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20 déc. 2012

LES RADEAUX DES FOURMIS DE FEU


Les tribus animales (4)
Un exemple étonnant de propriété émergente au sein d’un groupe est celle des radeaux des fourmis de feu.
Où vivent-elles ? Essentiellement en Amérique du Sud, où elles sont nées et prospèrent. Elles sont des forces de la nature, capables de se déplacer rapidement et de tout ravager sur le chemin. Mais ce qui m’intéresse ici, est leur réaction en cas de pluie diluvienne et d’inondation.
Ont-elles individuellement appris à nager ? Voit-on les unes partir en un crawl réinventé, les autres à la brasse ? Non, dès qu’une telle pluie survient, elles s’agrippent les unes aux autres, emprisonnent, chacune et ensemble, un maximum d’air, et forment une boule qui a la souplesse et la résistance d’une balle de tennis. Cette balle n’a pour but d’aller rebondir sur un quelconque court tropical, non, cette balle a une propriété essentielle : elle flotte quoi qu’il lui arrive. Toutes ensemble les fourmis sont devenus un radeau insubmersible.
Au cœur du radeau, bien protégée par toutes ses ouvrières, se trouve la reine. Avec l’air embarqué, non seulement tout le monde flotte, mais respire. Les jours peuvent alors passer, les obstacles venir heurter la fourmilière, rien de grave ne survient. Probablement quelques fourmis périront au cours du voyage, mais comment les compter et qui s’en préoccupe ? L’important est qu’in fine, quand le radeau heurte la terre ferme ou une souche, les fourmis du bord s’y agrippent, la reine est transportée, les liaisons se dénouent et la marche conquérante des fourmis de feu peut reprendre…
Abandonnons un instant les fourmis de feu à leur périple insubmersible, et partons dans l’infiniment petit du monde animal : au sein de tous, se trouvent des milliards de micro-organismes, qui s’y promènent blottis à l’intérieur des corps…
(à suivre… le 7 janvier 2013)
(Photo David Hu and Nathan J. Mlot)

19 déc. 2012

LES MATRIOCHKAS SOCIALES

Les tribus animales (3)
Avec la « colle sociale », le groupe acquiert des propriétés qu’aucun de ses individus n’avait.
Ainsi, les fourmis sont capables de faire de l’élevage ou de l’agriculture intensifs, chacune fonctionnant comme une cellule spécialisée au sein du groupe prenant en charge une partie du travail à faire. Les abeilles ne sont pas en reste. Par exemple, grâce à leur danse, elles savent échanger des informations entre elles, et choisir par un vote majoritaire, le meilleur emplacement pour une nouvelle ruche.
Dans les espèces les plus sophistiquées, cet échange prend une autre dimension : l’unité de base est beaucoup plus petite et devient la famille, avec au cœur la relation mère-enfant. Ce sont les familles qui s’associeront pour donner naissance à la tribu collective. Nouvelle complication qui ouvre la porte à des apprentissages plus approfondis, et à l’apparition de l’individu : si aucune fourmi n’est strictement identique à sa voisine, les différences sont sans commune mesure au sein des mammifères.
Cet apprentissage d’abord entre la mère et ses enfants, puis entre tous les membres d’une même tribu, repose sur un mode d’échange d’information beaucoup plus riches, ce grâce aux neurones-miroirs.  De quoi s’agit-il ? De neurones qui, sans l’intervention d’un quelconque processus conscient, sont capables de mimer ce que fait l’autre : quand un animal muni de tels neurones regarde la main d’un autre se déplacer, le mouvement est reproduit dans son cerveau. Il peut donc apprendre en regardant. Ces processus sont essentiels pour la transmission des expériences. Ils sont aussi un levier pour diffuser plus rapidement une alerte au sein d’une tribu.
Ainsi avec l’animal, apparaissent des soudures informationnelles, qui donne naissance à un nouveau type de poupée russe : la poupée russe sociale, une poupée souple et vivante, dont tire sa puissance de la mise en réseau des capacités physiques et cognitives de ses membres.
(à suivre)

18 déc. 2012

VIVE LA « COLLE SOCIALE » !

Les tribus animales (2)
Quelle est donc cette « colle sociale » qui naît avec le monde animal ?
Voilà les individus qui n’échangent plus des composants chimiques, mais de l’information. Ou plus exactement si l’échange se fait encore souvent via des substances chimiques (Comme les phéromones dans le cas des fourmis), ce ne sont pas elles en tant que telles qui relient les individus, mais les informations qu’elles véhiculent. Mais la transmission peut aussi se faire par la vue comme pour la danse des abeilles, par l’ouïe pour les oiseaux… Ce sont progressivement les cinq sens qui sont mobilisés et construisent un langage qui soude le groupe : la poupée devient tribu, l’individu fait société.
C’est bien à un nouveau type d’assemblage que nous avons affaire : un assemblage social. Des êtres vivants, tout en gardant une individualité propre se caractérisant notamment par leur morphologie et leurs capacités cognitives propres, font société, et donne naissance à une nouvelle entité, le groupe ou la tribu, qui est dotée de propriétés nouvelles et émergentes. Chaque animal est physiquement autonome, libre de ses mouvements, et socialement dépendant.
Notons que si un échange d’informations existe aussi au sein des cellules végétales et entre elles, il permet seulement à une plante de réagir à son environnement et de s’y adapter, mais il ne soude pas les cellules entre elles. Grâce à la reproduction, chaque plante est aussi le plus souvent voisine de ses alter ego : les coquelicots dessinent des vagues rouges au printemps, les champignons poussent en grappe, les jeunes chênes grandissent à l’ombre de leurs aînés. Ensemble, tous les végétaux élaborent des écosystèmes qui favorisent leur croissance, mais aucune nouvelle propriété n’émerge de ces regroupements : une chênaie n’est jamais qu’un ensemble de chênes, et un groupe de champignons, une poêlée potentielle, et rien de plus …
L’animal, lui, quand il se regroupe, acquiert des propriétés nouvelles. Les fourmilières et les ruches en sont des exemples les plus frappants. On peut même affirmer que, si la fourmi est petite, la fourmilière est grande : le record en terme de taille semble être détenu par la Formica yessensis, une espèce de fourmi des bois, qui a construit une colonie de 45 000 nids sur 1 250 hectares à Hokkaido, abritant plus d’un million de reines et 306 millions d’ouvrières. 
Mais, la taille n’est pas le plus important, c’est l’apparition de nouvelles capacités qui l’est, ce grâce à une répartition des rôles ou à une action collective…
(à suivre)

17 déc. 2012

LES MATRIOCHKAS ANIMALES

Les tribus animales (1)
Vertige sans cesse renouvelé des poupées russes du vivant où tout est subtilement intriqué l’un dans l’autre, l’un avec l’autre : les emboîtements se chevauchent, s’interpénètrent et se recouvrent, les échanges sont multiples et sont constants. Les limites ne se contentent pas de définir les systèmes qu’elles cernent, elles permettent la naissance des systèmes de rang supérieur. Difficile de savoir où l’un commence, et l’autre finit.
Yongey Mingyour Rinpotché dans le Bonheur de la méditation, écrit : « Ma main n’est pas mon moi, mais elle est à moi. Bien, mais elle est faite d’une paume et de doigts, elle a une face supérieure et une face inférieure, et chacun de ces éléments peut être décomposé en d’autres éléments comme les ongles, la peau, les os, etc. Lequel de ces éléments peut être appelé « ma main » ? »
Dans les animaux qui vivent de longues années, la naissance et la mort des cellules est incessante : les cellules épidermiques sont recyclés toutes les deux semaines les globules rouges ne durent que quatre mois… Ainsi tout animal n’est jamais le même, et à la fin de sa vie, aucune des cellules qui le composent n’était là à sa naissance.
La multiplicité des emboîtements à l’intérieur d’un animal et la constance du renouvellement sont un changement de degré, mais non pas une rupture par rapport au végétal : tout ceci se trouvait déjà au temps du végétal, un animal est juste un système globalement plus sophistiqué, et constitué de beaucoup plus de sous-systèmes et de réseaux enchevêtrés, qui évoluent continûment.
La rupture vient d’ailleurs, d’un nouveau type d’emboîtement, généré par une nouvelle propriété : l’animal acquiert progressivement une capacité étrange qui va littéralement révolutionner la conception des poupées russes du monde.
Jusqu’à présent, pour qu’une nouvelle propriété émerge et transforme une collection en un emboîtement, il fallait que ses constituants soient physiquement soudés. La colle initiale était faite par le cocktail des forces nucléaire, électromagnétique et gravitationnelle. La vie végétale avait apporté la colle chimique, les cellules étant reliées par ses membranes qui, à la fois, les délimitaient et les réunissaient, et au travers desquelles se faisaient les échanges.
Voilà qu’avec les animaux, naît la colle sociale…
(à suivre) 

24 août 2012

LE MONDE ANIMAL BOUGE, COLLABORE... ET COMMUNIQUE

BEST OF (19 avril - 9 mai 2012)
Si petite fourmi !
A proprement parler, nous regardons de haut les fourmis. Il faut dire, ou écrire en l’occurrence, qu’elles sont si petites par rapport à nous. Même pas la taille d’un de nos doigts, le plus souvent plus petites qu’un de nos ongles. Donc de leur cerveau, inutile d’en attendre grand-chose, il est si petit que nous l’imaginons insignifiant. A peine la place pour un tout petit réseau neuronal.
Avec un chien ou un chat, on peut avoir un semblant de communication. Avec un cheval, un singe ou un dauphin, aussi. Mais avec une fourmi ? Impossible de la regarder les yeux dans les yeux ; inutile de lui lancer une balle, elle ne la ramènera pas ; même à votre retour de vacances après une longue absence, n’espérez pas être accueilli par des sauts de fourmis ou des cris de joie.
Par contre, laissez tomber un peu de nourriture par terre et vous allez les voir accourir. Ou plutôt, vous allez d’abord en voir une, puis dix, puis cent, puis vous ne pourrez plus les compter.
Pourtant ces fourmis que nous méprisons, dès qu’elles sont en groupe, elles font des prouesses et elles ont largement conquis le monde. Impossible de marcher en un quelconque endroit du globe sans tomber sur une de leurs colonies.
Le record en terme de taille semble être détenu par la Formica yessensis, une espèce de fourmi des bois, qui a construit une colonie de 45 000 nids sur 1 250 hectares à Hokkaidō (Japon), abritant plus d’un million de reines et 306 millions d’ouvrières.
Bref à cause du monde animal, notre univers littéralement fourmille de vie qui va dans tous les sens. Avec la matière inerte, on avait l’entropie et le chaos, avec le végétal l’auto-organisation et la dérive naturelle. Le voilà avec le monde animal prit comme de folie : danserait-il la Saint-Guy au rythme du mouvement brownien de toutes ces espèces qui s’y sont répandues ?

A gauche ou à droite ?
La gazelle était là, tranquille. Fatiguée par une longue journée passée à sillonner la savane, repue de toutes les herbes glanées de-ci de-là, elle pensait goûter d’un repos bien mérité au bord de sa poche d’eau favorite. Mais ce ne fut pas le cas. Elle sentit très vite le danger. D’abord un craquement dans le lointain, puis cette odeur qu’elle avait, depuis son enfance, appris à reconnaître. Elle se figea, sachant un lion tapi derrière le buisson qui jouxtait les arbres.
Elle savait qu’elle n’avait qu’une chance pour lui échapper : la fuite et la course. Heureusement, forte de son dernier chrono – elle venait de réaliser une pointe à 104 km/h, nouveau record des gazelles de la savane locale –, elle était sûre de pouvoir échapper à n’importe quel lion.
Bien, mais il s’agissait de ne pas trébucher, ni de se retrouver prise en tenaille entre plusieurs lions. Et surtout pas un guépard, son ennemi juré, le seul à pouvoir la rattraper.
Alors devait-elle partir à gauche ou à droite ?
Elle n’eut pas le temps de finir sa réflexion, car le lion jaillit brutalement. Sans réfléchir, elle partit vers la droite, et, telle une fusée, disparut dans les herbes de la savane. Le lion eut beau faire de son mieux, il ne la rattrapa pas. Pas grave se dit-il, je me ferai la suivante…
Ainsi va le monde animal. Rien n’est certain, rien n’est gagné d’avance. Quand un lion surgit, la gazelle s’en va… mais impossible de savoir si elle partira à gauche ou à droite, et pas moyen de prévoir de façon certaine l’issue du combat…
Haro sur les moustiques !
Il était immobile, plaqué sur le plafond de la chambre à regarder, de façon obsessionnelle, ma veine qui palpitait. Persuadé que je dormais, n’en pouvant plus d’attendre, il se décida à plonger.
C’est ainsi que commença un des mes plus violents combats nocturnes : la lutte infernale et sans cesse renouvelée contre le moustique. Pendant de longues minutes, tout vola dans la pièce : je lançai tour à tour mes baskets, une serviette de bain qui passait par là, un pantalon, mes mains… et pour finir, un tee-shirt qui, sans raison particulière, atteint, lui, son but. Le moustique finit ainsi, venant accompagner les tâches gagnées dans la journée.
Épuisé par cette lutte, je m’assis sur mon lit et me posai alors cette question simple : pourquoi ce moustique voulait-il me piquer, et plus généralement, pourquoi les moustiques veulent-ils piquer les humains ?
Est-ce pour nous empêcher de dormir ? Pour assouvir une vengeance lointaine et oubliée, une forme de vendetta ?
Ou est-ce le fruit d’une analyse comparative scientifiquement menée, un test qui aurait démontré aux moustiques que, dans la grande bataille de la survie, le sang humain était la meilleure nourriture ?
Je rêvais d’une assemblée de moustiques, un conseil supérieur de leur espèce, qui aurait supervisé cette étude. Des milliers et des milliers de tests, une infinité de peaux piquées, des myriades d’éprouvettes remplies des prélèvements, des générations de moustiques mises à l’épreuve, un grand plan de formation pour améliorer le piqué et la vitesse de succion… Tout cela pour aboutir logiquement, rationnellement et efficacement à cette guerre des moustiques contre le repos des humains.
Évidemment cela ne s’est pas passé comme cela.
Comment les moustiques en sont-ils donc arrivés à devenir ces vampires nocturnes ? Comme toujours par hasard…
Tout avait effectivement commencé, il y a longtemps, très longtemps même : le lointain ancêtre du moustique était un insecte qui, comme bon nombre d’autres, avait développé un appendice effilé pour absorber un liquide, une sorte de paille si vous voulez. Pratique pour survivre et boire rapidement.
Un jour, l’un d’eux est parti en promenade, et s’est posé sur la peau d’un animal à sang chaud. Or cette peau, pour assurer la régulation de température et les échanges avec l’extérieur, était poreuse. Notre moustique préhistorique, perdant l’équilibre, a logé son appendice très effilé dans l’orifice. Une fois à l’intérieur, il a trouvé un liquide riche et nourrissant : du sang. Il a trouvé cela tellement bon qu’il en est devenu complètement accro, et qu’il a fait partager l’aubaine à ses congénères.
Et voilà…
Que comprend-on de ce à quoi on participe? - Sans microorganismes, pas de À la recherche du temps perdu !
Étonnant contraste entre la petitesse de la fourmi et la puissance de tout ce que collectivement elles peuvent réaliser. Dans mon article « La fourmi est petite, mais la fourmilière est grande », je présentais plusieurs de leurs prouesses les plus spectaculaires : la capacité de construire des ponts vivants pour franchir un obstacle, la fabrication d’un radeau étanche protégeant la reine et permettant de survivre aux inondations, l’invention de l’agriculture ou de l’élevage, trouver le plus court chemin entre deux points, optimiser la circulation… J’y évoquais aussi les performances des abeilles qui ne sont pas en reste en matière de prouesses collectives.
Le monde animal est ainsi peuplé d’espèces qui, faibles individuellement, sont fortes grâce à des propriétés qui émergent collectivement, c’est-à-dire des propriétés qui n’existent pas au niveau d’un individu, mais qui ne se manifestent qu’au niveau du groupe : une fourmi seule ne pourrait ni trouver le plus court chemin, ni résister à une inondation, ni faire de l’élevage de puceron ; une abeille seule serait de même incapable de trouver les meilleures fleurs…
Fascinante puissance du groupe.
Mais au fait, est-ce que chaque individu est conscient de ces propriétés émergentes ? Ou formulé autrement, une fourmi ou une abeille comprennent-elles ce qu’elles font et pourquoi elles le font ? Quand une fourmi s’associe à ses voisines pour créer un radeau et permettre à la fourmilière de devenir insubmersible, sait-elle ce qu’elle fait et pourquoi elle le fait ? Ou quand une autre de ses congénères se livre à la culture de champignons, est-elle consciente de participer à créer une nourriture indispensable à la survie future ? Et quand d’autres viennent au secours de nymphes pour faire partir des prédateurs, ont-elles en tête le nectar que cette même nymphe pourra donner en retour ?
Difficile de répondre à une telle question, non ?
Probablement un peu, sinon comment imaginer que chacune pourrait se prêter efficacement à sa tâche. Mais probablement pas complètement, car on ne voit pas bien comment la complexité de l’ensemble irait se loger dans la petitesse d’une seule. Une forme d’intelligence distribuée, en réseau : j’agis avec juste les informations nécessaires à mon action, mais sans savoir les buts finaux de mon action, buts qui me dépassent.
Sautons à un tout autre aspect de ce monde animal, et de ses emboîtements, à celui de ces multitudes d’organismes vivants qui habitent chacun de nous. Ils sont des millions de milliards à se promener sur nous et en nous. Infinité de la vie, de ses cohabitations et de ses articulations.
Chacun de ces microorganismes vit à son rythme, suit sa propre logique, subit les influences de ce qui l’entoure et contribue sans le savoir à la dynamique d’ensemble. Parmi ce troupeau invisible, certains nous sont nuisibles, d’autres au contraire sont nécessaires au bon fonctionnement de notre corps, contribuant à sa survie.
Repensons alors à la scène fameuse de Marcel Proust trempant sa madeleine et se retrouvant brutalement replongé dans son enfance à Combray chez sa tante Léonie. L’écriture de cette scène n’a été possible que grâce à l’existence de ces microorganismes qui habitaient le corps de Marcel Proust. D’une certaine façon, on se trouve à nouveau devant une propriété émergence : pas de microorganismes, pas de À la recherche du temps perdu.
Mais cette fois l’émergence est lointaine, et non pas de proximité comme avec les fourmis et les abeilles de tout à l’heure. Et plus de doute à avoir : ces microorganismes ne peuvent pas même imaginer ce à quoi ils contribuent. Soyons rassurés, leurs descendants ne vont pas venir demander leur part des droits d’auteurs !
Nous sommes des doigts pour les fourmis : Réagir à ce que l’on ne comprend pas
Dans Les Fourmis, le célèbre livre de Bernard Werber, nous vivons le monde au travers des yeux des fourmis, et apprenons que, pour elles, nous sommes des doigts. C’est en effet grâce à ces extrémités de nos mains que les fourmis nous connaissent le plus souvent. Mais comment à partir d’une information aussi incomplète, pourraient-elles se faire une idée, ne serait-ce qu’approchante, de qui nous sommes ? Impossible. C’est d’ailleurs la réponse qu’apporte Bernard Werber dans son livre.
Mettons-nous maintenant dans la peau, – si je puis dire… –, d’un des microorganismes qui nous habitent. Comment pourrait-il bien nous appeler ? Quelle expérience a-t-il de la cohabitation avec ce corps qui l’englobe ? S’il est conscient de quelque chose, – si tant est que le terme de conscience est un sens dans ce cas… –, cela ne peut être que des cellules qui l’environnent, ses alter-ego en quelque sorte.
Or, si jamais ces fourmis ou ces microorganismes nous importunent, nous allons chercher à les neutraliser, voire les détruire, à coup d’insecticides ou d’antibiotiques.
Voilà alors leur vie qui va s’arrêter brutalement, et pour une raison qui, au sens strict du mot, les dépasse : comment une fourmi qui, au mieux, a repéré les principales propriétés des « doigts » pourrait en inférer les dangers d’un insecticide. La quantité d’informations qu’elle détient, et sa capacité cognitive de traitement, même collectivement au niveau de la fourmilière, sont très certainement insuffisantes. Que dire alors du « pauvre » virus qui se trouve confronter à un antibiotique…
Et pourtant, on voit se développer des insectes résistants aux insecticides, et des virus résistants aux antibiotiques. Est-ce à dire que des races de surdoués auraient réussi à décrypter nos attaques, à les analyser et à trouver la parade ?
Non bien sûr ! C’est, une fois de plus, une des propriétés de l’évolution, et de la dérive naturelle telle que développée par Francesco Varela : à force de bricoler, et de se modifier aléatoirement, les solutions émergent et se répandent.
Pourquoi de tels développements sur l’incapacité des fourmis et des microorganismes à théoriser ce qui leur arrive, et sur l’émergence, pourtant, aléatoire de solution ? Parce que je crois que ceci s’applique aussi à nous, humains : nous comprenons beaucoup moins que nous le croyons ce qui nous arrive, nous définissons les choses par ce que nous en voyons ou percevons, et nous trouvons beaucoup plus souvent que nous ne l’imaginons les solutions par hasard.
J’aurai l’occasion de revenir plus tard sur ces points, mais, pour l’instant, je n’en ai pas fini avec les animaux…
Représentations et langages: De la réponse automatique à la communication volontaire
Joëlle Proust dans son livre « Les animaux pensent-ils ? », nous emmène sur le chemin de la représentation et du langage.
Premier stade, celui de la réponse automatique, ce qu’elle appelle « Bien faire sans rien savoir ». Il en est ainsi du thermostat qui, tout en ne comprenant pas ce que peut vouloir dire le concept de température, sans même en fait la mesure, peut réagir à un changement de température, grâce un dispositif physique dont les modifications covarient avec l’environnement.
Au deuxième stade, émerge un premier degré d’extraction de l’information, la « protoreprésentation ». Qu’est-ce que cela caractérise ?  Un état neuronal qui, à la fois, sait lire une modification donnée du monde extérieur et agit en fonction de cette information acquise. On peut résumer cet état par la création d’un couple : je perçois, donc j’agis. Ce sont des conditionnements associatifs comme celui du retrait de la tête et du pied dans la coquille pour l’escargot. Autre exemple plus sophistiqué de ce même état : la capacité de l’araignée de réagir à une vibration de la toile. Dans ce cas, elle n’a pas mémorisé un seul type de vibration, mais tout un ensemble, ce qui va lui permettre de moduler sa réaction et de « comprendre » qui a été pris dans sa toile. Caractéristique donc de l’action face aux protoreprésentations : l’unité de temps et de lieu. On agit ici et maintenant. L’information n’est pas extraite, elle est simplement un déclencheur.
Le troisième stade est celui de la représentation. Quelle est la différence entre une protoreprésentation et une représentation ? Une protoreprésentation est liée à une situation donnée, elle est « immergée » dans ce cadre : l’araignée ne sait pas lire une vibration indépendamment de sa toile. A l’inverse, une représentation n’est pas liée à une situation donnée, elle est la capacité de renvoyer à un objet ou un événement donné indépendamment de ce qui apporte l’information : un animal devient capable de lire les régularités du monde, c’est-à-dire de repérer des constantes. Il pourra alors acquérir la capacité de répondre à ces régularités, et améliorer l’efficacité de ses réponses à des situations données. Il pourra aussi agir de façon différée, manipulant ainsi mentalement des représentations.
Comment maintenant aborder la question du langage ? Joëlle Proust identifie trois types de support :
1. Les indices : un indice est une information portée par un animal, et qui n’a pas la possibilité de le faire disparaître. L’apparition des plumages nuptiaux de la frégate est ainsi un indice qui informe les mâles qu’elle est disponible à l’accouplement.
2. Les traces ou les signes : bien que pouvant être effacés par l’émetteur, ils ne sont pas non plus contrôlés par eux ; ce sont donc des sources involontaires d’informations. Il en est ainsi par exemple des traces de pas, ou encore d’une transpiration exprimant une nervosité.
3. Les signaux : il s’agit là d’un processus ritualisé et volontaire de diffusion d’une information. La danse des abeilles leur permet ainsi d’indiquer l’intérêt de ce qu’elles ont trouvé, et dans quelle direction, cela se trouve.
Est-ce que les signaux forment un langage ? Par nécessairement. Il faut encore qu’une grammaire existe et que le sens naisse de la combinaison des signaux. On ne peut pas donc dire que les abeilles se parlent,  même si elles communiquent entre elles.
Les fourmis peuvent-elles discuter entre elles des doigts qu’elles rencontrent ?  Allez donc leur demander !
(1) Voir les extraits que j’avais mis en ligne dans un article intitulé « Un chimpanzé peut-il, non seulement voir, mais penser qu’il voit quelque chose ? »

Et arriva un nouvel animal 
Voilà quelques dizaines de milliers d’années, pas grand chose au regard des quinze milliards écoulées depuis le Big-Bang, un nouvel animal a émergé, fruit du bricolage vivant. Un physique banal, ou du moins rien d’exceptionnel, rien pour en faire un athlète de la création, pas un de ces géants de l’ère des dinosaures.
Quand il est apparu, l’univers était devenu fort de son incertitude, de ses emboîtements et de ses émergences. On en était bien loin de l’état simple et primitif de la matière. Sous les empires conjugués de la loi de l’entropie qui ne cesse d’accroître l’incertitude, du chaos qui, tout en créant des systèmes structurellement stables, fait diverger les moindres décalages, de l’auto-organisation des cellules vivantes qui accélèrent les ajustements, et du monde animal qui progressivement a appris les langages et les représentations, le monde était infiniment complexe et imprévisible.
Ce nouvel habitant de la Terre allait porter un cran plus loin cette capacité animale à agir ensemble, à inventer et à construire. Avec lui, le langage deviendrait des mots, les représentations des symboles et des images dont il allait habiller les murs de ses habitations. Un matin, il en viendrait à entendre des voix intérieures, à se tourner en lui-même, à penser et se penser, et à vouloir comprendre ce monde qui s’était inventé bien avant lui.
Au bout de sa route, il allait transformer en profondeur la Terre qui l’avait vu naître, restructurant la nature et l’enchâssant dans des constructions de métal, de pierre et de verre. Il allait aussi se doter progressivement de structures collectives de plus en plus sophistiquées qui, emboîtant ses cellules familiales d’origines, seraient d’abord géographiques et tribales, pour devenir très récemment économiques et industrielles.
Alors cet animal, qui ne se reconnaissait plus dans ses congénères et se pensait comme une espèce à part, allait inventer l’art du management, cet art qui se voulait diriger ce monde collectif dans lequel la plupart vivaient.
Mais finalement comment comprendre l’art du management sans l’inscrire dans ce grand continuum qui l’unit au Big-Bang ?