_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
11 juin 2010
10 juin 2010
L’INCERTITUDE EST PLUS QUE JAMAIS NOTRE AVENIR CERTAIN
Nous sommes pris dans les mailles du Neuromonde
Nous sommes six milliards d'êtres humains, bientôt neuf milliards, dotés d' "objets-monde" et tous connectés. Nous entrons dans un Neuromonde hypercomplexe et incertain. Qu'est-ce à dire ?
Nous sommes six milliards d'êtres humains, bientôt neuf milliards, dotés d' "objets-monde" et tous connectés. Nous entrons dans un Neuromonde hypercomplexe et incertain. Qu'est-ce à dire ?
9 juin 2010
LA VIE DÉRIVE DE POSSIBLES EN POSSIBLES
L'évolution procède par bricolages et émergences
Le voyage au sein des « Mers de l'incertitude » amène à des extraits issus de la fin de la première partie.
« L'abeille a-t-elle évolué pour mieux tirer parti de l'existence des fleurs ? Oui, mais les fleurs ont, elles aussi, changé pour mieux attirer ces abeilles essentielles à leur reproduction, et donc à leur survie. Cette co-évolution a rendu fertilisation et alimentation conjointement possibles et les a améliorées. Était-ce la meilleure solution ? On ne sait pas : ensemble, la fleur et l'abeille ont simplement « bricolé » une évolution satisfaisante, qui permettait à l'une et à l'autre d'accroître leurs chances de survie. (…)
Chaque élément de l'univers est soumis à un ensemble de règles et de lois : les lois générales de la matière (comme les quatre lois de base : gravitation, force électromagnétique, forces nucléaire forte et faible), et des règles spécifiques à l'acteur ou l'espèce en question, règles pouvant être innées ou acquises.
Cet ensemble de règles oriente l'évolution en structurant ce champ des possibles : est considérée comme satisfaisante3, toute évolution qui reste dans ce champ des possibles.
Comment est produite l'évolution ? Par un bricolage constant et continu, une dérive de possibles en possibles, un enchaînement plus ou moins rapide de microévolutions. (…)
Aucun objet n'a de sens ni de finalité en soi, le sens et la finalité émergent dans et par la relation avec ce qui l'environne : l'objet reste le même, mais le sens de l'objet et sa fonction sont dépendants de ce qui se trouve face à lui et de l'interaction entre les deux. De ce point de vue, on peut dire que le réel n'existe pas a priori, mais émerge de l'interaction avec ce qui est là.
La mécanique quantique et la relativité ont mis l'accent sur l'interdépendance entre ce que l'on observe et celui qui l'observe. C'est la même idée que l'on retrouve ici.
Telle est la logique de l'émergence : la réalité n'existe pas en tant que telle, elle n'est pas un absolu immuable mais naît de l'interaction entre l'observé et l'observateur. En reprenant la terminologie de Varela, elle « enacte ».
Il ne s'agit plus seulement de co-évolution, mais bien de co-dépendance instantanée : chacun donne un sens à l'autre, chacun est dépendant continûment de l'autre. »1
Le voyage au sein des « Mers de l'incertitude » amène à des extraits issus de la fin de la première partie.
« L'abeille a-t-elle évolué pour mieux tirer parti de l'existence des fleurs ? Oui, mais les fleurs ont, elles aussi, changé pour mieux attirer ces abeilles essentielles à leur reproduction, et donc à leur survie. Cette co-évolution a rendu fertilisation et alimentation conjointement possibles et les a améliorées. Était-ce la meilleure solution ? On ne sait pas : ensemble, la fleur et l'abeille ont simplement « bricolé » une évolution satisfaisante, qui permettait à l'une et à l'autre d'accroître leurs chances de survie. (…)
Chaque élément de l'univers est soumis à un ensemble de règles et de lois : les lois générales de la matière (comme les quatre lois de base : gravitation, force électromagnétique, forces nucléaire forte et faible), et des règles spécifiques à l'acteur ou l'espèce en question, règles pouvant être innées ou acquises.
Cet ensemble de règles oriente l'évolution en structurant ce champ des possibles : est considérée comme satisfaisante3, toute évolution qui reste dans ce champ des possibles.
Comment est produite l'évolution ? Par un bricolage constant et continu, une dérive de possibles en possibles, un enchaînement plus ou moins rapide de microévolutions. (…)
Aucun objet n'a de sens ni de finalité en soi, le sens et la finalité émergent dans et par la relation avec ce qui l'environne : l'objet reste le même, mais le sens de l'objet et sa fonction sont dépendants de ce qui se trouve face à lui et de l'interaction entre les deux. De ce point de vue, on peut dire que le réel n'existe pas a priori, mais émerge de l'interaction avec ce qui est là.
La mécanique quantique et la relativité ont mis l'accent sur l'interdépendance entre ce que l'on observe et celui qui l'observe. C'est la même idée que l'on retrouve ici.
Telle est la logique de l'émergence : la réalité n'existe pas en tant que telle, elle n'est pas un absolu immuable mais naît de l'interaction entre l'observé et l'observateur. En reprenant la terminologie de Varela, elle « enacte ».
Il ne s'agit plus seulement de co-évolution, mais bien de co-dépendance instantanée : chacun donne un sens à l'autre, chacun est dépendant continûment de l'autre. »1
(1) Extrait des Mers de l'incertitude p.65 et 66
8 juin 2010
« SE CHANGER AVEC L’AUTRE, CE N’EST PAS SE PERDRE, ET CE N’EST PAS SE DÉNATURER »
Quand Édouard Glissant parle de la différence entre mondialité et mondialisation
Grâce à un échange sur AgoraVox suite à un des mes articles, j'ai eu connaissance d'une interview donnée par Édouard Glissant(1), le 14 février 2005 sur TV5(2)En voici un patchwork personnel…
« C'est bien de partir de l'endroit où l'on est né. On ne peut jamais faire abstraction du lieu, de son lieu. Je dis toujours que le lieu est incontournable. Mais, il est incontournable aussi dans le sens ou on ne peut pas en faire le tour, c'est-à-dire qu'on ne peut pas l'emmurer. On ne peut pas mettre des murailles, des murs autour de son lieu. Et, dans ce sens, on est appelé à connaître même par l'imaginaire tous les lieux du monde car tous les lieux du monde, aujourd'hui, aujourd'hui, dans les temps modernes, tous les lieux du monde se rencontrent, s'affrontent. Il y a des guerres, il y a des génocides, il y a des massacres, il y a des épidémies, il y a des famines, il y a des inondations, il y a des incendies, des tremblements de terre, mais il y a aussi quelque chose de nouveau qui est que nous avons tous le sentiment que nous vivons la même dimension que j'appelle mondialité. (…)
Je pense que plutôt que de l'universel, je parlerais de quelque chose de tout à fait nouveau pour nous dans le monde actuel, je parlerais de la relation. Je parlerais de la relation parce que, pour moi, la relation, c'est la quantité finie de toutes les particularités du monde, sans en oublier une seule. Et, je pense que la relation c'est l'autre forme d'universel, aujourd'hui. C'est notre manière à nous tous, d'où que nous venions, d'aller vers l'autre et d'essayer comme je dis souvent de se changer en échangeant avec l'autre, sans se perdre, ni se dénaturer. Et, je pense que sans cette révolution nous continuerons à souffrir les souffrances que le monde endure aujourd'hui. (…)
La mondialisation, c'est l'envers négatif de ce que j'appelle mondialité. La mondialisation, c'est le nivelage par le bas. C'est la monotonie. Tout le monde s'habille de la même manière, tout le monde a les mêmes réactions, tout le monde veut manger les mêmes produits universels (…) Combattre la mondialisation, on ne peut pas le faire si on s'enferme sur soi-même. Si je ne suis pas dans la mondialité je ne peux pas combattre la mondialisation. Si je me renferme sur moi-même, si je me renferme dans mes murs, dans ma maison, dans ma cité (…)
Et, c'est pourquoi, je pense que ce sentiment de mondialité qui est presque une poétique, mais qui est une poétique active, qui n'est pas une poétique contemplative, purement contemplative. C'est une poétique active qui permet l'échange et qui permet le change, et qui permet de se maintenir tout en devenant autre et ça, c'est difficile pour les peuples et les individus d'aujourd'hui. C'est difficile à comprendre parce que on a l'impression que si on devient autre, on se perd, on se dilue, on s'évanouit, on abandonne quelque chose, une part de soi qui était séculairement là et que ce n'est pas possible. Et pourtant, il faudra bien qu'on y vienne, à ceci, qu'aller à l'autre et se changer avec l'autre, ce n'est pas se perdre, et ce n'est pas se dénaturer. (…)
Et, par conséquent, il est possible de concevoir, n'est-ce pas, aujourd'hui que l'identité ce n'est pas un isolement, ni un renfermement, que l'identité ce peut être un partage. Il est possible. Et quand je dis, que le monde entier se créolise parce que c'est cela ce partage, c'est une créolisation, ça ne veut pas dire qu'il devient créole, n'est-ce pas? Ça veut dire que, il est… Il entre dans une période de complexité et d'entrelacements tels qu'il nous est difficile de le prévoir. Le monde est inextricable. (…)
C'est ça qui nous frappe. Qu'une brousse est à la fois une unité et une diversité. Une forêt, c'est des individus et c'est des individus ensemble, des individus qui ont quelque chose ensemble. Et, nous avons le même sentiment aujourd'hui qui est très fort que le monde et nous, c'est une unité-diversité. Si tu tues l'arbre, tu tues l'homme. Si tu tues la rivière, tu tues l'homme. Si tu tues la mer, tu tues l'homme. Et par conséquent, nous avons ce sentiment qui n'existait pas auparavant – auparavant, c'était un sentiment qui était réservé aux saints, aux poètes, aux innocents, etc. – c'est une affaire d'intuition du monde, d'intuition de la totalité-monde et c'est pourquoi, peut-être encore, les poètes sont les plus à même de pressentir cela et de le dire. »
(1) Pour savoir qui est Édouard Glissant
(2) Cliquer pour voir l'article in extenso
Grâce à un échange sur AgoraVox suite à un des mes articles, j'ai eu connaissance d'une interview donnée par Édouard Glissant(1), le 14 février 2005 sur TV5(2)En voici un patchwork personnel…
« C'est bien de partir de l'endroit où l'on est né. On ne peut jamais faire abstraction du lieu, de son lieu. Je dis toujours que le lieu est incontournable. Mais, il est incontournable aussi dans le sens ou on ne peut pas en faire le tour, c'est-à-dire qu'on ne peut pas l'emmurer. On ne peut pas mettre des murailles, des murs autour de son lieu. Et, dans ce sens, on est appelé à connaître même par l'imaginaire tous les lieux du monde car tous les lieux du monde, aujourd'hui, aujourd'hui, dans les temps modernes, tous les lieux du monde se rencontrent, s'affrontent. Il y a des guerres, il y a des génocides, il y a des massacres, il y a des épidémies, il y a des famines, il y a des inondations, il y a des incendies, des tremblements de terre, mais il y a aussi quelque chose de nouveau qui est que nous avons tous le sentiment que nous vivons la même dimension que j'appelle mondialité. (…)
Je pense que plutôt que de l'universel, je parlerais de quelque chose de tout à fait nouveau pour nous dans le monde actuel, je parlerais de la relation. Je parlerais de la relation parce que, pour moi, la relation, c'est la quantité finie de toutes les particularités du monde, sans en oublier une seule. Et, je pense que la relation c'est l'autre forme d'universel, aujourd'hui. C'est notre manière à nous tous, d'où que nous venions, d'aller vers l'autre et d'essayer comme je dis souvent de se changer en échangeant avec l'autre, sans se perdre, ni se dénaturer. Et, je pense que sans cette révolution nous continuerons à souffrir les souffrances que le monde endure aujourd'hui. (…)
La mondialisation, c'est l'envers négatif de ce que j'appelle mondialité. La mondialisation, c'est le nivelage par le bas. C'est la monotonie. Tout le monde s'habille de la même manière, tout le monde a les mêmes réactions, tout le monde veut manger les mêmes produits universels (…) Combattre la mondialisation, on ne peut pas le faire si on s'enferme sur soi-même. Si je ne suis pas dans la mondialité je ne peux pas combattre la mondialisation. Si je me renferme sur moi-même, si je me renferme dans mes murs, dans ma maison, dans ma cité (…)
Et, c'est pourquoi, je pense que ce sentiment de mondialité qui est presque une poétique, mais qui est une poétique active, qui n'est pas une poétique contemplative, purement contemplative. C'est une poétique active qui permet l'échange et qui permet le change, et qui permet de se maintenir tout en devenant autre et ça, c'est difficile pour les peuples et les individus d'aujourd'hui. C'est difficile à comprendre parce que on a l'impression que si on devient autre, on se perd, on se dilue, on s'évanouit, on abandonne quelque chose, une part de soi qui était séculairement là et que ce n'est pas possible. Et pourtant, il faudra bien qu'on y vienne, à ceci, qu'aller à l'autre et se changer avec l'autre, ce n'est pas se perdre, et ce n'est pas se dénaturer. (…)
Et, par conséquent, il est possible de concevoir, n'est-ce pas, aujourd'hui que l'identité ce n'est pas un isolement, ni un renfermement, que l'identité ce peut être un partage. Il est possible. Et quand je dis, que le monde entier se créolise parce que c'est cela ce partage, c'est une créolisation, ça ne veut pas dire qu'il devient créole, n'est-ce pas? Ça veut dire que, il est… Il entre dans une période de complexité et d'entrelacements tels qu'il nous est difficile de le prévoir. Le monde est inextricable. (…)
C'est ça qui nous frappe. Qu'une brousse est à la fois une unité et une diversité. Une forêt, c'est des individus et c'est des individus ensemble, des individus qui ont quelque chose ensemble. Et, nous avons le même sentiment aujourd'hui qui est très fort que le monde et nous, c'est une unité-diversité. Si tu tues l'arbre, tu tues l'homme. Si tu tues la rivière, tu tues l'homme. Si tu tues la mer, tu tues l'homme. Et par conséquent, nous avons ce sentiment qui n'existait pas auparavant – auparavant, c'était un sentiment qui était réservé aux saints, aux poètes, aux innocents, etc. – c'est une affaire d'intuition du monde, d'intuition de la totalité-monde et c'est pourquoi, peut-être encore, les poètes sont les plus à même de pressentir cela et de le dire. »
(1) Pour savoir qui est Édouard Glissant
(2) Cliquer pour voir l'article in extenso
7 juin 2010
LA VIE NAÎT DU DÉSORDRE
C'est beau la vie, mais quelle pagaille !
Poursuite de la promenade au sein des « Mers de l'incertitude » avec des extraits issus de la première partie et portant sur la vie et l'évolution.
« Quand je me penche à l'intérieur de la vie pour voir un peu ce qui se passe, je n'y trouve que des séries de désordres emboîtés les uns dans les autres : chaque fois que j'ouvre la poupée d'un niveau, j'en trouve une autre plus petite, à l'intérieur. Interminable jeu de poupées russes.
A chaque niveau, l'instabilité est la règle, et seul le mouvement permet au système de tenir debout et d'avancer. Ainsi ce ne sont pas des poupées russes qui sont emboîtées, mais plutôt des « vélos russes » : des vélos qui pédalent sans cesse emboîtés les uns dans les autres. Chaque particule de matière infinitésimale va de déséquilibre en déséquilibre ; chaque cellule est composée d'une multitude de particules qui entrent et sortent de la cellule ; chaque être vivant est un ensemble dynamique de cellules qui collaborent provisoirement, naissent et meurent sans cesse, s'hybrident constamment avec le dehors. Et, cerise sur le gâteau, nous, humains, nous avons en plus un cerveau sophistiqué composé de milliards de neurones et d'un nombre quasi incalculable de connexions synaptiques : le tout n'arrête pas d'intégrer de nouvelles informations, de recomposer ses interprétations passées et d'en construire de nouvelles. Nous ne sommes donc qu'un gigantesque désordre, une pagaille à faire peur si nous pouvions la voir.
De tout cela, émergent notre conscience et notre conviction d'exister, c'est-à-dire une sensation de continuité et de responsabilité dans le temps : je suis celui que j'ai été et je me sens responsable de ce que j'ai fait. Nos systèmes de pensée et de droit sont fondés sur ce sentiment d'identité et de responsabilité.
Ainsi de ce fouillis indescriptible, de ces vélos russes qui tournent sans cesse les uns dans les autres, sommes-nous nés. (…)
Ordre et désordre sont donc indissociables : c'est la présence des deux qui apporte à la vie la capacité à s'adapter, indispensable pour inventer par tâtonnements et ajustements successifs, et la continuité, nécessaire à la construction de l'identité et de l'expérience.
La vie se nourrit aussi d'elle-même : tout organisme vivant absorbe constamment d'autres organismes vivants, avant d'être lui-même absorbé. Nous sommes tous des cannibales du vivant.
Pour être vivante, l'entreprise a besoin aussi de dualité et de cannibalisme : une forme d'ADN qui va lui apporter stabilité et continuité, des réactifs élémentaires changeants et volatils capables de se composer et décomposer rapidement ; la croissance externe qui est une des sources essentielles de son développement, en lui permettant d'absorber l'énergie accumulée par les autres. »1
Poursuite de la promenade au sein des « Mers de l'incertitude » avec des extraits issus de la première partie et portant sur la vie et l'évolution.
« Quand je me penche à l'intérieur de la vie pour voir un peu ce qui se passe, je n'y trouve que des séries de désordres emboîtés les uns dans les autres : chaque fois que j'ouvre la poupée d'un niveau, j'en trouve une autre plus petite, à l'intérieur. Interminable jeu de poupées russes.
A chaque niveau, l'instabilité est la règle, et seul le mouvement permet au système de tenir debout et d'avancer. Ainsi ce ne sont pas des poupées russes qui sont emboîtées, mais plutôt des « vélos russes » : des vélos qui pédalent sans cesse emboîtés les uns dans les autres. Chaque particule de matière infinitésimale va de déséquilibre en déséquilibre ; chaque cellule est composée d'une multitude de particules qui entrent et sortent de la cellule ; chaque être vivant est un ensemble dynamique de cellules qui collaborent provisoirement, naissent et meurent sans cesse, s'hybrident constamment avec le dehors. Et, cerise sur le gâteau, nous, humains, nous avons en plus un cerveau sophistiqué composé de milliards de neurones et d'un nombre quasi incalculable de connexions synaptiques : le tout n'arrête pas d'intégrer de nouvelles informations, de recomposer ses interprétations passées et d'en construire de nouvelles. Nous ne sommes donc qu'un gigantesque désordre, une pagaille à faire peur si nous pouvions la voir.
De tout cela, émergent notre conscience et notre conviction d'exister, c'est-à-dire une sensation de continuité et de responsabilité dans le temps : je suis celui que j'ai été et je me sens responsable de ce que j'ai fait. Nos systèmes de pensée et de droit sont fondés sur ce sentiment d'identité et de responsabilité.
Ainsi de ce fouillis indescriptible, de ces vélos russes qui tournent sans cesse les uns dans les autres, sommes-nous nés. (…)
Ordre et désordre sont donc indissociables : c'est la présence des deux qui apporte à la vie la capacité à s'adapter, indispensable pour inventer par tâtonnements et ajustements successifs, et la continuité, nécessaire à la construction de l'identité et de l'expérience.
La vie se nourrit aussi d'elle-même : tout organisme vivant absorbe constamment d'autres organismes vivants, avant d'être lui-même absorbé. Nous sommes tous des cannibales du vivant.
Pour être vivante, l'entreprise a besoin aussi de dualité et de cannibalisme : une forme d'ADN qui va lui apporter stabilité et continuité, des réactifs élémentaires changeants et volatils capables de se composer et décomposer rapidement ; la croissance externe qui est une des sources essentielles de son développement, en lui permettant d'absorber l'énergie accumulée par les autres. »1
(1) Extraits des Mers de l'incertitude p.57-58 et 60
4 juin 2010
COMMENCER PAR OUBLIER POUR POUVOIR COMPRENDRE
_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
3 juin 2010
A VAINCRE SANS COMPRENDRE, ON TRIOMPHE INUTILEMENT !
Veni, vidi, vici, sed concepi ? (1)
Difficile de comprendre que pour précisément comprendre, il faut d'abord oublier ce que l'on sait.
Comme je l'ai écrit dans les extraits publiés depuis le début de la semaine, ainsi que dans mon billet sur Mulholland Drive, comprendre, c'est accéder au langage de l'autre, que cet autre soit un individu, un groupe d'individus ou une situation. Si je cherche à comprendre à partir de ce que je sais, je vais projeter mon langage et mes a priori. Il faut d'abord faire le vide, et ne mobiliser que dans un deuxième temps son expertise, ses connaissances, ses langages.
Ensuite, comment savoir si ce que l'on observe est constitué de faits indépendants ou reliés : comment savoir si ce cercle et ce rectangle ne sont que les intersections d'un même cylindre ? Comment reconstruire le puzzle en ne prenant que les pièces qui correspondent à celui-là ?
Difficile si l'on n'est que de passage et impossible si l'on reste à la surface des choses : on ne peut pas savoir ce qui se passe au travers de tableurs excel ou de prétendus systèmes expert. Plus le management sera durable, plus il aura une connaissance intime et personnelle, plus il sera à même de reconstituer les bonnes images et de faire les bonnes liaisons.
A condition que cette connaissance, il ne la mobilise que dans un deuxième temps. Mais s'il n'a pas cette connaissance, il n'aura rien à mobiliser, restera à la surface et ne pourra pas accéder à une compréhension réelle. Comment pourrait-il alors diriger efficacement ? A vaincre sans comprendre, on triomphe inutilement !
(1) Je suis venu, j'ai vu, j'ai gagné, mais ai-je compris ?
Difficile de comprendre que pour précisément comprendre, il faut d'abord oublier ce que l'on sait.
Comme je l'ai écrit dans les extraits publiés depuis le début de la semaine, ainsi que dans mon billet sur Mulholland Drive, comprendre, c'est accéder au langage de l'autre, que cet autre soit un individu, un groupe d'individus ou une situation. Si je cherche à comprendre à partir de ce que je sais, je vais projeter mon langage et mes a priori. Il faut d'abord faire le vide, et ne mobiliser que dans un deuxième temps son expertise, ses connaissances, ses langages.
Ensuite, comment savoir si ce que l'on observe est constitué de faits indépendants ou reliés : comment savoir si ce cercle et ce rectangle ne sont que les intersections d'un même cylindre ? Comment reconstruire le puzzle en ne prenant que les pièces qui correspondent à celui-là ?
Difficile si l'on n'est que de passage et impossible si l'on reste à la surface des choses : on ne peut pas savoir ce qui se passe au travers de tableurs excel ou de prétendus systèmes expert. Plus le management sera durable, plus il aura une connaissance intime et personnelle, plus il sera à même de reconstituer les bonnes images et de faire les bonnes liaisons.
A condition que cette connaissance, il ne la mobilise que dans un deuxième temps. Mais s'il n'a pas cette connaissance, il n'aura rien à mobiliser, restera à la surface et ne pourra pas accéder à une compréhension réelle. Comment pourrait-il alors diriger efficacement ? A vaincre sans comprendre, on triomphe inutilement !
(1) Je suis venu, j'ai vu, j'ai gagné, mais ai-je compris ?
2 juin 2010
COMMENT SAVOIR LE SENS DE CE QUE L’ON REGARDE?
Dépasser les apparences
Nouvel extrait des « Mers de l'incertitude », toujours dans la première partie, cette fois issue de celle qui porte sur les mathématiques et le chaos
« Un cylindre peut être défini simplement : si, en coupant un objet selon un plan, vous obtenez un rectangle, et qu'en le coupant selon le plan perpendiculaire, vous obtenez un cercle, c'est un cylindre. Maintenant si vous avez devant vous un rectangle et un cercle, et que vous savez seulement que chacun est le résultat d'une coupe faite sur un objet, vous ne pouvez rien conclure sur l'objet lui-même : rien ne vous dit que les deux coupes viennent du même objet et que ces deux coupes sont orthogonales.
Dans la vie quotidienne, nous sommes constamment devant ce dilemme : est-ce que les différentes informations qui m'arrivent simultanément proviennent oui ou non du même objet ? Comment puis-je être certain que ce que je vois et ce que j'entends proviennent de la même source ? Parfois, nous avons la possibilité de « passer derrière l'écran » et de nous assurer que, oui, c'est bien le même objet et que, donc, nous avons le droit de réunir les informations. Mais souvent, ce n'est pas possible : pour nous qui ne lisons le monde qu'à partir de ce que nous voyons, comme savoir ce qui se passe vraiment ? Peut-on réunir des données et considérer qu'elles décrivent des aspects différents de la même réalité ? Ou qu'à l'inverse ce sont des données qui correspondent à des réalités disjointes ? Comment savoir ?
La réponse est malheureusement assez claire : on ne sait pas. Nous n'avons accès qu'aux apparences et nous n'avons pas accès à la « chose en soi ». Il faut faire avec. Attention donc à tous les raisonnements menés hâtivement…
(…) Dès qu'il fait noir, au fond de leurs lits, les enfants ont peur des monstres qui se blottissent dans les placards et qui n'attendent que la première occasion pour leur sauter dessus. Les Écossais ont eux des fantômes qui peuplent leurs manoirs et leurs châteaux, sans parler du monstre du Loch Ness. En tête des best-sellers, on trouve bon nombre de livres ou de films qui jouent à nous faire peur. Bref, nous aimons et craignons en même temps ce qui est caché, ce qui peut surgir à tout instant et ce qui peut venir perturber notre tranquillité.
La science moderne, comme par opportunisme marketing, s'est ingéniée depuis un siècle à peupler notre univers d'êtres étranges, car difficilement accessibles à notre compréhension et soigneusement cachés. Est-ce pour nous faire peur ? Ou à l'inverse pour stimuler notre envie d'aller à leur découverte ? Ni l'un, ni l'autre. Ils sont simplement là et nous apprennent à penser à dépasser les apparences !
Ainsi, l'incertitude des comportements des acteurs élémentaires, individus et entreprises, loin de déboucher, au niveau macro, sur un monde lissé et prévisible, se voit amplifiée : notre monde est hautement imprévisible. »1
Nouvel extrait des « Mers de l'incertitude », toujours dans la première partie, cette fois issue de celle qui porte sur les mathématiques et le chaos
« Un cylindre peut être défini simplement : si, en coupant un objet selon un plan, vous obtenez un rectangle, et qu'en le coupant selon le plan perpendiculaire, vous obtenez un cercle, c'est un cylindre. Maintenant si vous avez devant vous un rectangle et un cercle, et que vous savez seulement que chacun est le résultat d'une coupe faite sur un objet, vous ne pouvez rien conclure sur l'objet lui-même : rien ne vous dit que les deux coupes viennent du même objet et que ces deux coupes sont orthogonales.
Dans la vie quotidienne, nous sommes constamment devant ce dilemme : est-ce que les différentes informations qui m'arrivent simultanément proviennent oui ou non du même objet ? Comment puis-je être certain que ce que je vois et ce que j'entends proviennent de la même source ? Parfois, nous avons la possibilité de « passer derrière l'écran » et de nous assurer que, oui, c'est bien le même objet et que, donc, nous avons le droit de réunir les informations. Mais souvent, ce n'est pas possible : pour nous qui ne lisons le monde qu'à partir de ce que nous voyons, comme savoir ce qui se passe vraiment ? Peut-on réunir des données et considérer qu'elles décrivent des aspects différents de la même réalité ? Ou qu'à l'inverse ce sont des données qui correspondent à des réalités disjointes ? Comment savoir ?
La réponse est malheureusement assez claire : on ne sait pas. Nous n'avons accès qu'aux apparences et nous n'avons pas accès à la « chose en soi ». Il faut faire avec. Attention donc à tous les raisonnements menés hâtivement…
(…) Dès qu'il fait noir, au fond de leurs lits, les enfants ont peur des monstres qui se blottissent dans les placards et qui n'attendent que la première occasion pour leur sauter dessus. Les Écossais ont eux des fantômes qui peuplent leurs manoirs et leurs châteaux, sans parler du monstre du Loch Ness. En tête des best-sellers, on trouve bon nombre de livres ou de films qui jouent à nous faire peur. Bref, nous aimons et craignons en même temps ce qui est caché, ce qui peut surgir à tout instant et ce qui peut venir perturber notre tranquillité.
La science moderne, comme par opportunisme marketing, s'est ingéniée depuis un siècle à peupler notre univers d'êtres étranges, car difficilement accessibles à notre compréhension et soigneusement cachés. Est-ce pour nous faire peur ? Ou à l'inverse pour stimuler notre envie d'aller à leur découverte ? Ni l'un, ni l'autre. Ils sont simplement là et nous apprennent à penser à dépasser les apparences !
Ainsi, l'incertitude des comportements des acteurs élémentaires, individus et entreprises, loin de déboucher, au niveau macro, sur un monde lissé et prévisible, se voit amplifiée : notre monde est hautement imprévisible. »1
(1) Extraits des Mers de l'incertitude p.50 et 55
1 juin 2010
LA COMPRÉHENSION PASSE SOUVENT PAR L’ABANDON DE LA PENSÉE LOGIQUE ET RATIONALISANTE
Que veut dire David Lynch ?
Une route sinueuse, un accident la nuit. Une jeune femme s'en extrait, chemine péniblement au milieu des broussailles. Elle échoue dans la première maison rencontrée. Deux femmes alors se retrouvent face à face : Rita, celle qui vient d'avoir cet accident, et Betty, celle qui vient de l'accueillir. L'une et l'autre, l'une ou l'autre vont alors essayer démêler les fils de la mémoire perdue de Rita.
Nous sommes spectateurs de ce cheminement aléatoire. David Lynch nous donne, les unes après les autres, des pièces de puzzle et, comme ses héroïnes, nous laisse essayer de reconstituer l'histoire. Mais avons-nous toutes les pièces ? Est-ce que les pièces qu'il nous donne, se rapportent bien à une seule histoire ? Ou alors comme un enfant malicieux ou maladroit, a-t-il mélangé sans nous le dire plusieurs puzzles, puis en a extrait quelques morceaux pris au hasard ?
Comme savoir ? Nous n'avons pas accès à la réalité, mais seulement à la vision que nous en propose David Lynch. Nous sommes vite pris dans les méandres de ce puzzle diabolique, nous aussi nous sommes bringuebalés dans les secousses de Mulholland Drive. Comment accéder à ce qu'il veut nous dire ? Comment comprendre son langage ?
Si j'applique à ce film les clés classiques de l'analyse et de la logique, je bute sans cesse sur des contradictions et des impossibilités. Certains s'obstinent et veulent faire rentrer ce film dans une construction classique : ils cherchent à rationaliser la construction de David Lynch.
Quelle erreur commentent-ils ? Celle de vouloir plaquer sur ce film un langage qui n'est pas le sien. On ne peut comprendre et aimer les films de David Lynch, et singulièrement Mulholland Drive, qu'en oubliant ce que l'on a l'habitude de faire, et en se laissant porter par ce langage qui lui est propre. Comme des toiles d'art moderne, comme des tableaux surréalistes, ces films se contemplent en acceptant de ne pas rationaliser ce que l'on voit.
C'est cette attitude qu'il faut avoir dans la vie face à des problèmes complexes : ne pas chercher à les faire rentrer de force dans nos logiques, mais les accepter comme ils sont. Chaque situation a son propre langage, et nous ne pourrons l'interpréter qu'à partir de ce langage.
Une route sinueuse, un accident la nuit. Une jeune femme s'en extrait, chemine péniblement au milieu des broussailles. Elle échoue dans la première maison rencontrée. Deux femmes alors se retrouvent face à face : Rita, celle qui vient d'avoir cet accident, et Betty, celle qui vient de l'accueillir. L'une et l'autre, l'une ou l'autre vont alors essayer démêler les fils de la mémoire perdue de Rita.
Nous sommes spectateurs de ce cheminement aléatoire. David Lynch nous donne, les unes après les autres, des pièces de puzzle et, comme ses héroïnes, nous laisse essayer de reconstituer l'histoire. Mais avons-nous toutes les pièces ? Est-ce que les pièces qu'il nous donne, se rapportent bien à une seule histoire ? Ou alors comme un enfant malicieux ou maladroit, a-t-il mélangé sans nous le dire plusieurs puzzles, puis en a extrait quelques morceaux pris au hasard ?
Comme savoir ? Nous n'avons pas accès à la réalité, mais seulement à la vision que nous en propose David Lynch. Nous sommes vite pris dans les méandres de ce puzzle diabolique, nous aussi nous sommes bringuebalés dans les secousses de Mulholland Drive. Comment accéder à ce qu'il veut nous dire ? Comment comprendre son langage ?
Si j'applique à ce film les clés classiques de l'analyse et de la logique, je bute sans cesse sur des contradictions et des impossibilités. Certains s'obstinent et veulent faire rentrer ce film dans une construction classique : ils cherchent à rationaliser la construction de David Lynch.
Quelle erreur commentent-ils ? Celle de vouloir plaquer sur ce film un langage qui n'est pas le sien. On ne peut comprendre et aimer les films de David Lynch, et singulièrement Mulholland Drive, qu'en oubliant ce que l'on a l'habitude de faire, et en se laissant porter par ce langage qui lui est propre. Comme des toiles d'art moderne, comme des tableaux surréalistes, ces films se contemplent en acceptant de ne pas rationaliser ce que l'on voit.
C'est cette attitude qu'il faut avoir dans la vie face à des problèmes complexes : ne pas chercher à les faire rentrer de force dans nos logiques, mais les accepter comme ils sont. Chaque situation a son propre langage, et nous ne pourrons l'interpréter qu'à partir de ce langage.
31 mai 2010
LANGAGE, INTERPRÉTATION, COMMUNICATION ET DÉCISION
Comment passe-t-on de l'observation à la compréhension et à la décision ?
Je poursuis la présentation de la première partie de mon livre avec des extraits sur les langages qui sont d'abord le moyen par lequel nous structurons notre pensée, avant d'être celui par lequel nous tentons de communiquer, puis sur la décision.
« Le premier langage est celui de notre langue et de ses mots. Mais ce n'est pas le seul qui peuple notre cerveau : les mathématiques ou le jeu d'échecs sont aussi des langages. Là où le profane ne voit que des assemblages de lettres, de chiffres et de symboles, le mathématicien lit le problème et architecture des solutions ; là où le débutant ne voit que des pièces juxtaposées sur un échiquier, le joueur averti voit des configurations avec lesquels il va construire des stratégies.
Ainsi, avec nos langages, nous lisons la situation présente et l'enrichissons de notre expérience tirée de notre passé. De tout ceci, naissent nos interprétations, mélanges du passé recomposé, du présent perçu et du futur imaginé, toutes intimement liées à chaque individu car elles reposent d'abord sur l'histoire personnelle (tant dans sa partie réellement vécue que dans tout l'imaginaire associé), sur les déformations de la mémoire et sur l'analyse de la situation présente, sans parler de la perception que chacun peut avoir du futur. On n'est donc pas près de pouvoir modéliser et prévoir des interprétations individuelles !
Qu'en est-il de la communication entre individus ? Pour faire court, communiquer est un objectif impossible ! Vous êtes surpris par ma formulation, vous pensez que j'exagère… Je ne crois vraiment pas. Quand vous voulez exprimer quelque chose, quoi que ce soit, vous employez des mots qui correspondent, pour vous, au sens que vous voulez donner. Pour cela, vous vous référez à votre mémoire et à la compréhension que vous avez de ce que vous voulez dire. Celui qui reçoit votre message, l'interprète, lui, à partir de son histoire, son expérience et l'ensemble de ses ressorts émotionnels propres. Les deux sont, sauf en cas d'histoire commune longue et dense, structurellement différents. Comment arrivons-nous alors à communiquer ? Par l'existence d'usages et de règles collectives qui ont construit progressivement des sens communs. Par des ajustements progressifs et aussi beaucoup grâce à la communication non verbale : celle-ci ne passe plus par les mots, mais sollicite essentiellement les neurones miroirs qui nous permettent de « lire l'autre »
(…) Supposons d'abord que nous sommes face au cas le plus simple : je suis seul à décider. Dans ce cas limite et un peu théorique, nous savons donc répondre à la question « qui décide ? ». La réponse est moi. Certes, mais comme nous l'avons vu précédemment, ma décision va reposer sur une interprétation, interprétation fonction de ma mémoire, de mon histoire et de ma perception de la situation. Comme je ne peux pas penser en dehors de mes propres langages, je ne peux pas être conscient des présupposés qu'ils induisent. En ce sens, je ne peux donc pas vraiment comprendre comment je décide.
De plus, comme ma mémoire et mon histoire se recomposent sans cesse, mon identité change continûment et de façon imprévisible : je ne peux pas savoir qui je serai vraiment demain, du moins pas assez précisément pour en déduire ce que je déciderai. Ainsi ce « moi » qui décide est-il constamment en évolution : je ne sais plus vraiment qui j'étais car ma mémoire fluctue, je ne sais pas vraiment qui je serai car cela dépendra ce qui va m'arriver. »1
Je poursuis la présentation de la première partie de mon livre avec des extraits sur les langages qui sont d'abord le moyen par lequel nous structurons notre pensée, avant d'être celui par lequel nous tentons de communiquer, puis sur la décision.
« Le premier langage est celui de notre langue et de ses mots. Mais ce n'est pas le seul qui peuple notre cerveau : les mathématiques ou le jeu d'échecs sont aussi des langages. Là où le profane ne voit que des assemblages de lettres, de chiffres et de symboles, le mathématicien lit le problème et architecture des solutions ; là où le débutant ne voit que des pièces juxtaposées sur un échiquier, le joueur averti voit des configurations avec lesquels il va construire des stratégies.
Ainsi, avec nos langages, nous lisons la situation présente et l'enrichissons de notre expérience tirée de notre passé. De tout ceci, naissent nos interprétations, mélanges du passé recomposé, du présent perçu et du futur imaginé, toutes intimement liées à chaque individu car elles reposent d'abord sur l'histoire personnelle (tant dans sa partie réellement vécue que dans tout l'imaginaire associé), sur les déformations de la mémoire et sur l'analyse de la situation présente, sans parler de la perception que chacun peut avoir du futur. On n'est donc pas près de pouvoir modéliser et prévoir des interprétations individuelles !
Qu'en est-il de la communication entre individus ? Pour faire court, communiquer est un objectif impossible ! Vous êtes surpris par ma formulation, vous pensez que j'exagère… Je ne crois vraiment pas. Quand vous voulez exprimer quelque chose, quoi que ce soit, vous employez des mots qui correspondent, pour vous, au sens que vous voulez donner. Pour cela, vous vous référez à votre mémoire et à la compréhension que vous avez de ce que vous voulez dire. Celui qui reçoit votre message, l'interprète, lui, à partir de son histoire, son expérience et l'ensemble de ses ressorts émotionnels propres. Les deux sont, sauf en cas d'histoire commune longue et dense, structurellement différents. Comment arrivons-nous alors à communiquer ? Par l'existence d'usages et de règles collectives qui ont construit progressivement des sens communs. Par des ajustements progressifs et aussi beaucoup grâce à la communication non verbale : celle-ci ne passe plus par les mots, mais sollicite essentiellement les neurones miroirs qui nous permettent de « lire l'autre »
(…) Supposons d'abord que nous sommes face au cas le plus simple : je suis seul à décider. Dans ce cas limite et un peu théorique, nous savons donc répondre à la question « qui décide ? ». La réponse est moi. Certes, mais comme nous l'avons vu précédemment, ma décision va reposer sur une interprétation, interprétation fonction de ma mémoire, de mon histoire et de ma perception de la situation. Comme je ne peux pas penser en dehors de mes propres langages, je ne peux pas être conscient des présupposés qu'ils induisent. En ce sens, je ne peux donc pas vraiment comprendre comment je décide.
De plus, comme ma mémoire et mon histoire se recomposent sans cesse, mon identité change continûment et de façon imprévisible : je ne peux pas savoir qui je serai vraiment demain, du moins pas assez précisément pour en déduire ce que je déciderai. Ainsi ce « moi » qui décide est-il constamment en évolution : je ne sais plus vraiment qui j'étais car ma mémoire fluctue, je ne sais pas vraiment qui je serai car cela dépendra ce qui va m'arriver. »1
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