10 janv. 2009

NOTRE RECHERCHE DE L’UNIFORME : VIVE L’HEURE DE POINTE !

Dans son dernier livre, « De l’universel, de l’uniforme, du commun et du dialogue des cultures », François Jullien écrit notamment :
« L’uniforme impose ses standards comme le seul paysage imaginable, et sans même sembler les imposer. De là, sa dictature discrète. Aux quatre coins du monde, on retrouvera inévitablement les mêmes vitrines, les mêmes hôtels, les mêmes clés, les mêmes clichés, les mêmes affiches de bonheur et de consommation… Car si dictature il y a, c’est qu’une telle uniformisation ne se limite pas aux biens matériels mais envahit aussi l’imaginaire. Par une opération éditoriale réussie, Harry Potter ou Da Vinci Code formate à l’identique les rêves d’adolescents du monde entier. »

Certes, et pour moi, on retrouve ici notre besoin tribal, notre peur du différent (voir notamment « La confrontation n’est pas naturelle »). Donc je pense que malheureusement l’uniforme n’a même à imposer ses standards, car il répond à nos attentes profondes. Et c’est bien là le problème…

Il y a quelques années, en introduction d’un livre qui n’est jamais paru, j’avais écrit un texte sur ce sentiment grégaire. Il illustre encore bien ce que je ressens aujourd’hui. Le voilà :

« Heure de pointe, heure d'affluence, vous êtes là, vous êtes tous là, les uns contre les autres, bien au chaud, chaleur humaine, mais oui ne dites pas le contraire, vous aimez cela, être les uns contre les autres - je sais, je me répète, mais vous aussi, vous vous répétez sans fin, sans imagination -, vous avez besoin de cette présence collective, sinon pourquoi vous seriez tous là au même moment.
Heure de pointe. Vous la cherchez ou quoi ?
Tous bien pareils, et dire qu'il y a un débat autour du clonage, mais vous l'êtes déjà clonés !
Clonés, clownés, comiques involontaires, votre image est renvoyée indéfiniment par vos voisins, chacun est un miroir, simplement le reflet des autres. Si vous avez l'impression d'exister, d'être différents, alors prenez le large, oxygénez-vous, allez ailleurs. Non, vous préférez ne pas bouger, rester ensemble, force de la tribu. Cela vous rassure ?

A chaque fois que je vois une foule, je me pose la même question : que font-ils là ? Quelle crainte veulent-ils cacher, celle de leur différence, celle d'avoir à expliquer pourquoi ils feraient un choix différent ? Merde, soyez vous-mêmes, pour un jour, une heure, une minute, une seconde !
Sortez du troupeau, respirez, prenez le risque de suivre vos pulsions, vos envies. Mais non, vous aimez cette manie de vous bousculer à l'heure de pointe. La cohue, c'est ce que vous recherchez – mais si, avouez-le ! -, grégaires, vous êtes grégaires. Bien au chaud ! Rapprochez-vous, allez encore un peu plus, encore plus de monde, plus proches, plus l'un contre l'autre, l'un sur l'autre. Vous avez envie de vous échapper, de sortir de cette maudite heure de pointe, vous croyez aller ailleurs... et rien n'y fait : vous n'avez pas plutôt bougé que tout le monde est là, avec vous, autour de vous.

Car quand vous bougez, ce n'est pas pour sortir des sentiers battus, mais pour rejoindre une autre heure de pointe : la petite route déserte de campagne, vous ne l'aimez que si elle vous permet d'aller plus vite de votre cité à votre camping surchargé. Interdit de s'y attarder sur cette route déserte, interdit parce que vous y seriez seul, tout seul.

Heure de pointe, elle vous suit, vous la suivez, inexorablement.
Malédiction ou plaisir ? Plus de plaisir car si vous vous retrouviez sans personne, sans ceux dont vous maudissiez la présence quelques minutes avant, vous auriez peur, peur de cette solitude qui vous obligerait à penser, à ne plus simplement vous conformer au courant ambiant.
Heure de pointe... »


8 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,

Même si elle a le mérite d'exister, je trouve cette vision un peu simpliste.

En effet, il y a aussi le coté matériel : quand vous avez 5000 personnes qui commencent à 8h30 => il y aura forcément un pic s'ils empruntent le même itinéraire et que celui-ci est unique.

Vous en aurez une partie qui sera passée avant, une partie qui sera en retard et qui passera après.

Je ne suis vraiment pas sur que cela soit par plaisir que les gens perdent du temps dans les embouteillages...

Tout le monde ne vit pas à Paris et il n'y a pas toujours plusieurs itinéraires de la même distance.

De plus les écoles, beaucoup d'entreprises ont les mêmes horaires.
Il est rare de pouvoir négocier des horaires individuels avec son patron, ou la crèche ou l'école.

Bref, j'espère que cet extrait de cette ouvrage n'est pas représentatif de votre travail.

Très cordialement,
Philippe.

Anonyme a dit…

Quel mépris apparent pour vos contemporains !

Sur quelle hauteur vous situez-vous pour les juger aussi sévèrement et ausi faussement ?

On s'interroge sur le degré d'intelligence des clients que vous pourriez avoir compte tenu de l'approche minimaliste des compexités humaines et sociales qui semble être la vôtre.

Ah, j'oubliais : on sait que quoi qu'on dise, on parle toujours de soi. Y eussiez-vous pensé, auriez-vous consenti à cet abaissement ?

Robert Branche a dit…

Réponse à Philippe :
C'est très précisément l'esprit de mon texte : on ne peut rien contre "l'heure de pointe'" car elle nous est imposée par le système commun (voir notamment mon article d'aujourd'hui qui fait suite...).
Simplement ce que je constate, c'est que, même quand on "libère les contraintes" - c'est-à-dire pendant les vacances -, nous avons tous tendance à nous concentrer encore plus au même endroit... Donc si le système impose des heures de pointe, c'est aussi parce que cela correspond à nos tendances naturelles...
Dernière réaction : le texte de cet article n'est pas issu de mon dernier ouvrage, mais d'un projet qui date d'il y a plus de 10 ans. Je l'ai repris car je le trouvais toujours pertinent.
Manifestement le ton un peu "polémique" de ce texte génère des malentendus !
Tout mon propos est bien de pousser nos systèmes collectifs - entreprises comme politique - à être moins normatifs et donc à pousser à moins d'uniforme !

Robert Branche a dit…

Réponse à Jean-Marc :
Je ne vois pas pourquoi vous parlez de mépris pour mes contemporains.
Le texte est certes un peu "polémique" dans le ton, mais il a justement pour but de faire prendre conscience des travers de nos systèmes actuels et de nos comportements collectifs.
C'est précisément parce que je crois que ceci n'est pas irréversible, que un grande partie de cela est plus subie que voulue, que j'ai écrit ceci : croire en la capacité des hommes, pour moi, doit d'abord reposer sur une analyse non complaisante.
Si vous voulez mieux comprendre mon propos, regarder aussi mon article de ce jour qui fait la suite...

Jerome Lacheheb a dit…

Bonjour,
J'aime beaucoup vous lire car votre mode d'expression me permet de commencer une réflexion sur les sujets que vous abordez. Je suis également surpris des commentaires de certains, toujours prêts à vous "sauter au cou" au cas où vous auriez exprimé une idée politiquement incorrecte. Je comprend donc que, manifestement, tout le monde ne comprend pas le second degré que vous utilisez en partant d'un constat pour aller vers une réflexion.
Votre vision n'est pas du tout simpliste car personnellement j'ai toujours réussi à faire le choix de ne pas me retrouver dans les embouteillages. Donc, si je peux, beaucoup d'autres peuvent le faire (et le font d'ailleurs) à moins que je sois un super héros sans le savoir :-)
Et puis, d'un côté quand je me retrouve parfois au milieu du foule dans le métro, je me dis que ça vaut mieux que d'être à l'extrême complètement tout seul.
Je pense qu'il y a effectivement une part d'obligation à se retrouver coincé en heure de pointe mais il y a aussi un sentiment de sécurité et de satisfaction. Les gens exclus du rythme des heures de travail comme les personnes agées ou les sans-emploi, me semble apprécier être comme tout le monde, car ça donne le sentiment d'exister.
Ce qui me choque un peu, c'est quand "Philippe" se permet d'écrire qu'il espère que cet extrait n'est pas représentatif de votre travail... car finalement il n'a pas compris votre idée et se permet de juger.
Sans parler de "Jean-Marc" qui débute son commentaire avec "quel mépris pour vos contemporains". Je crois qu'il s'est senti jugé et humilié pour être aussi agressif.

Devriez-vous écrire un avertissement pour vos lecteurs qui vous lisent pour la 1ere fois?

exemple: "Attention, ce blog s'adresse aux lecteurs décontractés souhaitant lire des sujets qui peuvent mener à réfléchir. Le lecteur est averti que le second degré et la polémique constructive sont de rigueur". :-)

Robert Branche a dit…

@ Jérôme

Merci pour votre compréhension et votre intérêt pour mon blog !
Mettre un avertissement comme vous le suggérez (mais je suppose que c'est à prendre au second degré), ce serait pour moi déjà rentrer dans l'erreur en me mettant en censeur vis-à-vis du lecteur...
Ce qui m'intéresse c'est le résultat provoqué par mes écrits et ce en étant le moins inductif possible...
La liberté ne se partage pas...

J Zenith a dit…

Je trouve que c'est bien plus compliqué que çà : ce qui est en jeu à mon sens, c'est la rivalité entre différentes "uniformités".

Un exemple : qui est le plus uniforme : moi qui souhaite en effet standardiser des procédures de travail et rendre plus efficace le fonctionnement de l'atelier dont j'ai la charge ou les ouvriers syndiqués qui y travaillent et qui, au nom de leur vision du monde à eux (progrès en efficacité = cadeau au patron) s'opposent autant qu'ils le peuvent aux changements que je souhaite ?

Il me semble qu'il faut réfléchir à ceci en terme de "rivalité mimétique" (pardon pour les gros mots) : je renvoie sur ce sujet aux travaux de René Girard. C'est l'autre qui nous désigne ce qui est désirable, par le fait qu'il le désire lui aussi. Dans les entreprises, il me semble que la concurrence se focalise ainsi sur les "bonnes raisons d'agir" et sur les visions du monde qui les sous-tendent : industrielle (efficacité) pour les ingénieurs, économique (rentabilité) pour les financiers, convivialité, qualité des relations, "logique de l'honneur" pour un bon nombre, enfin militante pour les syndicalistes. Ces différentes "grandeurs" ont été étudiées avec talent par le sociologue Laurent Thévenot dans "De la justification" et ont fait l'objet d'analyses économiques groupées sous le vocable "économie des conventions".

Pas étonnant donc qu'aux frontières de ces différents "mondes" (par exemple entre le syndicaliste et le financier) naissent des tensions issues de hiérarchies différentes des valeurs.

Reste qu'il faut avancer : deux solutions sont alors possibles : imposer une "grandeur" au détriment des autres (et donc fabriquer une entreprise rézelement uniforme, monomaniaque, éventuellement fanatique et dans tous les cas appauvrie dans ses capacités de perception), ou se résigner à ce que l'action collective soit un cheminement tortueux fait de compromis, souvent instables, entre différentes "grandeurs"... sans perdre de vue qu'une entreprise est obligée, pour "persévérer dans l'être", de gagner de l'argent.

Robert Branche a dit…

Effectivement la vie en entreprise (comme dans toute collectivité) est le terrain d'une confrontation - qui parfois peut tourner et tourne au conflit - entre des logiques différentes des acteurs.
Dans votre commentaire, vous en mentionnez quelques unes. Attention toutefois à ne pas là non plus tomber dans une simplification : il n'y a pas d'une part l'efficacité qui serait le terrain de l'industriel, l'économique du financier... J'ai déjà rencontré des syndicalistes préoccupés d'efficacité et des industriels soucieux d'abord de s'enrichir...
Oui donc à cette confrontation. C'est d'ailleurs une des thèmes centraux de mon livre : j'y explique en quoi c'est, de mon point de vue, la seule façon pour un système de s'ajuster à l'intérieur (entre les éléments qui le compose) et avec le dehors, et en quoi la confrontation est le chemin critique entre conflit et évitement