Commençons par laisser la parole à Michel Serres qui a écrit dans Hominescence :
« Nous construisons notre corps par l'intermédiaire des produits du corps, puisque les objets techniques appareillent de lui... Nous nous construisons nous-mêmes... De naturés, je veux dire plongés passifs dans une nature sans nous, nous devenons naturants, architectes et ouvriers actifs de cette nature... J'appelle exodarwinisme, ce mouvement original des organes vers des objets qui externalisent les moyens d'adaptation...
Dès le premier outil, nous n'avions plus le même monde que les animaux. Nous commencions la construction de notre propre maison qui remplace le monde...
Quand les signaux se propagent dans l'instant, les communications se détachent de leurs conditions d'espace et de temps : les lieux d'habitation n'en dépendront plus... Ces contraintes disparues, nous n'habiterons plus, non seulement dans le local, mais dans ces singularités de l'espace et du temps... Qui est mon prochain ? Qui appeler voisin, désormais ? ...
Mais surtout, le travail ne s'attache plus désormais à la longueur des bras ou au rayon d'action de machines simples, mais à des renseignements issus de banques dispersées dans l'Univers, mais consultables à ma console domestique... L'écriture contribua, de manière décisive, à créer les premières villes, assouplit et accéléra les échanges commerciaux grâce à la frappe des monnaies, donna leur essor aux sciences abstraites et à la pédagogie... Dès qu'à la Renaissance apparaît l'imprimerie première production à la chaîne et en série, les banques italiennes transforment les échanges commerciaux en Méditerranée, où les lettres de change remplacent la monnaie... Il faut nous attendre à des bouleversements et même à des ruptures d'une ampleur au moins équivalente à ceux qui ébranlèrent ces deux évènements du passé.»
Ainsi, l'essor des technologies de l'information – c'est-à-dire l'ensemble des technologies qui regroupent le téléphone, la radio, la télévision, l'informatique, et dernièrement les réseaux de données avec internet – viennent modifier en profondeur à la fois l'individu – dans sa capacité à entrer en relation avec les autres, à stocker et traiter de l'information – et les systèmes collectifs – dont les technologies de l'information peuvent décupler la puissance et l'efficacité de leurs « espaces de travail » –.
Avec la généralisation du haut débit et la convergence en cours, nous sommes en train de franchir une étape décisive.
Les structures humaines, les relations interpersonnelles se trouvent aussi modifiées, la proximité mentale venant compléter et parfois remplacer la proximité géographique et familiale.
Les entreprises, et singulièrement les plus grandes, sont en train d'en profiter pour gagner en efficacité et en performance, asseoir leur domination par rapport à un réseau qui les entoure.
La globalisation et la mondialisation, dont on a longtemps parlé, deviennent une réalité économique qui vient prendre de travers les États qui sont eux restés essentiellement géographiques et locaux.
La crise actuelle en est une des expressions.
Beaucoup de repères semblent ainsi se déplacer.
Tous ces changements sont-ils des accélérations des mouvements précédents ou sont-ils l'amorce de l'émergence d'un nouveau paradigme ? Sommes-nous en train de sortir d'une nouvelle caverne pour entrer dans un « Neuromonde » ?