La musique est-elle seulement une succession de notes ?
« Bien, par quoi commence-t-on ? », « Comment avez-vous décomposé le problème ? », « Je propose que l’on se répartisse le travail : nous allons former trois équipes et éclater le sujet en trois. Puis nous ferons la synthèse, cela ira plus vite ainsi », …
Certes, il paraît souvent logique et efficace de décomposer un problème en sous-ensembles, sauf que, dans ce cas, on risque de précisément « décomposer » le problème, c’est-à-dire faire rendre impossible sa compréhension.
En effet tout découpage repose sur une vue de la situation et une grille d’analyse a priori. Comment savoir si elle est pertinente ? Ne va-t-elle pas biaiser la compréhension et l’analyse ? Et si le problème est justement dans une des lignes de partage de cette partition…
Face à une situation complexe, il faut s’interdire de la décomposer ainsi à l’avance, et il faut l’appréhender globalement, et comprendre que :
- Comme une analyse ne peut se faire qu’à partir de découpages implicites ou explicites (ne serait-ce que pour des raisons temporelles ou spatiales), il faut continûment procéder à des regroupements et être vigilant concernant les effets de bord ou de frontière, générés par le découpage.
- Même si un découpage est pertinent et exact, le tout n’est pas la seule réunion des parties qui le composent : une main n’est pas qu’un assemblage de cellules, un corps un assemblage d’organes ou une société une réunion d’individus. Le passage à un niveau supérieur fait émerger une nouvelle entité avec ses propres règles, systèmes, et donc dysfonctionnements potentiels. Il faut donc expliciter ces règles de fonctionnement qui font que le système étudié existe bien en tant que tel comme un ensemble.
Pour illustrer ce point sur les dangers et les limites d’une approche par les sous-ensembles, voici un texte tiré du livre d’Henri Atlan, À tort et a raison :
« On voit mal comment des interactions neuronales pourraient être considérées comme responsables d'un crime ou d'un bienfait, apprécié comme tel et jugé par d'autres interactions neuronales. À l'autre extrême, si un observateur extérieur observe le comportement d'un réseau d’automates probabilistes avec auto-organisation fonctionnelle sans en connaître la structure, il sera tenté de lui attribuer une intentionnalité... Et pourtant nous n’attribuons pas une intention à ce comportement finalisé... »
Une autre forme de découpage est la transformation d’un flux en photographies instantanées : alors que toute situation est en mouvement et en évolution, lors d’une analyse, on fige souvent une situation. Attention à ne pas oublier de « penser le mouvement ».
Sur ce thème, voici ce que disait Henri Bergson dans une conférence(1) :
« Écoutons une mélodie en nous laissant bercer par elle : n'avons-nous pas la perception nette d'un mouvement qui n'est pas attaché à un mobile, d'un changement sans que rien qui change ? Ce changement se suffit, il est la chose même… Sans doute nous avons une tendance à la diviser et à nous représenter, au lieu de la continuité ininterrompue de la mélodie, la juxtaposition de notes distinctes (…) parce que notre perception auditive a pris l'habitude de s'imprégner d'images visuelles … Faisons abstraction de ces images spatiales : il reste le changement pur, se suffisant à lui-même, nullement divisé, nullement attaché à une "chose" qui change. »
(1) Leçon sur la perception du changement de Henri Bergson par Jean Ricot