuvent s’organiser et se structurer en royaumes et empires qui fédèrent plus dizaines de milliers de personnes. L’organisation est née.
C’est la relation interpersonnelle qui la cimente, et son chef en est un loup dominant. Le point fort de ces organisations : leur capacité à faire face à des milieux hostiles. Leurs points faibles : leur incapacité à élaborer des stratégies, à se développer dans des univers complexes. Dès que l’on est loin du chef, comme il n’existe plus, l’organisation non plus.
Dans ce système, tout n’est vécu qu’au présent. Pas de passé, pas de futur : je mange ce que je trouve, je combats celui que je rencontre, je suis soumis à celui qui est plus fort que moi. Tout est immédiat. C’est le temps de l’impulsion.
4. LES CASTES OU LA LOI BUREAUCRATIQUE
Deux capacités nouvelles vont tout changer :
Se projeter dans le futur : chacun commence à intégrer les conséquences de ses actes. C’est le début de l’agriculture et des semences : jeter des graines dans le sol, parce que l’on sait que, dans quelques mois, on en récoltera davantage.
Penser à travers le regard de l’autre : comprendre que l’on est non seulement différent des autres, mais que les autres voient le monde différemment de soi. Du coup, des règles morales deviennent possibles, car en comprenant qu’un point de vue n’est pas unique, l’on peut accepter de les respecter.
Émergent ainsi des règles stables qui induisent trois changements : la relation interindividuelle n’est plus régie par le rapport de force direct et immédiat, mais des lois et des règlements ; l’autorité vient de la position que l’on occupe ; on fait ceci plutôt que cela, par application d’une réglementation.
Ceci permet la formalisation des structures, le partage des tâches, et l’élaboration d’organigrammes hiérarchiques de plus en plus sophistiqués. Il devient possible de planifier à moyen et long terme, et créer des structures stables et de grande taille. C’est le temps des pyramides, de la grande muraille de Chine ou des cathédrales.
Ceci se fait au préjudice de la liberté individuelle, puisque chacun est contraint par les murs de la boîte dans laquelle il se trouve. Mais par rapport aux temps de gangs, c’est un progrès : celui qui respecte les règles n’a rien à craindre. L’humanité quitte la loi de la jungle. 
Simplement cette protection ne s’exerce qu’au sein de l’organisation à laquelle j’appartiens, le dehors est le dehors. Pas de sentiment, ni d’appartenance collectifs.
5. LA LOI  DU MARCHÉ
Et si je faisais ceci plutôt que cela qu’adviendrait-il ? Si jamais je ne respectais plus les règles immuables depuis toujours, est-ce que j’aboutirais à une meilleure solution ? Voilà ce qui conduit à une nouvelle mue : l’individu a le droit de remettre en cause les normes… à condition bien sûr de montrer qu’il aboutit ainsi à un meilleur système. 
Se poser des questions, c’est risquer d’ébranler le bel édifice des pyramides sociales, mais c’est aussi ouvrir la porte au progrès et à l’innovation. 
C’est aussi un monde matérialiste qui ne connaît que ce qui est vu ou touché : ce qui est sérieux est mathématisable, le reste n’est que baliverne, scorie du passé. C’est le temps du marché.
Arrivent en reine les grandes entreprises mondiales qui apportent une triple rupture : innovation parce que poser des questions et remettre en cause sont possibles ; responsabilité parce que des objectifs sont fixés avec des récompenses à la clé ; méritocratie parce que l’on n’est plus bloqué par la caste à laquelle on appartient. 
(à suivre)

7 mars 2016

AVANT L’ORGANISATION

L’entreprise vivante – Frédéric Laloux (1)
Frédéric Laloux, dans Reinventing organizations, apporte un rare neuf sur les modes de management, et une mise en perspective historique. J’avais, fin 2014 dès sa sortie en anglais, consacré une longue série de billets sur ce blog.
Il est maintenant paru en français et j’en profite pour une nouvelle parution synthétique de ce que j’en retire. Le voici en billets successifs. Je conseille évidemment fortement la lecture de ce livre pour en savoir davantage.
Il y identifie sept paradigmes successifs, le dernier étant celui qui est en émergence aujourd’hui. A chacun correspond un type d’organisation.
A. LES PROTO-ORGANISATIONS
1. LA RÉACTION
A l’aube de l’humanité, le « je » n’est pas encore né : l’homme fait corps avec son environnement, et ne se sent pas vraiment distinct de ce ce qui l’entoure, les siens y compris.
L’humanité est clairsemée et vit en petits groupes d’une douzaine de personnes. Comme aucune individualité n’existe, il ne peut être question de partage du travail, et la notion d’organisation n’existe pas vraiment. La seule distinction est le sexe, et l’allaitement qui va avec. Pas de chef, pas d’ancien, juste une bande.
En psychologie, cette étape correspond au stade initial du nouveau-né qui ne se perçoit pas distinct ni de sa mère, ni de son environnement. A ce stade, l’action n’est ni pensée, ni voulue, mais provoquée par l’environnement : c’est le temps de la réaction.
2. LA MAGIE
Il y a environ 15 000 ans, l’homme a commencé à se percevoir distinct de son environnement et de ses congénères.
A cette étape, on ne peut pas encore parler d’organisation. La seule différentiation possible est celle des aînés qui ont un statut spécial et ont plus d’autorité. Les bandes se sont agrandies, et sont devenues des tribus de quelques centaines d’individus.
Chez l’enfant, ce sont les deux premières années où la différentiation commence : « Quand je mords mon doigt, ce n’est pas pareil que quand je mords la couverture » et « Je ne suis pas ma mère, même si, en sa présence, je me sens magiquement en sécurité. »
Les causes et les effets sont confondus, et l’univers est plein d’esprits : « Les nuages bougent pour me suivre ; le mauvais temps, c’est une punition des esprits pour mes mauvaises actions ». C’est le temps de la magie.
(à suivre)

4 mars 2016

LES GARDIENS DES TOURS

Une veille inutile












Leurs regards interpellent les passants,
Leurs tailles dissuadent toute agression.
Avec eux, les tours n’ont rien à craindre.
Qui irait prendre le risque de les affronter ?
Mais la faille est dans leur dos,
Mais le pire va advenir.
Trop confiants, ils ne regardent que devant,
Trop arrogants, ils n’imaginent rien.
Or le sol se dérobe,
Or plus rien ne sera comme avant.
Déjà une tour penche, 
Bientôt elle tombera.
Leur force n’y pourra rien,
Leur fierté les empêchera.
Demain, ils seront balayés,
Demain, il n’y aura plus rien.
(montage de photos prises dans le parc Rizal à Manille en août 2013)

2 mars 2016

POUR UNE FRANCE, FER DE LANCE DE L’UBÉRISATION MONDIALE !

La France a tout pour être un champion mondial à condition que chacun de nous se réveille et que tous les « faizeux » soient libérés et soutenus 
Prise dans la puissance du tsunami numérique qui arrive, la France est-elle condamnée à être « ubérisée », c’est-à-dire à voler en éclats ? 
A entendre les chantres du déclinisme ou les nostalgiques d’un village gaulois perdu, la réponse serait oui. Je crois à l’inverse que la France est en capacité d’être une championne au temps de la connexion globale, et ce pour des raisons à la fois physiques, économiques et culturelles. 
D’abord elle est exceptionnellement bien située : elle est la proue occidentale de l’Europe, à la jonction entre les pays du Nord et du Sud. Avec l’importance de ses façades maritimes, elle a tout pour être un grand hub mondial. 
Elle dispose aussi de territoires disponibles et d’un climat tempéré. Nous ne connaissons ni les tempêtes de neige, ni les déluges de la mousson. Il suffit de voyager pour voir combien la France est favorisée par son climat. Et les dérèglements en cours ne devraient que renforcer cet avantage. 
Autre atout important : la relative jeunesse de sa population et le maintien d’une démographie positive. À condition bien sûr de ne pas laisser cette jeunesse sans qualification et de lui donner la parole : les anciens sont rarement les mieux placés pour comprendre les ruptures et en tirer parti. 
Passons à l’économie : la France est-elle pauvre et déconnectée des flux mondiaux ? Non pas du tout. Nous avons un capital accumulé très important et disposons de très grandes entreprises. La présence de quartiers généraux et de centres de recherche mondiaux en témoigne. Une alerte rouge : notre déficit en entreprises moyennes et notre difficulté à renouveler notre tissu industriel. 
Un point très positif : le poids de la France dans le domaine des start-ups technologiques. Le succès de la « FrenchTech » lors des shows récents à New York et San Francisco en témoigne. Facebook vient d’ailleurs de choisir Paris comme centre mondial sur l’intelligence artificielle. 
Dernier pied du triptyque : la dimension culturelle. La France s’est construite comme une terre d’échanges, d’accueil et de brassage. Pourquoi donc se mettre à avoir peur aujourd’hui de la globalisation du monde ?
Autre force : notre talent dans les mathématiques. Avec quatorze médailles Fields, la France est n°1 mondial de la discipline à égalité avec les États-Unis, largement devant la Russie (9 médailles) et la Grande-Bretagne (6). Au moment où les technologies de l’information sont de plus en plus critiques, c’est un avantage clé. En liaison avec les mathématiques, nous sommes aussi un des acteurs majeurs dans le domaine des neurosciences. Une autre brique majeure du monde de demain. 
Enfin, n’oublions pas la puissance de notre patrimoine : notre territoire est peuplé de monuments que le monde nous envie, et notre pays a contribué significativement dans tous les arts, alliant littérature, philosophie, peinture, sculpture ou musique. 
Donc oui, la France a tout pour être un champion : elle peut devenir un des concentrateurs des échanges mondiaux en étant un des hubs situés en Europe.
Mais être en situation de l’être n’est pas une assurance, juste une capacité.
Pour réussir, nous devons comprendre que la France n’est pas une abstraction, mais une construction collective : à chacun de nous de se lever pour agir et changer ce qui doit l’être. Soyons une nation de « faizeux » pour reprendre le terme cher à Alexandre Jardin !
Cessons de pleurer à cause de la mondialisation et de regarder le futur avec un rétroviseur. Remettons en cause nos mauvaises habitudes et les chaînes qui entravent nos mouvements. Comprenons que la France sera forte de ce qu’inventeront non pas seulement ceux qui depuis longtemps l’habitent, mais tous qui l’ont rejointe récemment et la rejoindront demain. 
Sinon, nous nous réveillerons avec le même déclin qu’a connu l’Inde quand elle a manqué la révolution industrielle du dix-neuvième siècle. Faisons attention que nos schémas de pensée ne soient pas nos castes mentales. La France n’est pas menacée par un péril extérieur, mais d’abord par son mal-être actuel : la dépression qui l’habite chaque jour davantage, nourrit nos peurs et nos regrets, et se nourrit d’eux. 
Il est encore temps, mais c’est maintenant urgent. La France a tout pour réussir dans un monde tissé de connexions globales, mais malheureusement nous sommes un champion qui s’est endormi : nous sommes comme ses personnes âgées qui, percluses de rhumatismes, incapables de bouger, raides dans leurs certitudes, expliquent à leurs enfants et petits-enfants ce qu’il faudrait faire. 
Levons-nous, quittons le fauteuil dans lequel nous sommes lovés, et partons faire de l’exercice ! Refondons nos institutions politiques et sociales pour libérer les énergies et faire de la France un des cœurs du réseau européen, et donc mondial. 
Alors, loin d’être ubérisée, la France sera un des fers de lance de l’ubérisation du monde !

29 févr. 2016

2017, LE RÉVEIL CITOYEN POUR ENFIN LIBÉRER TOUS LES FAIZEUX

Si la France n’amorce pas rapidement une transformation profonde, elle sera emportée par les tsunamis en cours : « ubérisée » par les ruptures qui se propagent, comme le chêne de la fable, elle cassera.
Ah, si le monde fonctionnait selon les principes d’une recette de cuisine, comme tout serait simple ! Un monde bien prévisible, où il suffirait de choisir les bons ingrédients et de suivre les indications fournies pour obtenir à chaque fois le même plat, celui qui correspond à la photographie dans le livre. 
Quand j’écoute les hommes politiques, je vois que c’est à cela qu’ils rêvent tous : une pincée de TVA en plus ou en moins, le mélange savamment dosé de trois taxes précédemment autonomes, la nième refonte de l’apprentissage de la lecture... et le miracle devrait surgir ! Comme dans un tour de magie, les lapins de la croissance et de la chute du chômage vont surgir du chapeau du Maître Queux. 
Car, caractéristique bien française, chacun de nos politiques se sent l’âme d’un grand chef : non seulement, ils s’imaginent capables de maîtriser l’incertitude, mais ils se voient en un Paul Bocuse de la politique, un sauveur, un homme ou une femme miracle. Même Marine Le Pen prend des élans gaulliens, quand elle ne s’incarne pas en une Jeanne d’Arc mâtinée d’une Astérix en jupons partie à la reconquête du monde. Tous des sauveurs quoi ! 
Mais comment croire que, dans notre monde hypercomplexe, la solution pourrait venir d’en haut, fût-il le plus compétent ? La France s’est certes construite grâce à la centralisation et une conception jacobine du pouvoir, mais ne serait-il pas temps de comprendre qu’il faut changer de paradigme ? N’est-il pas temps de redonner la parole à nos territoires et de bâtir notre avenir collectif sur un logique ascendante ? 
Car nous vivons dans un monde tissé de connexions fines et multiples, où l’incertitude est irréductible, où les limites se fondent et s’effacent, où la proximité n’est plus tant spatiale que sémantique et intellectuelle : mon proche n’est plus seulement mon voisin physique mais souvent celui avec qui je vibre à distance. Drôle de toile dans laquelle les gestes et les mouvements des politiques s’emmêlent, comme des insectes pris au piège d’un monde qui les dépasse. 
Autre caractéristique de nos Maîtres Queux politiques, ils ne s’intéressent pas au comment et détestent dire à l’avance ce qu’ils vont faire. Pour eux, l’ordre est clair : d’abord l’élection, ensuite l’action. « Construisons un programme pour être élu, pour le reste on verra après », se murmurent- ils au quotidien. Comme si l’intendance suivait toujours... 
Imaginez un candidat à la reprise d’une entreprise qui serait incapable de présenter un quelconque plan d’action : « Faites-moi confiance : en trois ans, je doublerai le chiffre d’affaires, diviserai par deux les coûts tout en relançant l’emploi et l’innovation, et atteindrai une marge opérationnelle de plus de 40 %. Comment, me demandez-vous ? On verra bien ! » Voilà nos hommes politiques : ils nous demandent un chèque en blanc. 
Pour justifier leur attitude, ils s’abritent derrière une affirmation : « La seule façon d’être élu est de dire aux électeurs ce qu’ils sont prêts à entendre, et non pas ce qu’il faut faire. ». Seulement, ceux-ci sont de moins en moins dupes et de plus en plus désengagés vis-à-vis des politiques. 
À contre-courant, voilà un objectif pour moi essentiel : s’intéresser non pas à comment être élu, mais à ce qu’il conviendrait de faire si jamais on l’était. Avec l’idée absurde que c’est ainsi qu’il faut raisonner, et que c’est peut-être aussi la meilleure façon d’être élu ! 
Et ne nous trompons pas, il y a urgence : la révolution numérique déferle, et, pour reprendre une expression devenue à la mode, « l’ubérisation » est à nos portes. Si la France n’amorce pas rapidement une transformation profonde, si elle reste lestée d’une dette qui ne fait que s’accroître, si elle continue à dépenser inefficacement l’argent public, si elle conserve des organisations rigides et pyramidales, elle sera emportée par le tsunami qui s’annonce. N’attendons pas comme le chêne de la célèbre fable de La Fontaine de nous retrouver déracinés par l’orage qui arrive.
Retrouvons de la souplesse pour profiter de la force du vent et de notre position exceptionnelle. Réveillons-nous quand il en est encore temps : nous avons tout pour réussir, car, pour reprendre l’expression de Denis Payre, « La France est un champion qui s’ignore ». Mais être champion dans un monde en compétition ne se fait ni sans effort, ni en regardant le futur dans un rétroviseur. 
Ayons le courage de nous remettre en cause et de repenser notre projet collectif, le courage de sortir du tas de spaghettis entremêlés de nos organisations collectives, le courage de comprendre que rien ne nous est dû, le courage enfin d’abandonner notre tendance à l’autosatisfaction. 
La France est en situation pour être un des carrefours européens, et donc mondiaux, mais les peurs s’y développent et elle se recroqueville, rêvant d’un retour au village gaulois d’Astérix. Or ce ne serait pas un rêve mais un cauchemar : à vouloir trop se protéger, la France s’exclura. Comprenons que la vie est dans l’échange, et la mort le rendez-vous certain de la fermeture.
Les évènements tragiques de 2015 montrent la nécessité d’accroître notre capacité à agir et de stopper la désintégration en cours : 
- Refuser de laisser le chômage gangréner notre société et l’éducation ne plus être le ciment du vivre ensemble, 
- Refondez nos institutions pour ne plus laisser les coûts déraper, et notre souveraineté et notre marge de manœuvre être entamées,
- Converger vers nos voisins européens pour construire avec eux des politiques communes car nous ne pourrons pas faire face seuls aux enjeux et risques mondiaux,
- Associer la jeunesse et les citoyens pour cesser d’avoir des politiques coupés de la société réelle et incapables de changer ce qui devrait l’être.
Il est plus que temps d’agir. 
Mon nouveau livre, "2017 : Le réveil citoyen", est tout à la fois un invitation à cette prise de conscience, une amorce de diagnostic et une proposition de chemin pour agir. 
Alexandre Jardin avec son mouvement Bleu Blanc Zèbre en appelle à voir se multiplier les faizeux. Avec "2017 : Le réveil citoyen", j’en appelle à une transformation réelle et profonde de nos institutions collectives pour libérer tous les faizeux, et multiplier la puissance et l’efficacité de chacun d’eux.
Chiche ?