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28 févr. 2011

LA VIE EST UNE AFFAIRE DE POUPÉES RUSSES

Une histoire est faite de phrases... faites de mots... faits de lettres…
Prenez un livre : Il est composé de phrases, elles-mêmes composées de mots, à leur tour composés de lettres. Emboîtement de niveaux dont chacun suit des règles qui lui sont propres : seules certaines successions de lettres donnent des mots ; toutes les suites de mots n’aboutissent pas à une phrase qui ait un sens et des règles de grammaire doivent être respectées ; la suite des phrases doit aboutir à une histoire, structurée ou non, qui correspond à la signification visée.
Si l’on observe le livre, Il y a des blancs, c’est-à-dire des espaces, qui ne portent en eux-mêmes aucun sens. Pourtant, si vous enlevez ces espaces, vous n’avez plus que des lettres dont n’émergent plus ni les mots, ni les phrases, ni le livre. Ces espaces qui séparent des lettres pour définir le début et la fin des mots créent un nouveau type de lien, un lien entre les mots ainsi définis : ces espaces séparent et réunissent. Grâce à ces espaces, on passe du niveau des lettres à celui des mots.


De même, la membrane qui limite une cellule est ce qui la définit et la circonscrit : sans cette membrane, pas de cellule. Mais cette membrane, c’est aussi ce par quoi la cellule échange avec le reste du monde, avec les autres cellules et avec ces éléments dont elle a besoin pour vivre. C’est aussi grâce à la membrane qu’elle va pouvoir s’unir avec d’autres cellules pour aller composer un groupe de cellules, et progressivement construire le niveau supérieur. A nouveau, la membrane sépare et réunit.
La nature est ainsi bâtie autour de séparations/réunions qui articulent et distinguent. Les deux propriétés sont inséparables et sont réalisées indistinctement. Ce sont elles qui contribuent à la solidité de chaque niveau ; ce sont elles qui assurent les emboîtements et les circulations nécessaires entre niveaux.
Extrait des Mers de l’incertitude


(à suivre)

19 janv. 2011

LES STRUCTURES RIGIDES SONT CASSANTES

Le flou est nécessaire à la performance à long terme

Hier je reprenais un passage de mon dernier livre, Les mers de l'incertitude, portant sur le rôle du chaos : le chaos n'est pas d'abord un problème, mais une solution, car c'est lui qui permet l'auto-organisation et la résilience des systèmes face à l'incertitude.

C'est aussi ce qu'a développé Edgar Morin à de multiples occasions, et notamment dans Introduction à la pensée complexe :
« Le facteur "Jeu" est un facteur de désordre mais aussi de souplesse : la volonté d'imposer à l'intérieur d'une entreprise un ordre implacable est non efficiente… On peut dire grossièrement que plus une organisation est complexe, plus elle tolère le désordre… A la limite, une organisation qui n'aurait que des libertés, et très peu d'ordre, se désintégrerait à moins qu'il y ait en complément de cette liberté une solidarité profonde entre ses membres. La solidarité vécue est la seule chose qui permette l'accroissement de complexité. »

On le voit quotidiennement que les systèmes rigides et parfaitement ordonnés sont cassants, et sont emportés dès que les conditions pour lesquels ils ont été créés changent.

Et pourtant, bien trop d'entreprises restent encore emprisonnées dans des structures figées, bien trop de dirigeants croient que c'est en définissant chaque tâche le plus précisément possible que l'efficacité sera garantie, bien trop de plans de productivité rendent les entreprises parfaitement ajustées et donc vulnérables … et bien trop d'entre nous attendent de leurs dirigeants – notamment politiques – qu'ils apportent des réponses définitives et prévisionnelles…

11 janv. 2011

« LE NOMBRE D’ATTRACTEURS POSSIBLES VERS LESQUELS LE SYSTÈME PEUT CONVERGER EST BEAUCOUP PLUS PETIT QUE LE NOMBRE DE MODÈLES ET DE CHEMINS POUR Y ARRIVER »

Quand biologie, philosophie et incertitude s'emmêlent…

Patchwork tiré du nouveau livre d'Henri Atlan (*), La philosophie dans l'éprouvette.

Vie, auto-organisation, redondance
« Détournant une phrase de Schrödinger dans son fameux livre Qu'est ce que la vie ? selon laquelle la vie se nourrit d'ordre, Heinz von Foerster avait déclaré : « la vie a aussi du désordre au menu ». »
« Je me suis rendu compte qu'on peut rendre compte de ce genre de phénomène de façon formelle en mettant en évidence le rôle du hasard et d'une redondance initiale dans la création d'information. Ainsi des phénomènes classiquement considérés comme source de désorganisation et de mort sont apparus comme parties intégrantes de processus caractéristiques du vivant. »
«  Aujourd'hui, on s'aperçoit que les réactions chimiques dont on croyait qu'elles étaient les plus déterministes s'effectuent avec une part non négligeable d'aléatoire qui joue un rôle important dans la création de la diversité développementale. »

Sous-détermination des modèles et incapacité à prévoir
« Au contraire, la difficulté vient de ce que nous disposons de trop de bons modèles sans que les observations disponibles permettent de décider si l'un est meilleur que les autres, et idéalement de les éliminer tous sauf un. Or ces modèles reposent sur des hypothèses différentes et conduisent à des prédictions différentes sur de nouvelles observations futures éventuelles. C'est ce que j'avais alors appelé la « sous-détermination des modèles par les observations ».
« Quand on a affaire à un système complexe naturel sur lequel on ne peut pas expérimenter, comme c'est le cas par exemple en géologie, en volcanologie et en climatologie, une énorme sous-détermination des modèles par les observations est inévitable. Ceci doit rendre très prudent dans l'interprétation des rapports avec la réalité de ces modèles pourtant bons et validés par les observations disponibles ; et réservé sur la croyance à accorder aux prédictions d'évolutions futures qui en sont déduites. En outre, cette sous-détermination est souvent intrinsèque au système étudié et pas seulement une insuffisance de la modélisation. C'est ce que l'on observe parfois en biologie quand il existe une grande redondance fonctionnelle »
« Tout cela doit inciter à la prudence. Il ne suffit pas d'avoir trouvé le bon modèle qui explique ce que l'on observe pour conclure que ce modèle est vrai, et pour croire que les extrapolations qu'on pourra faire à partir de lui pour l'avenir sont forcément exactes. »

Sous-détermination et convergence
« Le fait de parvenir assez rapidement à la même conclusion est un aspect positif de la sous-détermination des modèles par les observations qui devient ici la sous-détermination des motivations par les conclusions. Ceci peut s'appliquer de manière intuitive : plus on a affaire à une question particulière et plus le nombre de réponses possibles se réduit. À la limite, il n'y a que deux ou trois possibilités : oui, non, ou à certaines conditions. En revanche, le nombre de raisonnements possibles pour y parvenir est beaucoup plus important, chacun d'eux dépendant d'un ensemble différent d'axiomes, de principes, de croyances, de visions du monde. Autrement dit, comme j'ai pu l'observer en construisant des modèles de réseaux immunitaires, le nombre d'attracteurs possibles vers lesquels le système peut converger est beaucoup plus petit que le nombre de modèles et de chemins pour y arriver. »

Expertise et incertitude
« Il faut reconnaître que l'expertise scientifique en situation d'incertitude est difficile. Peu d'experts ont le courage d'annoncer qu'ils ne peuvent pas répondre à la demande même en probabilité. Ils cèdent le plus souvent à la tentation de donner tout de même une réponse, soit pour rassurer, soit pour mettre en garde. »
« Plutôt que de tenter de prévenir des risques globaux incertains par des mesures globales à l'efficacité tout aussi incertaine, mieux vaut résoudre les problèmes localement en corrigeant ce qui peut l'être et en s'adaptant à ce qui ne peut pas être évité à court terme, par des mesures d'urbanisation et éventuellement de déplacements de population si c'est nécessaire. Plutôt que « sauver la planète », sauver les populations dénutries et sans eau potable. »
« Lorsque (les experts scientifiques) se trouvent dans une situation d'incertitude, ils recourent alors aux statistiques ou aux modèles, c'est-à-dire à une forme de demi-mensonge sans trop insister sur les interprétations critiques des résultats. »

(*) Voir aussi « Ciel, Dieu me parle », le florilège que j'avais tiré de son livre « A tort et à raison »

29 déc. 2010

UN DIRIGEANT NE DOIT PAS ÊTRE UN SHOW MAN, MAIS UN “CHAUX-MAN”

BEST OF 2010 (publié les 27, 28 et 29 mars)

"CHAUX" TIME

Nous vivons de plus en plus dans un monde de l'immédiateté et de l'apparence :
  • Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire à de multiples reprises, nous vivons de plus en plus dans l'instant et nous avons un rapport maladif avec le temps. Nous avons peur de perdre du temps, alors que le temps est une des rares choses que l'on ne peut pas perdre (voir « Non, vous ne perdez jamais du temps ! »)
  • Parallèlement, nous ne prenons plus le temps (eh oui, le temps est là à nouveau…) de réfléchir et de comprendre. Du coup, nous en restons aux apparences et à la surface des phénomènes. Nous ne sommes même plus victimes des modes, nous vivons au travers d'elles et grâce à elles.
Notre société devient ainsi un grand amplificateur des rumeurs, des opinions et des « on dit ». Mais comme nous sommes une société évoluée et sophistiquée, nous nous méfions des idées qui ne sont pas ni « scientifiquement » prouvées, ni « technologiquement » portées.

Mais si un modèle mathématique nous démontre que tel phénomène est en train de se produire, ou même risque de se produire…
Mais si Internet véhicule vers nous la nouvelle nouvelle, l'information brute sans intermédiaire ou le scoop venant de nulle part…
Alors tout le système média-politique s'emballe… et chacun d'entre nous le relaye sans problème.

Auparavant nous ne nous levions que pour faire des holàs dans des stades ; aujourd'hui le monde entier fait des holàs numériques.
Sans réfléchir, nous passons collectivement d'un tsunami thaïlandais à des cendres islandaises, d'une crise des subprimes au dernier incident amoureux de David Beckham. Nous nous émouvons d'un réchauffement climatique potentiellement à venir, tout en laissant mourir de faim ou du sida une partie de l'Afrique…



Je suis assis sur la terrasse de ma maison perdue dans la campagne provençale quand je tape ces lignes. Et j'ai dans les mains encore les traces de cette chaux que je viens d'appliquer au mur Est de mon hangar. « Chaux » time…
 
Je viens de passer une bonne partie de l'après-midi à reprendre à la chaux le mur Est du hangar de ma maison en Provence. En fait, j'ai commencé cela depuis quelques jours.
J'aime cette activité où l'on travaille à la fois sur l'apparence des choses – si le mélange de sables a été judicieusement fait, le mortier à la chaux se fond en une aquarelle qui vient souligner le contour des pierres –, et sur la solidité du mur – la chaux est d'abord là pour maintenir les pierres en place et les lier entre elles.
C'est aussi une matière naturelle que l'on mélange avec du sable et de l'eau. Du choix des sables dépendra l'apparence : comme un peintre joue de la palette de ses couleurs, je vais jouer de celle de mes sables. Plus ou moins fin, avec ou sans des particules colorées, jaune, blanc ou gris…
Ensuite la mise en œuvre d'un mortier à la chaux ne peut pas être accélérée, il faut en respecter les rythmes et les caprices.

D'abord l'application du mortier. A coups de truelle, on vient garnir les pierres de mortier. Au besoin, de ci de là, on met une pierre si le mur est trop dégarni. Puis environ une heure après, toujours avec la truelle, on écrase le mortier pour renforcer son adhérence et on enlève ce qui est en excès. On se sert aussi de ses doigts – un conseil : n'oubliez pas de porter des gants en caoutchouc si vous ne voulez pas voir votre peau disparaître au fur et à mesure que le mur se reconstruit. Un peu après – la durée n'est pas fixe. Elle est fonction de l'épaisseur de mortier mis et de la température extérieure. Il va falloir prendre le temps d'observer… –, avec une brosse métallique, on enlève tout le mortier qui recouvre les pierres et on creuse entre les pierres.

Rejointer un mur à la chaux est donc bien une activité qui joue sur l'apparence, mais qui sait dépasser l'immédiateté.

Un « chaux » time qui n'est plus un show-time.

J'ai comme l'impression que l'on devrait proposer des stages de mortier à la chaux à bon nombre de nos concitoyens…


Bizarrement, je ressens de plus en plus ce travail à la chaux comme une métaphore pertinente pour approcher ce que doit être le rôle d'un dirigeant.

Lui aussi, il doit se préoccuper de trouver le bon liant, celui qui va venir assurer les bonnes liaisons, celui qui va donner force et cohésion à l'ensemble. Ce liant doit venir se fondre avec ce qui préexistait. Des mois ou des années plus tard, il doit être encore là, mais invisible, noyé dans la masse. Ce liant doit aussi laisser respirer, il ne doit pas constituer une chape de plomb, mais, comme la chaux sait laisser l'humidité, l'action du dirigeant doit fluidifier les échanges et non pas les contraindre. Un liant souple, perméable, naturel…

Lui aussi, il est confronté au rythme et au bon enchaînement des gestes. Au début de l'action, un maximum de fluidité est nécessaire, mais pas trop non plus : comme le mortier à la chaux, il doit avoir cette consistance pâteuse, mi-fluide mi-solide, qui va se glisser là où il faut. Puis il va falloir suivre le durcissement du mortier, l'effet des actions. Venir appuyer un peu là, enlever ce qui est en trop… Enfin, quand les choses seront en place, mais pas encore tout à fait figées, venir faire un dernier lissage.

Le métier d'un dirigeant n'est surtout pas de faire du spectacle, cela ne doit pas être un show-man… mais je le vois bien être un « chaux-man ».


 

11 oct. 2010

JARDIN À LA FRANÇAISE OU À L’ANGLAISE ?

Comment faire face à l'incertitude dans un cadre rigide et uniforme ?

Debout, le dos à son château de Versailles, Louis XIV, en regardant le parc qui s'étendait devant lui, a dû ressentir un sentiment de puissance et de sécurité. Il a dû aimer ces grandes perspectives structurées par des immenses allées. Grâce à elles, le jardin est lisible de presque n'importe quel point. Essences et bassins se répètent en suivant la simplicité des rythmes. Tout cela exprime la puissance, le repos, la solidité.
Comment a procédé le concepteur de ce jardin ? Dans le silence de son bureau, sans avoir eu besoin de voir le terrain où le jardin allait prendre place, guidé par sa créativité personnelle, il a dessiné son plan. Ensuite, il a reconfiguré le terrain, arasant si nécessaire les collines et creusant les bassins. Le résultat est cet ensemble ordonné et majestueux.
Mais est-ce vraiment un lieu de vie ? N'est-ce pas plutôt un lieu de représentation, de théâtre ? Il n'y a plus de place à l'improvisation et au hasard. Tout est prévu, structuré, rigidifié.
Est-ce le bon plan, le bon dessin, la bonne structure ? Oui, tant que tout se déroule comme prévu. Non, si des aléas arrivent, car cette rigidité va devenir fragilité et capacité à se rompre.

En milieu incertain, ce sont les jardins à l'anglaise qu'il faut privilégier, des jardins fait de diversité et d'hétérogénéité. Comme tout n'aura pas pu y être prévu, maintenir du flou sera nécessaire. De cet ensemble, pourra alors naître la vie.
Comment est construit notre cerveau ? Est-il un jardin à la française clairement structuré et figé ? Non, vraiment pas. La cartographie des neurones et de leurs synapses est un enchevêtrement difficilement lisible et compréhensible. Pas de grandes allées, pas de plan détaillé a priori. Les aléas de la vie ont largement dessiné ce réseau : au cours de la phase initiale de constitution du cerveau, les cellules se spécialisent en fonction de l'endroit où elles migrent ; si une fonction initialement prévue est déficiente (cas par exemple d'un aveugle de naissance), les neurones réorienteront leur action vers d'autres sens. Pendant notre vie, ce réseau est constamment modifié en fonction des situations rencontrées, des émotions vécues et des pensées formulées : des connexions synaptiques se créent ou se renforcent, d'autres s'affaiblissent. De nouveaux neurones aussi apparaissent.

Tout sauf un jardin à la française ! On est plus près des jardins à l'anglaise et de leur apparent désordre. Comme eux, derrière ce fouillis apparent, se
cachent une structure et une organisation : des routes existent, des sous-systèmes sont organisés, un plan d'ensemble articule les actions individuelles. Le déroulement du temps les a fait émerger progressivement. L'architecte d'un jardin anglais a lui aussi su tirer parti du terrain, renforcer à une courbe naturelle, placer un bosquet dans le creux d'une autre. Il a en tête un projet qui oriente ses choix et articule les éléments entre eux.
C'est ainsi qu'il faut penser les organisations, comme des jardins à l'anglaise et non pas comme des jardins à la française.


Extrait des Mers de l'incertitude

29 avr. 2010

UN DIRIGEANT NE DOIT PAS ÊTRE UN SHOW MAN, MAIS UN “CHAUX MAN”

"CHAUX" TIME (3)

Bizarrement, je ressens de plus en plus ce travail à la chaux comme une métaphore pertinente pour approcher ce que doit être le rôle d'un dirigeant.

Lui aussi, il doit se préoccuper de trouver le bon liant, celui qui va venir assurer les bonnes liaisons, celui qui va donner force et cohésion à l'ensemble. Ce liant doit venir se fondre avec ce qui préexistait. 
Des mois ou des années plus tard, il doit être encore là, mais invisible, noyé dans la masse. Ce liant doit aussi laisser respirer, il ne doit pas constituer une chape de plomb, mais, comme la chaux sait laisser l'humidité, l'action du dirigeant doit fluidifier les échanges et non pas les contraindre. Un liant souple, perméable, naturel…

Lui aussi, il est confronté au rythme et au bon enchaînement des gestes. Au début de l'action, un maximum de fluidité est nécessaire, mais pas trop non plus : comme le mortier à la chaux, il doit avoir cette consistance pâteuse, mi-fluide mi-solide, qui va se glisser là où il faut. Puis il va falloir suivre le durcissement du mortier, l'effet des actions. Venir appuyer un peu là, enlever ce qui est en trop… Enfin, quand les choses seront en place, mais pas encore tout à fait figées, venir faire un dernier lissage.

Le métier d'un dirigeant n'est surtout pas de faire du spectacle, il ne doit pas être un show-man… mais je le vois bien être un « chaux-man ».

31 mars 2010

DES OPTIMISATIONS RÉPÉTÉES PEUVENT RENDRE UNE ENTREPRISE CASSANTE

Une entreprise exactement adaptée à sa situation présente est vulnérable

Retour sur l'anorexie et du risque de rendre l'entreprise cassante.

Pour préciser mon propos, je vais vous poser quelques questions « simples » auxquelles je vous laisserai apporter vos réponses (n'hésitez pas à me laisser des commentaires) :
- Un coureur de marathon a-t-il la moindre chance d'arriver au bout de la course, s'il part sans aucune réserve ? N'a-t-il pas pris la peine de manger des sucres lents qu'il a stockés préalablement dans son organisme ? La mise en œuvre d'un plan d'action pour une entreprise est-il une action de courte durée ou s'apparente-t-elle à un marathon ?
- Un ensemble d'engrenages peut-il fonctionner sans présence d'un corps gras et d'un minimum de jeu ? Si l'on réduit toutes les marges de manœuvre et on assèche tous les mécanismes, va-t-il se bloquer ?
- Dans la fable du chêne et du roseau, lequel des deux survit à l'orage ? Pour quelle raison, l'un des deux est-il condamné ?
- Y a-t-il une part de flou dans le vivant ? Est-ce qu'une cellule vivante pourrait s'adapter à des changements de son environnement si elle était parfaitement adaptée à son environnement actuel ? Si un être vivant était exactement ajusté à sa situation présente, que se passerait-t-il si elle changeait ?
- Le chaos – au sens mathématique du terme – est-il omniprésent dans le monde dans lequel nous vivons ? L'évolution d'une situation chaotique peut-elle être anticipée précisément, ou, au contraire, peut-elle varier dans des proportions imprévisibles ?
Je pourrais prolonger cette liste…

Maintenant, je vais ajouter juste une dernière question : si j'optimise exactement une entreprise à sa situation actuelle en supprimant tout ce qui semble inutile et n'apporte rien dans le contexte actuel, est-ce que, en améliorant sa performance immédiate, je ne la rends pas cassante et vulnérable ?

Je vous laisse répondre…

29 mars 2010

UNE ENTREPRISE SE COMPOSE ET SE DÉCOMPOSE SANS CESSE

Les règles communes cimentent les systèmes


"A l'échelon le plus élémentaire, on trouve les composants de base de la matière. Ces composants se combinent pour donner des photons, des neutrinos, des électrons ou des quarks. En continuant la remontée, on arrive aux briques de base dont nous avons tous entendu parler depuis longtemps : hydrogène, oxygène, carbone, fer… A leur tour, ces briques se composent pour créer des molécules complexes : eau, gaz carbonique,…

De cette matière, émerge la cellule, l'échelon de base du vivant. Assemblées ensuite dans des schémas plus ou moins sophistiqués, ces cellules donnent naissance à un être vivant allant de l'amibe à l'homme. 
Enfin ces êtres vivants interagissent entre eux et donnent naissance à des systèmes : des tribus d'animaux, des écosystèmes (la fleur et l'abeille), des entreprises, des organisations sociales… Puis tous ces systèmes s'articulent entre eux pour donner notre univers. Et au-dessus ? On ne sait pas…

Qu'est-ce qui fait qu'une collection d'éléments n'est pas seulement une juxtaposition, mais crée un niveau ? C'est l'existence d'au moins une règle commune et nouvelle qui fait que c'est bien un niveau et non pas une collection d'éléments : une collection de stylos ne devient pas un niveau et reste un ensemble d'objet ; une collection de personnes devient un groupe et donc un niveau, si elles suivent des règles communes (des lois, des us et coutumes, …). C'est l'existence de ces règles qui lui apporte ses propriétés spécifiques. 


De même, c'est l'existence de règles propres qui fait qu'une entreprise existe en tant que telle, et n'est pas qu'une juxtaposition d'individus. Ces règles peuvent comprendre des éléments objectifs comme le cadre juridique, les systèmes d'information ou l'organisation interne, mais aussi subjectifs comme des us et coutumes, un langage propre. Les éléments qui composent une grande entreprise (filiales, pays, divisions…) n'existeront en tant que niveau propre, que si ils sont eux-mêmes dotés de règles propres, celles-ci pouvant n'être que culturelles.

Comme tout organisme vivant, une entreprise se compose et se décompose sans cesse : elle consomme des produits et en crée d'autres, elle intègre des individus et se séparent d'autres, elle crée des alliances avec certaines entreprises et en attaque d'autres… Elle vit. Sans l'existence de ses règles et de sa culture, l'identité de l'entreprise ne perdurerait pas au travers de ces transformations continues. Si ce ciment venait à disparaître, l'entreprise, en tant que système collectif, cesserait d'exister pour ne devenir plus qu'une collection d'individus juxtaposés. Elle perdrait sa cohésion et ne pourrait plus être dirigée. Si, suite à une fusion, une culture commune n'est pas mise en place, on aura une juxtaposition et non pas une entreprise.


Quand IBM devient une entreprise centrée sur le software et sur la prestation intellectuelle, est-elle toujours IBM ? Après avoir absorbé successivement Fina, puis Elf, Total est-il resté Total ? Quand Veolia nait à partir de la scission des activités environnement issues de la Générale des Eaux redevient-elle la Générale des Eaux sous un autre nom ? Quand France Telecom cesse d'être une entreprise publique et s'internationalise de plus en plus, est-elle toujours France Telecom ? Quand BSN devient Danone s'agit-il d'une création nouvelle ou d'une transformation d'une identité ?"

(Ce texte est un extrait de mon nouveau livre "Les mers de l'incertitude" - p. 58-59 - à paraître fin mai)

13 janv. 2010

« LE MANAGER DOIT ÊTRE CONSCIENT QUE LES CLÔTURES IMPOSÉES ONT UN CARACTÈRE ARTIFICIEL »

Extraits d'un document du programme européen « Modélisation de la complexité »

L'Association pour la Pensée Complexe a mis en ligne toute une série de documents issus du Programme européen MCX "Modélisation de la Complexité" (http://www.mcxapc.org/)
On peut notamment trouver là un document intitulé « Stratégie des organisations et complexité : quels principes et quelles modalités d’action pour le management stratégique dans la complexité ?  » (http://www.mcxapc.org/docs/dossiermcx/dossier14.pdf). C'est un dossier construit par M.J. Avenier, F. Lacroux, L. Nourry, à partir d'échanges entre treize spécialistes européens du management stratégique des organisations, pour la plupart enseignants-chercheurs, au cours d'une Journée d'étude et d'échanges organisée sur le thème " Stratégie et Complexité " à l'initiative de l'Atelier n°1 du programme MCX, avec le concours de l'Institut du Management d'EDF et de GDF, le 11 avril 1996.
En voici quelques extraits :

Tout est contingent
« La contingence généralisée de la gestion est une implication directe du postulat d'inachèvement. L'impossibilité que l'on a de maîtriser le fonctionnement des systèmes complexes conduit de facto à une remise en cause du statut de la gestion et, par suite, des gestionnaires. »
« Ce qui pourrait caractériser cette action, c'est justement cette idée de contingence. Une contingence qui ne serait pas restreinte, réduite à quelques facteurs prédéterminés ou préformatés, mais plutôt généralisée. Contingence de l'action, certes indispensable, mais dont on ne pourra jamais être certain de l'efficacité ; contingence de la solution choisie, dont on sait qu'on ne pourra attester de sa robustesse dans le long terme, entre autres à cause des phénomènes d'apprentissage ; contingence du contexte, dont on sait qu'il sera toujours susceptible d'affecter les résultats futurs ; contingence des perceptions des acteurs, et donc des représentations qu'ils construisent etc, etc... »
« Cela signifie que pour agir, le manager, en permanence, simplifie, clôture, établit des limites, définit des règles précises, ou réduit ses modélisations. Dans une problématique couplage/découplage, il s'efforce de " découpler ", c'est à dire de concevoir des " îlots de certitude ", temporairement prévisibles et certains. »
« D'un autre côté, pour mieux appréhender une situation complexe, le manager s'efforce d'aller vers des modèles plus complexes, plus riches, prenant en compte des dimensions jusque là négligées. Cette complexification passe aussi par la création de conditions facilitant l'émergence de nouveaux modes de gestion. »
« L'enjeu est plutôt dans l'équilibration, ou l'incessant arbitrage des actions relevant de l'un ou l'autre de ces pôles. Il est aussi dans la conscience de ce pari, ou du choix d'un mode au détriment de l'autre. Le manager doit être conscient que les clôtures imposées au phénomène, bien qu'indispensables pour décider, ne doivent avoir qu'une existence transitoire, partielle, partiale... et surtout peut être qu'elles ont un caractère artificiel, voire arbitraire ; qu'il les a " délibérément et cognitivement construites " » 
« In fine, on peut aboutir à un principe d'action : pour construire ou choisir le modèle qui simplifie " moins mal que les autres et qui lui permet de décider ", ou qui permet l'action la plus rapide, le praticien est conduit à se construire et à se reconstruire en permanence une réflexion sur les présupposés et les conséquences de ses actions. »

Pourquoi faut-il développer la confrontation dans l'entreprise
« Dans la complexité, aucun des acteurs de l'organisation ne peut se targuer de posséder une représentation complète de l'entreprise et de son environnement. Aussi, rechercher et favoriser des " processus de délibération collectifs " permet d'enrichir mutuellement les compréhensions individuelles, de favoriser la création, sinon d'une représentation commune, au moins d'un " cadre référentiel " partagé, et in fine, met les acteurs concernés en situation de décider et d'agir de façon plus éclairée et mieux coordonnée. »

11 janv. 2010

LES MERS DE L’INCERTITUDE

Les entreprises, comme les fleuves, doivent trouver les mers qui les attireront durablement

Je commence l'année 2010 avec un nouveau titre pour mon blog : « Les mers de l'incertitude » et non plus « Seule l'incertitude est certaine ». Pourquoi un tel changement ?
Face à l'incertitude qui nous entoure, je vois deux comportements majoritaires.

Souvent, la sensation de perte de contrôle déclenche des réflexes de peur et de crispation. Se développe et se renforce alors la volonté de contrôle. Ces dirigeants visent des montagnes et vont chercher à l'escalader. L'entreprise est comme une cordée qui va monter progressivement vers le sommet. Les aléas et les vents contraires seront combattus par la force de la cordée et sa capacité à se modifier. La montée se passera dans la douleur, mais c'est à ce prix que l'entreprise pourra progresser. Pour cela, on renforce la centralisation et le contrôle, et on confie son destin au premier de cordée, manager charismatique et tout puissant.
Mais cette montagne, comment, dans le flou qui se répand et le brouillard généralisé, la trouver et être sûr que c'est la bonne ? Comment se fier au jugement d'un seul ? Comment la cordée pourra-t-elle résister à une tempête ou à une avalanche ? Est-ce que le fait d'être solidement attachés ensemble, ce n'est pas risquer d'entrainer tout le monde dans la chute ? Comment maintenir une volonté collective si la montée se poursuit sans fin, sans repos au milieu des tourments ?

A l'inverse, d'autres répondent alors par l'abandon de toute volonté préalable et se réfugient dans le court terme : face à l'incertitude, il est inutile de choisir une direction quelconque. Laissons-nous porter par les événements, abandonnons-nous aux forces instantanées et tirons-en parti. Les entreprises qui gagneraient seraient celles qui vivraient dans l'instant. Où vont-elles ? On verra bien, elles iront là où elles pourront. Dans cette fuite dans l'immédiat, on privilégie la rentabilité à court terme. Sans autre projet que cette succession d'actions, de plan de productivité en plan de productivité, on élague, optimise et s'organise sur ce qui est connu.
Mais, quel est alors le sens à l'action ? Un combat constant et sans autre but que la survie immédiate ? Comment fédérer les efforts de chacun ? Comment éviter que l'entreprise ne se désagrège au gré des courants et forces contradictoires ? Comment convaincre les actionnaires si l'entreprise n'a plus aucune vision ou perspective ? Comme ce faisant, on a supprimé toutes les marges de manœuvre, comment l'entreprise va-t-elle faire face à l'imprévu ?

Voilà la tenaille dans laquelle nous nous trouvons pris :comment concilier la poursuite d'un objectif collectif et l'adaptabilité aux aléas ? Comment marier force instantanée et création durable de valeur?

Oublions un moment ce problème et regardons la Seine couler sous le pont Mirabeau. Elle aussi est plongée dans l'incertitude, et pourtant nous savons qu'elle va finir par atteindre sa mer : quoi qu'il arrive, quels que soient les aléas du climat – pluies abondantes ou pas, températures basses ou élevées,… –, quels que soient les aléas du terrain – modification des berges, construction de barrages,… –, l'eau fera son chemin plus ou moins vite jusqu'à cette destination finale. Les perturbations survenues ne viendront pas déstabiliser ce système structurellement stable – sauf si des conditions extrêmes survenaient (sécheresse durable, transformation profonde de la géographie).

C'est ce que j'ai déjà eu l'occasion d'expliquer dans deux articles précédents : « Sous le pont Mirabeau, coule la Seine… » et « Sous d'autres ponts, aussi… », c'est cette caractéristique qui apporte la résilience au fleuve. Elle sait dépasser notre problème : elle a un but, une destination – sa mer – et en même temps, elle s'adapte en temps réel. Pourquoi parce que sa destination est un attracteur : comme ces attracteurs étranges de la mathématique du chaos, la mer fait venir à elle l'eau quoi qu'il ait pu se passer avant.

Voilà l'idée centrale de mon prochain livre (parution prévue pour mai) : comme un fleuve, une entreprise doit se fixer pour objectif, une mer qui sera un attracteur stable dans les aléas de l'incertitude. D'où le nouveau titre.

Comment ? Qu'est ce que j'entends par là ? J'y reviendrai dans les semaines et mois qui viennent…

23 déc. 2009

L’ABSURDITÉ DES « TEMPS MODERNES » EST AUJOURD’HUI SOUVENT DANS LES BUREAUX


La taylorisation est passée des usines aux bureaux

Quand je me trouve dans des lieux comme des services administratifs ou des centres d'appel, je ne peux m'empêcher de penser au film de Charlie Chaplin, les Temps modernes. 
Dans ce film, on voyait Charlot être prisonnier du rythme des machines qui l'entouraient et l'asservissaient : le développement de la mécanisation et la mise en place du travail à la chaîne grâce au taylorisme avaient abouti à cette déshumanisation du travail en usine. L'insertion de l'électronique et de l'informatique dans les machines couplée avec la formation et l'enrichissement des tâches, ont permis progressivement de donner de la souplesse et de supprimer ces chaînes asservissantes. Plus personne ne pense aux Temps modernes qu'il regarde une usine actuelle : l'homme a été remis au cœur du processus de production.
L'arrivée des technologies de l'information dans les bureaux est un peu de même nature que la mécanisation initiale dans les usines : on a taylorisé le travail administratif, la machine – ici le système d'information – étant au cœur et les hommes à son service. L'exemple le plus criant est celui des centres d'appel : le système choisit vers qui envoyer l'appel, le système propose en temps réel un script que l'agent doit suivre dans sa discussion avec l'appelant, le système surveille tous les paramètres et établit automatiquement rapport et alertes…

Dans les Temps modernes, c'était le corps de Charlot qui était mis à mal : soumis au rythme inexorable des machines, il pouvait penser à autre chose, car le système ne lui demandait pas de penser – surtout pas ! –, mais juste de suivre mécaniquement ce que lui imposait la machine. Dans les bureaux d'aujourd'hui, on ne peut plus penser à autre chose, car c'est l'activité cérébrale qui est prise dans l'étau de cette taylorisation intellectuelle.
Dans les usines du siècle dernier, c'étaient les corps qui avaient des accidents. Dans les bureaux d'aujourd'hui, ce sont les cerveaux qui en ont de plus en plus. Tout témoigne de cette dégradation. 
« Heureusement », cette mécanisation administrative montre ses limites, même par rapport à son objectif initial : plus elle se développe, plus la relation client devient mécanique et de moindre qualité. Les derniers développements des technologies de l'information permettent aussi de remettre les hommes au cœur du système, pour peu qu'on le veuille vraiment.
Il y a urgence…

23 sept. 2009

SOUS D’AUTRES PONTS, AUSSI…

Système ouvert, auto-organisation et résilience (suite)
Ceci m'amène à préciser un point manquant : la Seine n'est pas seulement un système formé d'eau qui relie Source Seine à la Manche, c'est aussi un système qui suit quelques règles intangibles : 
- La loi de la pesanteur s'applique.
- Une molécule d'eau est composée de deux atomes d'hydrogène et d'un atome d'oxygène et est soumise à des caractéristiques constantes : température de fusion et d'ébullition, fluidité, volume selon l'état… 
- La capacité ou non de l'eau à se mélanger avec d'autres molécules est définie une fois pour toute. Notamment, les types de relations qui peuvent exister avec les molécules qui composent l'air terrestre, ainsi que le sol sur lequel la Seine va couler, ne sont pas susceptibles d'être modifiées (par exemple, une roche ne peut pas devenir poreuse alors qu'elle était imperméable)
Sorti de ces règles, tout peut se produire et ces règles sont suffisantes pour permettre à la Seine d'exister et de durer, sauf rupture extrême : personne n'a besoin de guider les molécules d'eau qui tombent sur ciel pour les amener à rejoindre la Seine ; personne n'a besoin de décider que la Seine doit sortir de son cours parce que la crue est trop forte ou d'y retourner quand la crue cesse.

La Seine est un système ouvert et auto-organisé. Notre univers est composé d'une multitude de tels systèmes et ce sont eux qui lui donnent une capacité à changer sans se détruire. La plupart de ces systèmes sont beaucoup plus complexes que celui de la Seine. C'est singulièrement le cas de tous les systèmes vivants.


On retrouve toujours les caractéristiques vues avec la Seine :
- Le système suit quelques règles intangibles qui sont celles qui vont garantir son identité et la continuité de son existence.
- Le système est borné par une « peau » qui définit ce qui est dedans ou dehors. Cette peau est souple et changeante. Elle est aussi perméable.
- Il échange continûment avec l'extérieur. Ces échanges peuvent porter sur des éléments matériels (photon, molécules) comme immatériels (données, information.
- Tant que les évolutions externes restent à l'intérieur d'une certaine plage de variation, la survie du système est assurée : il se transforme et évolue tout en restant conforme à ce qui définit son identité.
Chacune des poupées russes qui composent un être humain est un sous-système ouvert auto-organisé. Notamment on trouve des sous-systèmes prenant en charge des fonctions, comme la digestion, la circulation du sang, la respiration. Ces sous-systèmes sont capables de collaborer ensemble pour construire un nouveau sur-système (logique des poupées russes).

Dans le cas de l'être humain, le nombre de sous-systèmes mis en jeu et la complexité du seul sous- système cérébral (compte-tenu de nombre de connexions possibles et de leur capacité à se transformer) aboutissent à ce qu'Edgar Morin appelle l'hypercomplexité.

Finalement, ni ordre complet, ni désordre total, chaque système complexe est suspendu entre ordre et chaos, ou disons qu'il est une réponse ordonné respectant le chaos de l'univers. L'auto-organisation n'est ni un ordre rigide qui serait détruit au moindre aléa, ni un hasard constamment fluctuant. Elle est au cœur du vivant et de sa capacité à faire face à des perturbations non prévues


De la même façon que la Seine n’est pas l’eau qui est en train de passer sous le pont Mirabeau, ni seulement le fleuve qui passe là, comment définir ce qui fait qu’une entreprise reste elle-même quand elle subit une transformation profonde ?
Quand IBM devient une entreprise centrée sur le software et sur la prestation intellectuelle, est-elle toujours IBM ? Quand Total absorbe successivement Fina, puis Elf, est-elle toujours Total ? Quand Veolia nait à partir de la scission des activités environnement issues de la Générale des Eaux redevient-elle la Générale des Eaux sous un autre nom ? Quand France Telecom cesse d’être une entreprise de service public et s’internationalise de plus en plus, est-elle toujours France Telecom ?...
Cette question peut sembler un peu théorique et loin des préoccupations habituelles qui occupent les esprits des dirigeants lors des fusions-acquisitions. Je crois pourtant qu’il est important de chercher à y répondre si l’on veut maintenir ce qui soude une entreprise, ce qui lui permet d’être auto-organisée. Sinon, l’entreprise peut ensuite soit se déliter et se désagréger, soit se rigidifier : aucune Direction Générale ne pourra maintenir de force la cohésion de l’entreprise sans la détruire. Cette identité de l’entreprise doit être partagée par tous. La Seine ne reste un fleuve face aux aléas que parce que toutes les molécules d’eau qui la composent suivent les mêmes règles communes.
D’autres entreprises, comme L’Oréal, Nestlé ou Sony, ont des parcours plus continus et cette question sur la permanence de leur identité ne se pose pas.

22 sept. 2009

SOUS LE PONT MIRABEAU, COULE LA SEINE…

Système ouvert, auto-organisation et résilience
Sous le pont Mirabeau, coule la Seine et nos amours… Laissons passer les amours, et regardons la Seine. Comment la définir ? Qu'est-ce que la Seine ?

Est-ce ces molécules d'eau qui est train de passer ? Non, car, dans quelques jours, cette eau se sera dissoute dans la mer. La Seine n'est pas une quantité d'eau précise, c'est un flux, c'est l'eau qui est passé, passe et passera sous le Pont Mirabeau. Du coup, les mots d'Apollinaire sonnent comme une définition : la Seine est ce qui passe sous le pont Mirabeau. Est-ce à dire que si l'on détruit ce pont, il n'y a plus de Seine ? Comment dans l'exemple de Richard Nixon et de sa définition comme celui qui a gagné l'élection présidentielle américaine de 1968, il faut trouver un mode de définition de la Seine qui ne la lie pas uniquement au pont Mirabeau.

Essayons. Je vous propose de définir la Seine comme un système formé de toutes les molécules d'eau qui se trouvent sur un parcours qui commence à Source Seine sur le plateau de Langres et finit à proximité du Havre, là où elle se jette dans la Manche.

Reprenons ces différents points pour les préciser et voir les problèmes et limites.
- La Seine est un système ouvert qui recueille constamment de l'eau sur tout son parcours et en perd par évaporation dans le même temps. Cette eau le quitte à son extrémité.
- Les limites du système sont suffisamment précises pour que ce qui est la Seine soit parfaitement identifié et de façon unique. Mais elles sont en même temps flous : on ne peut définir exactement où commence et surtout où finit la Seine, à quel moment une molécule d'eau n'est plus dans la Seine, mais dans la Manche. Il en est ainsi aussi pour toute l'eau recueillie sur le parcours : à quel endroit précis, l'eau n'est plus dans un affluent, mais dans la Seine.
- La forme de la Seine est changeante et s'adapte aux situations instantanées : le niveau de l'eau peut monter ou descendre ; elle peut, en cas de crue, sortir de son lit et s'étendre, et ce de façon réversible. Si la géographie se transforme sur son parcours (par exemple lors de la création d'un barrage), son cours sera modifié sans que le système ne soit détruit : elle continuera à relier sa source à la Manche. En cas de transformation définitive, il sera possible de dire que le nouveau cours est bien toujours celui de la Seine, car on pourra tracer continûment cette transformation et que le nouveau cours reliera toujours les deux mêmes extrémités. 
- Par cette définition, tout ce qui voyage avec l'eau, mais n'est pas de l'eau ne fait pas partie de la Seine. La surface de contact de l'eau avec les corps étrangers constitue donc la limite de la Seine, une forme de peau. Cette peau se transforme constamment.

Cette définition permet de résister à la disparition du pont Mirabeau : tant qu'il sera là, la Seine coulera bien dessous ; s'il disparait, je saurai retrouver la Seine. Elle est aussi résiliente aux aléas de la météo et de la géographie : qu'il pleuve beaucoup ou peu, que le Bassin Parisien reste ce qu'il est ou se transforme, la Seine sera toujours identifiable. Elle se sera transformée, mais n'aura pas disparu.

Mais si le niveau de perturbation dépasse un certain seuil, la Seine peut disparaître : s'il ne pleuvait plus de tout, la quantité d'eau pourrait devenir insuffisante pour atteindre la Manche ; si une transformation majeure du relief comme la naissance d'un nouveau massif montagneux intervenait, il pourrait ne plus être possible de relier Source Seine à la Manche en respectant la loi de la pesanteur.

(à suivre)