Extrait des Mers de
l’incertitude
Comme
l’écrit justement Pierre Gonod, « l’expression
de Pierre Massé sur « les faits porteurs d’avenir » a fait fortune. Mais
personne n’a jusqu’alors indiqué comment on pouvait les repérer. Parce que
scientifiquement c’est impossible. »1 Ces faits porteurs
d’avenirs ont été repris par les gurus de la prospective qui parlent des
signaux faibles ou de « battements d’aile de papillons ».
Comme pour les tableurs Excel, beaucoup d’énergie et d’argent sont
dispersés en vain. Ne partons donc pas à la chasse aux papillons et soyons attentifs
intensément à ce qui se passe ici et maintenant pour repérer les phénomènes porteurs de fractures
immédiatement identifiables. Comme lorsque
l’écureuil du film l’Âge de glace retire brutalement sa noisette, et que la rupture provoquée commence à
fissurer la banquise. Il s’agit d’anticiper
les conséquences et la propagation d’un changement dans la situation initiale. Si j’ai analysé
attentivement comment elle se compose et
quels sont les potentiels de la situation, je peux comprendre qu’un effet actuellement modeste va se propager.2
A l’opposé des signaux faibles, on trouve les ruptures majeures improbables, ces événements disruptifs qui n’ont quasiment aucune chance de se produire, mais qui, s’ils adviennent, vont tout changer. Ce sont eux que Nicholas Nassim Taleb appelle les « cygnes noirs » : un best-seller qui, à lui seul, peut faire la fortune ou non d’une maison d’édition ; les attentats du onze septembre qui viennent tout changer ; le ticket de loto gagnant pour un individu.3
A l’opposé des signaux faibles, on trouve les ruptures majeures improbables, ces événements disruptifs qui n’ont quasiment aucune chance de se produire, mais qui, s’ils adviennent, vont tout changer. Ce sont eux que Nicholas Nassim Taleb appelle les « cygnes noirs » : un best-seller qui, à lui seul, peut faire la fortune ou non d’une maison d’édition ; les attentats du onze septembre qui viennent tout changer ; le ticket de loto gagnant pour un individu.3
Or tous nos modèles nous amènent à nier l’existence de ces ruptures improbables
: nous lissons les situations, nous ne regardons que les moyennes. Nous croyons
le monde régi par la courbe de Gauss, or il n’en est rien : il suit les lois du
chaos.
Aussi, des événements très improbables peuvent-ils à tout moment avoir un
impact majeur.
Et d’ailleurs, comment savoir que tel ou tel événement est improbable ? D’où sort ce calcul, alors que nous ne
pouvons rien quantifier au-delà de
l’horizon du flou, horizon qui se rapproche sans cesse ? Avons-nous vraiment pu intégrer tous les aléas ?
Plutôt que de se centrer sur ce que l’on ne peut pas calculer – quelle est la probabilité que ceci ou cela se
produise ? –, ne serait-il pas plus efficace
et utile de chercher à répondre à la question : puis-je identifier des événements susceptibles de me mettre en
péril brutalement ? Que se passera-t-il
si ceci advient ? Quelle sera la portée des bouleversements ? Peut-on prendre
des dispositions maintenant pour limiter ces bouleversements ? En cas de
déclenchement de ce risque majeur, a-t-il des signes avant-coureurs qui peuvent déclencher une
alerte ?
Repensez à tout ce qui a été mis en place suite au tsunami survenu en décembre
2004 :
- Dispositif pour analyser en temps réel les secousses sismiques et évaluer si elles sont susceptibles de déclencher un tsunami,
- Équipements de tous les points sensibles de systèmes permettant de relayer immédiatement l’alerte,
- Modification des implantations des habitats,
- Élaboration de procédures d’évacuation dans ces mêmes zones,
- Entraînement avec tests des systèmes en place…
De même, une entreprise ne pourra pas éviter une rupture majeure improbable
si elle survient, mais elle pourra mieux y faire face si :
- Elle s’est organisée pour limiter son impact,
- Elle sait plus tôt identifier qu’elle survient,
- Elle diffuse plus vite l’alerte,
- Elle a préparé des scénarios d’action,
- Elle a entraîné son personnel à les mettre en œuvre.
(1) Pierre Gonod, Penser l’incertitude, p.2 ; Pierre Massé a notamment
été commissaire au Plan de 1959 à 1966
(2) « Le stratège chinois ne fait que dérouler la conséquence : de ce
facteur infime, à peine perceptible, il anticipe le déploiement. » (François
Jullien, Conférence sur l'efficacité, p.64)
(3) Au moment où je relis mon manuscrit, le nuage de cendres provoqué par
l’éruption du volcan islandais apporte un nouvel exemple de cygne noir.