7 févr. 2012

COMMENT POSER UN BON DIAGNOSTIC

Sortir de l’œil du cyclone (3)
Le projet connaît une crise majeure. Les inquiétudes de la Direction Générale sont prises en charge par des réunions et un agenda ad-hoc. Comment maintenant procéder au diagnostic et trouver les origines réelles du décalage ?
Il ne peut être question ici d’apporter une solution miracle, car il n’y en a pas. Toute situation est spécifique, et je ne crois pas à l’efficacité des recettes toutes faites.
Je vais « seulement » fournir trois clés qui sont utiles pour poser un bon diagnostic :
  •  Comprendre que chacun est « prisonnier » de son langage,
  • S’arrêter sur les situations où « Tout le monde est bien d’accord que… » et celles où « L’on ne comprend pas ce qui se passe, mais il est évident que ce n’est pas grave… »
  • Continuer tant que l’on n’est pas arrivé à formuler simplement le diagnostic
Revenons successivement sur ces trois points.
1. Comprendre que chacun est « prisonnier » de son langage
J’ai déjà eu l’occasion sur ce blog à de multiples occasions d’insister sur l’importance du langage, et des sources de malentendus qu’il provoque1. Pour résumer à l’extrême mon propos, je dirais que chacun pense d’abord au travers des mots qu’il emploie, avant de s’en servir pour communiquer. Ainsi l’action entreprise par chacun est dépendante de son propre langage.
Or, une action n’est que rarement juste ou fausse dans l’absolu, elle l’est par rapport à un contexte. Il faut donc faire exprimer à chacun les interprétations qui sous-tendent ses décisions, et sa compréhension de ce que l’on attend de lui.
Porter un diagnostic pertinent suppose donc de promouvoir une culture de la confrontation qui permet d’amener les équipes en place à matérialiser les vraies divergences et les vrais écarts.
2. S’arrêter sur les situations où « Tout le monde est bien d’accord que… » et celles où « On ne comprend pas ce qui se passe, mais il est évident que ce n’est pas grave… »
Compte-tenu de la complexité du projet, de la diversité des métiers et de la multiplicité des langages, il n’est pas normal d’être spontanément d’accord. L’accord doit être construit à partir d’une confrontation et d’un échange. Quand il est immédiat et à l’origine, c’est le plus souvent qu’il y a eu évitement et ignorance d’un point de vue. C’est une des sources potentielles majeures de dérive… car ce que l’on a évité, n’en est pas moins pas moins réel pour autant.
Idem pour les cas qui posent problème, mais ne semblent pas graves. Ce sont autant de signaux d’alerte sur lesquels il faut s’arrêter pour creuser, et chercher ce qui peut se cacher dessous.
3. Continuer tant que l’on n’est pas arrivé à formuler simplement le diagnostic
C’est peut-être le point qui vous paraîtra le plus surprenant, mais cela a toujours été un guide personnel : je sais, par expérience, que, si je ne suis pas capable d’expliquer quelque chose dans des termes simples, évidents et comme allant d’eux-mêmes, c’est que je ne suis allé assez en profondeur dans mon analyse.
Si l’explication du diagnostic est compliquée, si vous avez du mal à convaincre autour de vous de la justesse de votre analyse, un conseil : ne vous obstinez pas et retournez travailler un peu plus…
(à suivre)
(1) Voir mes articles ayant trait au langage

6 févr. 2012

PRENDRE EN CHARGE LE STRESS DE LA DIRECTION GÉNÉRALE

Sortir de l’œil du cyclone (2)
Après une phase initiale sans problèmes, le projet a dérapé, et voilà l’équipe de projet, et singulièrement son responsable, pris dans l’œil du cyclone : que faire ?
Première remarque : il ne faut pas céder à l’urgence et à la panique ambiante, car sinon il va être impossible de poser le bon diagnostic.
Je fais en effet l’hypothèse que les fondamentaux du projet ne sont pas en cause, et qu’il n’y a pas réellement  le « feu » : ce sont la pression environnante, et l’inquiétude des personnes non directement impliquées qui génèrent l’urgence.
Ce point est évidemment à vérifier en priorité, mais mon expérience m’a montré, que, sauf à avoir un chef de projet incompétent et/ou un projet mal construit dès le départ – les deux allant souvent d’ailleurs de pair –, cette situation n’était pas fréquente. Elle n’existe vraiment qu’en cas d’apparition de « cygne noir », c’est-à-dire d’un événement imprévisible et à forte portée.1
Dans la plupart des cas, l’urgence ne vient pas de l’importance réelle du décalage actuel, mais soit de l’anticipation des conséquences futures de ce décalage, soit de l’exagération due à la méconnaissance de la réalité.
Or si le problème à l’origine du décalage était évident, il n’y aurait pas de crise. Il est le fruit d’un dérèglement dont l’origine est cachée, et ce que l’on voit immédiatement, ce ne sont que les symptômes, pas les causes. Ce n’est donc pas dans la précipitation que le chef de projet risque de le résoudre.
Il est essentiel donc de se donner du temps.
Mais  on ne peut pas non plus laisser le stress de la Direction Générale monter, car, sinon, elle prendra des décisions immédiates sans attendre le diagnostic… et changera aussi de chef de projet, ce qui ne sera bon ni pour le projet, ni bien sûr pour son chef…
C’est à lui donc de gérer ces attentes immédiates.
Comment ?
-        En prenant sur lui cette pression et en protégeant le reste de l’équipe projet, et ceux qu’il veut impliquer dans le diagnostic,
-        En assurant la Direction Générale que la situation est sous contrôle et en relativisant les urgences.
Ceci suppose une forme de double agenda… ce qui ne veut en aucun cas dire un double langage : il n’est pas question de travestir la réalité, bien au contraire.
Ainsi les premières réunions avec la Direction Générale auront pour but de « la faire patienter » en explicitant par exemple la portée du décalage actuel et le caractère non irréversible des conséquences futures, les actions entreprises le cas échéant pour le contenir, le déroulement de l’analyse, …
En parallèle, il s’agit de porter le bon diagnostic. Comment ?
(à suivre)

3 févr. 2012

D’AUTRES ÉCRITURES NOCTURNES

Miroirs…
Il y a deux semaines, j’avais publié, sur ce blog, deux poèmes écrits dans la profondeur de quelques nuits perdues. L’accueil rencontré m’amène à récidiver. 
En voilà donc deux de plus, dont les mots et le rythme m’ont été inspirés par ceux de Léonard Cohen…
Cohen
Les mots de Cohen,  
Toujours et encore,
Dans le noir d’un passé repensé,
Cailloux de ma vie et mes heurts.
D'imperméables mouillés pour après-midis de solitude,
En « je suis ton mec » aux pieds d’Apollons de passage,
De Suzanne transformées en Jules, mais pas moins folles pour autant,
En Chelsea hotels où l’on me fit des exceptions,
De bêtes qui n’ont pas voulu aller dormir,
En cartes sans cesse retournées à la recherche de la bonne,
D'années qui passent sans que j’y prête attention,
En « tue moi si tu peux », « aime moi si tu veux »,
Des jours courus sur un fil, à la poursuite de ma liberté,
En une vie, ma vie,
Celle que je vis jusqu’à la fin de ma vie.
_____________
Cohen encore
Je suis là et ailleurs,
Dedans et dehors le monde.
Je le regarde, il me regarde,
Mais ni l’un ni l’autre ne nous comprenons,
Juxtapositions hexogènes,
Étrangers en mal de compagnie.
Je suis Isaac derrière son père,
Montant sans savoir pourquoi,
Réveillé par un futur qui sonne comme un tocsin,
Par une porte ouverte lentement,
Par ce qui est entré.
Je suis là, et il est devant moi,
Je le tuerai si je dois, je l’aiderai si je peux,
Je l’aiderai si je dois, je le tuerai si je peux.
Comment vivre ensuite, sachant cela ?

2 févr. 2012

TOUT PROJET MAJEUR RENCONTRE DES CRISES

Sortir de l’œil du cyclone (1)
Tout projet majeur de transformation connaîtra, à un moment ou à un autre, une crise importante, et le plus souvent plusieurs.
Pourquoi ?
Précisons d’abord ce que j’entends par projet majeur de transformation. Il s’agit d’un projet complexe, c’est-à-dire soit multi-métier, soit multi-géographique, soit multifonctionnel… et le plus souvent une combinaison des trois, et qu’il se déroule sur une période dépassant l’année, souvent sur trois à cinq ans. Ce peut être par exemple la refonte d’un système informatique, la mise en place d’une nouvelle organisation ou l’intégration d’une nouvelle entreprise.
Pourquoi donc un tel projet rencontrera-t-il nécessairement une ou plusieurs crises ?
Parce que, même s’il a été parfaitement élaboré – ce qui n’est pas toujours le cas… –, son organisation, son planning, les allocations de ressources, etc. reposent sur une certaine vision du monde et une prévision des évolutions à venir, ceci au moment de sa définition.
La montée des incertitudes rendra, à un moment ou à un autre, cette prévision et cette vision du monde, même si elles ont été exactes à un instant t, caduques. Il se produira alors un décalage entre la vision et la réalité, décalage qui se matérialisera par un dérapage soit des délais, soit des coûts, soit des résultats obtenus… soit une combinaison des trois.
Face à ces décalages, les Directions Générales sont le plus souvent prises de court. Or, elles sont elles-mêmes soumises à une pression croissante concernant l’atteinte des objectifs annoncés, le respect des délais et la compression des coûts.
Se déclenche à ce moment-là une crise, et l’équipe en charge du projet, se retrouve dans l’œil du cyclone.
Que faire et comment s’en sortir ?
(à suivre)

1 févr. 2012

NON, LE TRAVAIL N’EST PAS UNE MARCHANDISE !

Faire des calculs sur le coût du travail n’a pas grand sens
La quasi-totalité des hommes politiques, de gauche comme de droite, et des économistes continuent à considérer que le travail est une quantité que l’on peut additionner et multiplier. Il en était ainsi lors des débats sur les 35 heures, il en est ainsi aujourd’hui quand on parle du coût du travail.
Or les activités humaines ne se prêtent pas aux règles de trois, et heureusement ! C’est déjà ce que j’indiquais dans mon livre, Les mers de l’incertitude, quand je m’attaquais aux dangers de la mathématisation du monde.  J’y écrivais notamment : 
« Si un bagagiste ramasse en moyenne N bagages par heure, combien deux bagagistes en ramasseront-ils ? 2N ? Oui, si l’on applique brutalement le calcul mathématique. C’est ce que l’on fait classiquement. Non, si l’on tient compte de ce que les hommes ne sont pas des objets théoriques dont on peut négliger le comportement. Pourquoi considérer qu’ils ne peuvent pas se mettre à discuter ensemble ou, à l’inverse, profiter chacun de l’expertise de l’autre pour accroître leur rendement individuel ? Les hommes ne sont pas des objets que l’on peut additionner ou multiplier. Faut-il s’en plaindre ?
Malgré tout, nous continuons à ramener le comportement humain à des équations simples et à manipuler les hommes à coup de règles de trois. Quelques exemples :
  • Dans la plupart des démarches de productivité, on calcule combien de temps en moyenne une personne met pour effectuer une tâche. Puis connaissant le nombre de tâches à effectuer par jour, on en déduit combien de personnes sont nécessaires. Comme s’il n’y avait aucun effet lié au nombre de personnes.
  • Pour accélérer le déroulement d’un projet informatique, on double le nombre de personnes impliquées en faisant l’hypothèse que le délai sera divisé par presque deux.
  •  Les approches sur les conséquences de la réduction du temps de travail, considèrent que la quantité de travail est une donnée qui se divise, se multiplie et se répartit. La réalité dément quotidiennement ces calculs. »
Comment ne pas voir dès lors l’absurdité de ramener la compétitivité des entreprises, au coût du travail en France ?
Comment ne pas voir que, en dehors des taches simples et répétitives qui ne représentent, Dieu merci, plus que la minorité du travail, la performance est d’abord liée à l’engagement individuel et collectif, au niveau de formation, à la capacité à travailler ensemble ou à la compréhension de son rôle dans un processus industriel complexe ?
Comment donc penser que c’est en agissant sur la variable du coût du travail, et en plus dans des proportions faibles, que l’on va redévelopper l’emploi industriel en France ?
C’est décidément bien peu comprendre ce que sont les réels modes de fonctionnement des entreprises, et ce qui fait la performance dans le monde globalisé de l’incertitude, le Neuromonde comme je l’appelle.
C’est aussi absurde que de penser, que l’on va mettre moins de temps pour aller de Paris à Lyon par autoroute, en changeant de voiture. Le temps de parcours dépend d’abord des embouteillages, des travaux éventuels et de la météo et du type de conduite. La voiture intervient bien peu, puisque toutes les voitures peuvent atteindre des vitesses moyennes largement supérieures à 130 km/h… Alors arrêtons de parler des voitures, et abordons les vrais sujets.
Est-ce être utopiste que d’espérer que les discours et les actes politiques se raccordent au réel et ne manipulent plus des fictions mathématiques ?

31 janv. 2012

LABEL FRANCE : ET SI BAYROU AVAIT RAISON ?

Pourquoi ne pas parier sur le civisme des Français ?
Quand François Bayrou a proposé la création d’un label France pour relancer l’emploi industriel sur notre territoire, la plupart des commentateurs, qu’ils viennent du monde politique ou journalistique, en ont plaisanté, soit parce qu’il trouvait cette idée inapplicable, soit parce qu’il la pensait inefficace.
Reprenons chacun de ces deux points.
Inapplicable donc. Ses détracteurs ont indiqué, à juste titre, que les processus de production étant très imbriqués, et que souvent les usines situées en France n’étant que des usines d’assemblage, un tel label n’avait pas grand sens.
Certes, mais il y a une donnée qui serait finalement assez facilement mesurable : la part de valeur ajoutée réalisée en France. Pour cela, il suffirait que, lors de la vente d’un quelconque produit, l’entreprise soit tenue d’indiquer cette part.
Comment cela pourrait-il fonctionner ?
-        Si l’entreprise a fabriqué ce produit complètement, à 100 % dans ses usines, elle connaît la part réalisée en France, et pourrait donc facilement l’indiquer. Afin de ne pas créer une usine à gaz, on pourrait se contenter d’une exactitude à 5, voire 10 % près.
-        Si elle ne l’a pas complètement fabriqué, c’est donc qu’elle a intégré des composants achetés à d’autres entreprises. Comme lors des achats, la part réalisée en France figurera sur ces composants, il lui sera aussi facile de calculer la part finale.
-        Restera bien sûr l’amorçage du processus, notamment sur les stocks anciens, pour lesquels l’information n’existera pas au départ. Mais vu l’organisation industrielle qui est de plus en plus en flux tendu, cette limite sera de courte durée.
On peut donc avoir pour chaque produit vendu sur le marché final, une estimation de la part de valeur ajoutée faite en France. Le coût d’une telle évaluation serait minime, car elle deviendrait un calcul informatique automatique.
Comment ensuite communiquer ceci auprès des acheteurs ?
Pourquoi ne pas imaginer trois labels matérialisant la part de valeur ajoutée réalisée en France : par exemple plus de 25% (« assemblé en France »), plus de 50% (« fabriqué en France ») et plus de 75% (« Tout en France »). On aurait donc une modulation qui permettrait à des produits uniquement assemblés en France d’obtenir le label (je pense par exemple aux usines automobiles de marques étrangères), mais d’être différenciés de ceux plus complètement fabriqués sur le sol national.
Comment contrôler l’exactitude de ce taux ? S’agissant d’une nouvelle norme, un contrôle par l’AFNOR s’impose.
Reste maintenant l’autre reproche : ce serait inefficace, car les consommateurs veulent toujours acheter le moins cher possible.
Je ne suis pas sûr du tout de cette affirmation, et je pense au contraire l’inverse : si les consommateurs étaient informés de la part réalisée en France, avec les 3 niveaux, cela orienterait leurs achats vers les produits les plus fabriqués en France. Bien sûr cette préférence ne serait possible que si les performances et les prix étaient proches, et si l’impact sur le pouvoir d’achat restait limité.
Difficile de démontrer évidemment mon affirmation que cela marcherait, mais pourquoi toujours parier sur le manque de civisme et l’incohérence de nos concitoyens ? Pourquoi ne pas parier  sur l’intelligence individuelle et collective ?
Et même si ce déplacement était modeste, il induirait de fait un encouragement à la localisation d’activités en France. De plus c’est un procédé libéral, qui ne crée pas de biais sur le marché, et dont le coût pour l’État est voisin de zéro.
Alors pourquoi ne pas le mettre en œuvre ?
La logique aussi voudrait ensuite d’avoir un label du même type au plan européen, permettant de mettre aussi en relief les produits dont la part de valeur ajoutée est essentiellement européenne.
Et quelle pourrait bien être une meilleure idée, sachant que je ne crois pas au dirigisme, ni une politique industrielle impulsée par l’État : comment imaginer que la réponse efficace à la montée de l’incertitude serait dans une centralisation des décisions ?

30 janv. 2012

QUI ARRÊTERA L’HÉMORRAGIE FINANCIÈRE DES PME AU PROFIT DE LA DISTRIBUTION, DES BANQUES ET DES GRANDES ENTREPRISES ?

Tant que le transfert de propriété aura lieu à la livraison, et non pas au paiement, nous n’aurons pas d’entreprises moyennes
En octobre 2011, dans un article intitulé Faut-il que les PME financent les grandes entreprises ?, je faisais part de mon scepticisme sur les plans en faveur des PME, ayant l’impression depuis trente ans d’entendre la même ritournelle. Pourquoi celle-là serait-elle la bonne ?
J’insistais aussi sur ce qui me semblait la réelle origine du problème, à savoir le crédit inter-entreprises, et en le reliant aux modalités du transfert de propriété. Les commentaires provoqués et diverses discussions m’amènent à revenir dessus et à préciser mon propos.
Tout d’abord, rappelons nous que le problème français n’est pas d’abord la création d’entreprises et le manque de petites entreprises, mais son déficit en entreprises moyennes. Pourquoi ce déficit est-il source d’un manque de compétitivité très importante ? Je vois trois raisons essentielles :
-        Les entreprises moyennes sont celles qui sont capables d’avoir des positions de leadership au plan mondial. La démonstration en est faite par l’Allemagne, dont les performances de la balance commerciale reposent largement sur son tissu d’entreprises moyennes.
-        Elles sont à même de mieux structurer l’innovation et d’assurer comme une courroie de transmission entre petites et grandes entreprises.
-        Le déficit en entreprises moyennes empêche le bon renouvellement des grandes entreprises françaises, et freine la respiration de notre économie. En effet, aucune entreprise ne peut devenir « grande » sans passer par la case « moyenne » !
Voilà donc pourquoi la priorité devrait être donnée au développement d’entreprises moyennes.
De ce point de vue, les mesures en faveur des PME que vient d’annoncer François Hollande et qui modulent l’impôt en fonction de la taille, en donnant la priorité aux plus petites, passent à côté du sujet…
Pourquoi maintenant le crédit inter-entreprises, et les modalités du transfert de propriété sont-ils l’origine du problème.
Je rappelle que :
-        Dans le droit latin, le transfert est effectué à la livraison. L’acheteur n’est donc pas juridiquement contraint à le payer, avant de le transformer ou le revendre. Le délai de paiement est issu du rapport de forces entre l’acheteur et le fournisseur. Aussi dès que l’acheteur est une grande entreprise, le rapport de forces lui étant favorable, le délai de paiement se rallonge.
-        Dans le droit anglo-saxon, le transfert de propriété n’est pas effectué à la livraison, mais au paiement. Aussi, si une entreprise veut transformer un bien en l’intégrant dans son processus de production, ou le revendre à un client, elle ne peut le faire qu'après l’avoir effectivement payé. D’où le développement du paiement comptant, ou quasi comptant.
Au vu de l’allongement des délais de paiement, on a en France cherché à compenser ceci d’abord par l’institution d’une clause de réserve de propriété, puis par une loi d’août 2008 disant qu’aucun délai de paiement ne doit être supérieur à 45 ou 60 jours.
Mais, tout ceci reste de portée limitée, car comme c’est à la PME de, soit imposer la présence d’une clause de réserve de propriété dans le contrat, soit de se retourner contre son client en cas de retard de paiement, elle ne le fait que si le rapport de force lui est favorable… c’est-à-dire jamais ou presque.
Quelles sont les conséquences de ces délais de paiement ?
Calculons l’effet de 30 jours supplémentaires. Tout délai supplémentaire d’un mois représente un besoin de trésorerie de un douzième du chiffre d’affaires, soit environ 8%. Pour une entreprise en croissance rapide, disons une croissance de 30%, ce mois supplémentaire représente plus de 10% du chiffre d’affaires de l’année passée. Pour financer ce besoin en trésorerie, le dirigeant va devoir se retourner vers sa banque, pour avoir un prêt court terme. Pour cela, la banque lui demandera des garanties personnelles, et le taux annuel sera supérieur à 5%, et souvent proche de 10%.
Donc 30 jours supplémentaires se traduisent pour une PME en forte croissance dans un surcoût de l’ordre de 1%. Comme l’écart avec les entreprises allemandes est souvent de 60 jours de délai de paiement, le surcoût est de 2%. Toute PME en croissance rapide doit donc consacrer souvent 2% de son chiffre d’affaires de l’année passée, juste pour financer son besoin de trésorerie. Il lui faut donc des niveaux de profit exceptionnels pour pouvoir grandir et financer tout le reste !
Il y a plus. Comme la banque demande des garanties personnelles, le dirigeant ne pourra plus les apporter dès que la taille de son entreprise deviendra plus grande, car son patrimoine, sauf exception, sera trop petit face au besoin de financement. Ceci bloque donc le développement au-delà d'une certaine taille. Faudrait-il que les banques ne demandent plus de telles garanties, et ne financent qu’au vu du projet ? Au moment où l’on veut diminuer les risques pris par les banques et que l’on veut limiter leurs activités spéculatives, je ne suis pas certain que ce soit la meilleure voie.
Ne serait-il pas plus simple de modifier notre droit, et nous aligner sur le droit allemand, en faisant que la règle soit le transfert de propriété au paiement.
Mais il est vrai que tout ceci mettrait à mal toute la grande distribution et bon nombre de grandes entreprises...
Alors arrêtons de nous lamenter sur le manque d’entreprises moyennes, notre déficit commercial et la dégradation de l’emploi.
A moins que les élections à venir soient l’occasion de traiter les problèmes, et non plus les symptômes…

27 janv. 2012

“I HAVE TRIED IN MY WAY TO BE FREE”

Ballade aléatoire et subjective
Promenade dans les mots de Léonard Cohen, avec lesquels j’ai joué pour les décomposer et les recomposer…
Ah, the moon's too bright, the chain's too tight, the beast won't go to sleep.
I’m turning tricks, I’m getting fixed, I’m back on Boogie Street.
Here I stand, I'm your man.
Dance me to the end of love.

You want to travel with him, and you want to travel blind, 
and you think maybe you'll trust him for he's touched your perfect body with his mind.
Like any dealer he was watching for the card that is so high and wild he'll never need to deal another.
It opens do not be afraid, it's you my love, you who are the stranger.

And what can I tell you my brother, my killer, what can I possibly say? 
I guess that I miss you, I guess I forgive you, I'm glad you stood in my way.
If I, if I have been unkind, I hope that you can just let it go by. 
If I, if I have been untrue I hope you know it was never to you.
When it all comes down to dust, I will kill you if I must, I will help you if I can.
When it all comes down to dust, I will help you if I must, I will kill you if I can.
Oh like a bird on the wire, like a drunk in a midnight choir, I have tried in my way to be free.

26 janv. 2012

POSSIBLES, IMPOSSIBLES ET RÉALITÉ

Perdu dans les alvéoles de la Bibliothèque de Babel
Que veut dire qu’un état est possible ? Est-ce à dire qu’il va se réaliser ? Non, cela indique seulement qu’il est susceptible de l’être, qu’il n’est pas impossible. Ni plus, ni moins.
Faisons un détour par la Bibliothèque de Babel1, une nouvelle de Jorge Borges. Cette bibliothèque contient tous les livres susceptibles d’être écrits, dans le passé comme dans le futur. Comment est-ce possible ? Simple et lumineux : les livres qui la composent, regroupent toutes les combinaisons imaginables entre les lettres. Il y a donc une quasi infinité de livres, sur une quasi infinité d’étagères, dans une quasi infinité d’alvéoles. Les bibliothécaires s’y promènent, prenant en main, de temps en temps, un livre et s’extasiant quand ils tombent sur une phrase qui a un sens. Car bien sûr dans cet océan des possibles, il y a d’abord des combinaisons qui n’ont aucun sens.
Dans la nouvelle, l’un d’eux disserte sur l’idée qu’il pourrait y avoir un chemin, une façon de trouver les livres comprenant au moins des paragraphes porteurs de significations. Mais c’est évidemment impossibles : face à l’infini des possibles, il est impossible de trouver le chemin du réel, c’est-à-dire du sens. Et pourtant comme l’a écrit Borges : « Il suffit qu’un livre soit concevable pour qu’il existe. Ce qui est impossible est seul exclu. (…) Cette inutile et prolixe épître que j’écris existe déjà dans l’un des trente volumes des cinq étagères de l’un des innombrables hexagones – et sa réfutation aussi ».
Ainsi va notre Univers qui agrandit sans cesse sa bibliothèque de Babel, et nous perd dans les méandres de ce qui n’existera jamais.
(1) Fictions, Folio 1957

25 janv. 2012

« C’EST LE RÉEL QUI FAIT LE POSSIBLE, ET NON PAS LE POSSIBLE QUI DEVIENT RÉEL »

Est-il possible de penser le temps et le possible ?
Patchwork de « Le possible et le réel » de Henri Bergson
Sur le temps
« Le temps est ce qui empêche que tout soit donné d’un coup. Il retarde, ou plutôt il est retardement. Il doit donc être élaboration. »
« Demain n’existe pas ; rien de ce qui se passera demain n’existe. Par conséquent, demander si cette proposition : « Je me promènerai demain » est vraie ou fausse, c’est poser une question qui n’a pas de sens, parce que c’est demander si cette proposition est conforme ou contraire à ce qui existe, et que demain n’existe pas encore, n’existe pas maintenant. »
« Il est du caractère de la vérité, dès qu’elle nous apparaît comme vérité, de sauter hors du temps et de nous apparaître comme intemporelle. Pourquoi cela, et quelle est la racine de cette illusion ? Elle tient, Messieurs, à ce que j’indiquais tout à l’heure, au caractère essentiellement mathématique de notre esprit. Je disais que nous ne sommes à notre aise que dans les mathématiques. Le caractère des vérités mathématiques, c’est précisément d’être intemporelles, d’être indépendantes du temps. (…) Une proposition comme celle-ci :  « Je me suis promené hier »… a ceci de commun avec les propositions mathématiques qu’à partir du moment où elle est vraie, à partir du moment où elle est devenue vraie, elle reste éternellement vraie. (…) Seulement les vérités mathématiques ont ceci de remarquable que bien qu’elles aient été découvertes à une certaine date, leur éternité remonte en arrière à l’infini. Cette proposition relative au triangle : « La somme des trois angles d’un triangle est égale à deux droits », cette vérité, quoiqu’ayant été découverte à un moment déterminé, est une vérité éternelle, qui a remonté en arrière, cela est vrai de toute éternité. »
Sur le possible et le réel
« Je voudrais revenir sur un sujet dont j’ai déjà parlé, la création continue d’imprévisible nouveauté qui semble se poursuivre dans l’univers. Pour ma part, je crois l’expérimenter à chaque instant. J’ai beau me représenter le détail de ce qui va m’arriver : combien ma représentation est pauvre, abstraite, schématique, en comparaison de l’événement qui se produit ! »
« La réalité est croissance globale et indivisée, invention graduelle, durée : tel un ballon élastique qui se dilaterait peu à peu en prenant à tout instant des formes inattendues. »
« Dans ce sens particulier, on appelle possible ce qui n’est pas impossible. (…) Possible signifiait tout à l’heure « absence d’empêchement. »
« C’est le réel qui fait le possible, et non pas le possible qui devient réel. »
Sur la pensée rétrograde
« Je dis qu’il y a des pseudo-problèmes, et que ce sont les problèmes angoissants de la métaphysique. Je les ramène à deux. L’un a engendré les théories de l’être, l’autre les théories de la connaissance :
-        (Le premier) ne se pose que si l’on se figure un néant qui précéderait l’être. On se dit : « Il pourrait ne rien y avoir. » (…) Mais analysez cette phrase : « Il pourrait ne rien y avoir. ». Vous verrez que vous avez affaire à des mots, nullement des idées, et que « rien » n’a ici aucune signification. (…) Nous ne percevons que du plein. (…) Ou l’idée d’une suppression de tout a juste autant d’existence que celle d’un carré rond.
-        Tout désordre comprend ainsi deux choses : en dehors de nous, un ordre ; en nous, la représentation d’un ordre différent qui est seul à nous intéresser. »
« Comment ne pas voir que si l’événement s’explique toujours, après coup, par tels ou tels des événements antécédents, un événement tout différent se serait aussi bien expliqué, dans les mêmes circonstances, par des antécédents autrement choisis – que dis-je ? par les mêmes antécédents autrement découpés, autrement distribués, autrement aperçus enfin par l’attention rétrospective ? »
« A toute affirmation vraie nous attribuons ainsi un effet rétroactif ; ou plutôt nous lui imprimons un mouvement rétrograde. (…) Elle paraît ainsi avoir préexisté, sous forme de possible, à sa propre réalisation. De là une erreur qui vicie notre conception du passé ; de là notre prétention d’anticiper en toute occasion l’avenir. »
« Les signes avant-coureurs ne sont donc à nos yeux des signes que parce que nous connaissons maintenant la course, parce que la course a été effectuée. »