En situation de combat réel, pas d’autres alternatives que de faire face
l’incertitude
En avril dernier, lors d’une
conférence tenue à Bordeaux, j’ai eu l’occasion d’intervenir aux côtés du
Général Vincent Desportes, notamment ancien commandant de l’École de Guerre.
J’avais pu voir alors combien nos visions étaient proches, et nos approches vis
à vis de l’incertitude étaient complémentaires. Le management des entreprises a
beaucoup à apprendre de l’expérience accumulée par les militaires, notamment
quant à l’importance des réserves, et d’avoir un mode de management
décentralisé et responsabilisé.
Voici un patchwork tiré de son
livre « Décider dans
l’incertitude », livre dont je recommande la lecture.
Sur le « brouillard de la
guerre »
C'est d'ailleurs là, peut-être, la leçon
essentielle de Clausewitz : il nous dit qu' « il n'existe pas d'autre activité
humaine qui soit si continuellement et si universellement contrainte par le
hasard et que, en raison de ce dernier, la conjecture et la chance y jouent un
rôle essentiel. » et affirme encore que « la guerre est le royaume de
l'incertitude, trois quarts des éléments sur lesquels se fonde l'action restant
dans les brumes d'une plus ou moins grande incertitude. »
Napoléon l'exprime clairement : « La guerre n'est
faite que d'événements fortuits ; un général devrait toujours conserver
l'élément qui lui permettra d'en tirer parti. »
Sur la nécessité d’avoir des réserves
Pour Churchill, l’engagement de la réserve
représente même la responsabilité majeure du chef ; cette décision prise, ce
dernier ne peut plus guère influer sur l’événement : « C’est dans l’utilisation
et la préservation de leur réserves que les grands chefs ont généralement fait
preuve d’excellence ; après tout, une fois que la dernière réserve a été
engagée, leur rôle est achevé … l'événement peut être confié au courage et aux
soldats.
La question des réserves financières renvoie plus
largement à celle de la logistique et
des principes de « flux tendus » ou du « juste à temps ». (…) On connaît les
effets désastreux produits par les aléas (les grèves en particulier) sur des
entreprises ayant abusé de ces principes pour diminuer leurs coûts de revient.
Le point n'est pas de trancher ici définitivement entre les avantages
comparatifs des logistiques de stocks et des logistiques de flux, mais il est
de rappeler que les méthodes qui tendent à prévaloir dans le milieu de
l'entreprise sont à adopter avec prudence dans le cadre de l'action militaire
où il serait présomptueux de nier le caractère inéluctable de la friction.
Sur la décentralisation et le mode de management
Plus encore, la logique de l'ordre de niveau
supérieur doit toujours, elle aussi, être donnée aux subordonnés (…) Le
lieutenant sait donc commander une compagnie et le capitaine un régiment, ce
qui leur permet de bien replacer leurs propres actions dans le cadre de celle
de leur supérieur dont ils perçoivent naturellement les problématiques. Ce
principe favorise clairement l'efficacité opérationnelle.
« Un commandement supérieur comprimant
systématiquement la pensée et la volonté de ses subordonnés, prétendant manier
ses troupes à lui seul, comme s’il s’agissait des pièces aux échecs, ne pouvait
s’étonner d’avoir à ses côtés, aux heures difficiles, de simples pions au lieu
d’énergiques auxiliaires. » (Ferdinand Foch, De la conduite de la guerre)
Pour lui, « un trait caractéristique notable,
chez tous les chefs français était leur complète passivité qui attendait constamment
l'impulsion du dehors. Les généraux français ne marchaient qu'en vertu d'ordres
fermes venus d'en haut ; chacun s'attachait, pour l'exécution de ces ordres, à
la lettre, et se trouvait complètement déconcerté quand survenait tout à coup
une situation imprévue. » (Ferdinand Foch, De la conduite de la guerre)
Dans le quatrième chapitre des Principes (…)
(Foch) propose une définition claire de la vraie discipline : «Être discipliné
ne veut pas dire qu'on ne commet pas de fautes contre la discipline; être
discipliné ne veut pas dire davantage qu'on exécute les ordres reçus dans la
mesure qu'il paraît convenable, juste, rationnelle ou possible, mais bien qu'on
entre franchement dans la pensée, dans les vues du chef qui a ordonné et qu'on
prend tous les moyens humainement praticables pour lui donner satisfaction.
Être discipliné ne veut pas dire encore se taire, s'abstenir ou ne pas faire ce
que l'on croit pouvoir entreprendre sans se compromettre, l'art d'éviter les
responsabilités, mais bien agir dans le sens des ordres reçus, et pour cela
trouver dans son esprit, par la recherche, par la réflexion, la possibilité de
réaliser ces ordres ; dans son caractère, l'énergie d'assurer les risques qu'en
comporte l'exécution. En haut lieu, discipline égale donc activité de l'esprit,
mise en œuvre du caractère. »
Ils rejoignent en cela les anglo-saxons qui -
particulièrement dans les opérations dites de «basse intensité» dont le rythme
lent facilite l'ingérence des échelons supérieurs - redoutent de plus en plus les
effets du «long handled screwdriver ». Ce nouveau tournevis électronique à long
manche permet techniquement en effet, depuis" les hauteurs stratégiques,
de régler les micro-problèmes tactiques d'une situation dont on est
physiquement coupé et dont on n'est donc pas en mesure de comprendre la
complexité.
Selon le document général de doctrine de l'armée de terre britannique le
Mission Command comprend cinq éléments clefs:
1) un chef doit donner ses ordres de manière à ce que ses subordonnés
comprennent ses intentions, leurs propres missions et le contexte de ces
missions ;
2) on doit indiquer clairement aux subordonnés quel est l'effet à obtenir
et les raisons qui le justifient ;
3) les subordonnés sont dotés des ressources suffisantes pour réaliser
leurs missions ;
4) le chef réduit au minimum les mesures de contrôle de manière à ne pas
restreindre la liberté d'action de ses subordonnés ;
5) les subordonnés décident eux-mêmes la
meilleure manière de réaliser leurs missions.
Sur l’importance de l’émergence
« Le Général en chef exerce finalement une faible
influence sur les épisodes décisifs de la guerre ». (Ferdinand Foch, De la
conduite de la guerre)
Si l'on reprend l'analyse de Dominique Genelot,
l'action conduite sera finalement une conjonction de l'intentionnel, du « délibéré » - relevant donc de la prévision et
de la planification - et de « l'émergent » - opportunités ou inopportunités -
imprévu par construction puisqu'il n'a pas été pris en compte lors de la
planification.