24 mars 2011

UNE ENTREPRISE DÉCIDE-T-ELLE CONSCIEMMENT ?

L’iceberg des processus inconscients
Imaginons la scène suivante : réunion au sein d’une grande entreprise, sujet : doit-on ou non créer une nouvelle usine, une décision importante à prendre qui va engager le futur de l’entreprise. Sont présents autour du Directeur Général, tous les directeurs concernés, ainsi que le consultant qui a été chargé de préparer la décision.
La réunion se déroule. Au début, présentation faite par le consultant, succession de tableaux multiples, mélange de réflexions et de chiffres. Chacun a devant lui son dossier qu’il a reçu la veille et a eu le temps de l’examiner. La discussion s’enclenche, échanges parfois vifs mais toujours courtois, on creuse de plus en plus les pour et les contre, le Directeur Général intervient pour relancer ceux qui ne parlent pas. In fine, la décision est prise. Est-elle la bonne ? Impossible d’en être certain, mais elle a été prise en connaissance de cause, c’est-à-dire à la suite d’un processus éclairé, documenté et conscient.
Conscient ? Vraiment ? Apparemment, oui. Tout s’est déroulé de façon « rationnelle », logique, argumentée, préparée.
Certes, mais pour chacun des participants, sa décision, comme nous l’avons vu dans mes articles des jours précédents, est largement influencée par ses émotions et ses processus inconscients. Donc derrière l’apparente logique de chaque raisonnement, se  cachent d’autres logiques. Faut-il en avoir peur ? Non, pas vraiment, car ce sont ces processus inconscients qui rendent nos choix efficaces, ils moulinent plus vite, compilent les data, nous suggèrent des solutions.
D’ailleurs le plus souvent, au moment crucial, quelqu’un va dire : « Non, vraiment, désolé, je n’y crois pas à ce scénario. Je ne le sens pas. Non, pour moi, arrêtons les états d’âme, il faut choisir l’autre et y aller franco. » Combien de fois, une telle phrase a-t-elle été prononcée ? Presqu’à chaque réunion à laquelle j’ai assisté.  Que veulent dire ces mots « je n’y crois pas », « je ne le sens pas », « état d’âme » ? Sommes-nous à l’église ?  A une réunion de speed-dating ?... Émotion, quand tu nous tiens !
Donc chaque participant n’est pas si conscient de pourquoi il pousse dans telle ou telle direction…
Mais, au fait, y a-t-il des participants cachés ? Y a-t-il des absents qui conditionnent les choix ? Y a-t-il des « inconscients » qui agissent ?
Non, il n’y a personne de caché sous la table et tout est clair. En êtes-vous si certains ?
Prenons l’exemple du rapport présenté par le consultant. Il a été élaboré dans son cabinet avec bon nombre de consultants. Il est le fruit de longs calculs, de longues réunions et de multiples arbitrages internes. Pour arriver aux quelques scenarios présentés, beaucoup d’autres ont été étudiés et écartés. Est-ce que les autres participants sont au courant de tous ces travaux préalables ? Oui, ils savent qu’ils existent, mais ils ne savent pas ce qui s’y est dit. Une part essentielle du processus est donc inconsciente pour la plupart de ceux qui sont autour de la table…
Ce qui est vrai pour le consultant, est vrai pour chacun des participants. En effet, comme chacun savait que la décision allait être prise en réunion,  chacun l’a préparé avec ses équipes. Certaines pré-réunions ont même eu lieu, à deux ou trois. Qui est au courant ? Quelques-uns, mais pas tous. Est-ce que ce travail préalable a été utile ? Oui, et donc il influence la décision finale.
Décidemment, il s’est passé beaucoup de choses sous la table ! Et ce n’est pas fini…
Dernier exemple de processus inconscient pesant sur la décision elle-même. Dans mon article d’hier, j’évoquais la culture de l’entreprise comme un élément essentiel pour permettre à l’entreprise d’exister et de perdurer au cours de sa vie. Eh bien cette culture, elle aussi est là pendant la réunion : elle influence les choix, elle conditionne les décisions, elle oriente les actions. Est-ce de manière consciente ? Parfois oui, souvent non, car elle est intériorisée au sein de chaque participant, sauf pour les nouveaux.
Et dire que d’aucuns croient que c’est par des tableurs Excel qu’ils vont « professionnaliser » la décision !

2 commentaires:

Pierre Haren a dit…

Robert, c'est ce que genre de decision fait intervenir tant de parametres (humains, techniques, marketing) que de juste faire la liste de tous les trucs a prendre en compte consommerait toute la reunion.
Nos logiciels avaient ete utilises pour un grand groupe pour prendre ce genre de decision. La modelisation mathematique indiquait que 17 usines suffisaient (le groupe en avait une trentaine) mais que si on en gardait 23, le surcout etait negligeable par rapport a l'optimum de 17, et le groupe gardait une flexibilite/resilience a une serie de catastrophes possibles accrue...
Regardons ce qui se passe dans l'automobile au Japon, et bientot dans le monde avec les "flux tires" sans filet de securite. Or, qui prend en compte le parametre "resilience" dans la conception d'un reseau logistique? Encore un parametre de plus... Du coup, l'homme y va "au pif" et ce n'est pas necessairement plus stupide.

Robert Branche a dit…

Certes, nous procédons à des simplifications conscientes, en ne prenant en compte que quelques critères.
Mais mon propos est autre. Il y a en plus de nombreux éléments dont nous ne savons même pas qu'ils sont intervenus dans la décision.
Voir aussi mon article "Faire les bons choix avant de les connaître" (http://robertbranche.blogspot.com/2011/03/faire-les-bons-choix-avant-de-les.html )