Nous ne pouvons pas accélérer le temps
22 juin 2010
21 juin 2010
NE PLUS ÊTRE MALADE DU TEMPS
On ne peut pas penser vite à long terme
Faire le vide suppose une nouvelle relation au temps. Voici quelques extraits issus de la partie consacrée à ce thème dans « les Mers de l'incertitude » :
« Comme le dit Jean-Louis Servan-Schreiber, nous sommes « plus stressés qu'obèses », et « nous travaillons sans recul. Pour un canon, c'est un progrès. Pas pour un cerveau »1 ! Partout, tout autour de moi, je ne vois que des gens en train de courir. Les directions enchaînent plan d'action sur plan d'action, et ne voient pas qu'à force de mouvement brownien, elles ne bougent pas et que rien ne se transforme : elles sont comme ces athlètes qui courent de plus en plus vite sur le stade, et passent de plus en vite au même endroit, elles tournent en rond.
Cette agitation ne concerne pas que les directions, mais s'est propagée à l'intérieur des entreprises : partout, on sent une activité trépidante. Pas un bureau vide, pas une tête songeuse, personne ne traîne devant la machine à café. Dès que l'on marche dans un couloir, on est bousculé par des gens qui courent en tous sens, les bras chargés de dossiers. En réunion, chacun a son téléphone connecté et répond immédiatement au moindre message. Dès huit heures le matin, l'effervescence commence et elle va durer jusqu'à vingt heures, voire au-delà. Cette attitude vibrionnaire se répand même le soir ou le week-end à la maison : tout « bon » cadre se sent coupable s'il ne suit pas le flux de ses mails ou s'il les laisse sans réponse.
Si agitation rimait avec efficacité, toutes les entreprises seraient performantes. Mais souvent, cette agitation rime avec moindre réactivité réelle, moindre compréhension de ce qui se passe, moindre rentabilité. Confusion entre activité et performance, agitation et progression…
La crise actuelle n'arrange rien, bien au contraire. Au lieu de se rendre compte que c'est parce que l'on a trop couru, que l'on n'a pas vu les signes annonçant la crise, on court encore davantage. Le stress et la crainte pour la survie ne sont pas toujours de bons conseillers : la peur de mal faire et d'être distancé déclenchent des réflexes issus de nos cerveaux reptiliens. (…)
Notre société est malade de « présentisme » : elle ne pense plus que dans l'instantané, dans l'immédiat, dans l'urgence. Mais est-ce encore de la pensée ? Si au moins, c'était de l'action, mais non : si l'on entend par action, capacité à entreprendre quelque chose, je crois que le plus souvent, c'est juste de l'agitation, de l'effervescence, de la dispersion. Les gens qui courent pensent qu'ils gagnent du temps. Mais pendant qu'ils courent, que font-ils d'autre que courir ? Quand je choisis de me déplacer plus lentement, comme je n'ai pas besoin de consacrer mon attention à mon déplacement, je peux profiter de ce temps pour lire, discuter ou simplement réfléchir. Qui gagne du temps ? Celui qui court ?
Car, la question n'est pas d'aller vite dans l'absolu, mais d'adapter la vitesse à ce que l'on veut faire, d'ajuster rythme et durée. Une idée centrale est de comprendre l'interaction entre la durée d'observation et l'analyse que l'on peut mener : un corps observé sur une courte durée peut sembler solide, alors qu'il ne le sera plus au bout d'un certain d'observation. »2
(1) Jean-Louis Servan-Schreiber, Le nouvel art du temps, p.77 et 116
(2) Extrait des Mers de l'incertitude p.89 et 91
Faire le vide suppose une nouvelle relation au temps. Voici quelques extraits issus de la partie consacrée à ce thème dans « les Mers de l'incertitude » :
« Comme le dit Jean-Louis Servan-Schreiber, nous sommes « plus stressés qu'obèses », et « nous travaillons sans recul. Pour un canon, c'est un progrès. Pas pour un cerveau »1 ! Partout, tout autour de moi, je ne vois que des gens en train de courir. Les directions enchaînent plan d'action sur plan d'action, et ne voient pas qu'à force de mouvement brownien, elles ne bougent pas et que rien ne se transforme : elles sont comme ces athlètes qui courent de plus en plus vite sur le stade, et passent de plus en vite au même endroit, elles tournent en rond.
Cette agitation ne concerne pas que les directions, mais s'est propagée à l'intérieur des entreprises : partout, on sent une activité trépidante. Pas un bureau vide, pas une tête songeuse, personne ne traîne devant la machine à café. Dès que l'on marche dans un couloir, on est bousculé par des gens qui courent en tous sens, les bras chargés de dossiers. En réunion, chacun a son téléphone connecté et répond immédiatement au moindre message. Dès huit heures le matin, l'effervescence commence et elle va durer jusqu'à vingt heures, voire au-delà. Cette attitude vibrionnaire se répand même le soir ou le week-end à la maison : tout « bon » cadre se sent coupable s'il ne suit pas le flux de ses mails ou s'il les laisse sans réponse.
Si agitation rimait avec efficacité, toutes les entreprises seraient performantes. Mais souvent, cette agitation rime avec moindre réactivité réelle, moindre compréhension de ce qui se passe, moindre rentabilité. Confusion entre activité et performance, agitation et progression…
La crise actuelle n'arrange rien, bien au contraire. Au lieu de se rendre compte que c'est parce que l'on a trop couru, que l'on n'a pas vu les signes annonçant la crise, on court encore davantage. Le stress et la crainte pour la survie ne sont pas toujours de bons conseillers : la peur de mal faire et d'être distancé déclenchent des réflexes issus de nos cerveaux reptiliens. (…)
Notre société est malade de « présentisme » : elle ne pense plus que dans l'instantané, dans l'immédiat, dans l'urgence. Mais est-ce encore de la pensée ? Si au moins, c'était de l'action, mais non : si l'on entend par action, capacité à entreprendre quelque chose, je crois que le plus souvent, c'est juste de l'agitation, de l'effervescence, de la dispersion. Les gens qui courent pensent qu'ils gagnent du temps. Mais pendant qu'ils courent, que font-ils d'autre que courir ? Quand je choisis de me déplacer plus lentement, comme je n'ai pas besoin de consacrer mon attention à mon déplacement, je peux profiter de ce temps pour lire, discuter ou simplement réfléchir. Qui gagne du temps ? Celui qui court ?
Car, la question n'est pas d'aller vite dans l'absolu, mais d'adapter la vitesse à ce que l'on veut faire, d'ajuster rythme et durée. Une idée centrale est de comprendre l'interaction entre la durée d'observation et l'analyse que l'on peut mener : un corps observé sur une courte durée peut sembler solide, alors qu'il ne le sera plus au bout d'un certain d'observation. »2
(1) Jean-Louis Servan-Schreiber, Le nouvel art du temps, p.77 et 116
(2) Extrait des Mers de l'incertitude p.89 et 91
18 juin 2010
S'IL VOUS PLAÎT... DESSINE-MOI UN MOUTON
_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
17 juin 2010
NOUS N’AVONS JAMAIS DIRECTEMENT ACCÈS AU RÉEL
Où est la copie, où est l’orignal ?
Ils ne se connaissent pas, ou du moins notre regard nous le fait croire. Qu’en est-il ?
Elle s’est bien assise au premier rang, mais ne semble pas vraiment intéressée par la présentation de ce livre. Elle est surtout tirée par le regard de son fils qui lui fait comprendre qu’il a plus faim de nourritures terrestres qu’intellectuelles. L’auteur est debout et parle de l’importance du regard. Où est la limite entre l’original et la copie ? Affaire de point de vue. Elle s’échappe en ayant laissé un numéro de téléphone.
Les voilà un peu plus tard, ensemble en voiture. Jeu de ping-pong verbal brillant. Comme un remake d’une de ces conversations si chères à Rohmer. Sont-ils de vieux amis ? De vieux amants ? Des complices de leurs mots, découverte récente ? Comment savoir.
La conversation se poursuit dans un café. Le temps d’une brève absence, la patronne du café engage une discussion avec la femme et dit son admiration pour ce couple si uni et qui, manifestement, s’aime encore et se désire. En effet, elle qui n’a pas vu le même début que nous, se méprend sur leur relation. Mais se méprend-elle vraiment ou est-ce nous qui avons été trompés ? Comment savoir.
De nouveau en voiture, l’histoire a bifurqué pour entrer dans celle vue par la patronne du café. C’est clairement un couple que nous observons, u couple fatigué, déchiré, elle qui s’accroche à cet homme distant qu’elle aime et qui lui échappe.
Les rebonds et les bifurcations se poursuivent au gré des rencontres et des regards posés sur eux ou qu’ils posent sur les autres. Un rouge à lèvres et des boucles d’oreilles suffisent-ils à se changer, se transformer ? Une nuit de noces peut-elle être revécue ? A-t-elle d’ailleurs eu lieu ?...
Copie Conforme, le dernier film d’Abbas Kiarostami, est un jeu de miroirs qui nous perd dans une succession de reflets formants et déformants. Impossible de savoir ce qui est réel ou ne l’est pas, où est la copie et où est l’original. Nous n’avons accès qu’à ce que nous donne notre regard et jamais à plus. Nous ne pouvons pas passer de l’autre côté pour être sûr de ce qu’il en est.
16 juin 2010
COMMENCER PAR FAIRE LE VIDE
Le passé nous trompe souvent
Le premier des quatre points que je développe dans la deuxième partie des Mers de l'incertitude est la nécessité de commencer par faire le vide. En voici l'introduction :
« « Vraiment c'est le rêve, pensait-elle. Je suis nourrie et logée, et je n'ai rien à faire. Une nourriture riche, abondante et variée. Un logement irréprochable, à l'abri de la pluie. Aucune pression, pas de bruit, pas de contraintes. Aucune raison de s'inquiéter. C'est la belle vie. »
Le fermier qui regardait la dinde, pensait lui : « Plus que deux jours avant Noël. Il ne faut pas que je la regarde de trop, je pourrais m'attacher et ne plus pouvoir la tuer. »
Caricatural ? Oui, bien sûr ! Mais cette histoire évoquée par Nassim Nicholas Taleb1 peut nous arriver à tous. Combien d'entreprises se sont endormies dans le confort de leur situation présente sans voir qu'elles allaient droit à l'abattoir ? Un grand nombre ! Combien de commentaires pendant l'année 2007 et même 2008, nous disant que tout allait bien, que le pire était derrière nous…
« Chaque homme, écrit Chateaubriand, porte en lui un monde composé de tout ce qu'il a vu et aimé, et où il rentre sans cesse, alors même qu'il parcourt et semble habiter un monde étranger. »2 Ainsi sommes-nous tous potentiellement victimes de nos habitudes, de notre expertise, de notre vision du monde. Nous avons tous tellement peur de l'incertitude que nous ne sommes pas naturellement enclins à nous remettre en cause. Nous aimons les recettes de cuisine prêtes à l'emploi. Ceci est vrai individuellement et collectivement.
La culture de l'entreprise qui est faite de la sédimentation de son passé peut la tromper et l'empêcher de voir ce qui risque réellement de se passer. Pas facile pour une dinde de comprendre ce que veut dire Noël et en quoi cela la concerne. Si la dinde cherche autour d'elle ce qu'elle a toujours connu, pensé ou rencontré, elle n'a aucune chance.
Tout commence donc par faire le vide pour être prêt à recevoir, percevoir et comprendre ce qui se passe et vers quoi vont les choses :
- Apprendre à être là sans a priori pour être réceptif à l'autre et à l'inattendu,
- Développer une capacité d'attention qui dépasse la simple observation passive,
- Ne pas se contenter d'accepter intellectuellement l'incertitude, mais mettre ses actes en conformité avec cette acceptation. »3
(1) Nassim Nicholas Taleb, Le Cygne Noir, p.71-72
(2) Issu des Voyages en Italie, à la date du 11 décembre, et cité par Claude Lévi-Strauss (Tristes Tropiques, p.44)
(3) Extrait des Mers de l'incertitude p.82-83
Le premier des quatre points que je développe dans la deuxième partie des Mers de l'incertitude est la nécessité de commencer par faire le vide. En voici l'introduction :
« « Vraiment c'est le rêve, pensait-elle. Je suis nourrie et logée, et je n'ai rien à faire. Une nourriture riche, abondante et variée. Un logement irréprochable, à l'abri de la pluie. Aucune pression, pas de bruit, pas de contraintes. Aucune raison de s'inquiéter. C'est la belle vie. »
Le fermier qui regardait la dinde, pensait lui : « Plus que deux jours avant Noël. Il ne faut pas que je la regarde de trop, je pourrais m'attacher et ne plus pouvoir la tuer. »
Caricatural ? Oui, bien sûr ! Mais cette histoire évoquée par Nassim Nicholas Taleb1 peut nous arriver à tous. Combien d'entreprises se sont endormies dans le confort de leur situation présente sans voir qu'elles allaient droit à l'abattoir ? Un grand nombre ! Combien de commentaires pendant l'année 2007 et même 2008, nous disant que tout allait bien, que le pire était derrière nous…
« Chaque homme, écrit Chateaubriand, porte en lui un monde composé de tout ce qu'il a vu et aimé, et où il rentre sans cesse, alors même qu'il parcourt et semble habiter un monde étranger. »2 Ainsi sommes-nous tous potentiellement victimes de nos habitudes, de notre expertise, de notre vision du monde. Nous avons tous tellement peur de l'incertitude que nous ne sommes pas naturellement enclins à nous remettre en cause. Nous aimons les recettes de cuisine prêtes à l'emploi. Ceci est vrai individuellement et collectivement.
La culture de l'entreprise qui est faite de la sédimentation de son passé peut la tromper et l'empêcher de voir ce qui risque réellement de se passer. Pas facile pour une dinde de comprendre ce que veut dire Noël et en quoi cela la concerne. Si la dinde cherche autour d'elle ce qu'elle a toujours connu, pensé ou rencontré, elle n'a aucune chance.
Tout commence donc par faire le vide pour être prêt à recevoir, percevoir et comprendre ce qui se passe et vers quoi vont les choses :
- Apprendre à être là sans a priori pour être réceptif à l'autre et à l'inattendu,
- Développer une capacité d'attention qui dépasse la simple observation passive,
- Ne pas se contenter d'accepter intellectuellement l'incertitude, mais mettre ses actes en conformité avec cette acceptation. »3
(1) Nassim Nicholas Taleb, Le Cygne Noir, p.71-72
(2) Issu des Voyages en Italie, à la date du 11 décembre, et cité par Claude Lévi-Strauss (Tristes Tropiques, p.44)
(3) Extrait des Mers de l'incertitude p.82-83
15 juin 2010
COMMENT PARTIR DU FUTUR POUR TIRER PARTI DE L’INCERTITUDE
Les quatre leviers d'action des Mers de l'incertitude
Voilà donc les dirigeants face cette question-clé : comment, en tenant compte de cette impossibilité de prévoir le futur, prendre aujourd'hui des décisions qui engagent l'entreprise au-delà cet horizon du flou ?
- Comment décider sans pouvoir prévoir et sans disposer d'une information complète ?
- Comment dégager des rentabilités futures pour financer les sommes nécessaires à tout projet significatif ?
- Comment identifier les opportunités qui se cachent dans le flou, celles qui seront les leviers de la performance de l'entreprise demain ?
- Comment, au moment où les exigences du monde financier et des salariés en matière de sécurité sont croissantes, construire une croissance rentable et résiliente ?
Il y a deux pièges symétriques à éviter :
- Penser que finalement, on peut s'abstraire de l'incertitude : oui, le reste du monde est incertain, mais mon entreprise, protégée au sein de lignes Maginot, maîtrise son futur et s'organise en conséquence. Elle sait mieux que les autres, et le futur sera ce qu'elle a prévu.
- Renoncer à toute anticipation et confier sa vie à la chance : puisque rien ne peut être prévu de façon fiable, seule l'action immédiate compte. Le succès à terme ne sera que le résultat des actes immédiates et du hasard des rencontres. Il est illusoire de penser au futur. Éventuellement, on peut aller voir des cartomanciennes ou lire des horoscopes.
Je crois à une position apparemment paradoxale et résumée dans le sous-titre de mon livre : Diriger en lâchant prise.
Diriger, c'est sentir cette mer vers laquelle on peut aller, fixer des règles collectives qui cadrent et écartent, focaliser les efforts de tous pour tirer collectivement parti des opportunités décelées localement, aider à l'émergence d'une intelligence collective par la confrontation.
Lâcher prise, c'est savoir accepter l'incertitude en abandonnant l'idée de prévoir et planifier au-delà de l'horizon immédiat, ne pas vouloir tout contrôler et tout piloter depuis le sommet, ne pas se laisser emporter par le mouvement ambiant et mieux maîtriser son temps, accepter les intuitions.
Le propos de la deuxième partie de mon livre « Les mers de l'incertitude » est de montrer que ces deux leviers ne sont pas antagonistes, mais complémentaires. Pour cela, je développe quatre points(1) :
1. S'être mis en situation de pouvoir tirer parti de l'incertitude : l'attitude quotidienne, les formations reçues tant dans les écoles d'ingénieurs que commerciales ou économiques, et la peur du vide nous amènent trop souvent à chercher des certitudes, à partir de notre expertise pour lire une situation, à nous méfier de notre intuition, à mathématiser les situations… Tout doit donc commencer par le désapprentissage de pratiques et convictions acquises, l'apprentissage de comment faire le vide et être là sans a priori, le développement de la qualité d'attention pour dépasser les apparences et sentir les courants.
2. Partir du futur pour construire une stratégie résiliente : il ne faut plus partir du présent pour se projeter dans le futur, mais, au contraire, avoir l'audace d'imaginer le futur et partir de lui, car, au-delà de l'horizon du flou, il est impossible de savoir ce qui va se passer en partant du présent, au mieux on ne pourra que dessiner le champ des possibles sans avoir une idée de ce vers quoi une situation va évoluer. En univers incertain, il faut partir du futur en cherchant vers quelles mers, il est susceptible d'aller ; identifier, parmi ces mers possibles, lesquelles sont accessibles à l'entreprise ; analyser tout ce qui pourrait rendre caduques tant l'existence de ces mers que la capacité à les atteindre.
3. Développer une écologie de l'action(2) et un management durable : l'action doit reposer sur le suivi des effets complexes et multiples des actions entreprises, effets qui ne pourront jamais être réellement anticipés. Elle ne consistera pas à dérouler des plans détaillés prévus à l'avance, mais à se centrer sur l'immédiat en tirant parti au mieux des moyens dont on dispose et de tout ce qui advient : se confronter à l'intérieur de l'entreprise et avec l'extérieur pour ajuster les visions collectives et rester tous connectés à ce qui se passe vraiment ; mettre de la vie dans l'organisation et les structures, ce qui suppose un mélange d'ordre et de désordre ; agir dans la durée en veillant à garder du flou dans tous les systèmes.
4. Transformer les méthodes d'évaluation : ne demander des prévisions détaillées et chiffrées qu'en deçà de l'horizon du flou, c'est-à-dire la plus plupart du temps uniquement dans le cadre budgétaire ; ne pas se fier à des plans chiffrés à trois ou cinq ans, ni a fortiori en demander ; chercher à comprendre les dynamiques et ne pas porter de jugements seulement à partir de clichés instantanés ; tester la fiabilité et la résilience du projet de l'entreprise ; analyser comment elle est connectée à ce qui est susceptible d'advenir et comment elle s'est préparée à faire face à l'imprévu.
Dans les jours qui viennent, je vais vous donner un peu plus de détail sur le contenu de chacun de ces 4 points.
(1) Vous pouvez cliquer sur la photo pour avoir la vue du plan de la deuxième partie
(2) Expression reprise à Edgar Morin
Voilà donc les dirigeants face cette question-clé : comment, en tenant compte de cette impossibilité de prévoir le futur, prendre aujourd'hui des décisions qui engagent l'entreprise au-delà cet horizon du flou ?
- Comment décider sans pouvoir prévoir et sans disposer d'une information complète ?
- Comment dégager des rentabilités futures pour financer les sommes nécessaires à tout projet significatif ?
- Comment identifier les opportunités qui se cachent dans le flou, celles qui seront les leviers de la performance de l'entreprise demain ?
- Comment, au moment où les exigences du monde financier et des salariés en matière de sécurité sont croissantes, construire une croissance rentable et résiliente ?
Il y a deux pièges symétriques à éviter :
- Penser que finalement, on peut s'abstraire de l'incertitude : oui, le reste du monde est incertain, mais mon entreprise, protégée au sein de lignes Maginot, maîtrise son futur et s'organise en conséquence. Elle sait mieux que les autres, et le futur sera ce qu'elle a prévu.
- Renoncer à toute anticipation et confier sa vie à la chance : puisque rien ne peut être prévu de façon fiable, seule l'action immédiate compte. Le succès à terme ne sera que le résultat des actes immédiates et du hasard des rencontres. Il est illusoire de penser au futur. Éventuellement, on peut aller voir des cartomanciennes ou lire des horoscopes.
Je crois à une position apparemment paradoxale et résumée dans le sous-titre de mon livre : Diriger en lâchant prise.
Diriger, c'est sentir cette mer vers laquelle on peut aller, fixer des règles collectives qui cadrent et écartent, focaliser les efforts de tous pour tirer collectivement parti des opportunités décelées localement, aider à l'émergence d'une intelligence collective par la confrontation.
Lâcher prise, c'est savoir accepter l'incertitude en abandonnant l'idée de prévoir et planifier au-delà de l'horizon immédiat, ne pas vouloir tout contrôler et tout piloter depuis le sommet, ne pas se laisser emporter par le mouvement ambiant et mieux maîtriser son temps, accepter les intuitions.
Le propos de la deuxième partie de mon livre « Les mers de l'incertitude » est de montrer que ces deux leviers ne sont pas antagonistes, mais complémentaires. Pour cela, je développe quatre points(1) :
1. S'être mis en situation de pouvoir tirer parti de l'incertitude : l'attitude quotidienne, les formations reçues tant dans les écoles d'ingénieurs que commerciales ou économiques, et la peur du vide nous amènent trop souvent à chercher des certitudes, à partir de notre expertise pour lire une situation, à nous méfier de notre intuition, à mathématiser les situations… Tout doit donc commencer par le désapprentissage de pratiques et convictions acquises, l'apprentissage de comment faire le vide et être là sans a priori, le développement de la qualité d'attention pour dépasser les apparences et sentir les courants.
2. Partir du futur pour construire une stratégie résiliente : il ne faut plus partir du présent pour se projeter dans le futur, mais, au contraire, avoir l'audace d'imaginer le futur et partir de lui, car, au-delà de l'horizon du flou, il est impossible de savoir ce qui va se passer en partant du présent, au mieux on ne pourra que dessiner le champ des possibles sans avoir une idée de ce vers quoi une situation va évoluer. En univers incertain, il faut partir du futur en cherchant vers quelles mers, il est susceptible d'aller ; identifier, parmi ces mers possibles, lesquelles sont accessibles à l'entreprise ; analyser tout ce qui pourrait rendre caduques tant l'existence de ces mers que la capacité à les atteindre.
3. Développer une écologie de l'action(2) et un management durable : l'action doit reposer sur le suivi des effets complexes et multiples des actions entreprises, effets qui ne pourront jamais être réellement anticipés. Elle ne consistera pas à dérouler des plans détaillés prévus à l'avance, mais à se centrer sur l'immédiat en tirant parti au mieux des moyens dont on dispose et de tout ce qui advient : se confronter à l'intérieur de l'entreprise et avec l'extérieur pour ajuster les visions collectives et rester tous connectés à ce qui se passe vraiment ; mettre de la vie dans l'organisation et les structures, ce qui suppose un mélange d'ordre et de désordre ; agir dans la durée en veillant à garder du flou dans tous les systèmes.
4. Transformer les méthodes d'évaluation : ne demander des prévisions détaillées et chiffrées qu'en deçà de l'horizon du flou, c'est-à-dire la plus plupart du temps uniquement dans le cadre budgétaire ; ne pas se fier à des plans chiffrés à trois ou cinq ans, ni a fortiori en demander ; chercher à comprendre les dynamiques et ne pas porter de jugements seulement à partir de clichés instantanés ; tester la fiabilité et la résilience du projet de l'entreprise ; analyser comment elle est connectée à ce qui est susceptible d'advenir et comment elle s'est préparée à faire face à l'imprévu.
Dans les jours qui viennent, je vais vous donner un peu plus de détail sur le contenu de chacun de ces 4 points.
(1) Vous pouvez cliquer sur la photo pour avoir la vue du plan de la deuxième partie
(2) Expression reprise à Edgar Morin
14 juin 2010
LUTTER CONTRE L’INCERTITUDE, C’EST LUTTER CONTRE LA VIE
Il faut apprendre à vivre avec pour créer durablement de la valeur
Ces jours derniers, je vous ai invité à une balade dans la première partie de mon livre, celle qui cherche à comprendre d'où vient l'incertitude. Nous nous sommes penchés successivement rapidement sur les mécanismes de la compréhension et de la décision1, sur la difficulté à dépasser les apparences et à savoir ce qui est ou n'est pas corrélé2, sur le lien entre vie et désordre3, entre évolution et émergence4, et enfin hier sur les conséquences de l'hyperconnexion de notre Neuromonde5.
Au terme de ce tour rapide, il est possible d'affirmer que non seulement l'incertitude est irréductible, mais qu'elle se développe de plus en plus vite : au fur et à mesure de l'avancée du monde, l'horizon du flou se rapproche et l'incertitude s'accroît.
Elle est le moteur du vivant : c'est le flou qui permet à tous les sous-systèmes de s'ajuster. Elle est donc à la fois le résultat de ce bricolage, et la condition nécessaire à cette adaptation constante. Encourager la vie, accroître les chances de survie et se rendre davantage résilient, ce n'est pas chercher à diminuer l'incertitude, c'est au contraire chercher à l'accroître. Lutter contre l'incertitude, c'est lutter contre la vie.
Si l'équipe de direction cherche à limiter l'incertitude, focalise son énergie sur la prévision, et s'organise par rapport à ce futur théorique, elle va contre la vie et fragilise son entreprise.
Si l'équipe de direction apprend à vivre avec l'incertitude et à s'en servir, centre ses efforts sur la compréhension en profondeur de la situation actuelle et des courants immédiats, et construit une stratégie résiliente originale, c'est-à-dire capable de s'adapter aux aléas et saisissant les nouvelles opportunités, elle va dans le sens de la vie, renforce son entreprise et créera durablement plus de valeur.
Comment faire ? C'est ce qui est l'objet de la deuxième partie de mon livre et en constitue l'essentiel…
(1) « Langage, interprétation, communication et décision »,
(2) « Comment savoir le sens de ce que l'on regarde ? » Et « Commencer par oublier pour pouvoir comprendre »
(3) « La vie naît du désordre »
(4) « La vie dérive de possibles en possibles »
(5) « L'incertitude est plus que jamais notre avenir certain »
Ces jours derniers, je vous ai invité à une balade dans la première partie de mon livre, celle qui cherche à comprendre d'où vient l'incertitude. Nous nous sommes penchés successivement rapidement sur les mécanismes de la compréhension et de la décision1, sur la difficulté à dépasser les apparences et à savoir ce qui est ou n'est pas corrélé2, sur le lien entre vie et désordre3, entre évolution et émergence4, et enfin hier sur les conséquences de l'hyperconnexion de notre Neuromonde5.
Au terme de ce tour rapide, il est possible d'affirmer que non seulement l'incertitude est irréductible, mais qu'elle se développe de plus en plus vite : au fur et à mesure de l'avancée du monde, l'horizon du flou se rapproche et l'incertitude s'accroît.
Elle est le moteur du vivant : c'est le flou qui permet à tous les sous-systèmes de s'ajuster. Elle est donc à la fois le résultat de ce bricolage, et la condition nécessaire à cette adaptation constante. Encourager la vie, accroître les chances de survie et se rendre davantage résilient, ce n'est pas chercher à diminuer l'incertitude, c'est au contraire chercher à l'accroître. Lutter contre l'incertitude, c'est lutter contre la vie.
Si l'équipe de direction cherche à limiter l'incertitude, focalise son énergie sur la prévision, et s'organise par rapport à ce futur théorique, elle va contre la vie et fragilise son entreprise.
Si l'équipe de direction apprend à vivre avec l'incertitude et à s'en servir, centre ses efforts sur la compréhension en profondeur de la situation actuelle et des courants immédiats, et construit une stratégie résiliente originale, c'est-à-dire capable de s'adapter aux aléas et saisissant les nouvelles opportunités, elle va dans le sens de la vie, renforce son entreprise et créera durablement plus de valeur.
Comment faire ? C'est ce qui est l'objet de la deuxième partie de mon livre et en constitue l'essentiel…
(1) « Langage, interprétation, communication et décision »,
(2) « Comment savoir le sens de ce que l'on regarde ? » Et « Commencer par oublier pour pouvoir comprendre »
(3) « La vie naît du désordre »
(4) « La vie dérive de possibles en possibles »
(5) « L'incertitude est plus que jamais notre avenir certain »
11 juin 2010
TOUT ARRIVE-T-IL PAR HASARD ET POUR RIEN ?
_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
10 juin 2010
L’INCERTITUDE EST PLUS QUE JAMAIS NOTRE AVENIR CERTAIN
Nous sommes pris dans les mailles du Neuromonde
Nous sommes six milliards d'êtres humains, bientôt neuf milliards, dotés d' "objets-monde" et tous connectés. Nous entrons dans un Neuromonde hypercomplexe et incertain. Qu'est-ce à dire ?
Nous sommes six milliards d'êtres humains, bientôt neuf milliards, dotés d' "objets-monde" et tous connectés. Nous entrons dans un Neuromonde hypercomplexe et incertain. Qu'est-ce à dire ?
9 juin 2010
LA VIE DÉRIVE DE POSSIBLES EN POSSIBLES
L'évolution procède par bricolages et émergences
Le voyage au sein des « Mers de l'incertitude » amène à des extraits issus de la fin de la première partie.
« L'abeille a-t-elle évolué pour mieux tirer parti de l'existence des fleurs ? Oui, mais les fleurs ont, elles aussi, changé pour mieux attirer ces abeilles essentielles à leur reproduction, et donc à leur survie. Cette co-évolution a rendu fertilisation et alimentation conjointement possibles et les a améliorées. Était-ce la meilleure solution ? On ne sait pas : ensemble, la fleur et l'abeille ont simplement « bricolé » une évolution satisfaisante, qui permettait à l'une et à l'autre d'accroître leurs chances de survie. (…)
Chaque élément de l'univers est soumis à un ensemble de règles et de lois : les lois générales de la matière (comme les quatre lois de base : gravitation, force électromagnétique, forces nucléaire forte et faible), et des règles spécifiques à l'acteur ou l'espèce en question, règles pouvant être innées ou acquises.
Cet ensemble de règles oriente l'évolution en structurant ce champ des possibles : est considérée comme satisfaisante3, toute évolution qui reste dans ce champ des possibles.
Comment est produite l'évolution ? Par un bricolage constant et continu, une dérive de possibles en possibles, un enchaînement plus ou moins rapide de microévolutions. (…)
Aucun objet n'a de sens ni de finalité en soi, le sens et la finalité émergent dans et par la relation avec ce qui l'environne : l'objet reste le même, mais le sens de l'objet et sa fonction sont dépendants de ce qui se trouve face à lui et de l'interaction entre les deux. De ce point de vue, on peut dire que le réel n'existe pas a priori, mais émerge de l'interaction avec ce qui est là.
La mécanique quantique et la relativité ont mis l'accent sur l'interdépendance entre ce que l'on observe et celui qui l'observe. C'est la même idée que l'on retrouve ici.
Telle est la logique de l'émergence : la réalité n'existe pas en tant que telle, elle n'est pas un absolu immuable mais naît de l'interaction entre l'observé et l'observateur. En reprenant la terminologie de Varela, elle « enacte ».
Il ne s'agit plus seulement de co-évolution, mais bien de co-dépendance instantanée : chacun donne un sens à l'autre, chacun est dépendant continûment de l'autre. »1
Le voyage au sein des « Mers de l'incertitude » amène à des extraits issus de la fin de la première partie.
« L'abeille a-t-elle évolué pour mieux tirer parti de l'existence des fleurs ? Oui, mais les fleurs ont, elles aussi, changé pour mieux attirer ces abeilles essentielles à leur reproduction, et donc à leur survie. Cette co-évolution a rendu fertilisation et alimentation conjointement possibles et les a améliorées. Était-ce la meilleure solution ? On ne sait pas : ensemble, la fleur et l'abeille ont simplement « bricolé » une évolution satisfaisante, qui permettait à l'une et à l'autre d'accroître leurs chances de survie. (…)
Chaque élément de l'univers est soumis à un ensemble de règles et de lois : les lois générales de la matière (comme les quatre lois de base : gravitation, force électromagnétique, forces nucléaire forte et faible), et des règles spécifiques à l'acteur ou l'espèce en question, règles pouvant être innées ou acquises.
Cet ensemble de règles oriente l'évolution en structurant ce champ des possibles : est considérée comme satisfaisante3, toute évolution qui reste dans ce champ des possibles.
Comment est produite l'évolution ? Par un bricolage constant et continu, une dérive de possibles en possibles, un enchaînement plus ou moins rapide de microévolutions. (…)
Aucun objet n'a de sens ni de finalité en soi, le sens et la finalité émergent dans et par la relation avec ce qui l'environne : l'objet reste le même, mais le sens de l'objet et sa fonction sont dépendants de ce qui se trouve face à lui et de l'interaction entre les deux. De ce point de vue, on peut dire que le réel n'existe pas a priori, mais émerge de l'interaction avec ce qui est là.
La mécanique quantique et la relativité ont mis l'accent sur l'interdépendance entre ce que l'on observe et celui qui l'observe. C'est la même idée que l'on retrouve ici.
Telle est la logique de l'émergence : la réalité n'existe pas en tant que telle, elle n'est pas un absolu immuable mais naît de l'interaction entre l'observé et l'observateur. En reprenant la terminologie de Varela, elle « enacte ».
Il ne s'agit plus seulement de co-évolution, mais bien de co-dépendance instantanée : chacun donne un sens à l'autre, chacun est dépendant continûment de l'autre. »1
(1) Extrait des Mers de l'incertitude p.65 et 66
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