12 avr. 2010

POUR LA MISE EN PLACE D’UN « MANAGEMENT DURABLE »

Est-ce que les décisions prises aujourd'hui contribuent à créer de la valeur à terme ?

Le concept de « développement durable » est venu envahir – à juste titre – envahir notre espace commun de réflexion… et un peu – malheureusement pas assez ! – d'action. Pour simplifier, il est né de la prise de conscience que nos actions immédiates allaient conduire à une catastrophe à terme.

Selon la définition fournie dans Wikipedia, « Le développement durable (traduction de Sustainable development) est une nouvelle conception de l'intérêt public, appliqué à la croissance économique et reconsidéré à l'échelle mondiale afin de prendre en compte les aspects écologiques généraux d'une planète globalisée. Selon la définition proposée en 1987 par la Commission mondiale sur l'environnement et le développement dans le Rapport Brundtland, le développement durable est : « un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis à qui il convient d'accorder la plus grande priorité, et l'idée des limitations que l'état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l'environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. »

Face à l'urgence de la crise écologique et sociale qui se manifeste désormais de manière mondialisée (changement climatique, raréfaction des ressources naturelles, écarts entre pays développés et pays en développement, perte drastique de biodiversité, croissance de la population mondiale, catastrophes naturelles et industrielles), le développement durable est une réponse de tous les acteurs (États, acteurs économiques, société civile) pour reconsidérer la croissance économique à l'échelle mondiale afin de prendre en compte les aspects environnementaux et sociaux du développement. »

Je crois que nous sommes un peu dans la même situation pour ce qui est du management des entreprises : plongé dans la montée de l'incertitude et la difficulté croissante d'anticiper, mis sous pression par la demande d'amélioration continue des résultats financiers, souvent de passage à la tête d'une entreprise dont il ne connait ni le passé, ni la culture, ni les hommes, le management est conduit de plus en plus à prendre des décisions qui ne contribuent plus vraiment à une création de valeur durable.

Il serait donc temps d'en appeler à la mise en place d'un « management durable » (ou sustainable management), c'est-à-dire une meilleure prise en compte des effets dans la durée.

Cette remarque qui est vraie pour les entreprises s'applique aussi plus globalement au système économique…

9 avr. 2010

COMMENT CONDUIRE UN CHANGEMENT DANS UN PAYS SANS STABILITÉ ?

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Mon blog était en vacances pour laisser passer les cloches…
- Mardi : Malgré l'acceptation intellectuelle de l'incertitude, plusieurs comportements obsolètes perdurent : on continue à vouloir prévoir à coup de tableurs Excel ; de plan de productivité en plan de productivité, on rend les entreprises cassantes et anorexiques ; plus son expertise se développe, plus une entreprise risque de se déconnecter du réel.
- Mercredi : Le management dans l'incertitude suppose de penser à partir du futur - à partir de ces mers qui sont des attracteurs stables -, et d'apporter des solutions nouvelles et immédiates susceptibles de faciliter l'accès à cette « mer ». Il suppose aussi paradoxalement une permanence dans la mer visée et une grande stabilité de l'équipe de direction et de l'actionnariat. 
- Jeudi : Il y a un mois, celui qui allait être une des principales « victimes » des élections régionales était annoncé comme un candidat à Matignon. Incapacité de la presse à prendre du recul ou instabilité des carrières gouvernementales ?

Je reste « fasciné » par la capacité de nombre d'hommes politiques à venir occuper des responsabilités ministérielles pour lesquelles ils n'ont aucune expérience. Ou encore par la valse constante et régulière qui les voit échanger leurs portefeuilles. Il est vrai que cette valse est plutôt décroissante, ces dernières années.
Or ce qui est vrai pour les entreprises – l'accroissement de l'incertitude appelle à plus de stabilité du management et de l'actionnariat – est encore plus vrai pour un pays et une responsabilité ministérielle : comment imaginer qu'un homme politique pourra intégrer la complexité d'une fonction s'il ne fait qu'y passer ? Comment avoir une action stable et dans la durée quand les responsables changent constamment ? Comment croire que l'on peut entreprendre une action profonde et réelle quand on change d'orientation à tout moment ?
Le besoin de penser à partir du futur et d'apporter une cohérence à l'action dans la durée (« consistency » dirait les anglais) est loin d'être la règle courante dans toutes les entreprises, mais on le retrouve chez les meilleurs. Il est malheureusement terriblement absent dans le monde politique. Le rythme régulier des élections ne facilite pas cette approche, mais le comportement de la classe politique vient souvent amplifier ce handicap.
Quant aux trois comportements obsolètes - le danger des prévisions excel, la tendance à l'anorexie et l'aveuglement par l'expertise -, seul le premier se retrouve dans le gestion politique, mais fortement accru : on discute constamment d'indicateurs et de nombres qui ne correspondent à aucune réalité effective (par exemple le taux d'inflation n'est que le résultat d'un calcul et ne correspond à aucune situation réelle) et dont les anticipations sont constamment démenties (sans parler des cas où l'on tire des conclusions à partir de variations non statistiquement significatives).
On ne voit par contre pas vraiment la classe politique avoir une tendance excessive à la productivité. Quant à l’aveuglement par expertise, le risque couru par les politiques est plus la coupure du réel…


8 avr. 2010

ON PEUT SE PLACER… PRÈS DE LA SORTIE !

Heureusement que la presse est là pour nous éclairer

Les attentes chez le médecin sont souvent l'occasion de feuilleter des magazines que l'on n'ouvrirait pas autrement. Ainsi, la semaine dernière, je me suis trouvé parcourant le numéro 200 de Challenges, daté du 18 février 2010.
Je le lisais d'un regard légèrement distrait, sautant d'une page à un autre, d'un encart au suivant. D'un seul coup, je me suis retrouvé face à un de ces scoops journalistiques définitifs : « Xavier Darcos se place pour Matignon ».
Devant un tel assaut de lucidité et de pertinence de la prévision, j'ai lu en détail ce court article (voir la photo ci-contre). Qu'y apprenait-on ? Que Xavier Darcos « a peu de chances de l'emporter aux régionales en Aquitaine ». Ouf au moins une information exacte, mais était-ce vraiment une information ? A part cela, on nous dresse un tableau d'un homme déterminé à mener à bien la réforme des retraites, soutenu par le Président – à tel point que François Fillon en prendrait ombrage –, et futur candidat possible pour Matignon.
Voilà donc un article visionnaire au sujet de celui qui semble bien être la seule « victime » post-régionales.

Quand la presse nous aide à réfléchir sur ce qui advient…

7 avr. 2010

IL FAUT PARTIR DU FUTUR POUR TROUVER LES MERS QUI ATTIRENT LE COURS DES ÉVOLUTIONS

Un monde incertain (2ème partie)

(Suite de l'article paru dans la revue Sociétal)

1. Peut-on encore diriger ?
Faut-il renoncer à tout projet et se contenter de vivre au jour le jour comme on peut ? Faut-il juste s'abandonner aux forces instantanées pour en tirer parti ? Où va-t-on ? On verra bien, on ira là où on pourra. Mais alors comment donner un sens à l'action collective, comment attirer à soi les talents, motiver des investisseurs ? Comment ne pas imploser ?
Ou à l'inverse, doit-on renforcer la discipline collective autour d'un objectif fort et fédérateur, derrière un leader charismatique et tout puissant ? Faut-il viser une montagne et se lancer à son escalade ? Mais comment dans le brouillard savoir que c'est la bonne montagne, comment résister aux tempêtes et trouver le bon cap dans le flou environnant ?
Comment sortir de cette tenaille ? Comment concilier la poursuite d'un objectif collectif et l'adaptabilité aux aléas ? Peut-on marier force instantanée et création durable de valeur?
Oublions un moment ce problème et regardons la Seine couler sous le pont Mirabeau. Si nous cherchons à deviner où va la Seine en la regardant couler, ou en suivant son parcours, nous ne sommes pas prêts de trouver la bonne réponse : elle va fluctuer au hasard des méandres. Nous allons probablement rapidement jeter l'éponge en nous disant que la Seine n'en fait qu'à sa tête, qu'elle ne sait pas où elle va. 
En fait si, elle le sait très bien : c'est un fleuve, et, comme tous les fleuves, elle va se jeter dans une mer ou un océan. Comment exactement va-t-elle y aller ? Là, elle ne sait pas très bien, elle verra, elle s'adaptera. Elle avance et chemine, en tirant parti du terrain. Mais, quels que soient les aléas du trajet, on peut d'ores et déjà prévoir où elle va aller. Ce que l'on ne sait pas, c'est simplement à quelle vitesse et si le trajet fluctuera ou pas.
Quand une équipe de direction cherche à construire une stratégie en partant du présent, en imaginant qu'elle va pouvoir prévoir où vont les choses en observant ce qui s'est passé et se passe aujourd'hui, elle fait la même erreur que celui qui cherchait à deviner où allait la Seine depuis le pont Mirabeau. Si l'on prolonge les tendances immédiates, on aura trop d'imprécisions, trop d'aléas, on ne pourra même pas quantifier le taux d'erreur.

2. Une mer est un besoin fondamental et stable
Pour construire une stratégie, il faut d'abord oublier le présent et partir du futur en cherchant sa mer.
Qu'est ce qu'une mer ? Une mer est un besoin fondamental et stable qui, quels que soient les aléas, va structurer le fonctionnement de notre société à long terme, orienter les évolutions, et attirer vers lui les courants. Des exemples ? La beauté, la communication, les loisirs, le déplacement, l'alimentation, la sexualité, une caractéristique de la matière…
Vous trouvez mon propos bien général, peu opérationnel et trop vague ?
C'est pourtant bien ainsi que s'exprimait en juin 2009 Eric Schmidt, PDG de Google : « Google est peut-être au cœur de ce futur, mais il n'y a pas de grand plan. (…) Nous n'avons pas de plan à cinq ans, nous n'avons pas de plan à deux ans, nous n'avons pas de plan à un an. Nous avons une mission et une stratégie, et la mission est…, vous savez, d'organiser l'information du monde. Et la stratégie est de le faire à travers l'innovation. » Le choix fait par Google est bien une mer : quoiqu'il arrive dans le futur, ce besoin en information existera toujours. L'innovation est elle-aussi un moteur stable et durable : ce sont les technologies qui deviennent obsolètes, pas l'innovation.
Quand vous demandez à L'Oréal de définir sa stratégie, il répond la beauté, mer qu'il a précisée en ne s'intéressant qu'à la peau, au cheveu et au parfum. De même Nestlé avec la nutrition et la santé (mer aussi visée par Danone), Air Liquide avec le gaz, Saint Gobain avec l'habitat, Total avec l'énergie…

3. La mer doit être « facilement » accessible
Les stratèges chinois ont développé une apologie de la facilité. Ne nous trompons pas : cela ne veut pas dire qu'aucun effort, aucun travail ne seront nécessaires. Non, cela signifie que toute action pour être efficace doit prendre appui sur le potentiel de situation et la configuration du terrain, qu'elle doit être amplifiée et relayée par les forces naturelles. A l'inverse, il est inutile et illusoire de penser que l'on peut lutter contre le cours des choses.
Comme un fleuve, la mise en œuvre devra « couler de source », c'est-à-dire prendre appui sur la géographie de l'entreprise : les tendances de fonds de la situation actuelle ; les savoir-faire de l'entreprise, sa position, son histoire, ses hommes ; ceux de la concurrence actuelle et potentielle…
C'est ce qui va permettre de résister au mieux aux aléas du trajet et aux « cygnes noirs » qui peuvent survenir.
Il faut aussi que plusieurs chemins soient possibles, car c'est le seul moyen de pouvoir faire face aux imprévus : pour viser la beauté de la femme, L'Oréal multiplie les produits, les marques, les circuits de distribution. Cette redondance peut sembler une sous-optimisation ou un manque de productivité, elle est surtout une assurance contre les aléas : si le circuit des ventes via les pharmacies se développe plus vite que via les parfumeries, L'Oréal est là. Si c'est celui de la vente directe, L'Oréal est là encore.

4. L'avancée vers la mer commence aujourd'hui
Autant l'horizon à moyen et long terme est flou, car masqué par le jeu combiné des incertitudes environnantes, autant l'avenir immédiat est planifiable : les ressources de l'entreprise sont connues, tant qualitatives que quantitatives ; l'évolution du marché et des attentes des clients sont analysables ; les positions des concurrents le sont aussi. Il reste bien sûr des aléas, mais ils peuvent être cernés et probabilisés : on est en-deçà de l'horizon du flou, nous sommes dans l'horizon des plans d'action et du budget.
Comment cet horizon se raccorde-t-il avec celui du long terme ? Comment les plans d'actions se relient avec le chemin qui doit conduire à la mer ? C'est « simple » : ils doivent en constituer la première étape. A l'issue de ces plans d'actions, on doit s'être rapproché de la mer et/ou avoir conforté les chances de l'atteindre. Si ce n'est pas le cas, soit la mer n'est pas la bonne (dans un an, la mer restera au loin, à l'horizon, les concurrents, eux, auront bougé, et cette mer, on ne l'atteindra jamais), soit le plan d'actions n'est pas le bon !
De fait, il doit y avoir une articulation progressive partant des actions immédiates précises et détaillées, et allant vers le flou « total » : au fur et à mesure que l'on s'éloigne du présent, les actions sont moins précises, les ressources affectées moins définies, les options moins tranchées. A l'horizon intermédiaire, celui qui est l'horizon du flou, on a seulement une « idée » de l'entreprise telle qu'elle devrait se présenter et on a identifié les étapes que l'on voudrait avoir franchies.

5. On choisit sa mer pour la vie
La mer n'est pas un objectif que l'on se fixe pour les cinq ou dix à venir, c'est un horizon, situé à l'infini, qui va guider et apporter du sens aujourd'hui et demain : L'Oréal vise la beauté depuis les années 70, Air Liquide s'intéresse au gaz depuis plus de cent ans, et Google n'envisage pas de se centrer sur un autre thème que l'information.
Pourquoi une telle stabilité ? Parce que :
- C'est possible : une mer est un attracteur stable dans le chaos du monde, un besoin fondamental et stable qui, quels que soient les aléas, sera toujours là.
- C'est nécessaire : comme un fleuve se renforce au fur et à mesure qu'il progresse, une entreprise ne peut pas changer de mer sans « repartir de zéro ». Au début, une entreprise n'a qu'une intuition de la mer, c'est petit à petit qu'elle va développer une compréhension fine, créer des offres de mieux en mieux adaptées, développer des savoir-faire internes…
- C'est l'identité même de l'entreprise : c'est la mer qui donne le sens à l'action collective et soude les équipes internes. Changer de mer, ce n'est pas seulement changer de stratégie, c'est changer d'identité. Changer de mer, c'est risquer de ne pas être compris et suivi, de voir éventuellement même éclater l'entreprise.
Aussi ne choisit-on pas sa mer sur un coup de tête : cela doit être le résultat d'un processus long et approfondi. Souvent ce choix a été fait dès la naissance de l'entreprise et s'est trouvé progressivement confirmée par le renforcement de l'entreprise. Dans ce cas, on a choisi sa mer comme l'eau d'un fleuve : la source a imposé la mer.

*
* *
Un mot sur le management en guide de conclusion.
Plus les dirigeants changeront souvent d'entreprises, et les actionnaires seront volatils, plus les uns comme les autres voudront se protéger par des prévisions et des chiffres : ne pouvant comprendre en profondeur ce qui fait l'entreprise et ses marchés, n'ayant pas un accès personnel à son histoire, il leur sera difficile d'imaginer le futur. Dirigeants comme actionnaires croiront se protéger dans des tableaux et des certitudes, alors qu'ils ne sont que des lignes Maginot mentales. Quand ils verront que le futur n'est pas comme ce qui avait été prévu, souvent ils se réfugieront dans le court terme, coupant les ressources et les moyens qui auraient permis à l'entreprise de réussir.
Quelles sont les entreprises qui arrivent à créer de la valeur dans la durée ? Ce sont précisément celles qui ont une stabilité à la fois de leur management et de leur structure d'actionnaires. Situation qui est singulièrement celles des groupes familiaux : ils savent mieux éviter les modes, faire des paris gagnants sur le futur, s'y tenir et naviguer au mieux au jour le jour.
Ainsi paradoxalement, l'incertitude suppose la stabilité du management : la vie est faite d'ordre et de désordre, de yin et de yang. Être stable pour pouvoir se diriger et diriger. Être fort pour aimer l'incertitude, s'appuyer sur l'incertitude pour se renforcer.



(Tous ces éléments sont développés dans mon nouveau livre "Les mers de l'incertitude")

6 avr. 2010

DES APPROCHES MANAGÉRIALES DANGEREUSES ET OBSOLÈTES PERDURENT

Un monde incertain (1ère partie)

Le nouveau numéro de la revue trimestrielle Sociétal est centré sur le « Management de l'après-crise ou crise de l'après-management ». J'y participe au travers d'un article intitulé « Un monde incertain ». Compte-tenu de sa longueur, je le publie sur deux jours. En voici la première partie.

LE FLOU ET L'INCERTITUDE SONT DEVENUS LA RÈGLE
Tout le monde se sent débordé par l'incertitude : omniprésente autour de nous, elle en est venue à tout envahir. Quel que soit le journal que je saisisse, quelle que soit la radio que j'écoute, quelle que soit la télévision que je regarde, je suis certain d'y trouver des prévisions démenties, des reprises qui n'arrivent pas, des catastrophes et des succès inattendus. 
La crise économique déclenchée en septembre 2008 a rendu encore plus évidente cette propagation de l'incertitude.
Dans le même temps, nous continuons à rêver d'un monde sécurisant où, à l'image des livres de cuisine, on connaitrait la liste des ingrédients à réunir et le mode opératoire à suivre pour obtenir à coup sûr un résultat connu à l'avance et conforme à la photographie affichée.
Le monde des entreprises, loin d'être épargné, est au cœur et souvent à l'origine de cette tourmente. Qu'en est-il de sa capacité à prévoir ce qui va advenir ? Pour répondre brutalement, il n'en reste plus grand-chose :
- Il n'y a quasiment plus de certitudes, c'est-à-dire de situations dont on peut définir à l'avance l'évolution : la présence des boucles de rétroaction et la densité des interactions empêchent de prévoir de façon certaine ce qui va se passer.
- Il est même impossible, sauf à court terme, de probabiliser l'évolution. Au mieux, nous pouvons définir le monde des possibles : avoir une idée de ce qui est susceptible de se produire, élaguer en définissant des zones impossibles, préciser des chemins, mais sans savoir lequel sera suivi.
- L'horizon du court terme varie selon les pays et les secteurs, mais dans tous les cas, il se rapproche constamment. Il est de l'ordre de l'année, parfois beaucoup moins, rarement beaucoup plus. Au-delà, règne le flou.

POURTANT DES APPROCHES MANAGÉRIALES DANGEREUSES ET OBSOLÈTES PERDURENT
1. La maladie de la prévision Excel

Sous la pression de leur environnement et/ou de leur direction, les entreprises continuent à construire des business-plan peuplés de prévisions à trois ou cinq ans.
Or ceci est faux et dangereux.
Faux parce que :
- On est incapable de modéliser réellement la situation actuelle et de tenir compte de toutes les interdépendances.
- Ceci repose sur une modélisation mathématique du comportement des individus, modélisation le plus souvent contestable (*).
- La projection suppose que ce qui a sous-tendu l'évolution passée, sera vrai dans le futur. Or au mieux, il y aura de faibles déformations ; au pire, tout sera changé.
- Si, par chance, les lois passées restent encore valables, comme les évolutions complexes sont régies par des lois de type chaotique, la moindre erreur initiale générera des erreurs non quantifiables.

Dangereux parce que :

- Elle fait croire le problème résolu et baisser la vigilance : comme on imagine avoir maîtrisé le risque en l'ayant encadré dans des scénarios, on ne prête plus assez attention à ce qui se passe et émerge.
- Souvent les prévisions se retrouvent dans les budgets des années à venir : alors qu'elles ne sont que des construits imaginés, on va évaluer la performance d'une unité ou d'un manager sur sa capacité à les respecter, et non pas sur celle de tirer le meilleur parti de ce qui advient réellement.

2. L' « anorexic management »
Quand on évalue une performance, on met en regard les dépenses allouées et les résultats obtenus. Puis on cherche à comprimer les coûts en supprimant ceux qui sont les moins productifs.
Ceci présente deux risques majeurs :

- La mort comme résultat ultime de la règle magique des 80/20 : quoi que j'observe, je vais constater que 80% du résultat est obtenu avec 20% des efforts faits. Si l'on zoome, on constate que les derniers 5% ont un impact très faible. Alors arrive la question inévitable : pourquoi l'entreprise ne supprime-t-elle pas ces efforts qui ne sont pas rentables ? Si elle le fait et qu'un an plus tard, on mène la même étude, on identifiera à nouveau 5% d'efforts « inefficaces ». Que fait-on ? Coupe-t-on aussi ces efforts là ? Si oui, il n'y a aucune raison que cela s'arrête, et, on va par étapes vers le système le plus productif, le seul qui ne consomme aucune ressource inefficacement : la mort. C'est ce que l'on appelle aussi le « syndrome du wagon de queue » : quoique je fasse, il y en aura toujours un.
- La rigidité comme résultat de la cure d'amaigrissement : quand on mesure les résultats obtenus ou attendus, on n'est incapable par construction de prendre en compte ce qui n'est pas prévu. On va ainsi considérer comme non productif tout ce qui ne peut pas être relié à un bénéfice connu. L'application brutale et sans discernement de l'amélioration de la productivité va supprimer tout ce qui est flou et non-affecté, et rendre l'entreprise cassante : elle sera dépourvue des redondances et du flou indispensable à sa résilience.

Faut-il « jeter aux orties » toute approche de productivité et toute réflexion sur l'adéquation entre moyens et résultats ? Non, bien sûr, mais elle ne doit porter que sur la part « hors flou », et intégrer que ce qui est observé n'est que la partie émergée d'un iceberg. 

J'ai parfois l'impression que, comme pour les mannequins qui meublent les magazines de mode, on fait l'éloge de la maigreur excessive : il n'y a qu'un pas du lean management à l' « anorexic management » !

3. L'enfermement par l'expertise
Affirmer « Plus une entreprise est performante et expérimentée, moins elle comprendra ses clients » est apparemment une contrevérité. En effet, plus l'entreprise est performante, mieux elle connaîtra son marché, ses clients, sa concurrence. Certes, mais plus elle aura accumulé d'expériences, plus elle va se poser des questions selon sa logique. In fine, elle risque d'avoir un tel niveau d'expertise qu'elle est décalée par rapport à tous les autres, ses clients y compris.
Prenez l'exemple d'une banque dotée d'un système sophistiqué permettant de mesurer et de comparer le temps d'attente dans toutes ses agences, non seulement entre elles, mais vis-à-vis de la concurrence bancaire. Cet outil semble performant et pertinent, mais il présente un vice majeur : il compare la banque dans un référentiel qui n'est pas celui des clients. En effet, la plupart des clients n'ayant qu'un seul compte bancaire, n'ont pas la possibilité de comparer la performance de leur agence versus celle des concurrents. Par contre, comme, quand ils vont dans leur agence, ils sont le plus souvent en train de faire leurs courses, il compare l'agence aux autres commerces de la rue. Difficile quand on est un banquier chevronné de comprendre que l'on doit se comparer à une poissonnerie ou une crèmerie pour savoir si le client sera content ou mécontent !
Ainsi, plus l'entreprise est experte, moins elle parle le langage commun et plus elle peut se tromper. Plus l'incertitude se développe, plus ce risque est grand.
Ceci va souvent de pair avec le développement d'une forme d'arrogance issue de succès répétés et de la sensation d'être invulnérable. Au stade extrême, l'entreprise et ses collaborateurs vont devenirs « autistes » : forts de leur expérience, ils savent ce que veulent les clients, comment va évoluer le marché, quels sont les risques technologiques…
Pour comprendre ses clients, il faut d'abord faire le vide, oublier ce que l'on sait et ne mobiliser qu'a posteriori son expertise.

(à suivre)

(*) Voir notamment les travaux de Daniel Kahneman

2 avr. 2010

COMMENT POUVONS-NOUS CONSTRUIRE DES RÈGLES COMMUNES ?

______ Éditorial du vendredi________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Comme tous les systèmes vivants, une entreprise se compose et se décompose sans cesse. Elle perdure et se développe au travers de ses transformations grâce à l'existence des règles qui la définissent. Sans la culture commune qui est le résultat de ces règles et de son histoire, elle ne serait qu'une juxtaposition d'individus et de systèmes…
- Mardi : Les statistiques présupposent que l'on peut mathématiser le monde et le comportement humain. La lecture du dernier livre de Florence Aubenas nous montre le décalage qu'il y a entre tous ces rapports d « experts » et la vie au quotidien. Quand comprendrons-nous qu'il faut redonner droit de cité à l'observation et à la compréhension ?
- Mercredi : A force d'ajuster les entreprises à leur situation actuelle, à force de tout optimiser et de supprimer ce qui n'est pas directement indispensable, on supprime le flou et les réserves, rendant ainsi les entreprises cassantes. Elles en deviennent d'autant plus vulnérables à un changement de leur environnement.
- Jeudi : Souvent nous rêvons d'un monde qui ressemble à celui des livres de cuisine, un monde dans lequel l'application de recettes et le choix des bons ingrédients vont garantir l'obtention du résultat. Mais dans ce monde de la certitude, où serait la place de la créativité, de l'intelligence et de la liberté ? Comment espérer sans incertitude ? 

Quand je regarde le fonctionnement de notre monde actuel, je vois surtout des juxtapositions et des télescopages, et bien peu un monde commun. Nous sommes encore bien loin d'habiter collectivement notre « Neuromonde », chaque nation, voire chaque « tribu » » restent dans sa logique. Comment arriver à construire ces règles communes, cette culture mondiale sans tomber dans le nivellement ou l'affrontement ? Tel est un de nos défis d'aujourd'hui. 
J'aime particulièrement l'approche que propose François Jullien dans « De l'universel, de l'uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures ». Il y écrit ainsi : « Envisager les cultures sous l'angle « matériel », celui du contenu et des valeurs, aboutit nécessairement à un rapport de forces entre ces cultures... Soit j'impose mes valeurs aux autres, soit je leur cède... Ne pourrait-on cependant négocier ? Mais je crois justement que des valeurs ne se négocient pas... La solution, autrement dit, n'est pas dans le compromis, mais dans la compréhension. La tolérance entre valeurs culturelles, elle dont on ne cesse de dire aujourd'hui l'urgence entre les nations, ne doit pas venir de ce que chacun, personne ou civilisation, réduirait la prétention de ses propres valeurs ou modérerait son adhésion à leur égard, ou même « relativiserait » ses positions (pourquoi l'Europe marchanderait-t-elle tant soit peu sur la liberté ?)... Une telle tolérance ne peut venir que de l'intelligence partagée... Chacun s'ouvre également, par intelligence, à la conception de l'autre. »
Faire cela suppose de ne plus penser le monde à coup de statistiques, de calcul et de prévision, mais de passer du temps à s'observer et à se comprendre. Comme Florence Aubenas l'a fait à Ouistreham, nous devrions faire des plongées en profondeur et croisées pour nous comprendre les uns les autres. 
Cela suppose aussi de ne pas penser le monde à coup de rétroviseur : les nations qui structurent notre organisation collective sont le fruit du passé, et ne sont pas nécessairement adaptées à ce que sera notre futur.
En adaptant très précisément une entreprise à sa situation actuelle, on la fragilise et on la rend incapable d'évoluer. A trop ajuster chacun de nos pays à son passé et à ses contraintes actuelles, sommes-nous en train de préparer le futur collectif ? 
Enfin, arrêtons de faire confiance à de prétendus experts et à leurs recettes de cuisine – quelles qu'elles soient ! – : le futur de notre monde reste incertain et très largement entre nos mains.

C'est cette incertitude qui doit nous donner l'espoir : c'est parce que nous ne connaissons pas le futur que le meilleur est possible…






1 avr. 2010

IL N’Y A PAS D’ESPOIR SANS INCERTITUDE

Voulez-vous parier sur la création ou la copie ?

Quand nous nous lançons dans une recette de cuisine, l'espoir n'est pas dans l'incertitude : elle est dans la conformité du résultat à ce qui a été anticipé. Pour cela, nous ne ménageons pas nos efforts : nous lisons avec attention la recette, nous la suivons scrupuleusement, pesant chaque ingrédient, préchauffant le four à la température indiquée.

Quand un artiste se lance dans la création d'une nouvelle œuvre – peinture, sculpture, musique, écriture, … –, il ne sait pas où il va. Il suit l'idée qui a commencé à combler le vide de la page blanche qu'il avait devant lui, mais cette idée est obscure et mystérieuse. Il est attentif à en suivre les méandres et avide de découvrir où elle va l'emmener.

Pas besoin d'être un grand cuisinier pour suivre une recette. En fait surtout pas, car alors vous pourriez être tenté de ne pas la suivre, et très probablement vous la manqueriez. Faire ainsi la cuisine n'est pas une affaire d'intelligence, un minimum de notre intellect est sollicité. C'est probablement pour cela qu'elle est tellement prisée par tous ceux qui ont une activité professionnelle débordante : il est plus reposant de suivre une recette de cuisine que de diriger une usine.

Impossible de créer une œuvre quelconque sans imagination personnelle. Si vous n'avez pas d'imagination, la page restera durablement blanche, le pinceau sèchera en vain, le marbre restera de marbre… Créer suppose d'être capable de construire des images mentales qui se matérialisent continûment devant vous. Ainsi la création est d'abord une affaire d'intelligence, mais une intelligence complexe et non linéaire, celle qui sait appréhender le complexe et avoir des fulgurances.

Dans Le Diable et le Bon Dieu, Jean-Paul Sartre écrit qu'il préfère le désespoir à l'incertitude. Il pensait manifestement aux recettes de cuisine ! En effet, l'incertitude est le cauchemar du pseudo-cuisinier, celui qui ne fait que reproduire ce qu'un autre à inventer.

Pour ma part, je crois plutôt qu'il n'y a pas d'espoir sans incertitude. Cela tient probablement au fait que je pense que l'avenir est plus à la création qu'à la reproduction, aux artistes qu'aux mécaniciens, à l'intelligence qu'à la peur.

Et vous ?

31 mars 2010

DES OPTIMISATIONS RÉPÉTÉES PEUVENT RENDRE UNE ENTREPRISE CASSANTE

Une entreprise exactement adaptée à sa situation présente est vulnérable

Retour sur l'anorexie et du risque de rendre l'entreprise cassante.

Pour préciser mon propos, je vais vous poser quelques questions « simples » auxquelles je vous laisserai apporter vos réponses (n'hésitez pas à me laisser des commentaires) :
- Un coureur de marathon a-t-il la moindre chance d'arriver au bout de la course, s'il part sans aucune réserve ? N'a-t-il pas pris la peine de manger des sucres lents qu'il a stockés préalablement dans son organisme ? La mise en œuvre d'un plan d'action pour une entreprise est-il une action de courte durée ou s'apparente-t-elle à un marathon ?
- Un ensemble d'engrenages peut-il fonctionner sans présence d'un corps gras et d'un minimum de jeu ? Si l'on réduit toutes les marges de manœuvre et on assèche tous les mécanismes, va-t-il se bloquer ?
- Dans la fable du chêne et du roseau, lequel des deux survit à l'orage ? Pour quelle raison, l'un des deux est-il condamné ?
- Y a-t-il une part de flou dans le vivant ? Est-ce qu'une cellule vivante pourrait s'adapter à des changements de son environnement si elle était parfaitement adaptée à son environnement actuel ? Si un être vivant était exactement ajusté à sa situation présente, que se passerait-t-il si elle changeait ?
- Le chaos – au sens mathématique du terme – est-il omniprésent dans le monde dans lequel nous vivons ? L'évolution d'une situation chaotique peut-elle être anticipée précisément, ou, au contraire, peut-elle varier dans des proportions imprévisibles ?
Je pourrais prolonger cette liste…

Maintenant, je vais ajouter juste une dernière question : si j'optimise exactement une entreprise à sa situation actuelle en supprimant tout ce qui semble inutile et n'apporte rien dans le contexte actuel, est-ce que, en améliorant sa performance immédiate, je ne la rends pas cassante et vulnérable ?

Je vous laisse répondre…

30 mars 2010

LA VIE N’EST PAS UNE AFFAIRE DE STATISTIQUES

On apprend plus de la situation de l'emploi en lisant le livre de Florence Aubenas qu'en lisant les statistiques du chômage

Florence Aubenas promène son regard à hauteur des gens. Elle s'est faite pendant six mois, l'un d'eux. Elle est là parmi eux, sans jugement, sans critique, juste le témoin d'une réalité. Elle apporte un témoignage brut de ce qui est le monde dans lequel nous vivons, même si nous le connaissons parfois bien mal.

Les experts promènent leurs regards à hauteur des idées. Ils se font les professeurs qui nous disent le vrai. Ils sont là au milieu des chiffres, pleins de jugements, pleins de critiques, interprètes d'une réalité absente. Ils apportent des visions alambiquées de ce qui est le monde dans lequel nous vivons, à se demander s'ils le connaissent eux-mêmes.

On ne sort pas indemne de la lecture du « Quai de Ouistreham ». On garde longtemps présentes les images de ces forçats de la propreté pour lesquels le SMIC est un eldorado inaccessible, les syndicats vu comme des défenseurs des ouvriers nantis, la crise qui est depuis longtemps leur quotidien. Pourquoi supporte-on cette réalité à nos fenêtres sans nous émouvoir plus que cela ?

On sort indemne de la lecture de la plupart des articles des experts. On ne garde présente aucune de leurs analyses contradictoires et constamment démenties, analyses pour lesquelles la reprise sera, selon les cas, en U, V, W ou L, analyses dont ils sont entre eux le premier public. Pourquoi supporte-t-on ces prévisions qui feraient passer la météorologie pour une science exacte ?

Et si la solution était une fois de plus dans l'hybridation et le mélange des genres ? Pourquoi ne pas demander à quelques vrais experts – Dieu merci, ils en existent ! –, de passer du temps à observer la réalité des choses ? Qu'ils y passent le nombre de mois qu'il faudra, qu'ils prennent le temps de partir non plus de chiffres qui n'expriment que le calcul qui est fait, mais de situations vécues.

Certes ceci n'aura pas de valeur statistique, mais comme précisément la vie n'est pas affaire de statistiques, cela tombe bien !



29 mars 2010

UNE ENTREPRISE SE COMPOSE ET SE DÉCOMPOSE SANS CESSE

Les règles communes cimentent les systèmes


"A l'échelon le plus élémentaire, on trouve les composants de base de la matière. Ces composants se combinent pour donner des photons, des neutrinos, des électrons ou des quarks. En continuant la remontée, on arrive aux briques de base dont nous avons tous entendu parler depuis longtemps : hydrogène, oxygène, carbone, fer… A leur tour, ces briques se composent pour créer des molécules complexes : eau, gaz carbonique,…

De cette matière, émerge la cellule, l'échelon de base du vivant. Assemblées ensuite dans des schémas plus ou moins sophistiqués, ces cellules donnent naissance à un être vivant allant de l'amibe à l'homme. 
Enfin ces êtres vivants interagissent entre eux et donnent naissance à des systèmes : des tribus d'animaux, des écosystèmes (la fleur et l'abeille), des entreprises, des organisations sociales… Puis tous ces systèmes s'articulent entre eux pour donner notre univers. Et au-dessus ? On ne sait pas…

Qu'est-ce qui fait qu'une collection d'éléments n'est pas seulement une juxtaposition, mais crée un niveau ? C'est l'existence d'au moins une règle commune et nouvelle qui fait que c'est bien un niveau et non pas une collection d'éléments : une collection de stylos ne devient pas un niveau et reste un ensemble d'objet ; une collection de personnes devient un groupe et donc un niveau, si elles suivent des règles communes (des lois, des us et coutumes, …). C'est l'existence de ces règles qui lui apporte ses propriétés spécifiques. 


De même, c'est l'existence de règles propres qui fait qu'une entreprise existe en tant que telle, et n'est pas qu'une juxtaposition d'individus. Ces règles peuvent comprendre des éléments objectifs comme le cadre juridique, les systèmes d'information ou l'organisation interne, mais aussi subjectifs comme des us et coutumes, un langage propre. Les éléments qui composent une grande entreprise (filiales, pays, divisions…) n'existeront en tant que niveau propre, que si ils sont eux-mêmes dotés de règles propres, celles-ci pouvant n'être que culturelles.

Comme tout organisme vivant, une entreprise se compose et se décompose sans cesse : elle consomme des produits et en crée d'autres, elle intègre des individus et se séparent d'autres, elle crée des alliances avec certaines entreprises et en attaque d'autres… Elle vit. Sans l'existence de ses règles et de sa culture, l'identité de l'entreprise ne perdurerait pas au travers de ces transformations continues. Si ce ciment venait à disparaître, l'entreprise, en tant que système collectif, cesserait d'exister pour ne devenir plus qu'une collection d'individus juxtaposés. Elle perdrait sa cohésion et ne pourrait plus être dirigée. Si, suite à une fusion, une culture commune n'est pas mise en place, on aura une juxtaposition et non pas une entreprise.


Quand IBM devient une entreprise centrée sur le software et sur la prestation intellectuelle, est-elle toujours IBM ? Après avoir absorbé successivement Fina, puis Elf, Total est-il resté Total ? Quand Veolia nait à partir de la scission des activités environnement issues de la Générale des Eaux redevient-elle la Générale des Eaux sous un autre nom ? Quand France Telecom cesse d'être une entreprise publique et s'internationalise de plus en plus, est-elle toujours France Telecom ? Quand BSN devient Danone s'agit-il d'une création nouvelle ou d'une transformation d'une identité ?"

(Ce texte est un extrait de mon nouveau livre "Les mers de l'incertitude" - p. 58-59 - à paraître fin mai)