Attention à ne pas se déconnecter du réel
Ce billet est un extrait tiré de mon livre
Neuromanagement publié en 2008.
Toute ressemblance avec des femmes ou hommes
politiques ne serait évidemment qu’une coïncidence !
Plus
une entreprise est grande et puissante, plus elle risque de se déconnecter du
réel et se croire invulnérable. Or le réel est bien là, dans et autour de
l'entreprise. A un moment ou à un autre, il se rappellera aux bons soins de
ceux qui l'ont oublié...
Certains succès montent à la tête
Cette
entreprise était allée de succès en succès. Créée il y a maintenant plus de
cinquante ans, elle avait rapidement pris une position de leader sur ses
marchés et avait réussi à s’imposer mondialement.
Après
cette phase initiale d’expansion, pour accroître son efficacité, elle avait
progressivement automatisé tout ce qui pouvait l’être. Parallèlement, elle
avait mis en place un plan de formation interne pour accueillir les nouveaux et
accélérer l’apprentissage de ses recettes de succès. Tout ceci facilitait
l’action quotidienne et permettait de se concentrer sur ce qui était nouveau.
Aujourd’hui,
un sentiment de puissance s’est diffusée et elle se sent invulnérable aux
évolutions de la conjoncture et des exigences des clients : elle a oublié tous
les efforts faits dans le passé, et est convaincue d’être « naturellement »
plus forte que ses concurrents.
Résultat,
elle ignore de plus en plus sa concurrence, et étant experte, croit savoir
mieux que ses clients ce dont ils ont besoin. Elle est de moins en moins
capable de repérer les signaux faibles venant de son environnement et a
tendance à oublier les points qui sont à l’origine de son propre succès.
L’entreprise
continue à être dirigée de façon consciente, mais n’intègre plus les
informations qui pourraient contredire ses interprétations, interprétations qui
sont devenues des certitudes.
Sans le
savoir, sans s’en rendre compte, l’entreprise agit peut-être à contre-courant :
elle est devenue insensible à son environnement, et donc vulnérable à toute
rupture…
On est tellement bien chez nous...
Grâce à
sa position dominante, la profitabilité de cette entreprise est largement
supérieure à la moyenne du marché. Elle est assise à la fois sur des positions
industrielles clés, sur le contrôle de quelques ressources essentielles et sur
un savoir-faire industriel et marketing. Bref tout va bien…
Pour
récompenser tout le monde, des avantages ont été accordés, année après année,
aux salariés et à la Direction. Le sentiment d’appartenance à l’entreprise
s’est renforcé au fur et à mesure du cumul de ces avantages.
Un
accord tacite entre Direction, syndicats et personnel amène, à l’occasion de
chaque négociation, à les renforcer, quitte à externaliser davantage de
fonctions pour ne pas dégrader la compétitivité de leur entreprise : il y a de
moins en moins de monde à l’intérieur et ceux qui s’y trouvent sont de plus en
plus en décalage avec le « monde extérieur ».
S’est
ainsi développé petit à petit un confort interne croissant qui n’incite plus à
la vigilance. Finalement, tout le monde, Direction comme salariés, privilégie
le développement de ce confort : le corps social de l’entreprise se coupe
progressivement de l’extérieur. À la limite, on manage alors pour manager, on
pense qu’une réunion est bonne parce qu’elle s’est simplement bien passée, et
on oublie que tout ceci n’a de sens que si la performance réelle, celle vue par
les clients et l’extérieur, s’améliore effectivement.
Devenue
autiste, l’entreprise a tendance à protéger jusqu’au bout les avantages acquis,
éventuellement même en mettant en péril sa survie…
Je n'ai pas besoin des autres
Créée initialement
autour d’un produit unique qu’elle a mondialisé, cette entreprise a ensuite
grandi rapidement en multipliant ses lignes de produits. Elle est experte dans
la transformation d’une innovation en marché : identification des
savoir-faire clés, industrialisation des processus, marketing et commercial
ad-hoc, gestion de la marge et du profit…
Ce
développement s’est accompagné de la mise en place de structures ad-hoc, d’une
spécialisation croissante et d’une multiplication des interlocuteurs internes.
Le système global est devenu de plus en plus complexe et l’atteinte de la
performance suppose une collaboration efficace entre un nombre croissant
d’acteurs.
L’intégration
transverse est maintenant difficile à piloter et est de moins en moins
maîtrisée. Une partie des acteurs en place se fait sa propre interprétation de
la mission qui lui est allouée et de ce que peuvent attendre ou fournir les
autres acteurs. Certains vont même jusqu’à se poser la question de la
pertinence des structures communes et de l’existence de l’entreprise
en tant que telle.
Pourtant
ces structures communes sont celles qui fournissent les ressources et les
innovations. Finalement les délais de lancement des nouveaux produits
s’allongent…
Et comme
la multiplication des lignes de produit s’était faite selon un logique client
et qu’elles s’adressent toujours le plus souvent aux mêmes clients, ceux-ci
sont contactés en désordre et ne comprennent plus la logique de l’entreprise…
Finalement,
plus personne n’a confiance en personne, et les processus internes deviennent
redondants…
La
performance globale se dégrade, mais personne ne s’en rend vraiment compte, car
chacun est focalisé sur son périmètre. L’entreprise se fissure doucement et
sûrement…
Des entreprises font des calculs qui ne veulent rien
dire
Cette
entreprise allait de la chimie de base à la chimie de spécialités, chaque ligne
de produit étant centralement pilotée par une structure ad-hoc. En France, les
organisations commerciales étaient dédiées à ces lignes de produits, mais,
partout ailleurs, existait un responsable pays qui exerçait une supervision de
toutes les activités locales.
Aussi «
logiquement », ce responsable calculait la part de marché du groupe dans le
pays. Cette part de marché était l’agglomération des parts de marché de chaque
produit, et faisait une moyenne entre des produits n’ayant aucun rapport entre
eux : quel sens pouvait avoir de mélanger des produits aussi dissemblables
que les dérivés chlorés ou sulfurés avec des silicones, voire même des terres
rares ?
La part
de marché résultante n’avait donc aucun sens métier : ce n’était que le
résultat d’un calcul et rien de plus.
Or
comme le responsable pays avait un rôle historique important dans le groupe,
elle était suivie au niveau de la Direction Générale et toute évolution de
cette part de marché déclenchait analyse et questions.
Le
système central construisait ses interprétations sur une donnée qui n’avait
aucun sens réel et n’avait aucun lien avec les logiques de développement des
activités dans les pays