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23 avr. 2012

À GAUCHE OU À DROITE ?

Le monde animal bouge, collabore… et communique (2)
La gazelle était là, tranquille. Fatiguée par une longue journée passée à sillonner la savane, repue de toutes les herbes glanées de-ci de-là, elle pensait goûter d’un repos bien mérité au bord de sa poche d’eau favorite. Mais ce ne fut pas le cas. Elle sentit très vite le danger. D’abord un craquement dans le lointain, puis cette odeur qu’elle avait, depuis son enfance, appris à reconnaître. Elle se figea, sachant un lion tapi derrière le buisson qui jouxtait les arbres.
Elle savait qu’elle n’avait qu’une chance pour lui échapper : la fuite et la course. Heureusement, forte de son dernier chrono – elle venait de réaliser une pointe à 104 km/h, nouveau record des gazelles de la savane locale –, elle était sûre de pouvoir échapper à n’importe quel lion.
Bien, mais il s’agissait de ne pas trébucher, ni de se retrouver prise en tenaille entre plusieurs lions. Et surtout pas un guépard, son ennemi juré, le seul à pouvoir la rattraper.
Alors devait-elle partir à gauche ou à droite ?
Elle n’eut pas le temps de finir sa réflexion, car le lion jaillit brutalement. Sans réfléchir, elle partit vers la droite, et, telle une fusée, disparut dans les herbes de la savane. Le lion eut beau faire de son mieux, il ne la rattrapa pas. Pas grave se dit-il, je me ferai la suivante…
Ainsi va le monde animal. Rien n’est certain, rien n’est gagné d’avance. Quand un lion surgit, la gazelle s’en va… mais impossible de savoir si elle partira à gauche ou à droite, et pas moyen de prévoir de façon certaine l’issue du combat…
(à suivre)

28 févr. 2012

SUFFIT-IL DE NE RIEN FAIRE ?

On n’est pas efficace par hasard ou par chance - Le management par émergence (3)
Comment donc procéder par émergence ?
Peut-on se dire qu’il n’y a qu’à laisser faire, que l’entreprise trouvera bien d’elle-même le bon cap, qu’attirée par sa mer(1), elle ira cahin-caha dans la bonne direction ? Que la bonne façon de diriger est de prendre de longues vacances, et de ne surtout pas intervenir ?
Évidemment non !
Que risque-t-il de se passer ? Elle va être prise entre deux risques symétriques :
  • Premier cas de figure : sans leadership, l’entreprise va se désagréger aux hasards des initiatives prises. Comme chacune de ses composantes est soumise à un champ de forces spécifique, comme chaque dirigeant local va progressivement se construire sa propre interprétation et sa propre compréhension de ce qu’il faut faire, elle va imploser. Rapidement la culture commune n’existera plus, et ses différentes composantes ne se comprendront plus. Dans le meilleur des cas, la solution passera par sa scission en autant d’ensembles qu’il y aura eu de dérives locales. Le plus souvent, elle disparaîtra, sans laisser d’autres traces que des souvenirs et des regrets.
  • Autre cas de figure : elle restera soudée, mais va dériver et, sans s’en rendre compte, s’éloignera de la mer visée. Ou elle continuera en s’en rapprocher, mais trop lentement, sans voir qu’elle s’est faite doubler par des concurrents plus efficaces. Forte de ses convictions internes, persuadée de sa supériorité, aveuglée par son expertise passée, elle se réveillera trop tard, soit perdue et loin de tout, soit irrémédiablement distancée.
Comment faire alors ? Comment agir pour permettre des émergences efficaces ?
Je crois que cela repose sur le cocktail suivant : lien action/mer + paranoïa optimiste + facilité + flou + confrontation + rythme.
Inutile, je crois, de revenir en détail sur l’idée de mer, car je l’ai fait à de multiples reprises(1). Si vous ne deviez retenir que deux idées la concernant, je vous suggère les deux suivantes :
  • Dans le monde de l’incertitude, notre Neuromonde, comme tout est tourbillonnant, c’est en partant du futur que l’on peut trouver des points fixes, des attracteurs, vers lesquelles les courants convergent.
  • Ces attracteurs doivent être accessibles pour l’entreprise, c’est-à-dire qu’ils doivent être compatibles avec son histoire, et que, avec ses savoir-faire immédiats, elle doit pouvoir apporter une innovation immédiate et palpable, facilitant l’accès à cette mer.
Dans les articles à venir, je vais reprendre chacun de ces points, avant de conclure sur une approche de la transformation en opposition à celle du changement.
Demain donc, le lien entre action et mer…
(à suivre)
(1) Sur le concept de mer qui est au cœur de mon livre, voir notamment mon article Réfléchir à partir du futur pour se diriger dans l’incertitude

23 févr. 2012

LE PLUS SOUVENT, UN DIRIGEANT NE SAIT PAS POURQUOI IL DÉCIDE

Le double vertige du dirigeant - Le management par émergence (2)
Donc un Dirigeant ne décide pas, ou rarement… ou plus exactement, l’essentiel des décisions sont prises dans son entreprise sans lui, et sans qu’il le sache…
Dans mon article d’hier, je finissais sur l’interrogation suivante : Et si l'émergence était aussi au cœur du management dans l’incertitude ?
Avant d’aller plus avant, sur cette idée, arrêtons-nous un plus longtemps sur la décision, et sur pourquoi elle échappe quasiment inévitablement à tout processus conscient et rationnel.
Pour cela, je vais citer un passage de mon livre, Les Mers de l’incertitude, passage qui s’intitulait « Comment se prennent les décisions dans les entreprises ? » :
« Dans une entreprise, le processus de la prise de décisions est complexe et implique :
  • La mémoire collective : à l’instar de l’individu, une entreprise a une mémoire faite des habitudes et des souvenirs, positifs comme négatifs, qui va influencer les choix. Sans s’en rendre compte, elle va écarter une solution parce qu’elle rappelle un échec passé ou parce qu’elle ne correspond à aucune des habitudes acquises, et, à l’inverse, en favoriser une qui est en phase avec sa culture ( …).
  • La multiplicité des intervenants : interviennent toute une série d’acteurs, cachés ou visibles, qui peuvent peser sur le choix des options, ainsi que tous leurs processus inconscients individuels. C’est de cet ensemble d’influences qu’émergent les quelques options sur lesquelles portera la décision consciente.
  • Les tris cachés : La Direction ne tranche que sur les options qui lui sont présentées. Or, le fait de passer du quasi infini des possibles à souvent seulement trois scenarios est un choix majeur. D’où viennent-ils ? Des décisions implicites ou explicites prises par toutes les personnes impliquées en amont.
  • La partialité de la grille de choix : Pour choisir, on s’appuie souvent sur une grille qui va hiérarchiser les scenarios. Derrière l’apparente rationalité de la méthode, le choix des critères mis dans la grille et leur pondération sont affaires de conviction et d’intuition.
De toute façon, comme avait l’habitude de dire un dirigeant d’un grand groupe international : « Si deux options semblent crédibles, pourquoi perdre son temps à choisir, autant tirer au sort. On pourra ainsi arrêter de perdre son temps à des discussions sans fin et ne créant aucune valeur. » »
Double vertige donc :
  • Un vertige « vers le bas », vers l’intérieur de l’entreprise, dans tous ces lieux, ces bureaux, ces réunions, ces coups de téléphone où des décisions sont prises quotidiennement : l’entreprise comme tout organisme vivant échange continûment avec son environnement, respire, et avance.
  • Un vertige « en soi » où tout dirigeant doit se rendre compte de l’irrationalité de ses propres choix : comme tout homme ou toute femme, il n’est conscient que de la surface de ses propres motivations, et les raisonnements qu’il construit le sont le plus souvent a posteriori, pour expliquer ou justifier une décision déjà prise.
Double vertige qui correspond à une double émergence, dans l'entreprise et en soi.
Décidément, se poser la question de l’émergence est donc centrale…  
(à suivre)

12 déc. 2011

APPLIQUER À SOI-MÊME CE QUE L’ON RECOMMANDE AUX AUTRES

De la sécurité des actions à celle des processus de décision
Il y a quelques jours à l’occasion d’une visite dans une usine, j’ai vu, inscrites sur un tableau, trois risques développant l’insécurité :
-        Inattention du regard,
-        Perte d’équilibre,
-        Mauvaise ligne de tir
Le directeur de l’usine m’expliqua alors ces trois points : « Tout d’abord, si l’on regarde trop vite ou mal, on va prendre les mauvaises décisions et faire courir des risques pour soi-même et pour les autres. Ensuite, avoir une mauvaise assise, c’est souvent provoquer une chute, et un accident. Enfin, ne pas viser là où il faut, c’est ne pas se préoccuper des bonnes choses ».
Amusant comme ces trois règles de sécurité rejoignent ce que je crois être celles d’un bon diagnostic ou d’un bon processus de prise de décision :
-        Si l’on n’a pas un regard attentif, si l’on procède par zapping, on restera à la surface de la situation et on n’en percevra pas la vraie dynamique.
-        Si l’on n’a pas une bonne assise personnelle, on ne va pas suffisamment lâcher prise.
-        Si l’on est distrait ou si l’on n’est pas focalisé dans la bonne direction, on se trompera de sujet.
Les dirigeants devraient intégrer plus dans leurs propres processus de décision, les règles de sécurité qu’ils promeuvent dans leurs usines…

24 mars 2011

UNE ENTREPRISE DÉCIDE-T-ELLE CONSCIEMMENT ?

L’iceberg des processus inconscients
Imaginons la scène suivante : réunion au sein d’une grande entreprise, sujet : doit-on ou non créer une nouvelle usine, une décision importante à prendre qui va engager le futur de l’entreprise. Sont présents autour du Directeur Général, tous les directeurs concernés, ainsi que le consultant qui a été chargé de préparer la décision.
La réunion se déroule. Au début, présentation faite par le consultant, succession de tableaux multiples, mélange de réflexions et de chiffres. Chacun a devant lui son dossier qu’il a reçu la veille et a eu le temps de l’examiner. La discussion s’enclenche, échanges parfois vifs mais toujours courtois, on creuse de plus en plus les pour et les contre, le Directeur Général intervient pour relancer ceux qui ne parlent pas. In fine, la décision est prise. Est-elle la bonne ? Impossible d’en être certain, mais elle a été prise en connaissance de cause, c’est-à-dire à la suite d’un processus éclairé, documenté et conscient.
Conscient ? Vraiment ? Apparemment, oui. Tout s’est déroulé de façon « rationnelle », logique, argumentée, préparée.
Certes, mais pour chacun des participants, sa décision, comme nous l’avons vu dans mes articles des jours précédents, est largement influencée par ses émotions et ses processus inconscients. Donc derrière l’apparente logique de chaque raisonnement, se  cachent d’autres logiques. Faut-il en avoir peur ? Non, pas vraiment, car ce sont ces processus inconscients qui rendent nos choix efficaces, ils moulinent plus vite, compilent les data, nous suggèrent des solutions.
D’ailleurs le plus souvent, au moment crucial, quelqu’un va dire : « Non, vraiment, désolé, je n’y crois pas à ce scénario. Je ne le sens pas. Non, pour moi, arrêtons les états d’âme, il faut choisir l’autre et y aller franco. » Combien de fois, une telle phrase a-t-elle été prononcée ? Presqu’à chaque réunion à laquelle j’ai assisté.  Que veulent dire ces mots « je n’y crois pas », « je ne le sens pas », « état d’âme » ? Sommes-nous à l’église ?  A une réunion de speed-dating ?... Émotion, quand tu nous tiens !
Donc chaque participant n’est pas si conscient de pourquoi il pousse dans telle ou telle direction…
Mais, au fait, y a-t-il des participants cachés ? Y a-t-il des absents qui conditionnent les choix ? Y a-t-il des « inconscients » qui agissent ?
Non, il n’y a personne de caché sous la table et tout est clair. En êtes-vous si certains ?
Prenons l’exemple du rapport présenté par le consultant. Il a été élaboré dans son cabinet avec bon nombre de consultants. Il est le fruit de longs calculs, de longues réunions et de multiples arbitrages internes. Pour arriver aux quelques scenarios présentés, beaucoup d’autres ont été étudiés et écartés. Est-ce que les autres participants sont au courant de tous ces travaux préalables ? Oui, ils savent qu’ils existent, mais ils ne savent pas ce qui s’y est dit. Une part essentielle du processus est donc inconsciente pour la plupart de ceux qui sont autour de la table…
Ce qui est vrai pour le consultant, est vrai pour chacun des participants. En effet, comme chacun savait que la décision allait être prise en réunion,  chacun l’a préparé avec ses équipes. Certaines pré-réunions ont même eu lieu, à deux ou trois. Qui est au courant ? Quelques-uns, mais pas tous. Est-ce que ce travail préalable a été utile ? Oui, et donc il influence la décision finale.
Décidemment, il s’est passé beaucoup de choses sous la table ! Et ce n’est pas fini…
Dernier exemple de processus inconscient pesant sur la décision elle-même. Dans mon article d’hier, j’évoquais la culture de l’entreprise comme un élément essentiel pour permettre à l’entreprise d’exister et de perdurer au cours de sa vie. Eh bien cette culture, elle aussi est là pendant la réunion : elle influence les choix, elle conditionne les décisions, elle oriente les actions. Est-ce de manière consciente ? Parfois oui, souvent non, car elle est intériorisée au sein de chaque participant, sauf pour les nouveaux.
Et dire que d’aucuns croient que c’est par des tableurs Excel qu’ils vont « professionnaliser » la décision !

22 mars 2011

FAIRE LES BONS CHOIX AVANT DE LES CONNAÎTRE

Je suis et je pense… après !
Est-il possible que nos processus inconscients analysent plus vite et mieux que nos processus conscients une situation et nous fassent prendre la bonne décision sans que nous nous en rendions compte ?
Imaginons la situation suivante : j’ai face à moi quatre tas de cartes, A, B C et D. À chaque carte, je peux recevoir un bonus ou une pénalité. Chacun des tas présente une certaine logique, et donc un certain niveau de risque. Je dois la découvrir le plus vite possible pour ajuster mes choix, sachant que l’objectif que l’on m’a fixé est de maximiser mon profit total.
Comment imaginer que, dans cette situation, mes processus inconscients seraient les plus efficaces pour m’amener à la bonne stratégie ?
Et pourtant…
Dans son émission du 29 janvier(1), Jean-Claude Ameisen relate une expérience menée par Antonio Damasio en 1997(2). Avec son équipe, Antonio Damasio a soumis des volontaires à un choix entre quatre tas de cartes : les tas A et B permettaient de faire des gains plus importants, mais de temps en temps, y apparaissaient des pénalités beaucoup plus fortes. Résultat, sur une période longue, la meilleure stratégie était de tirer les cartes uniquement dans les tas C et D.
Pour comprendre comment les volontaires agissaient, non seulement, on observait leurs choix, mais on leur demandait tous les dix choix d’expliquer ce qu’ils avaient compris du jeu. On mesurait aussi leur niveau de stress.
Que s’était-il passé ? Au début, les joueurs ont rapidement opté pour les tas A et B.  Puis quand les cartes de pénalités fortes ont commencé à apparaître, leur niveau de stress est monté, ils sont mis à transpirer et progressivement ont opté de plus en plus pour les tas C et D, c’est-à-dire les stratégies effectivement gagnantes. Donc rien que de très normal.
Sauf que, quand ils ont commencé à opter pour les tas C et D, ils ont été incapables d’expliquer leur choix : ils « sentaient » qu’il fallait éviter les tas A et B, mais sans savoir pourquoi. Cela n’a été que plus tard, qu’ils ont dit avoir compris ce qui se passait et avoir changé de stratégie.
Ainsi comme le dit le titre de l’expérience, ils ont fait le bon choix avant de connaître quel était le bon choix. Troublant, non ?
Si je résume en quelques mots le contenu de mes derniers billets : ma mémoire consciente repose sur une reconstruction continue de mes souvenirs, eux-mêmes chargés d’émotions, et mes processus inconscients supportent efficacement mes décisions conscientes, ce le plus souvent sans que je le sache.
En quoi ceci interpelle-t-il le management des entreprises ? Les entreprises, elles aussi, reconstruisent-elles leur mémoire et sont-elles peuplées de processus inconscients efficaces ?
(à suivre)

(2) Deciding advantageously before knowing the advantageous strategy. (p.1293-5) N°275, parution : 1997, par Bechara A, Damasio H, Tranel D, et Damasio A.

17 mars 2011

ÊTRE SCIENTIFIQUE, C’EST ACCEPTER LES ÉMOTIONS… ET L’INCONSCIENT

J’essaie de faire au mieux sachant que ma mémoire est partielle et partiale
Donc sans mémoire, je serais incapable de construire la moindre interprétation sur le monde qui nous entoure et la notion même de « je » aurait bien peu de chance d’exister. Or ma mémoire est imparfaite, déforme constamment au fur et à mesure que je me souviens, et est influencée par toutes les émotions associées à mes souvenirs.
Alors je fais comment ?
Eh bien, je fais avec, je fais comme je peux ! Qu’est-ce à dire ?
Comme je sais que, à chaque fois que je me souviens, je reconstruis mon passé, je ne prends pas pour argent comptant ce qui me semble certain : comment pourrais-je prétendre être certain de quoi que ce soit, alors que mon souvenir n’est pas seulement partiel, mais déformé ? Donc je cherche à me raccrocher à des faits, des écrits. Et surtout je me confronte avec d’autres mémoires, d’autres souvenirs, d’autres interprétations.
Est-ce à dire que je ne me fie pas à ce dont je me souviens ? Non, bien sûr ! Mais ce n’est qu’un des briques sur laquelle je m’appuie. Une brique essentielle, primaire, fondatrice, mais une brique, juste une brique…
Et mes émotions, alors ? Est-ce que je les mets au frigidaire ? Est-ce que je vise une rationalisation à tout crin qui veut élaborer une vision froide, clinique, « scientifique » ? Non, surtout pas ! Pourquoi ? Parce que, sans émotions, mes souvenirs sont sans couleurs, sans relief, sans vie. Les émotions associées à un événement en sont une partie essentielle. Elles participent aussi à sa mémorisation. Même la science récente l’a démontré1 ! D’où les guillemets que je viens de mettre à scientifique : être scientifique aujourd’hui, c’est accepter ses émotions et les intégrer dans sa vision du monde…
Non simplement, je suis vigilant par rapport à mon climat émotionnel. Si je sens monter un flux excessif, je comprends que mes émotions passées sont probablement en train de déformer mon souvenir et ma compréhension de la situation présente. Pour reprendre mon exemple donné dans mon article d’hier, si je suis ce bébé qui a associé le rouge à un biberon qui n’arrive pas, je dois lutter contre ma phobie du rouge : je vais mobiliser mes processus conscients pour me convaincre que, non, ce rouge qui m’entoure aujourd’hui ne présente plus de menaces pour moi…
Enfin je n’ai pas peur de mon inconscient, c’est-à-dire de tout ce travail fait par mon cerveau sans que j’en aie contrôlé le processus : puisqu’il a travaillé pour moi, pourquoi ne m’en servirais-je pas ?
Mais pourquoi et comment pourrais-je faire confiance à ce que je fais sans savoir d’où cela vient ?
(à suivre… lundi prochain !)
(1) Voir notamment les travaux d’Antonio R. Damasio

21 févr. 2011

SENS DE L’ACTION, VOLONTÉ ET CONSCIENCE DE SOI

Quand une philosophe prend appui sur les dernières découvertes des neurosciences
Patchwork tiré du livre de Joëlle Proust, La nature de la volonté :
« Par exemple, Gavrilo Princip a appuyé sur la gâchette, tué Pierre de Serbie, et déclenché la Première Guerre Mondiale. Comment alors déterminer, de manière générale, l’étendue de l’événement dans lequel consiste une action donnée ? Faut-il considérer que l’action de Princip a simplement consisté à presser la gâchette, ou bien s’étend-elle jusqu’à l’effet le plus direct (blesser Pierre de Serbie), ou encore à l’effet recherché et obtenu (tuer Pierre de Serbie) (…) Comme l’écrit Davidson dans une formule percutante : Nous ne faisons jamais autre chose que mouvoir nos corps : c’est la nature qui se charge de faire le reste. »
« Pour vouloir X avec ses conséquences recherchées P, il faut que
(1)                l’agent dispose de la représentation des moyens de la production occurrente de P (conjuguant des modèles directs et inversées) dans un contexte motivant donné (condition de contrôle existant)
(2)                qu’un présent contexte motivant rende le but P saillant (condition de saillance)
(3)                que la motivation présente soit causalement suffisante pour que l’agent se mette en état de produire P de manière contrôlée (condition quantitative) »
« Pensons par exemple à une conversation normale : chaque locuteur commence à parler sans savoir au juste quels mots il va employer et comment ses phrases vont s’enchaîner entre elles. Il n’est pas conscient du modèle interne qui contrôle ses paroles. Il en va de même pour l’exécution d’actions corporelles ; l‘agent n’a pas conscience de choisir où il va mettre les pieds, ni comment il va distribuer son poids selon les particularités du terrain ; il ne décide pas consciemment du geste pour saisir tel objet, etc. Quoique l’agent ne soit pas directement conscient des commandes qui organisent dynamiquement son action, il peut en prendre conscience indirectement, précisément parce que la deuxième partie de la boucle de contrôle – le suivi – donne lieu à des perceptions conscientes, ce que les psychologues appellent des « réafférences ». »
« Prenons par exemple un souvenir comme « je me rappelle que j’ai visité le château de Versailles ». Il ne suffit pas que « je » dans « je me rappelle » et « je » dans « j’ai visité » se trouvent faire référence à la même personne ; il faut en outre que je sache qu’il s’agit bien de la même personne. (…) Pour être une personne, on doit au minimum être conscient de deux événements (d’avoir vu Versailles et de s’en souvenir) et de les rassembler dans la même expérience consciente présente concernant le même « je ». »
« Le sens d’être soi, avec la réflexivité forte dont nous avons vu que dépendait le concept de personne, réside dans la conscience de pouvoir d’auto-affecter, c’est-à-dire dans le souvenir de s’être auto-affecté joint à la conscience d’être en mesure, maintenant, de le faire. »
« Nous avons identifié trois conditions qui sont, ensemble, constitutives de ce qu’est une personne :
(1)                Être capable de métacognition, et en particulier de former des buts mentaux et de les réviser.
(2)                Former des souvenirs en recouvrement des épisodes antérieurs de révision.
(3)                Pouvoir réorienter ses actions mentales sur la base de (1) et (2) pour planifier des actions à venir et modifier éventuellement ses dispositions volitives et exécutives. »
« Savoir qui l’on est doit passer par l’évaluation consciente de ses propres choix et l’engagement qu’ils représentent relativement aux actions de la vie. »

9 févr. 2011

ATTENTION AU SYNDROME DU TITANIC

Une entreprise est une collection d’icebergs
Comme je l’indiquais hier, il est difficile de savoir qui on est vraiment et qu’elle est la limite et le lien entre le « je » que nous ressentons être, et le « il » que les autres voient agir.
Qu’en est-il pour une entreprise ?
Tout d’abord, comme elle est elle-même une collection d’individus, elle est donc la réunion d’identités incertaines et fluctuantes.
Bien plus, cet ensemble d’individus s’inscrit dans une culture et des systèmes qui sont à l’intersection de l’histoire de l’entreprise, de sa situation actuelle et de la volonté de ses dirigeants.
C’est ce qui m’avait amené à écrire dans les Mers de l’incertitude : « Si, comme c’est le cas dans une entreprise, le processus de décision est collectif1, les incertitudes existant sur une décision individuelle sont considérablement amplifiées : qui a participé, participe ou participera à la décision ? Faut-il se limiter au périmètre stricto sensu de l’entreprise, ou prendre en compte ceux qui, dans son environnement, peuvent intervenir ? Quels sont les impacts de l’histoire et de la culture collectives ? Quels sont les langages de chacun ? Y a-t-il un langage commun ?… »
Et dire que certains voudraient diriger en appliquant des modèles tout faits, en remplissant des tableurs excel et en dessinant des organigrammes détaillés…
Dans ce cas, ils sont certains de tomber dans le syndrome du Titanic  et de couler vu le nombre d’icebergs qui les entourent !

(1) Même quand la décision finale ne repose que sur une personne, elle a été préparée et orientée par le travail des autres. Sans parler du cas, où l’on est face à une décision « anonyme » : l’entreprise est dans l’incapacité de retrouver qui a pris une décision, et donc a fortiori comment.

29 juil. 2010

IL FAUT POURTANT SAVOIR SORTIR DE SON LANDAU

Se mettre à marcher n'est pas une décision raisonnable

« A neuf mois, dans son landau, il est le roi. Tout serait parfait, si l'on n'attendait pas qu'il se mette à marcher.
Comme ce n'est pas une décision anodine, il s'est lancé dans une étude approfondie :
- Les premières semaines, il ne maîtrisera pas son équilibre. Or tomber fait mal.
- Ensuite, il aura à affronter des interdits multiples. Pourquoi marcher si l'on ne peut pas reconfigurer l'installation informatique de Papa ?
- Enfin, il devra sortir dans le monde extérieur, un monde hostile où il fait, tour à tour, froid ou chaud, où traverser une rue est un challenge, où des écoles vous attendent.
Son choix est fait : il restera dans ce landau. (…)
Est-il raisonnable de se mettre à marcher quand on voit tous les périls auxquels on aura à faire face ? Pourtant, il va bien falloir le faire, non ? On ne peut pas rester immobile, tétanisé dans son landau.
De même, au moment d'évaluer une stratégie, il faut développer suffisamment de paranoïa pour identifier les ruptures majeures improbables, mais il faut ensuite savoir se décider à agir et choisir les risques que l'on va accepter de courir. »(1)

(1) Extrait des Mers de l'incertitude p.130-131

31 mai 2010

LANGAGE, INTERPRÉTATION, COMMUNICATION ET DÉCISION

Comment passe-t-on de l'observation à la compréhension et à la décision ?

Je poursuis la présentation de la première partie de mon livre avec des extraits sur les langages qui sont d'abord le moyen par lequel nous structurons notre pensée, avant d'être celui par lequel nous tentons de communiquer, puis sur la décision.

« Le premier langage est celui de notre langue et de ses mots. Mais ce n'est pas le seul qui peuple notre cerveau : les mathématiques ou le jeu d'échecs sont aussi des langages. Là où le profane ne voit que des assemblages de lettres, de chiffres et de symboles, le mathématicien lit le problème et architecture des solutions ; là où le débutant ne voit que des pièces juxtaposées sur un échiquier, le joueur averti voit des configurations avec lesquels il va construire des stratégies.
Ainsi, avec nos langages, nous lisons la situation présente et l'enrichissons de notre expérience tirée de notre passé. De tout ceci, naissent nos interprétations, mélanges du passé recomposé, du présent perçu et du futur imaginé, toutes intimement liées à chaque individu car elles reposent d'abord sur l'histoire personnelle (tant dans sa partie réellement vécue que dans tout l'imaginaire associé), sur les déformations de la mémoire et sur l'analyse de la situation présente, sans parler de la perception que chacun peut avoir du futur. On n'est donc pas près de pouvoir modéliser et prévoir des interprétations individuelles !

Qu'en est-il de la communication entre individus ? Pour faire court, communiquer est un objectif impossible ! Vous êtes surpris par ma formulation, vous pensez que j'exagère… Je ne crois vraiment pas. Quand vous voulez exprimer quelque chose, quoi que ce soit, vous employez des mots qui correspondent, pour vous, au sens que vous voulez donner. Pour cela, vous vous référez à votre mémoire et à la compréhension que vous avez de ce que vous voulez dire. Celui qui reçoit votre message, l'interprète, lui, à partir de son histoire, son expérience et l'ensemble de ses ressorts émotionnels propres. Les deux sont, sauf en cas d'histoire commune longue et dense, structurellement différents. Comment arrivons-nous alors à communiquer ? Par l'existence d'usages et de règles collectives qui ont construit progressivement des sens communs. Par des ajustements progressifs et aussi beaucoup grâce à la communication non verbale : celle-ci ne passe plus par les mots, mais sollicite essentiellement les neurones miroirs qui nous permettent de « lire l'autre »

(…) Supposons d'abord que nous sommes face au cas le plus simple : je suis seul à décider. Dans ce cas limite et un peu théorique, nous savons donc répondre à la question « qui décide ? ». La réponse est moi. Certes, mais comme nous l'avons vu précédemment, ma décision va reposer sur une interprétation, interprétation fonction de ma mémoire, de mon histoire et de ma perception de la situation. Comme je ne peux pas penser en dehors de mes propres langages, je ne peux pas être conscient des présupposés qu'ils induisent. En ce sens, je ne peux donc pas vraiment comprendre comment je décide.

De plus, comme ma mémoire et mon histoire se recomposent sans cesse, mon identité change continûment et de façon imprévisible : je ne peux pas savoir qui je serai vraiment demain, du moins pas assez précisément pour en déduire ce que je déciderai. Ainsi ce « moi » qui décide est-il constamment en évolution : je ne sais plus vraiment qui j'étais car ma mémoire fluctue, je ne sais pas vraiment qui je serai car cela dépendra ce qui va m'arriver. »1


(1) Extraits des Mers de l'incertitude p.40-41et 44-45

21 avr. 2010

CHOISIR OÙ L’ON EST

On est plus libre qu'on ne le croit

Il est une question que l'on oublie trop souvent de se poser : où voulons-nous vraiment être en ce moment ?
Pourquoi sommes-nous là où nous nous trouvons ? Rarement parce que nous l'avons voulu. Le plus souvent, c'est le résultat de notre passé, de notre histoire, du jeu des forces en place, d'une part de hasard aussi.
Pourquoi ne pas oublier pourquoi on est là pour revenir à une question simplement provocatrice : où ai-je envie d'être ? Pourquoi ne pas se poser la question à partir d'un futur rêvé ? Pourquoi ne pas partir de celui que nous voulons être ? Pourquoi ne pas choisir où l'on est et ce que l'on fait à partir d'un projet, et non pas d'une contrainte ?

Dans mon nouveau livre, « les Mers de l'incertitude », j'explique que, dans le monde de l'incertitude, les entreprises doivent penser à partir du futur et agir au présent en fonction de ce futur rêvé.
Ce qui est vrai pour une entreprise, l'est aussi pour un individu. Nous sommes plus libres que nous le croyons. Nos frontières et nos limites sont d'abord celles que nous nous créons. Ayons le culot d'agir à partir de nos rêves…

7 avr. 2010

IL FAUT PARTIR DU FUTUR POUR TROUVER LES MERS QUI ATTIRENT LE COURS DES ÉVOLUTIONS

Un monde incertain (2ème partie)

(Suite de l'article paru dans la revue Sociétal)

1. Peut-on encore diriger ?
Faut-il renoncer à tout projet et se contenter de vivre au jour le jour comme on peut ? Faut-il juste s'abandonner aux forces instantanées pour en tirer parti ? Où va-t-on ? On verra bien, on ira là où on pourra. Mais alors comment donner un sens à l'action collective, comment attirer à soi les talents, motiver des investisseurs ? Comment ne pas imploser ?
Ou à l'inverse, doit-on renforcer la discipline collective autour d'un objectif fort et fédérateur, derrière un leader charismatique et tout puissant ? Faut-il viser une montagne et se lancer à son escalade ? Mais comment dans le brouillard savoir que c'est la bonne montagne, comment résister aux tempêtes et trouver le bon cap dans le flou environnant ?
Comment sortir de cette tenaille ? Comment concilier la poursuite d'un objectif collectif et l'adaptabilité aux aléas ? Peut-on marier force instantanée et création durable de valeur?
Oublions un moment ce problème et regardons la Seine couler sous le pont Mirabeau. Si nous cherchons à deviner où va la Seine en la regardant couler, ou en suivant son parcours, nous ne sommes pas prêts de trouver la bonne réponse : elle va fluctuer au hasard des méandres. Nous allons probablement rapidement jeter l'éponge en nous disant que la Seine n'en fait qu'à sa tête, qu'elle ne sait pas où elle va. 
En fait si, elle le sait très bien : c'est un fleuve, et, comme tous les fleuves, elle va se jeter dans une mer ou un océan. Comment exactement va-t-elle y aller ? Là, elle ne sait pas très bien, elle verra, elle s'adaptera. Elle avance et chemine, en tirant parti du terrain. Mais, quels que soient les aléas du trajet, on peut d'ores et déjà prévoir où elle va aller. Ce que l'on ne sait pas, c'est simplement à quelle vitesse et si le trajet fluctuera ou pas.
Quand une équipe de direction cherche à construire une stratégie en partant du présent, en imaginant qu'elle va pouvoir prévoir où vont les choses en observant ce qui s'est passé et se passe aujourd'hui, elle fait la même erreur que celui qui cherchait à deviner où allait la Seine depuis le pont Mirabeau. Si l'on prolonge les tendances immédiates, on aura trop d'imprécisions, trop d'aléas, on ne pourra même pas quantifier le taux d'erreur.

2. Une mer est un besoin fondamental et stable
Pour construire une stratégie, il faut d'abord oublier le présent et partir du futur en cherchant sa mer.
Qu'est ce qu'une mer ? Une mer est un besoin fondamental et stable qui, quels que soient les aléas, va structurer le fonctionnement de notre société à long terme, orienter les évolutions, et attirer vers lui les courants. Des exemples ? La beauté, la communication, les loisirs, le déplacement, l'alimentation, la sexualité, une caractéristique de la matière…
Vous trouvez mon propos bien général, peu opérationnel et trop vague ?
C'est pourtant bien ainsi que s'exprimait en juin 2009 Eric Schmidt, PDG de Google : « Google est peut-être au cœur de ce futur, mais il n'y a pas de grand plan. (…) Nous n'avons pas de plan à cinq ans, nous n'avons pas de plan à deux ans, nous n'avons pas de plan à un an. Nous avons une mission et une stratégie, et la mission est…, vous savez, d'organiser l'information du monde. Et la stratégie est de le faire à travers l'innovation. » Le choix fait par Google est bien une mer : quoiqu'il arrive dans le futur, ce besoin en information existera toujours. L'innovation est elle-aussi un moteur stable et durable : ce sont les technologies qui deviennent obsolètes, pas l'innovation.
Quand vous demandez à L'Oréal de définir sa stratégie, il répond la beauté, mer qu'il a précisée en ne s'intéressant qu'à la peau, au cheveu et au parfum. De même Nestlé avec la nutrition et la santé (mer aussi visée par Danone), Air Liquide avec le gaz, Saint Gobain avec l'habitat, Total avec l'énergie…

3. La mer doit être « facilement » accessible
Les stratèges chinois ont développé une apologie de la facilité. Ne nous trompons pas : cela ne veut pas dire qu'aucun effort, aucun travail ne seront nécessaires. Non, cela signifie que toute action pour être efficace doit prendre appui sur le potentiel de situation et la configuration du terrain, qu'elle doit être amplifiée et relayée par les forces naturelles. A l'inverse, il est inutile et illusoire de penser que l'on peut lutter contre le cours des choses.
Comme un fleuve, la mise en œuvre devra « couler de source », c'est-à-dire prendre appui sur la géographie de l'entreprise : les tendances de fonds de la situation actuelle ; les savoir-faire de l'entreprise, sa position, son histoire, ses hommes ; ceux de la concurrence actuelle et potentielle…
C'est ce qui va permettre de résister au mieux aux aléas du trajet et aux « cygnes noirs » qui peuvent survenir.
Il faut aussi que plusieurs chemins soient possibles, car c'est le seul moyen de pouvoir faire face aux imprévus : pour viser la beauté de la femme, L'Oréal multiplie les produits, les marques, les circuits de distribution. Cette redondance peut sembler une sous-optimisation ou un manque de productivité, elle est surtout une assurance contre les aléas : si le circuit des ventes via les pharmacies se développe plus vite que via les parfumeries, L'Oréal est là. Si c'est celui de la vente directe, L'Oréal est là encore.

4. L'avancée vers la mer commence aujourd'hui
Autant l'horizon à moyen et long terme est flou, car masqué par le jeu combiné des incertitudes environnantes, autant l'avenir immédiat est planifiable : les ressources de l'entreprise sont connues, tant qualitatives que quantitatives ; l'évolution du marché et des attentes des clients sont analysables ; les positions des concurrents le sont aussi. Il reste bien sûr des aléas, mais ils peuvent être cernés et probabilisés : on est en-deçà de l'horizon du flou, nous sommes dans l'horizon des plans d'action et du budget.
Comment cet horizon se raccorde-t-il avec celui du long terme ? Comment les plans d'actions se relient avec le chemin qui doit conduire à la mer ? C'est « simple » : ils doivent en constituer la première étape. A l'issue de ces plans d'actions, on doit s'être rapproché de la mer et/ou avoir conforté les chances de l'atteindre. Si ce n'est pas le cas, soit la mer n'est pas la bonne (dans un an, la mer restera au loin, à l'horizon, les concurrents, eux, auront bougé, et cette mer, on ne l'atteindra jamais), soit le plan d'actions n'est pas le bon !
De fait, il doit y avoir une articulation progressive partant des actions immédiates précises et détaillées, et allant vers le flou « total » : au fur et à mesure que l'on s'éloigne du présent, les actions sont moins précises, les ressources affectées moins définies, les options moins tranchées. A l'horizon intermédiaire, celui qui est l'horizon du flou, on a seulement une « idée » de l'entreprise telle qu'elle devrait se présenter et on a identifié les étapes que l'on voudrait avoir franchies.

5. On choisit sa mer pour la vie
La mer n'est pas un objectif que l'on se fixe pour les cinq ou dix à venir, c'est un horizon, situé à l'infini, qui va guider et apporter du sens aujourd'hui et demain : L'Oréal vise la beauté depuis les années 70, Air Liquide s'intéresse au gaz depuis plus de cent ans, et Google n'envisage pas de se centrer sur un autre thème que l'information.
Pourquoi une telle stabilité ? Parce que :
- C'est possible : une mer est un attracteur stable dans le chaos du monde, un besoin fondamental et stable qui, quels que soient les aléas, sera toujours là.
- C'est nécessaire : comme un fleuve se renforce au fur et à mesure qu'il progresse, une entreprise ne peut pas changer de mer sans « repartir de zéro ». Au début, une entreprise n'a qu'une intuition de la mer, c'est petit à petit qu'elle va développer une compréhension fine, créer des offres de mieux en mieux adaptées, développer des savoir-faire internes…
- C'est l'identité même de l'entreprise : c'est la mer qui donne le sens à l'action collective et soude les équipes internes. Changer de mer, ce n'est pas seulement changer de stratégie, c'est changer d'identité. Changer de mer, c'est risquer de ne pas être compris et suivi, de voir éventuellement même éclater l'entreprise.
Aussi ne choisit-on pas sa mer sur un coup de tête : cela doit être le résultat d'un processus long et approfondi. Souvent ce choix a été fait dès la naissance de l'entreprise et s'est trouvé progressivement confirmée par le renforcement de l'entreprise. Dans ce cas, on a choisi sa mer comme l'eau d'un fleuve : la source a imposé la mer.

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Un mot sur le management en guide de conclusion.
Plus les dirigeants changeront souvent d'entreprises, et les actionnaires seront volatils, plus les uns comme les autres voudront se protéger par des prévisions et des chiffres : ne pouvant comprendre en profondeur ce qui fait l'entreprise et ses marchés, n'ayant pas un accès personnel à son histoire, il leur sera difficile d'imaginer le futur. Dirigeants comme actionnaires croiront se protéger dans des tableaux et des certitudes, alors qu'ils ne sont que des lignes Maginot mentales. Quand ils verront que le futur n'est pas comme ce qui avait été prévu, souvent ils se réfugieront dans le court terme, coupant les ressources et les moyens qui auraient permis à l'entreprise de réussir.
Quelles sont les entreprises qui arrivent à créer de la valeur dans la durée ? Ce sont précisément celles qui ont une stabilité à la fois de leur management et de leur structure d'actionnaires. Situation qui est singulièrement celles des groupes familiaux : ils savent mieux éviter les modes, faire des paris gagnants sur le futur, s'y tenir et naviguer au mieux au jour le jour.
Ainsi paradoxalement, l'incertitude suppose la stabilité du management : la vie est faite d'ordre et de désordre, de yin et de yang. Être stable pour pouvoir se diriger et diriger. Être fort pour aimer l'incertitude, s'appuyer sur l'incertitude pour se renforcer.



(Tous ces éléments sont développés dans mon nouveau livre "Les mers de l'incertitude")

17 mars 2010

NOTRE MÉMOIRE NOUS RACONTE DES HISTOIRES

Pourquoi mesurer la satisfaction client en temps réel ?

Quand Daniel Kahneman, prix Nobel d'Économie et spécialiste de l'exploration des conséquences des neurosciences, nous parle du bonheur, et de la différence entre l'expérience vécue et la mémoire que l'on en a, cela vaut la peine de l'écouter.

Vingt minutes passionnantes (en anglais, avec possibilité d'activer les sous-titres anglais), où il nous fait comprendre que ce qui est important ce sont les histoires que la mémoire nous raconte, qu'être heureux dans notre vie ou être heureux de notre vie ne sont pas identiques, que les dernières secondes d'une expérience vécue peuvent à elles-seules provoquer un souvenir globalement négatif…

Ne faudrait-il pas tenir compte de ces enseignements pour suivre la satisfaction des clients, et mieux comprendre pourquoi ils sont fidèles ou pas ?

22 janv. 2010

SANS COMPRÉHENSION NI VISION COLLECTIVES, NOUS RÊVONS D’UN PASSÉ, D’UN PRÉSENT ET D’UN FUTUR, TOUS TROIS IMAGINAIRES

______ Éditorial du vendredi ____________________________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Toute interprétation est contingente. Si nous n'y prenons pas garde, nous cherchons dans ce que nous observons ce que nous croyons savoir. Aussi les mêmes faits ne seront-ils pas compris de la même façon, et seule une « approche d'historien » peut-elle s'approcher du réel.
- Mardi : En prenant appui sur le système Facom qui reposait sur un catalogue et des camions apparemment inutiles, on peut prendre conscience que des approches simplistes de productivité peuvent conduire à la mort : l'anorexie n'est pas une preuve de bonne santé.
- Mercredi : Nous naissons en continu et non pas seulement le jour de l'accouchement ou de la fécondation. Entreprises comme individus se composent sans cesse au hasard des rencontres, des décisions et des apprentissages. Notre identité est ce sentiment de continuité qui nous fait relier nos états passés à notre présent et notre futur possible.
- Jeudi : La vision et la compréhension des risques futurs ne doivent pas nous amener à rester dans notre landau. Fort de leurs expériences et de leurs expertises, entreprises comme individus, doivent sentir où sont les mers et se lancer dans le mouvement des flots qui les y conduisent.

Bon nombre des réflexions et travaux portant sur l'évolution de la société française pêchent par une mauvaise prise en compte de ces différents éléments :
- L'évaluation de l'efficacité des structures publiques : Bien peu d'analyses sont menées en prenant le soin d'une approche de type « historien » qui va s'en tenir au maximum aux faits et qui va confronter les points de vue. Souvent les analyses expriment les a priori de ceux qui les mènent, sans parler des manipulations… Attention aux approches simplistes de productivité : comme pour les individus et les entreprises, un État anorexique n'est pas un État en bonne santé. Nous sommes ainsi en déficit d'une compréhension commune et partagée de notre présent.
- La réflexion et le débat sur l'identité française : Ils tombent à tout moment dans le risque de vouloir figer cette identité, au lieu de la penser en dynamique. En quoi la notion même de France est-elle porteuse de sens pour demain ? Comment relier cette idée d'un futur, cette mer que collectivement nous visons, à notre passé ? Comment notre identité collective peut-elle nous aider à vivre cette transformation ? 
- Le principe de précaution : Nous sommes tellement en déficit d'adhésion à un projet collectif, nous ne savons tellement plus quelle mer viser, nous avons tellement peur du futur, que nous refusons collectivement de bouger tant que nous ne sommes pas certains de ne courir aucun risque. Faisons attention, car si cela continue, nous n'apprendrons plus les nouvelles « marches » nécessaires à notre évolution et nous nous anesthésierons dans le rêve d'un landau fictif et perdu.