_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
22 oct. 2010
21 oct. 2010
NOUS AVONS BESOIN DE “TOY TRAINS”
Pourquoi ne pas promouvoir le voyage arrêté ? (suite)
Assis dans le train, je ne pense plus au déplacement – peut-on encore parler de déplacement à cette vitesse ? – et me laisse glisser dans une douce paresse. Je repense à cette chanson de Bénabar dans laquelle une jeune femme fait tout ce qu'elle peut pour arriver en retard. Elle cherche le moyen de déplacement le plus lent, espère manquer sa correspondance, choisit l'itinéraire le plus long. Comme je la comprends. Moi aussi, assis dans ce train, pris par la magie du train, la lenteur de ce paysage qui ne défile pas, mais glisse doucement, absorbé par les brumes de Darjeeling qui absorbent tout progressivement, je m'endors doucement
Prendre ce train, c'est aussi un peu comme lire Proust : une délicieuse sensation de surplace, d'approfondissement de la compréhension, de capacité à zoomer dans les détails du paysage comme Proust zoome à l'intérieur des situations.
Moi qui aime me sentir me déplacer pour avoir le temps de me préparer, je suis comblé ! J'aurais tellement ralenti que je vais avoir le plus grand mal à repartir de Darjeeling. Pourquoi aller ailleurs ? Pourquoi bouger ? Pourquoi voyager ?
Je suis loin de celui que j'étais dix ans plus tôt. Alors habitué à vivre professionnellement dans et entre les avions – le temps passé dans les avions était alors quasiment le seul disponible à la réflexion –, j'étais venu en Inde pour changer de millénaire : deux jours à Bombay, deux jours à Goa, puis à nouveau 2 jours à Bombay, six jours en tout en Inde. A un ami qui m'avait fait remarqué que c'était court, j'avais alors répondu : « mais j'ai passé deux nuits de suite au même endroit, où est le problème ? ».
Assis dans le « toy train », je suis conscient d'être arrivé à un autre extrême, mais est-ce vraiment un extrême ? Est-ce qu'en courant, en zappant, on est efficace ? Comme j'ai souvent eu l'occasion de le dire ou de l'écrire, s'il suffisait de courir pour être efficace, toutes les entreprises le seraient, car je ne vois que des gens qui y courent…
Pourtant quand survient une catastrophe comme le nuage de cendres islandais, ces mêmes dirigeants, si pressés, si indispensables, se retrouvent bloqués à l'autre du bout du monde et se rendent compte que le système continue à fonctionner sans eux. Forts de ce repos forcés, ils ont eu du temps libre devant eux…
Nous devrions promouvoir un peu partout des « toy trains », des espaces où le temps et le mouvement s'arrêteraient pour permettre à tout un chacun à réfléchir à ce qu'il fait.
Assis dans le train, je ne pense plus au déplacement – peut-on encore parler de déplacement à cette vitesse ? – et me laisse glisser dans une douce paresse. Je repense à cette chanson de Bénabar dans laquelle une jeune femme fait tout ce qu'elle peut pour arriver en retard. Elle cherche le moyen de déplacement le plus lent, espère manquer sa correspondance, choisit l'itinéraire le plus long. Comme je la comprends. Moi aussi, assis dans ce train, pris par la magie du train, la lenteur de ce paysage qui ne défile pas, mais glisse doucement, absorbé par les brumes de Darjeeling qui absorbent tout progressivement, je m'endors doucement
Prendre ce train, c'est aussi un peu comme lire Proust : une délicieuse sensation de surplace, d'approfondissement de la compréhension, de capacité à zoomer dans les détails du paysage comme Proust zoome à l'intérieur des situations.
Moi qui aime me sentir me déplacer pour avoir le temps de me préparer, je suis comblé ! J'aurais tellement ralenti que je vais avoir le plus grand mal à repartir de Darjeeling. Pourquoi aller ailleurs ? Pourquoi bouger ? Pourquoi voyager ?
Je suis loin de celui que j'étais dix ans plus tôt. Alors habitué à vivre professionnellement dans et entre les avions – le temps passé dans les avions était alors quasiment le seul disponible à la réflexion –, j'étais venu en Inde pour changer de millénaire : deux jours à Bombay, deux jours à Goa, puis à nouveau 2 jours à Bombay, six jours en tout en Inde. A un ami qui m'avait fait remarqué que c'était court, j'avais alors répondu : « mais j'ai passé deux nuits de suite au même endroit, où est le problème ? ».
Assis dans le « toy train », je suis conscient d'être arrivé à un autre extrême, mais est-ce vraiment un extrême ? Est-ce qu'en courant, en zappant, on est efficace ? Comme j'ai souvent eu l'occasion de le dire ou de l'écrire, s'il suffisait de courir pour être efficace, toutes les entreprises le seraient, car je ne vois que des gens qui y courent…
Pourtant quand survient une catastrophe comme le nuage de cendres islandais, ces mêmes dirigeants, si pressés, si indispensables, se retrouvent bloqués à l'autre du bout du monde et se rendent compte que le système continue à fonctionner sans eux. Forts de ce repos forcés, ils ont eu du temps libre devant eux…
Nous devrions promouvoir un peu partout des « toy trains », des espaces où le temps et le mouvement s'arrêteraient pour permettre à tout un chacun à réfléchir à ce qu'il fait.
20 oct. 2010
“TOY TRAIN” OU LE VOYAGE IMMOBILE
Pourquoi ne pas promouvoir le voyage arrêté ?
Dans les contreforts de l'Himalaya, dans les derniers kilomètres arrivant à Darjeeling, un train pousse à l'extrême la lenteur, puisque sa vitesse moyenne est inférieure à dix kilomètres par heure. Mais qu'importe ! Il n'est pas vraiment là pour permettre de se déplacer, mais simplement pour venir souligner la route sinueuse et les paysages escarpés. Pour ceux qui veulent aller plus vite, il y a les jeeps. Mais parler de vitesse même dans ce cas serait abusif, car, vu l'état de la route et la difficulté de procéder au moindre croisement, la vitesse moyenne est de vingt kilomètres par heure. Cette lente approche vers Darjeeling est une saine préparation à ce pays des brumes et du flou. Lent et progressif atterrissage.
Alors quitte à aller lentement, autant prendre le train ! Tiré par une locomotive à vapeur, il rappelle des images vues dans de vieux films. Sensation d'être au cœur d'une reconstitution historique. Ce train est appelé « Toy train », le train jouet. Je trouve cette appellation injuste et pour tout dire irrespectueuse de ce train qui fait ce qui peut et qui, finalement fait ce que l'on attend d'un train : il nous déplace ! Il est vrai qu'il ressemble à ces trains Märklin qui ont bercé mon enfance, mais pourquoi l'afficher ainsi ? Il pourrait se vexer, alors à quoi bon.
Ce train circule au milieu des voitures, des boutiques, des maisons, de la vie. Un anti-TGV sur tous les points ! Pas de barrières qui l'entourent, un confort plus que relatif, des arrêts fréquents pour remettre de l'eau dans la machine, la possibilité en côte de descendre du train et de remonter sans difficulté… Le TGV n'a pas à faire son fier, j'aimerais bien voir ce qu'il serait capable de faire sur les pentes raides qui vont à Darjeeling !
Comme les voitures, le train klaxonne, ou plutôt siffle, pour annoncer son passage et écarter ceux qui se trouvent sur sa voie, humains, animaux ou voitures. Car le train ne va pas s'arrêter, alors tout le monde se pousse. Dommage qu'il n'y ait pas de vaches dans ce coin, car j'aurais aimé voir qui allait gagner : le train allait-il arriver à faire se déplacer les flegmatiques vaches indiennes qui, se sachant sacrées, n'ont aucune raison de se faire du souci pour leur survie ? Pourquoi bouger ?
(à suivre)
- Voir ci-dessous le film que j'ai pris sur le « Toy Train » -
Dans les contreforts de l'Himalaya, dans les derniers kilomètres arrivant à Darjeeling, un train pousse à l'extrême la lenteur, puisque sa vitesse moyenne est inférieure à dix kilomètres par heure. Mais qu'importe ! Il n'est pas vraiment là pour permettre de se déplacer, mais simplement pour venir souligner la route sinueuse et les paysages escarpés. Pour ceux qui veulent aller plus vite, il y a les jeeps. Mais parler de vitesse même dans ce cas serait abusif, car, vu l'état de la route et la difficulté de procéder au moindre croisement, la vitesse moyenne est de vingt kilomètres par heure. Cette lente approche vers Darjeeling est une saine préparation à ce pays des brumes et du flou. Lent et progressif atterrissage.
Alors quitte à aller lentement, autant prendre le train ! Tiré par une locomotive à vapeur, il rappelle des images vues dans de vieux films. Sensation d'être au cœur d'une reconstitution historique. Ce train est appelé « Toy train », le train jouet. Je trouve cette appellation injuste et pour tout dire irrespectueuse de ce train qui fait ce qui peut et qui, finalement fait ce que l'on attend d'un train : il nous déplace ! Il est vrai qu'il ressemble à ces trains Märklin qui ont bercé mon enfance, mais pourquoi l'afficher ainsi ? Il pourrait se vexer, alors à quoi bon.
Ce train circule au milieu des voitures, des boutiques, des maisons, de la vie. Un anti-TGV sur tous les points ! Pas de barrières qui l'entourent, un confort plus que relatif, des arrêts fréquents pour remettre de l'eau dans la machine, la possibilité en côte de descendre du train et de remonter sans difficulté… Le TGV n'a pas à faire son fier, j'aimerais bien voir ce qu'il serait capable de faire sur les pentes raides qui vont à Darjeeling !
Comme les voitures, le train klaxonne, ou plutôt siffle, pour annoncer son passage et écarter ceux qui se trouvent sur sa voie, humains, animaux ou voitures. Car le train ne va pas s'arrêter, alors tout le monde se pousse. Dommage qu'il n'y ait pas de vaches dans ce coin, car j'aurais aimé voir qui allait gagner : le train allait-il arriver à faire se déplacer les flegmatiques vaches indiennes qui, se sachant sacrées, n'ont aucune raison de se faire du souci pour leur survie ? Pourquoi bouger ?
(à suivre)
- Voir ci-dessous le film que j'ai pris sur le « Toy Train » -
19 oct. 2010
METTRE DU FLOU DANS L’ORGANISATION
La redondance est nécessaire pour pouvoir faire face à l'incertitude
Dans beaucoup d'entreprises, toutes les ressources sont affectées à l'avance, il ne reste plus de temps disponible, tout a déjà été prévu, optimisé et organisé : comment pourront-elles faire face au premier aléa ?
Il m'arrive ainsi de rencontrer des dirigeants dont l'agenda est rempli pour les trois mois à venir. Comment font-ils pour faire de la place à l'inattendu ? Ils réallouent leur temps, annulent ce qui n'était pas indispensable, reportent le reste. Mais où est la place laissée à la réflexion, à la prise de recul ? Comment peuvent-ils repérer ce qui est nouveau, ce qui survient ?
A l'intérieur de l'entreprise, si tous les agendas sont remplis, c'est encore pire : non seulement personne n'est en recul, mais comme on n'a pas la latitude de reprogrammer son temps, on est prisonnier de ce qui a été prévu. Reste à espérer que c'est ce qui va arriver…
Adaptabilité, souplesse et sensibilité à l'imprévu impliquent redondance, ressources disponibles, capacité à improviser.
Je sais combien ceci va aux antipodes de la tendance actuelle qui cherche par tous les moyens à accroître la rentabilité des entreprises : on coupe tout ce qui ne sert apparemment à rien, on comprime tout ce qui n'est pas lié directement avec ce qui est planifié. Mais si l'on améliore les résultats immédiats, on se prépare pour un mort future certaine. L'anorexie managériale en quelque sorte : des entreprises devenues tellement maigres qu'elles vont être emportées par la première bourrasque.
Pour éviter que les optimisations successives n'aboutissent à supprimer toutes les marges de manœuvre, il faut avoir affiché le pourcentage de flou que l'on veut maintenir.
Comment le calculer ? Je n'ai pas de remèdes miracles comme réponse, mais plutôt un raisonnement de bon sens. Ce pourcentage peut être estimé au regard des deux paramètres suivants :
- Quel est le niveau d'incertitude du marché dans lequel se trouve l'entreprise ? L'horizon du flou est-il très rapproché ?
- Quel est le niveau de rentabilité actuel ? Quelles sont les ressources financières, techniques, et humaines nécessaires à la conduite des projets engagés et aux actions immédiates ? Quelle est la marge de manœuvre disponible ?
Extrait des Mers de l'incertitude
Dans beaucoup d'entreprises, toutes les ressources sont affectées à l'avance, il ne reste plus de temps disponible, tout a déjà été prévu, optimisé et organisé : comment pourront-elles faire face au premier aléa ?
Il m'arrive ainsi de rencontrer des dirigeants dont l'agenda est rempli pour les trois mois à venir. Comment font-ils pour faire de la place à l'inattendu ? Ils réallouent leur temps, annulent ce qui n'était pas indispensable, reportent le reste. Mais où est la place laissée à la réflexion, à la prise de recul ? Comment peuvent-ils repérer ce qui est nouveau, ce qui survient ?
A l'intérieur de l'entreprise, si tous les agendas sont remplis, c'est encore pire : non seulement personne n'est en recul, mais comme on n'a pas la latitude de reprogrammer son temps, on est prisonnier de ce qui a été prévu. Reste à espérer que c'est ce qui va arriver…
Adaptabilité, souplesse et sensibilité à l'imprévu impliquent redondance, ressources disponibles, capacité à improviser.
Je sais combien ceci va aux antipodes de la tendance actuelle qui cherche par tous les moyens à accroître la rentabilité des entreprises : on coupe tout ce qui ne sert apparemment à rien, on comprime tout ce qui n'est pas lié directement avec ce qui est planifié. Mais si l'on améliore les résultats immédiats, on se prépare pour un mort future certaine. L'anorexie managériale en quelque sorte : des entreprises devenues tellement maigres qu'elles vont être emportées par la première bourrasque.
Pour éviter que les optimisations successives n'aboutissent à supprimer toutes les marges de manœuvre, il faut avoir affiché le pourcentage de flou que l'on veut maintenir.
Comment le calculer ? Je n'ai pas de remèdes miracles comme réponse, mais plutôt un raisonnement de bon sens. Ce pourcentage peut être estimé au regard des deux paramètres suivants :
- Quel est le niveau d'incertitude du marché dans lequel se trouve l'entreprise ? L'horizon du flou est-il très rapproché ?
- Quel est le niveau de rentabilité actuel ? Quelles sont les ressources financières, techniques, et humaines nécessaires à la conduite des projets engagés et aux actions immédiates ? Quelle est la marge de manœuvre disponible ?
Extrait des Mers de l'incertitude
18 oct. 2010
FAUT-IL METTRE LES JEUNES EN CLASSE AFFAIRES ?
Drôle de télescopage au sein du journal Libération
Au comptoir d'un café, le vendredi 15 octobre, je feuilletais distraitement le journal Libération, que je marquai l'arrêt sur le télescopage d'un titre et d'une publicité : le titre « La jeunesse, une vieille peur » faisait partie de la série d'articles sur l'implication croissante des jeunes dans les mouvements liés à la réforme des retraites ; la publicité, elle, faisait la promotion de la classe affaires Air France en mettant en scène non plus comme d'habitude un homme d'affaires, mais un jeune homme à l'allure juvénile.
Amusant télescopage évidemment involontaire. Manifestement, pour Air France et sa direction de la communication, la jeunesse n'est pas une « vieille peur » puisqu'elle la met en scène.
Mais en allant plus loin, y a-t-il un message subliminal dans cet acte manqué ?
Air France veut-elle dire qu'elle a compris les raisons du mécontentement des jeunes ? Veut-elle dire que ce n'est pas réellement contre les retraites qu'ils manifestent, mais qu'ils réclament d'accéder à la classe Affaires ?
Ou est-ce le journal Libération qui suggère que les jeunes auraient peur de l'avion ? Est-ce que cette « vieille peur » est celle de ne plus toucher le sol et de se trouver perdus dans les airs ? Seraient-ils en attente de solutions plus terre à terre ?
Aller savoir…
15 oct. 2010
NOUS N’AIMONS PAS LE FLOU
_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
14 oct. 2010
HISTOIRE DE CHAMPIGNONS
Certains champignons se mangent, d'autres sont là pour le plaisir des yeux et pour stimuler notre imagination...
Ainsi ce champignon rouge-orangé vient en contrepoint de celui qui est rouge-rosé. Se font-ils une forme de compétition ? Sont-ce des frères qui ont fait des choix différents et ont divergé ? Le rouge-orangé veut-il à tout prix être vu ? A-t-il choisi délibérément cette nuance pour ne pas passer inaperçu ? Mais est-il alors conscient qu'il risque encore plus d'être cueilli ? Ou croit-il faire peur ? A l'inverse, le rouge-rosé, par son choix de ton plus pastel, cherche-t-il à se fondre dans les feuillages ? Regrette-t-il d'être né rouge ? Se rêve-t-il en blanc ? Suit-il une cure de dépigmentation ?
Comment savoir ? On ne peut pas, et c'est tout le charme de cette marche dans les sous-bois. Ah, si seulement les champignons pouvaient parler…
La saison des truffes n'a pas encore commencé : elle ne commencera que début novembre. Mais celle des champignons, oui. Et effectivement dans le terrain de ma maison en Provence, ils sont légion.
Ne m'y connaissant que bien peu en botanique et dans l'art de distinguer quels champignons sont comestibles, ils constituent pour moi d'abord un élément du paysage, comme des mini- sculptures venues égayer de façon fugace le sous-bois. Si l'on oublie la recherche de la productivité, de l'utilité immédiate, pour se laisser aller au plaisir des yeux et à la rêverie, ils sont l'occasion de rencontres étonnantes.
Ainsi ce champignon rouge-orangé vient en contrepoint de celui qui est rouge-rosé. Se font-ils une forme de compétition ? Sont-ce des frères qui ont fait des choix différents et ont divergé ? Le rouge-orangé veut-il à tout prix être vu ? A-t-il choisi délibérément cette nuance pour ne pas passer inaperçu ? Mais est-il alors conscient qu'il risque encore plus d'être cueilli ? Ou croit-il faire peur ? A l'inverse, le rouge-rosé, par son choix de ton plus pastel, cherche-t-il à se fondre dans les feuillages ? Regrette-t-il d'être né rouge ? Se rêve-t-il en blanc ? Suit-il une cure de dépigmentation ?
Et que penser des ces autres champignons recouverts de moisissure bleue ? Est-ce que je fais face à une tentative d'invasion : la moisissure, qui est elle-aussi une forme de champignons, est-elle un parasite ? Ou alors, ces champignons ont-ils une crise d'identité et se prennent-ils pour des roqueforts ? Les Causses ne sont pas si loin et, comme les spores peuvent voyager dans le vent, ces champignons ont peut-être des ancêtres nés à Roquefort. Mais dans ce cas, quelle pathétique perte de repère et de confusion ! Bel exemple des dangers de la globalisation et de l'effondrement des frontières…
Comment savoir ? On ne peut pas, et c'est tout le charme de cette marche dans les sous-bois. Ah, si seulement les champignons pouvaient parler…
« ESPRIT D'ENTREPRISE » CONSACRÉE À L'INCERTITUDE
Emission du mercredi 13 octobre 2010 (cliquer pour écouter l'émission)
Incertitude
- Robert Branche, consultant en stratégie pour de grands groupes internationaux, auteur de " Les mers de l’incertitude " aux éditions du Palio.
- Xavier Guilhou, expert de la gestion des risques et des crises au niveau international.
- Didier Tranchier, Président du Réseau de Business Angels " IT Angels
13 oct. 2010
« JE N’AVAIS JAMAIS PENSÉ QUE L’INDE PUISSE DEVENIR IMPORTANTE UN JOUR »
Le bon temps des colonies (suite)
Certains – et ils sont nombreux ! – ont la nostalgie de ce temps passé, de ce temps où nous pouvions l'esprit tranquille dominer le monde. Ils ont peur de ces changements, de ce flou qui nous habite de plus en plus, de la perte de notre domination.
Je ne suis pas de ceux-là. Je suis content et fier d'appartenir à ces années qui sont en train de voir la Chine, l'Inde ou le Brésil accéder enfin à un vrai développement industriel et économique. Je suis triste de voir que l'Afrique noire reste encore largement en dehors de ce mouvement. Je suis inquiet de voir mes concitoyens s'enfermer dans une vision issue du passé. Je suis persuadé que de ce flou, de cette incertitude, de cet effondrement des frontières peut naître le meilleur. Je suis furieux de cette classe politique, européenne comme nord-américaine, incapable de penser à partir du futur et qui se comporte comme le pire des syndicats, défenseur de nos privilèges historiques. J'ai souvent honte d'être Français tellement nos politiques font en la matière office de dernier de la classe.
Mais comme l'a écrit Maxime le Forestier, « on choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille. On choisit pas non plus les trottoirs de Manille, de Paris ou d'Alger pour apprendre à marcher. Être né quelque part. Être né quelque part pour celui qui est né, c'est toujours un hasard… »
Alors apprenons à vivre dans les brumes de nos origines et de nos appartenances…
Chez nous, on est compassé, triste, tourné vers le passé. Des pays prennent appui sur leur passé, se souviennent de lui, mais regardent vers le futur et le construisent. J'ai parfois l'impression que nous faisons l'inverse : nous sommes tournés vers notre passé. La façon dont a été pris le débat sur la nationalité française est symptomatique. On est parti de notre passé, et non pas de la mer qui nous attire.
Non, nous ne sommes pas assiégés. Et puis qui assiège qui ? Qui a agressé qui ? Qui a profité de qui ? C'est nous. Aujourd'hui, ces pays veulent simplement que notre agression cesse, avoir juste la restitution de leur travail, ils jouent dans les règles, dans nos règles…
Non « ils ne vont pas nous manger », c'est nous qui, jusqu'à présent les avons mangé ! Regardons la différence de capitaux investis et notre richesse en infrastructures et combien cela va coûter à ces pays pour avoir des routes, des voies ferrées, des lignes électriques et téléphoniques enterrées … sans parler de la distribution d'eau ou de la collecte des déchets.
Si nous arrêtions d'investir dans nos infrastructures (laissons nos routes se dégrader, …), nous pourrions faire des économies, et mieux financer les investissements immatériels (culture, éducation, recherche, justice…) et sociaux.
« Mon père n'a jamais pris la peine de m'apprendre à parler Hindi, cela ne lui était pas venu à l'esprit que l'Inde puisse être importante, un jour ! ». Voilà ce que m'a dit un jeune Indien de vingt-six ans, croisé lors de mon dernier voyage. Né en Allemagne de père indien et de mère allemande, il a grandi pendant de longues années dans l'ignorance de la moitié de ses racines. Car pour son père qui avait fait le choix de l'exil et avait brillamment réussi dans ce qui était devenu son nouveau pays, à quoi cela pourrait bien servir à son fils de connaître un pays sans avenir comme l'Inde ? Étonnant, non ? Quel retournement de situation !
Ce même jeune indien m'a aussi parlé de l'anecdote de son passeport. Il y a une dizaine d'années, il n'avait pas pu obtenir le droit d'avoir à la fois un passeport allemand et indien. Il avait dû choisir et avait gardé son passeport allemand. Depuis trois ans, tout a changé et il a pu avoir les deux. Dans notre bas monde, tout est affaire de rapport de force… Et l'Inde n'est plus ce petit pays sans intérêt !
Certains – et ils sont nombreux ! – ont la nostalgie de ce temps passé, de ce temps où nous pouvions l'esprit tranquille dominer le monde. Ils ont peur de ces changements, de ce flou qui nous habite de plus en plus, de la perte de notre domination.
Je ne suis pas de ceux-là. Je suis content et fier d'appartenir à ces années qui sont en train de voir la Chine, l'Inde ou le Brésil accéder enfin à un vrai développement industriel et économique. Je suis triste de voir que l'Afrique noire reste encore largement en dehors de ce mouvement. Je suis inquiet de voir mes concitoyens s'enfermer dans une vision issue du passé. Je suis persuadé que de ce flou, de cette incertitude, de cet effondrement des frontières peut naître le meilleur. Je suis furieux de cette classe politique, européenne comme nord-américaine, incapable de penser à partir du futur et qui se comporte comme le pire des syndicats, défenseur de nos privilèges historiques. J'ai souvent honte d'être Français tellement nos politiques font en la matière office de dernier de la classe.
Mais comme l'a écrit Maxime le Forestier, « on choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille. On choisit pas non plus les trottoirs de Manille, de Paris ou d'Alger pour apprendre à marcher. Être né quelque part. Être né quelque part pour celui qui est né, c'est toujours un hasard… »
Alors apprenons à vivre dans les brumes de nos origines et de nos appartenances…
Chez nous, on est compassé, triste, tourné vers le passé. Des pays prennent appui sur leur passé, se souviennent de lui, mais regardent vers le futur et le construisent. J'ai parfois l'impression que nous faisons l'inverse : nous sommes tournés vers notre passé. La façon dont a été pris le débat sur la nationalité française est symptomatique. On est parti de notre passé, et non pas de la mer qui nous attire.
Non, nous ne sommes pas assiégés. Et puis qui assiège qui ? Qui a agressé qui ? Qui a profité de qui ? C'est nous. Aujourd'hui, ces pays veulent simplement que notre agression cesse, avoir juste la restitution de leur travail, ils jouent dans les règles, dans nos règles…
Non « ils ne vont pas nous manger », c'est nous qui, jusqu'à présent les avons mangé ! Regardons la différence de capitaux investis et notre richesse en infrastructures et combien cela va coûter à ces pays pour avoir des routes, des voies ferrées, des lignes électriques et téléphoniques enterrées … sans parler de la distribution d'eau ou de la collecte des déchets.
Si nous arrêtions d'investir dans nos infrastructures (laissons nos routes se dégrader, …), nous pourrions faire des économies, et mieux financer les investissements immatériels (culture, éducation, recherche, justice…) et sociaux.
« Mon père n'a jamais pris la peine de m'apprendre à parler Hindi, cela ne lui était pas venu à l'esprit que l'Inde puisse être importante, un jour ! ». Voilà ce que m'a dit un jeune Indien de vingt-six ans, croisé lors de mon dernier voyage. Né en Allemagne de père indien et de mère allemande, il a grandi pendant de longues années dans l'ignorance de la moitié de ses racines. Car pour son père qui avait fait le choix de l'exil et avait brillamment réussi dans ce qui était devenu son nouveau pays, à quoi cela pourrait bien servir à son fils de connaître un pays sans avenir comme l'Inde ? Étonnant, non ? Quel retournement de situation !
Ce même jeune indien m'a aussi parlé de l'anecdote de son passeport. Il y a une dizaine d'années, il n'avait pas pu obtenir le droit d'avoir à la fois un passeport allemand et indien. Il avait dû choisir et avait gardé son passeport allemand. Depuis trois ans, tout a changé et il a pu avoir les deux. Dans notre bas monde, tout est affaire de rapport de force… Et l'Inde n'est plus ce petit pays sans intérêt !
12 oct. 2010
CHACUN CHEZ SOI ET LES VACHES SERONT MIEUX GARDÉES !
Le bon temps des colonies…
Avant, les contours étaient précis : on savait où on était né, quelles étaient ses racines, quels étaient les territoires où l'on allait habiter. Le dehors était un peu théorique, on était protégé par les distances, les appartenances géographiques avaient un sens. Certes, il y avait bien des échanges, mais ils n'étaient finalement que superficiels, ils venaient apporter les épices qui nous étaient nécessaires.
Ceci était vrai du moins en Europe, aux États-Unis ou en Chine. Pour ce qui est de l'Afrique, de l'Amérique ou de l'Inde, ils avaient connu les « joies » de la colonisation et avaient contribué à notre richesse.
Mais pour un Français, ceci restait théorique. Il savait bien que l'on avait des colonies, il se doutait que l'on y était pauvre et sale, mais bon, pour sa vie quotidienne quelle importance ? Assis dans la chaleur de sa mère patrie, conforté par des politiques qui se gardaient bien de lui expliquer que notre prospérité relative n'était possible que grâce à la pauvreté des autres, il était tranquille dans ses frontières. Finalement les brumes de sa pensée lui masquaient la réalité du reste du monde, qui n'était qu'un sujet de reportages ou d'excursions touristiques.
Les frontières étaient alors une réalité, les limites avaient un sens : elles nous protégeaient et servaient à défendre les avantages acquis, elles étaient les remparts de la forteresse de nos privilèges. A l'abri de ces frontières, nous étions cramponnés à la pente pour résister à tout changement.
Ces frontières n'étaient pas seulement physiques, mais aussi – et peut-être surtout – culturelles : nous avons construit au fil des années un ensemble de certitudes justifiant et expliquant l'existence de nos avantages. Appuyés sur un racisme toujours sous-jacent, soutenus par nos religions – juives et chrétiennes –, par les pensées issues du « Siècle des lumières » – rien que le fait d'avoir appelé ce siècle ainsi montre l'arrogance de notre pensée –, et par la si fameuse « Déclaration des droits de l'homme », sereins, nous dominions le monde, certains que c'était pour le bienfait de tous.
Certes nos frontières locales fluctuaient en fonction des aléas des mariages princiers ou des guerres, certes nous avions droit à notre quantum de morts, certes le siècle dernier a été celui des pires atrocités, mais nous faisions, pour ainsi dire, cela en famille. Et comme tout le monde le sait, les batailles familiales sont les pires. On était entre soi : tout Français savait depuis longtemps qu'un Allemand ou un Anglais n'étaient pas des Français, mais c'étaient quand même des cousins proches. D'ailleurs les Alsaciens pour parler des autres Français ne disaient-ils pas « les Français de l'intérieur »…
Par contre, ceux qui étaient vraiment différents, ceux qui n'étaient pas comme nous, ceux vis-à-vis desquels il fallait se protéger – au moins au cas où… –, c'étaient tous les autres : les Africains, les Asiatiques, les Arabes… Les pensées libérales développaient bien des discours en surface non racistes, mais dans les faits, nous faisions tout, individuellement et collectivement, pour défendre nos avantages si longuement construits, un peu comme un syndicat d'une entreprise, pour défendre les intérêts de salariés qu'il représente, laissera, sans états d'âme, se dégrader les conditions de travail chez les sous-traitants. Égoïsme bien humain, me direz-vous…
Certes, mais aujourd'hui tout est en train de voler en éclat : les brumes de la globalisation et des connexions informationnelles sont venus dissoudre les frontières. Quand je marche dans les rues de Paris, je ne sais plus ce que veut dire être Français : tout se mélange, tout se transforme, tout s'enrichit mutuellement. Les races sont multiples, et bon nombre ne sont plus des immigrés, mais bien des citoyens français ; la langue se transforme, s'hybridant de la richesse venue des banlieues. Les biens, physiques comme culturels, sont « multilocalisés », c'est-à-dire sont le fruit d'un processus de production impliquant plusieurs pays. Il en est ainsi aussi bien de la musique – de plus en plus elle nait du croisement des histoires musicales – que d'une automobile !
(à suivre)
Avant, les contours étaient précis : on savait où on était né, quelles étaient ses racines, quels étaient les territoires où l'on allait habiter. Le dehors était un peu théorique, on était protégé par les distances, les appartenances géographiques avaient un sens. Certes, il y avait bien des échanges, mais ils n'étaient finalement que superficiels, ils venaient apporter les épices qui nous étaient nécessaires.
Ceci était vrai du moins en Europe, aux États-Unis ou en Chine. Pour ce qui est de l'Afrique, de l'Amérique ou de l'Inde, ils avaient connu les « joies » de la colonisation et avaient contribué à notre richesse.
Mais pour un Français, ceci restait théorique. Il savait bien que l'on avait des colonies, il se doutait que l'on y était pauvre et sale, mais bon, pour sa vie quotidienne quelle importance ? Assis dans la chaleur de sa mère patrie, conforté par des politiques qui se gardaient bien de lui expliquer que notre prospérité relative n'était possible que grâce à la pauvreté des autres, il était tranquille dans ses frontières. Finalement les brumes de sa pensée lui masquaient la réalité du reste du monde, qui n'était qu'un sujet de reportages ou d'excursions touristiques.
Les frontières étaient alors une réalité, les limites avaient un sens : elles nous protégeaient et servaient à défendre les avantages acquis, elles étaient les remparts de la forteresse de nos privilèges. A l'abri de ces frontières, nous étions cramponnés à la pente pour résister à tout changement.
Ces frontières n'étaient pas seulement physiques, mais aussi – et peut-être surtout – culturelles : nous avons construit au fil des années un ensemble de certitudes justifiant et expliquant l'existence de nos avantages. Appuyés sur un racisme toujours sous-jacent, soutenus par nos religions – juives et chrétiennes –, par les pensées issues du « Siècle des lumières » – rien que le fait d'avoir appelé ce siècle ainsi montre l'arrogance de notre pensée –, et par la si fameuse « Déclaration des droits de l'homme », sereins, nous dominions le monde, certains que c'était pour le bienfait de tous.
Certes nos frontières locales fluctuaient en fonction des aléas des mariages princiers ou des guerres, certes nous avions droit à notre quantum de morts, certes le siècle dernier a été celui des pires atrocités, mais nous faisions, pour ainsi dire, cela en famille. Et comme tout le monde le sait, les batailles familiales sont les pires. On était entre soi : tout Français savait depuis longtemps qu'un Allemand ou un Anglais n'étaient pas des Français, mais c'étaient quand même des cousins proches. D'ailleurs les Alsaciens pour parler des autres Français ne disaient-ils pas « les Français de l'intérieur »…
Par contre, ceux qui étaient vraiment différents, ceux qui n'étaient pas comme nous, ceux vis-à-vis desquels il fallait se protéger – au moins au cas où… –, c'étaient tous les autres : les Africains, les Asiatiques, les Arabes… Les pensées libérales développaient bien des discours en surface non racistes, mais dans les faits, nous faisions tout, individuellement et collectivement, pour défendre nos avantages si longuement construits, un peu comme un syndicat d'une entreprise, pour défendre les intérêts de salariés qu'il représente, laissera, sans états d'âme, se dégrader les conditions de travail chez les sous-traitants. Égoïsme bien humain, me direz-vous…
Certes, mais aujourd'hui tout est en train de voler en éclat : les brumes de la globalisation et des connexions informationnelles sont venus dissoudre les frontières. Quand je marche dans les rues de Paris, je ne sais plus ce que veut dire être Français : tout se mélange, tout se transforme, tout s'enrichit mutuellement. Les races sont multiples, et bon nombre ne sont plus des immigrés, mais bien des citoyens français ; la langue se transforme, s'hybridant de la richesse venue des banlieues. Les biens, physiques comme culturels, sont « multilocalisés », c'est-à-dire sont le fruit d'un processus de production impliquant plusieurs pays. Il en est ainsi aussi bien de la musique – de plus en plus elle nait du croisement des histoires musicales – que d'une automobile !
(à suivre)
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