2 janv. 2009

NEUROBIOLOGIE ET ENTREPRISE

Une entreprise ne s’identifie bien sûr pas à un corps humain, et il ne pouvait pas être question de lui transposer purement et simplement la neurobiologie.
Mais étant une collectivité humaine dirigée par des hommes, ce n’est pas non plus un système théorique et mathématique : la clé de lecture de la neurobiologie m’est apparue donc comme étant probablement pertinente. Telle a été mon hypothèse de départ.

Tout de suite, deux différences majeures ont été intégrées dans mon travail :
- L’entreprise n’a pas de génome, et donc pas d’inné : elle est née de l’imagination et des actes d’un individu ou d’un groupe d’individus. Elle n’a donc pas naturellement de moteur émotionnel qui garantisse le maintien de ses réflexes de survie.
D’où une question à laquelle il allait falloir répondre : peut-on identifier un moteur émotionnel dans une entreprise et si oui, comment se constitue-t-il ?
- L’entreprise n’est pas un organisme simple et unifié : à la différence d’un individu, elle est multiple et composée de personnes, ensembles et sous-systèmes qui peuvent, chacun, avoir leur volonté propre. Cette complexité, qui est croissante en fonction de la taille de l’entreprise, doit être intégrée comme une donnée pour éviter toute approche exagérément simplificatrice.
D’où une seconde question initiale : peut-on utiliser la clé de la neurobiologie pour rendre compte de la complexité du système d’une grande entreprise ?

Pour valider mon hypothèse, j’ai alors repris trois éléments clés issus des neurosciences : les interprétations, les émotions, les inconscients...

Voir aussi la vidéo "Pourquoi ce livre"

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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)

1 janv. 2009

BONNE ANNÉE !

Voilà quelques minutes que vient de se terminer l’année 2008.

Elle avait commencé dans un « calme » relatif : la bourse avait bien déjà commencé à chuter, les cours du pétrole à s’emballer, les taux d’intérêt aussi, le Président des États-Unis entamait sa dernière année, et le nôtre voyait s’effriter sa popularité, la Chine poursuivait sa course en avant.

Mais finalement tout n’allait pas si mal… Sauf bien sûr, pour les mal-aimés de la croissance, ceux qu’elle laissait sur la bas côté, mais c’était de leur faute, n’est-ce pas…

La grande affaire, ce n’était plus l’Irak ou l’Afghanistan où l’on mourrait « en silence », mais l’élection du nouveau Président des États-Unis et les Jeux Olympiques : allions-nous vers le premier Président noir ? Que faire à cause du Tibet : boycott ou non ?

Nous eûmes le premier, mais pas le second… et en prime la crise.

Panique à bord. Prise de conscience brutale de la fragilité de nos systèmes économiques. Matérialisation des égoïsmes des logiques financières. Tout le monde se sent vulnérable, menacé…

Derrière cette crise, c’est la transformation en profondeur de nos structures et des équilibres en place qui est le vrai moteur.

Nous avons longtemps parlé de la mondialisation et de la globalisation : la voilà qui arrive vraiment.

Nous entrons dans un monde où nous sommes tous connectés, reliés, un Neuromonde (voir « Neurocrise pour un Neuromonde »). Cette entrée sera longue et impliquera la remise en cause de bon nombre d’habitudes et de situations considérées comme acquises.

L’année 2009 qui commence ne verra pas la fin de cette transformation. Espérons qu’elle sera au moins celle d’une meilleure régulation financière.

Bonne année à tous !

30 déc. 2008

QUAND LA CONSCIENCE PERD LE NORD

Ce que manipule la conscience, ce n’est pas le réel, mais des représentations construites à partir du réel, de son expérience passée et des informations disponibles sur la situation actuelle. C’est cette interprétation qui servira de support à l’action.
Pour la conscience, le réel n’existe pas en tant que tel, seules comptent les interprétations.
Un esprit sain est un esprit qui est capable d’intégrer dynamiquement dans son processus interprétatif toute évolution du réel.

Plusieurs phénomènes peuvent amener à construire des interprétations erronées.

L’existence d’une activité inconsciente peut perturber le processus conscient.
Par exemple, si nous sommes soumis à une information subliminale, le traitement inconscient de cette information peut enclencher une réponse automatique, c’est-à-dire non consciente. Nous serons conscients de cette action, mais, ne sachant pas ce qui en est la cause, nous ne pourrons pas l’interpréter correctement. Nous allons alors construire a posteriori une interprétation qui sera nécessairement fausse.
Prenons l’expérience rapportée par Lionel Naccache dans Le Nouvel Inconscient et menée par un chercheur, Michaël Gazzaniga, sur un patient atteint de déconnexion interhémisphérique : dans cette maladie, l’hémisphère droit est incapable de communiquer avec l’hémisphère gauche.
L’expérience a été la suivante : à la gauche de l’écran situé devant le patient, est apparu pendant quelques dixièmes de seconde l’ordre verbal « Marchez ». Il s’est alors levé et déplacé : l’ordre lu par l’hémisphère droit venait d’être exécuté, mais, à cause de la maladie, l’hémisphère gauche, qui assure notamment la maîtrise du langage, n’était pas informé de l’existence de cet ordre et donc ne pouvait pas savoir pourquoi il s’était levé. Gazzaniga lui demanda alors : « Où allez-vous ? ».
Au lieu de lui dire qu’il ne savait pas pourquoi, le patient lui répondit du tac au tac : « Je vais à la maison chercher un jus de fruits. » : il venait d’élaborer une interprétation consciente qui lui permettait d’attribuer une signification à son comportement. Plutôt que de répondre : « Je suis en train de sortir de cette pièce mais je ne sais pas du tout pourquoi, comme c’est curieux tout de même ! », le patient avait construit immédiatement une interprétation de son comportement, mais sans se rendre compte que cette interprétation en était une.

Si, pour une raison ou pour une autre, nous n’intégrons plus une modification du réel, nous allons construire de fausses interprétations.
Cela peut aller jusqu’à nous enfermer dans un monde fictif et inaccessible à autrui.
Prenons un autre cas rapporté par le neurologue Eduardo Bisiach et relaté par Gerald Edelman dans Biologie de la conscience.
Il s’agit d’un patient qui n’était plus conscient de sa moitié gauche. Lui montrant sa main gauche paralysée, il lui a demandé à qui elle appartenait. La réponse fut : « A vous »
Et quand il lui fut demandé comment il expliquait que l’examinateur puisse avoir trois mains, la réponse fut « simple » : « Étant donné que vous avez trois bras, il s’ensuit que vous avez trois mains. »

Ainsi face à une situation dont une partie des données lui manquait – la partie gauche de son corps n’existe pas –, il avait réorganisé ses connaissances et bâti une nouvelle interprétation qui, dans sa logique, était cohérente : puisque lui n’avait qu’une main, cette « nouvelle » main ne pouvait qu’appartenir à l’examinateur, et, comme une main sans bras n’existe pas, un troisième bras aussi.

Ainsi l’interprétation peut aller jusqu’à violer les contraintes du réel...
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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)

28 déc. 2008

COMMENT SAVOIR S’IL Y A UNE BOULE DERRIÈRE ?

Voici l’expérience suivante décrite par Michel Bitbol dans « Mécanique quantique, une introduction philosophique » : le tirage aléatoire d’une boule est observé au travers de 2 caméras spécialisées, l’une dans la mesure de la position (à gauche ou à droite), l’autre dans celle de la couleur (rouge ou blanche).
Le résultat se présente sous la forme de 2 listings, l’un composé d’une succession de positions (« gauche », « gauche », « droite », …), l’autre de couleurs (« verte », bleue », « bleue », …).

Si vous êtes à l’origine de l’expérience et de sa mise au point, vous n’avez pas de problème à réunifier les 2 listings et à « savoir » que, derrière ce dédoublement, il s’agit de « boule verte à gauche », « boule bleue à gauche », « boule bleue à droite »…
Maintenant, imaginez que vous n’avez aucune information à part les 2 listings. Vous allez devoir supposer une corrélation dont vous n’avez pas la preuve.

Comme l’écrit Michel Bitbol, « dire que c’est une boule dont une caméra spécialisée vient de détecter la position, et que cette boule possède en même temps une couleur, cela revient à présupposer que rien n'empêche en principe de conjoindre ou d'unifier les contextes, même si les conditions d'une telle conjonction ne sont pas remplies à l'heure actuelle et que rien n'indique comment elles pourraient l'être… ».

Dans la vie de tous les jours, c’est bien la situation dans laquelle nous nous trouvons. Le réel ne nous est pas accessible directement. Nous n’avons que des successions d’informations partielles.
A nous de détecter ce qui se cache derrière et les cas où il y a bien « des boules ».
Attention à ne pas les inventer…

26 déc. 2008

L’ENTREPRISE A DES « ÉMOTIONS » ELLE AUSSI

L’importance des émotions
Comme pour l’individu, l’objectif prioritaire d’une entreprise est bien sa survie :
- à court terme : la sécurité des installations physiques, la trésorerie immédiate, les ventes, la cohésion sociale…
- à moyen terme : la part de marché, les investissements, la marque, la dynamique sociale…
- à long terme : les compétences humaines, la croissance, la satisfaction des clients, les diversifications…
Le maintien de ces conditions de survie doit, comme pour l’individu, influer sur toutes les décisions de l’entreprise pour garantir sa survie : ce sont ses « émotions ».
Elles ont été définies au départ, lors de la création de l’entreprise, par l’équipe de direction initiale. Elles sont aussi le fruit de toute son histoire : au cours de sa vie, lorsqu’elle a eu à faire face à des situations mettant en jeu sa survie, elle a mémorisé ce qu’elle avait appris.

Trois différences importantes lors de la déclinaison des émotions dans l’entreprise :
- Il n’y a pas d’émotions innées au sens « génétique », c’est-à-dire non modifiables. Tout est acquis.
- L’entreprise est un système extrêmement complexe et multiple. Ses conditions de survie, et notamment à moyen et long terme, ne sont faciles ni à définir, ni à maintenir à jour.
- Leur déclinaison auprès de chaque membre de l’entreprise n’est pas naturelle et immédiate : il faut relier l’action individuelle à la survie de l’entreprise.

Les systèmes d’alerte sont des moteurs émotionnels.
Il existe dans l’entreprise des systèmes qui vont alerter la Direction Générale en cas de situation critique, c’est-à-dire un risque ou une opportunité par rapport aux objectifs de survie à court, moyen ou long termes : ces systèmes s’apparentent au moteur émotionnel de l’individu.
Ils sont mis en place au moment de la création de l’entreprise et soudent alors naturellement ses membres et son organisation. Ils doivent ensuite évoluer au cours de la vie de l’entreprise.
Ces systèmes ne sont pas génétiquement ancrés dans l’entreprise, ce qui veut dire qu’ils sont modifiables : alors qu’un individu ne peut pas se reprogrammer – s’il a la phobie du rouge, il peut juste apprendre à vivre avec –, l’entreprise peut modifier son moteur émotionnel. Mais plus l’histoire de l’entreprise sera longue et le moteur émotionnel actuel ancré dans les habitudes, plus il sera difficile de le faire évoluer...

Voir aussi la vidéo "Les Entreprises ont-elles aussi des émotions"

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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)

25 déc. 2008

LA CLÉ DU SUCCÈS DU CHRISTIANISME : UN JUDAÏSME LIGHT FAÇON MC DO ?

En ce jour qui célèbre la naissance du Christ (même si Noël est devenu largement une fête païenne, avec pour preuve son développement récent dans un pays non chrétien comme la Chine), et donc le lancement de la religion chrétienne, se poser la question de comment elle s’est développée m’a paru pertinent.

Le titre n’est pas une provocation, il m’est venu à partir de la série Apocalypse diffusée sur Arte. Cette série a cherché à répondre à la question suivante : « Comment et pourquoi l’attente imminente de la Fin des temps qui anime une petite secte juive de disciples de Jésus a-t-elle pu, en à peine plus de trois cents ans, aboutir à la religion officielle et unique de l’Empire romain, tournant capital de la civilisation occidentale ? »

Dans le dernier épisode, un des chercheurs historiens interviewés avance l’hypothèse suivante : une des raisons du succès du christianisme pourrait être de s’être présenté initialement comme un « judaïsme allégé », c’est-à-dire avec moins de contraintes – pas de shabbat, pas de règles alimentaires notamment – et plus de souplesse d’adaptation aux situations locales.

Il a pu ainsi « profiter » de l’affaiblissement des religions polythéistes et de l’attraction créée par le monothéisme judaïque, des infrastructures de l’empire romain qui ont facilité sa diffusion, de la décentralisation en s’adaptant aux régimes locaux.

Finalement, si l’on suit cette hypothèse en la caricaturant, le christianisme apparaît une « industrialisation » du judaïsme bien adapté au « marché local ». Un peu comme Mc Donald a su industrialiser le concept du burger et le propager dans le monde entier.

On est bien loin de la vision habituelle, telle qu’enseignée dans le catéchisme (j’ai été dans l’enseignement catholique jusqu’à la terminale et avais alors suivi un « training » intensif…).

Je ne sais pas si cette hypothèse est exacte, mais elle me semble ne pas pouvoir être balayée d’un revers de main.

Plus généralement cette série d’Arte a le mérite de resituer le développement du christianisme dans son contexte initial historique. Elle fait ainsi réémerger bon nombre d’informations et de questions passées dans notre inconscient collectif.


24 déc. 2008

EN FINIR AVEC LOUIS XIV

Cher Louis XIV, très cher Louis XIV. Comme nous sommes encore admiratifs de cette puissance qui vient du haut, qui sait tout et qui va régler les problèmes de tout un chacun !
La révolution française est passée par là avec ses droits de l’homme – elle est même passée plusieurs fois puisque nous en sommes à la 5ème, –, mais rien n’y fait. En France, nous semblons être abonnés à l’homme providentiel ou au désordre.
De quoi semblent fiers les Français ? Napoléon, de Gaulle, Mitterrand et maintenant Sarkozy… Les hommes miracles qui sont autant de sauveurs, et qui, dans le secret de leur bureau, vont tout régler.
Mais comment imaginer qu’un seul homme, quel qu’il fut, puisse avoir le temps de tout comprendre, tout analyser, tout décider, tout suivre…
Absurde…

Souvenir personnel de discussions avec des camarades restés dans la fonction publique et qui sont capables de théoriser pourquoi la centralisation est la garantie de l’efficacité : « Tu comprends, comme je ne suis pas impliqué, comme je ne rentre pas dans le fonds du sujet, je ne suis pas juge et parti, je peux donc décider en tout équité. »
Discours paradoxal qui revendique la méconnaissance en profondeur comme levier de performance, qui nie à celui qui est impliqué de savoir ce qu’il faut faire. Et après, on s’étonne de voir se développer des inconscients collectifs aberrants (voir notamment « Le fruit de nos inconscients collectifs : des jardins inaccessibles et des prisons insalubres ») !
Souvenir aussi de ces réunions à Matignon où, au début des années 80, on enchaînait les décisions sans se préoccuper de savoir si elles seraient mises en œuvre, le « métier » des cabinets ministériels étant la prise de décisions sans avoir à se préoccuper de la suite. Bien sûr, cela a dû changer. Probablement…

Souvenir récent enfin de mes entretiens avec différents chefs d’entreprises qui, dans le secret d’une discussion à 2, reconnaissent piloter à vue et ne plus vraiment savoir ce qui se passe.
Et notre Président et son aréopage immédiat, depuis la toute-puissance de son palais élyséen, aurait une vue perçante capable de tout embrasser, tout comprendre, tout décider. (lire aussi « Sarkozy est sincère, intelligent et efficace… mais il ne peut pas résoudre a lui seul tous les problèmes ! »)
Soyons sérieux et comprenons qu’ils sont comme nous tous un peu perdus et n’attendons plus de miracles du « sommet » : finissons-en avec Louis XIV. Il n’y a pas d’homme miracle.

A cette veille de Noël, j’ai un scoop pour vous : Zorro n’existe pas… mais je vous rassure, le Père Noël, lui, existe bien !
Joyeux Noël à tous les lecteurs !



23 déc. 2008

LE MOTEUR PREMIER DE TOUT SYSTÈME VIVANT EST LA RECHERCHE DE SA SURVIE.

Par survie, il faut entendre trois horizons :
- immédiat : ce sont les situations où la survie instantanée de l’organisme individuel est en jeu. Il a à faire face à une menace qui peut entraîner sa destruction à très court - terme : accident majeur, attaque d’un autre organisme vivant, manque d’oxygène…
- moyen terme : la survie de l’organisme individuel est encore en jeu, mais non plus de façon immédiate. Par exemple, il y a un dérèglement de son fonctionnement qui, s’il se poursuit, va amener sa mort à un horizon plus ou moins rapproché : manque de nourriture, écarts de température trop importants…
- long terme : la survie individuelle n’est pas en jeu, mais celle de l’espèce oui. Il s’agit pour l’essentiel de la reproduction, et donc de tout ce qui est lié à la sexualité.

À côté de cette perception individuelle, l’évolution a aussi permis de développer une perception liée à la communauté à laquelle l’individu appartient : il peut être aussi mobilisé pour la survie immédiate, à moyen ou long terme de sa communauté.

Cette dimension sociale de l’individu est supportée par les neurones dits « miroirs » : grâce à eux, un individu peut « lire » les actes et les émotions des autres, de façon immédiate et inconsciente, et se synchroniser spontanément. Ils interviennent ainsi dans tous les processus d’apprentissage en facilitant la reproduction des actes des autres, ce avant même d’en avoir compris consciemment la signification. Ce sont eux aussi qui supportent les phénomènes d’empathie et sont à l’origine des réactions de foule : par exemple, lors d’une représentation sportive, l’ensemble des personnes présentes dans le stade vont éprouver des émotions collectives et synchrones.

Cette recherche de la survie ne conditionne pas seulement les actions individuelles, mais est aussi le moteur même de l’évolution même du vivant...

Voir aussi la vidéo "Les Entreprises ont-elles aussi des émotions"

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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)

22 déc. 2008

VIVE LES GAUCHERS COMPLÉTÉS !

Diriger suppose de comprendre une réalité paradoxale : d’une part que la rationalité apparente n’est qu’un leurre, puisque les phénomènes cachés sont prépondérants ; d’autre part que la prise en compte du réel et la volonté collective sont nécessaires pour la survie.
Si le dirigeant arrive à cet équilibre, il pourra se centrer sur le nouveau, l’imprévu, l’interprétation du complexe, les signaux faibles, le réexamen des systèmes, la reconfiguration de l’entreprise…
Quel profil alors pour ce dirigeant ?
Je crois qu’il y a deux écueils à éviter :
- le guru mystique qui confond inconscient et irrationnel, qui n’est préoccupé que des approches interprétatives, qui ne s’intéresse ni aux systèmes opérationnels, ni à la mesure de la performance économique,
- le rationnel mécanicien qui pense que le réel n’est que ce qu’il voit, que les équations mathématiques peuvent être des photographies fiables, qu’une bonne analyse conduit à une solution unique.
Il faut un hybride entre historien sociologue et scientifique pragmatique : historien sociologue pour l’importance des interprétations et l’acceptation du complexe caché, scientifique pragmatique pour la recherche des règles sous-jacentes et le refus de l’irrationnel dogmatique.
Finalement je retrouve là le thème central de Michel Serres dans le Tiers Instruit : l’importance des contraires et de la diversité. Comme il le dit si joliment, il est bon pour un gaucher de devoir écrire de la main droite, car il n’est pas contrarié, mais complété.
Ainsi de la même façon, contrarions l’historien en l’obligeant au raisonnement scientifique et contrarions le scientifique en l’obligeant à admettre la réalité de ce qu’il ne voit pas. Ils seront tous deux complétés et pourront être des neuromanagers capables de tirer parti des inconscients de leurs entreprises…
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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)

21 déc. 2008

SE CROIRE INVULNÉRABLE TUE

Cette entreprise va de succès en succès. Pour accroître son efficacité, elle a, au fur et à mesure de son existence, automatisé toute une série de comportements et d’habitudes : cet apprentissage facilite l’action quotidienne et permet de se concentrer sur ce qui est nouveau.
Un sentiment de puissance se diffuse et elle se sent devenir « invulnérable » aux évolutions de la conjoncture et des exigences des clients : convaincue d’être « naturellement » plus forte que ses concurrents, elle les ignore de plus en plus ; experte, elle sait mieux que ses clients ce dont ils ont besoin.
Elle est de moins en moins capable de repérer les « signaux faibles » venant de son environnement et peut même avoir tendance à oublier les points qui sont à l’origine de son propre succès.
L’entreprise continue à être dirigée de façon consciente, mais n’intègre plus les informations qui pourraient contredire ses interprétations, interprétations qui sont devenues des certitudes. Sans le savoir, sans s’en rendre compte, l’entreprise agit peut-être à contre-courant : elle est devenue insensible à son environnement, et donc vulnérable à toute rupture…

Grâce à sa position dominante, la profitabilité de cette autre entreprise est largement supérieure à la moyenne du marché. Pour récompenser tout le monde, des avantages sont accordés, année après année, aux salariés et à la Direction.
Le sentiment d’appartenance à l’entreprise se renforce au fur et à mesure du cumul de ces avantages. Un accord tacite entre Direction, syndicats et personnel amène, à l’occasion de chaque négociation, à les renforcer, quitte à externaliser davantage de fonctions pour ne pas dégrader la compétitivité de leur entreprise : il y a de moins en moins de monde à l’intérieur et ceux qui s’y trouvent sont de plus en plus en décalage avec le « monde extérieur ».
Se développe ainsi un confort interne croissant qui n’incite pas à la vigilance. Finalement, tout le monde, Direction comme salariés, privilégie le développement de ce confort : le corps social de l’entreprise se coupe progressivement de l’extérieur. À la limite, on manage alors pour manager, on pense qu’une réunion est bonne parce qu’elle s’est simplement bien passée, et on oublie que tout ceci n’a de sens que si la performance réelle, celle vue par les clients et l’extérieur, s’améliore effectivement.
Devenue « autiste », l’entreprise a tendance à protéger jusqu’au bout les avantages acquis, éventuellement même en mettant en péril sa survie…

Cette autre entreprise a grandi rapidement en se mondialisant et en multipliant ses lignes de produits. Ce développement s’est accompagné d’une spécialisation croissante des fonctions et d’une multiplication des interlocuteurs internes.
Le système global est devenu de plus en plus complexe et l’atteinte de la performance suppose une collaboration efficace entre un nombre croissant d’acteurs. L’intégration transverse devient difficile à piloter et est de moins en moins maîtrisée. Une partie des acteurs en place se fait sa propre interprétation de la mission qui lui est allouée et de ce que peuvent attendre ou fournir les autres acteurs.
Finalement les délais de lancement des nouveaux produits s’allongent, les clients sont contactés en désordre et ne comprennent plus la logique de l’entreprise, les processus internes deviennent redondants… : la performance globale se dégrade et personne ne s’en rend compte, puisque l’entreprise est « désintégrée » et qu’elle n’est plus vraiment consciemment dirigée…

Comment pallier ces risques ? Comment trouver le juste équilibre entre développement d’automatismes et capacité à se remettre en cause ? Comment maintenir le « réel » à l’intérieur de l’entreprise ?
Ma réponse : en développant une culture de la confrontation...
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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)