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22 févr. 2013

ÉTRANGERS DANS LEUR PAYS

Guatemala 1997
La folie de la sortie de l’aéroport de Guatemala city, et le calme des rues d’Antigua sont loin, le marché de Chichicastenango bat son plein, mais ce n’est plus lui qui attire mes regards et concentre mon attention.
En lisière des échoppes, trône une église, nappée de fumée. Sur les marches, des Indiens et des Indiennes devisent.
Ont-ils comme moi voulu se retirer un peu de l’effervescence des transactions qui s’enchaînent sans fin ? Sont-ils des marchands ou des passants ? Comment savoir, et quelle importance ?
Et que ressentent-ils au pied de ce Dieu qui leur a été imposé, et leur semble encore si étrange ? Font-ils semblants en souvenir des répressions vécues par leurs ancêtres ?
Plus je les regarde, et plus ce sont des questions qui m’envahissent. Je ne sais plus qui est étranger à cette scène, eux ou moi.
Comment relier le passé qui émerge de leurs tenues chamarrées et celui des pierres ? Ne suis-je pas plus issu du catholicisme qui dégouline sur ces marches, qu’eux ?
Finalement, je crois que leur sitting est une protestation contre cette religion qui n’a jamais été la leur, un cri silencieux contre ces envahisseurs que j’incarne et représente, un pied-de-nez à ce Dieu auquel ils tournent le dos.

15 févr. 2013

HISTOIRE DE TRAVESTISSEMENT

A Pékin (5)
Cinquième et dernière libre évocation de Pékin : une nuit en juillet 2005
La nuit est tombée depuis longtemps, pourtant l’air est toujours aussi moite et chaud. Difficile de respirer parmi les rues étroites dans lesquelles je circule à pied. Encore une heure à attendre avant que le spectacle ne commence. Un spectacle de travesti dans un petit bar perdu dans les méandres de la mégapole.
Alors j’avance lentement, au hasard des ouvertures et des rencontres. Pas mal de monde malgré l’heure tardive, mais bien peu par rapport à la foule de la journée. Douceur de l’ambiance, feutrée par le manque de lumière et la lourdeur de l’atmosphère. Peu de bruits, juste les bruissements des conversations et des cliquetis des baguettes.
Je m’assieds un moment pour manger avec eux et boire une bière. Impossible de se parler, car personne ne connaît l’anglais, et mon chinois est quasiment inexistant. Mais qu’importe, nous communiquons par des sourires et des regards…

Petit à petit, il se transforme. Tout à l’heure, il sera toujours lui-même, mais avec l’apparence d’une autre. Magie du travestissement et du jeu des apparences. Il pourra alors laisser place à sa fantaisie pour le plaisir des spectateurs réunis.
Petit à petit, j’oublie où je suis et ce que je vois : c’est la Chine qui est en train de se travestir. N’est-elle pas en train de perdre son âme en se lançant tête perdue dans une mondialisation qui n’a jamais été son histoire, ni sa culture ?
Comment, elle qui a toujours vécu coupée du reste du monde, protégée par des successions d’enceintes, le mur de la Grande muraille, le mur de la Cité Interdite, va-t-elle résister au flux de tous ces étudiants qui, après avoir séjourné plusieurs années en Occident, reviennent dans leur mère patrie ? Flux continu qui fait monter la puissance de l’hybridation.
Beaucoup en Europe ont peur du métissage du monde, mais nous nous sommes construits de métissages successifs. Notre histoire est faite de mouvements, de mélanges et de fusions. La Chine non.
Alors oui, la Chine, à l’instar de Hai en cette nuit pékinoise, se prépare à se transformer et à renaître nouvelle et différente. Que deviendra-t-elle ? Impossible à prévoir… 

8 févr. 2013

ABSENCE DE CONNEXION

A Pékin (4)
Poursuite de mon patchwork chinois, cette fois les 22 et 23 décembre 2004
Noël est proche, plus que trois jours à attendre. Même si cette fête ne fait partie ni de la religion, ni de la culture chinoises, les rues de Pékin se sont quand même habillées pour la fête.
Mais, ici sur la place Tiananmen, rien ne transparaît de ces festivités. Le blanc de la neige souligne le rouge de drapeaux. A l’arrière-plan, coiffant l’entrée de la Cité interdite, trône toujours un portrait géant de Mao, rappel de l’empereur rouge disparu, qui, au contraire de Staline en Russie, n’a pas été déboulonné de l’iconographie officielle.
Difficile d’imaginer dans le calme de cet après-midi de décembre, que, quinze ans plus tôt, en juin, en ce même endroit, se déroulait le face à face entre un étudiant, symbole de la révolte, et un char, symbole du pouvoir en place. Sauf que le deuxième n’était pas qu’un symbole, mais bien l’expression d’une puissance bien réelle et déterminée à rester en place…

Dans la partie sud de Pékin, se tient le Palais du Ciel. Le palais y est petit, discret, le jardin domine. Parmi la multitude des allées, un alignement est essentiel, et relie directement ce jardin à la Cité Interdite. Au cœur de cet alignement, se trouve une pierre circulaire, apparemment anodine.
C’est pourtant elle qui concentre la magie du lieu, et c’est pour elle que l’Empereur venait se rendre ici. Sur cette pierre, si l’on médite selon les règles, on entre en communication avec le Ciel. L’internet avant l’heure en quelque sorte.
Juché sur elle, encapuchonné de jaune, j’ai essayé à mon tour. Rien ne s’est passé. Défaut de connexion manifeste. J’avais pourtant cru que la couleur de mon blouson, qui rappelait un peu le jaune que seul l’Empereur avait le droit de porter, ferait l’affaire. Mais non, manifestement pas.
Quand le boîtier de mon modem ADSL est défectueux, quand je n’arrive plus à me connecter, je peux appeler le service clientèle, la hot line. Drôle de nom pour désigner un service souvent inexistant et qui n’a rien de chaud… Mais au moins, j’ai l’impression de pouvoir faire quelque chose pour rétablir la connexion.
Ici, je ne vois ni combiné que je pourrais saisir, ou ni numéro à appeler. Seulement des Chinois qui me regardent interloqués…

1 févr. 2013

POUR SAVOIR CHANTER DANS LE VENT GLACÉ

A Pékin (3)
Sur la muraille de Chine en novembre 2003.
L’air est glacial, environ une dizaine de degrés en dessous de zéro. Le vent vif vient en souligner les morsures. Le neige, tombée il y a quelques jours, recouvre le paysage et fournit un miroir aux rayons du soleil.
Tout autour de moi, un paysage de montagnes qui se chevauchent à l’infini. Pékin, qui n’est pourtant qu’à un peu plus de cent kilomètres, est bien loin. Aucun bruit, aucune pollution, et Dieu merci comme c’est l’hiver et que la température n’est pas clémente, il n’y a quasiment personne à part nous deux.
Sur le sommet de la montagne, une énorme chenille dort, immensément immobile. Caméléon de l’histoire, elle a su, pour se dissimuler, s’habiller des tons des pierres sur lesquelles elle repose. Un regard rapide ne prêterait pas attention à ses aspérités. Elle est pourtant bien là, sentinelle qui veille depuis deux mille ans, sur la tranquillité de l’Empire céleste.
Doucement, nous montons sur son dos, en prenant garde à ne pas la réveiller. La glace recouvre toutes ses aspérités qui se font marches. La progression est lente et difficile.
Au bout de quelques minutes, je me retourne pour m’apercevoir de la perspective qui se dégage. Dessous, glisse le dos de la chenille, pente vertigineuse. Au loin les montagnes se poursuivent. Sur certaines, je la vois qui se poursuit, animal mythique et infini. Les autres, nues, boudent, en regardant jalousement leurs sœurs habillées de la ceinture impériale.
Hai s'est tourné vers moi, et, levant les bras, me regarde suspendu. Fort de sa sinitude, il sait qu'il n'a rien à craindre de ce qui, depuis presque toujours, protège les siens. 
Me reviennent les mots de Dominique A : « On imagine pourtant très bien voir un jour les raisons d'aimer, perdues quelque part dans le temps. Mille tristesses découlent de l'instant. Alors, qui sait ce qui nous passe en tête ? Peut-être finissons-nous par nous lasser ? Si seulement nous avions le courage des oiseaux qui chantent dans le vent glacé ! »1

(1) Dominique A, Le Courage des Oiseaux

25 janv. 2013

DÉCALAGES...

A Pékin (2)
Deux autres images insolites issues de mon premier séjour à Pékin en novembre 2003.
La cité interdite ne l’est plus guère de nos jours, et est devenue surtout un grand parc d’attraction touristique clos. Continuellement peuplée d’une foule de Chinois et Chinoises partis à la recherche d’un passé révolu, elle est vide de cette cour qui n’y est plus. Dommage…
Aussi, plutôt que de suivre ce flux qui m’est doublement étranger, j’aime me laisser perdre non plus dans ce lieu ceint et clos, mais le long des murs qui le définissent. Tels des membranes figées et impénétrables, ils dessinent une cellule dans laquelle battait le cœur de l’empire.
Peints du rouge impérial, ils dressent des perspectives qui poussent le regard à l’infini. Presque aucun détail ne vient perturber ce mouvement, juste quelques pics qui surgissent inutilement.
Ici la cité redevient interdite, et je me trouve à rêver des bruissements anciens faits par les dizaines de milliers d’eunuques qui, en silence, se pressaient de toutes parts, et de cet empereur condamné à régner sur des terres immenses sans pouvoir quitter sa cellule de 9999 pièces…

Difficilement, j’arrive à m’extraire à ma rêverie pour rejoindre les abords du parc Beihai.
Là sur le vaste trottoir qui le cerne, un groupe de vieillards devise. L’un assis sur une chaise joue d’un instrument qui m’est inconnu, et dont il tire des sons qui viennent d’un autre monde.
Un autre, avec l’aide d’une sorte de grand pinceau, dessine avec de l’eau des idéogrammes. Son ballet est lent et méthodique. Comme religieusement, il écrit de l’éphémère, qui, grâce à l’absence de soleil, durera un peu plus longtemps.
Des années plus tard, je reprendrai ces idéogrammes comme illustration de mon premier roman, Double J, et demanderai alors à un ami chinois leur signification. Ils sont tirés d’un célèbre poème chinois : « Seul, celui qui ne cherche ni gloire ni richesse, peut avoir de grands idéaux ; seul, celui est en paix dans son cœur, peut penser et voir loin devant ». Joli, non ?

18 janv. 2013

RENCONTRES INSOLITES EN CHINE

A Pékin
Trois images insolites de mon premier séjour à Pékin en novembre 2003.
Mon regard ne sait plus bien où se porter dans l’effervescence des rues du centre de la ville. Tout est bruit, foule, et mouvement. Les vélos sont légions, les piétons aussi, et les voitures ne sont pas en reste.
Fatigué de cette folie qui m’entoure, mes pas ralentissent, et mon regard suit la façade de l’immeuble qui se trouve face à moi. Et là, tout là-haut, au sommet, la silhouette gigantesque d’un joueur de basket plane. Comment est-il arrivé à s’extraire de la foule ? Comme je l’envie d’être capable de surplomber ainsi le monde !
Mais où est donc le panier qu’il semble viser ? J’ai beau chercher de toutes parts, je ne le trouve pas. Lui semble pourtant savoir ce qu’il fait…

Depuis plus d’une heure, avec mon ami Hai, nous sillonnons les méandres du Palais d’Été, merveille architecturale, orpheline de l’impératrice qui ne vient plus jamais y séjourner.
Sans nous douter du risque que nous courrons d’enfreindre la loi, nous avançons confiants jusqu’à la rencontre de ce panneau.
« Ciel, dis-je, mais nous n’avons pas le droit d’y faire grand chose ! »
Heureusement, après un examen approfondi de tous les icones, je me rends compte que tout va bien : nous n’avons ni moto, ni voiture, ni patin, ni chien, ni fusil. Je ne me rappelle pas non plus avoir allumé un feu, joué au ballon ou du clairon.
Rassurés, nous poursuivons notre promenade…

Pas très loin du Palais d’Été, se trouve le Parc Yuanmingyuan. C’est un endroit plus calme où les touristes ne se bousculent pas trop. Et pour cause, puisque seules des ruines s’y trouvent.
Autrefois, le parc était peuplé de palais qui avaient été construits sur le modèle de l’architecture occidentale. Ils sont tous été détruits par les troupes anglo-françaises en 1860, lors de l’invasion de Pékin. D’où les ruines.
Mais ce qui est le plus étonnant, c’est qu’à côté de chaque ruine, se trouve une maquette montrant le palais tel qu’il était avant d’être détruit. Et devant chaque maquette, figure une pancarte rappelant que le palais originel a été détruit par les troupes franco-anglaises.
Tout en marchant dans ce parc, à force d’être interpellé par toutes ces maquettes et ces pancartes, je ressens comme un malaise à me sentir français. Pour me rassurer, je me dis que, n’ayant pas un anglais à mes côtés, je ne vais être perçu comme dangereux…

11 janv. 2013

AU PAYS DE LAWRENCE D’ARABIE ET D’INDIANA JONES

Un moment à Petra
A partir de ce vendredi, et ce tous les vendredis, je vais vous inviter à parcourir quelques-unes de mes photos favorites, prises à l’occasion de mes voyages. J’ai retenu celles qui étaient associées à des souvenirs particuliers ou qui m’interpellaient particulièrement. Elles seront assorties de commentaires essayant de vous les faire partager.
Pour commencer, Petra en Jordanie où je me trouvais en octobre 2003, à l’occasion d’un voyage professionnel en Jordanie.

Une route faite de sable part de là où le taxi m’a laissé. Tout est soleil et or. Petra est dissimulé. Je sais que je le trouverai au débouché de la sente sablonneuse, qui part devant moi.
Un groupe de jeunes jordaniens juchés sur leurs chevaux, dansent comme une samba. Jouent-ils ? Non pas vraiment. Ils sont là à la recherche de touristes qu’ils pourraient accompagner. Je reste un moment à les regarder, fasciné par le ballet de leurs courses. Sans raison précise, les images de Lawrence d’Arabie me reviennent. Je revois la course dans le désert, quand les cavaliers se battent pour se saisir d’un trophée.

Sortant de ma torpeur, je m’engage sur le chemin qui se dessine devant moi. Petit à petit, il s’engage dans un défilé qui devient de plus en plus étroit. La lumière parvient difficilement à y pénétrer. Je chemine dans une obscurité qui me rappelle celle des cryptes. Aller vers Petra, c’est un peu entrer en religion. Je sens le caractère sacré et secret du lieu.
Puis, au détour d’un dernier virage, une porte majestueuse, irradiée de soleil, apparaît. Quelques minutes, plus tard, je suis dans un cirque immense, cerné de temples, tous sculptés à même les cavernes. La voie étroite pour y parvenir rend encore plus étonnante le débouché.
Lawrence d’Arabie cède la place à Indiana Jones. Un instant, je goûte le plaisir d’être enfin arrivé à ce temple qui est le but de ma dernière croisade. Vais-je y trouver la coupe du Saint Graal ?

Non, je ne crois pas…
Malgré la chaleur, pris par une envie soudaine, je mets à courir, et, à petites foulées, je parcours le site, escaladant les collines, m’arrêtant pour une perspective, une silhouette, ou parfois simplement pour rien. Volonté de m’extraire des touristes qui sont restés en bas.
Les minutes deviennent des heures. Le temps est suspendu, dans le silence du vent, et des quelques chèvres qui avancent au loin.
Cette chaude torpeur, des années plus tard, flotte encore en moi. Magie unique d’une cathédrale inversée, où, au lieu de marcher dans un lieu fermé et de savoir le monde à l’extérieur, on est dehors et des dedans nous cernent, présents et inaccessibles. Ce dehors est pour toujours en moi, et j’y ai gagné un Graal que je n’ai ni trouvé, ni conquis.

21 déc. 2012

ÉCRIRE À FLEUR DE PEAU

Extrait de Double J
A l’aéroport, en revoyant Jacques, je ne pus m’empêcher de porter sur lui un double regard : je voyais à la fois l’amant retrouvé et la peau vierge. Les deux m’attendaient, mais je me sentais encore plus attiré par la peau que par l’amant. Troublant. Je secouai la tête en souriant pour essayer de dissiper mon trouble. (…)
Je saisis le stylet et m’apprêtai à faire la première pénétration dans cette peau que je n’avais jusqu’à présent qu’embrassée.
Au dernier moment, quand à peine un millimètre me séparait de lui, je fus pris d’un vertige. Qu’étais-je sur le point de faire ? Ce n’était plus un stylo que je tenais dans la main, mais bien un stylet. Ce n’était plus une feuille de papier que j’allais tatouer d’encre rouge, mais bien la peau de mon amant. J’étais à un millimètre d’un geste irréversible, d’un geste qui allait définir pour toujours un avant et un après. Je fus pris de peur et retirai ma main.
« Je ne peux pas. Vraiment, non, je ne peux pas. » Et je m’éloignai à reculons, ne lui laissant pas le temps de me répondre. (…)
Mon corps se leva et se déplaça jusqu’au lit, ma main saisit à nouveau le stylet et plongea sans hésiter sur la peau de Jacques. Je sentis la lame franchir la barrière du derme pour venir s’insérer en lui. Je ne le tatouais pas consciemment, je n’étais que le spectateur, le témoin de ma propre œuvre. Dédoublement. Mon histoire était tellement forte qu’elle n’avait pas besoin de moi pour s’exprimer, ma technique était tellement digérée que les lettres se dessinaient d’elles-mêmes. Progressivement, je sentis monter en moi une transe mystique, j’étais dans un état second, extatique, violent et orgasmique. Je perdis alors la conscience du temps et des événements.
Quand je revins à moi, la nuit était tombée, et Jacques dormait tranquillement. A la lumière de la pleine lune qui baignait la chambre, je voyais un texte serré, raffiné et élégant qui courait sur le début de ses épaules. Je suis resté éveillé toute la nuit, figé dans la fascination de ce tatouage, incapable de le toucher, incapable de m’en éloigner, horrifié et séduit par ce viol couleur sang qui le marquerait à tout jamais. Quand l’aube arriva, quand la lumière froide et bleutée de la lune laissa place aux premiers rayons du soleil, mes inquiétudes et mes hésitations laissèrent place à ma détermination et ma volonté de mener à bien l’écriture de mon roman. Je n’avais plus qu’une envie : recouvrir chaque pouce de cette peau rosée qui ondulait doucement à mes côtés.

Pendant la période de Noël, je diffuserai le mardi et le vendredi des articles tirés de ceux parus en 2012, un billet pour le Nouvel An, et retour au « live » le 7 janvier 2013. Bonnes fêtes à tous !

14 déc. 2012

A BOMBAY, SUR MARINE DRIVE


Promenade en terres indienne ? (11)
Que regarde-t-il ? Veut-il s’extraire du Bombay tonitruant qui hurle juste derrière lui ? Rêve-t-il d’un voilier qui viendrait l’emporter au travers des océans ?
Ou se voit-il s’envolant vers les tours qui ferment l’horizon ? S’imagine-t-il y travailler ou y dormir ? Y a-t-il caché dans le luxe d’un loft dominant la mer, une compagne qui l’attend ?
Quoi qu’il en soit, je connais au moins un chien qui est indifférent : allongé confortablement sur le quai, soulevant paresseusement une paupière, il observe le monde des hommes. Pourquoi bougerait-il quand la vanité de ce qui l’entoure lui semble évident ?
Il voit sur la plage des couples avancer, quelques enfants jouer, et des ordures voler dans le vent. Les poubelles ne sont que des objets de décor. Inutile de chercher à les vider. Des oiseaux noirs se réjouissent et se nourrissent de tous les déchets qui jonchent le sable. En arrière plan, il peut entrapercevoir des nageurs qui zigzaguent dans les débris flottants.
Les rêveries du promeneur figé et la somnolence du chien sont périodiquement troublées par les cris de vendeurs de thé. « Chai, chai » hurlent ces derniers.
Au bout de longues minutes, j’arrive à m’extraire de ma contemplation. Mon regard alors s’arrête sur une bannière inattendue, et incongrue dans le flux luxueux de Marine Drive : « God created human beings. They created politicians who created chaos ».
Pourtant au travers de toutes mes promenades indiennes, si le chaos m’est apparu omniprésent, il m’a semblé inhérent à l’Inde, et non pas créé par des politiciens…

7 déc. 2012

PRISONNIER DE LA TOUR DU HAREM DE TRIVANDRUM


Promenade en terres indiennes (10)
Où suis-je ? Mes pas m’ont-ils perdu, emmené loin de cette Inde que je parcourais, il y a quelques minutes encore ? Suis-je face à une porte interdite ? Vais-je basculer dans un monde nouveau ?
Pourtant, non. Tout autour de moi, c’est bien toujours l’effervescence de Trivandrum, la capitale du Kerala, cité bouillonnante de voitures, de motos, de vélos et de passants qui, tous, s’ignorent, les uns les autres. Chacun poursuit son chemin, sans prêter attention à ce qui l’entoure, se faufilant dans les méandres de la fourmilière humaine, inaccessible au brouhaha qui l’environne. J’entends derrière moi les cars qui s’extraient de la boue qui jonche le sol. Je sens un peu plus loin, la gare hantée de trains, de mendiants et de voyageurs. Le ciel est strié de fils, qui sont autant de messagers pour des conversations inconnues et silencieuses.
Alors que fait ici cette tour issue d’une mosquée absente ? Pourquoi ses murs sont-ils teints du rouge du palais impérial ? Est-ce une excroissance de la cité interdite ? Que cachent ces briques percées d’une succession de triangles ? Est-ce une formule secrète et cabalistique, écrite par un savant disparu et laissée là pour me perdre ?
Je me décide toutefois à en pousser la porte. Après tout, peut-être que ce n’est bien que l’Indian Coffee House, ce café mis en exergue dans tous les guides.

Une fois franchi le passage dessinant la frontière entre le réel et ce qui ne l’est plus, j’escalade une spirale qui n’en finit pas. Petit à petit, marche après marche, pas après pas, je m’insère dans la tour.
Sur le côté, des tables sont scellées dans le sol. Quelques initiés sont assis, et en silence, mangent, boivent ou méditent. Les grands prêtres se tiennent le long du noyau central. Habillés de parures volées au temps jadis, ils m’observent. Vais-je être accepté ? Viendront-ils à moi pour me retirer mes vêtements occidentaux qui parjurent la solennité du lieu ?
Je sais que je ne ressortirai plus jamais de ce harem indien qui sera ma prison et ma cage dorée. Apercevant des bribes de la rue au travers des meurtrières qui parcourent les parois externes, je n’aurai plus comme destin que d’être un objet de plaisir pour ceux qui m’y ont attiré. Les serveurs n’en étaient pas, et sont les eunuques chargés tout aussi bien d’accéder à chacun de mes désirs, que de m’interdire ceux que ma condition a rendu prohibés. Me voilà encagé dans les fantasmes de mes caprices.
Si jamais il vous advient de passer par Trivandrum, et que vous apercevez la tour maléfique de l’Indian Coffee House, ne poussez pas sa porte…