18 févr. 2018

COMMENT ASSUMER L’ALIEN QUI EST EN MOI ?

Extrait de mon livre "Coming in" : L’Alien
« Dans ma maison en Provence, j’avais patiemment remonté tous les murs en pierres sèches. J’avais appris l’art de poser à cru les pierres les unes sur les autres. Trouver d’un coup d’œil laquelle saisir. Comprendre que le plus facile et le plus efficace, ce n’était pas d’accorder la priorité aux grosses pierres. Non, car rarement elles s’emboiteraient ensemble. Mieux valait se servir des petites, puis poser de temps en temps des grandes pour relier le tout. Et finir par une rangée où elles étaient posées en vertical, la compression assurant la solidité. J’arrivais ainsi à monter des murs de deux mètres de haut.
J’avais fait pareil avec ma vie. Depuis vingt ans, j’avais posé une pierre après l’autre. Rien de gros, rien de spectaculaire. Juste de petites pierres. Un geste après l’autre. Une réunion après l’autre. Un dîner après l’autre. Un mensonge après l’autre. Le tout aboutissait à un mur immense et résistant à tous les chocs. Au cœur, bien caché, végétait mon Alien. Un homosexuel qui, afin de ne pas exploser, éjaculait dans des saunas ou des bars obscurs. Vidange nécessaire et sans lendemain. Oui, un tout solide, à défaut d’être cohérent. Aucun ciment, aucun liant, juste des pierres. Sèches. Sec.
Décider de rejoindre Marc dynamiterait ce mur. Me dynamiterait. De ma nouvelle vie potentielle avec lui, je n’avais aucun repère, aucune expérience. Ce futur inconnu n’était pas moi. Du moins ni le moi d’hier, ni le moi d’aujourd’hui. Quitter Cécile et les enfants, c’était me quitter. Tout le monde ne me connaissait que grimé et déguisé. Mes amis, mes camarades de travail, ma famille. Tout le monde. 
Que deviendrais-je ? A leurs yeux, je n’existerais plus. Sans mur, je ne serais rien. Le mur n’était pas une protection, il était moi. Sans lui, je me dissoudrais. Il n’était pas ma carapace, mais mon ossature. Sans lui, je serais flasque, mou, sans consistance.
Mais, rester avec Cécile n’avait pas non plus de sens. L’Alien ne rentrerait plus jamais dans sa niche, je le savais. Il était sorti pour de bon. Je sentais encore dans ma chair le moment où, dans l’avion pour Cagliari, il avait surgi et m’avait pour un temps dévoré, englouti. Ensuite, il avait laissé un peu d’espace à mon passé. Un peu, mais pas tout. Il était là et bien là. J’étais définitivement un "Je-Il".
L’Alien tapait chaque jour plus fort contre les fondations qui me soutenaient. Mon mur n’y résisterait pas. Pas longtemps. Déjà il se fissurait. Le barrage volerait bientôt en éclat, et le torrent de l’eau contenue me submergerait.
Que faire ? »

16 févr. 2018

JE PENSE AU TRAVERS DE MES LANGAGES

C’est grâce à nos langages que nous interprétons le monde dans lequel nous vivons 
Nos langages ne sont pas seulement les langues que nous maitrisons. Ainsi les mathématiques ou le jeu d’échec sont aussi des langages : 
- Là où le profane ne voit que des assemblages de lettres, de chiffres et de symboles, le mathématicien lit le problème et architecture des solutions,
- Si l’on présente à ce joueur d’échec des pièces correspondant à une partie réellement jouée, il lit la configuration, la mémorise très rapidement, et pourra la reproduire sans se tromper. Si les pièces sont posées au hasard, il ne verra plus de configuration et aura autant de difficulté qu’un débutant à se souvenir de la localisation des pièces. 
- De même un Chinois, face à un texte écrit en mandarin, lit les caractères, là où je ne vois que des traits que je suis incapable de reproduire. Si ces caractères étaient des traits faits au hasard, il se retrouverait dans la même situation que moi.
Ainsi, chacun de nous détient un ensemble de langages – les langues que nous maitrisons, les expertises acquises, notre histoire familiale et personnelle –, et c’est grâce et à travers eux que nous sommes à même d’interpréter le monde dans lequel nous vivons et d’en extraire des informations et du sens. 
L’entreprise, elle aussi, se nourrit d’interprétations. Comme pour un individu, elles reposent sur des langages. Les langages sont essentiellement ceux des mots, mais pas seulement : chaque population technique a son propre langage qui est un de ses vecteurs d’efficacité. Les mots eux-mêmes dans une grande entreprise relèvent des langues multiples : même s’il existe toujours une langue dominante qui sert de support à la communication collective, cela suppose pour bon nombre un double effort de traduction.
Comment franchir ces obstacles en entreprise ? Un des leviers est la construction d’une culture commune, c’est-à-dire d’un langage commun. Ce langage repose sur un ensemble de signes verbaux et non verbaux qui sont des raccourcis permettant à chacun d’échanger et de construire une compréhension commune face à une situation donnée.

14 févr. 2018

IL EST IMPOSSIBLE DE SE COMPRENDRE… QUOIQUE…

Comment communiquer ?
Prenons un cas extrêmement simple : vous voulez parler, pour une raison ou une autre, d’une table. Vous employez le mot sans précaution particulière, sans y mettre aucun affect. Vous parlez « techniquement » d’une table. Vous êtes neutre et calme. 
Normal, non, puisque la table est un objet simple que tout le monde connaît. Aucun risque de ne pas être compris. Pas de problème, pas de raison de « se prendre la tête », n’est ce pas ?
Oui, mais il se trouve que celui à qui vous parlez a un père menuisier qui avait pour spécialité de faire des tables. Toute son enfance, votre interlocuteur l’a passée auprès de ce père, sa mère étant morte alors qu’il était très jeune. Un père castrateur, donneur de leçons et qui lui répétait tout le temps : « Tu vois, des tables comme celles-là, tu ne sauras jamais en faire. ». 
Quelques années plus tard, il s’était orienté vers une école d’ingénieur. Pour prouver à son père que, s’il ne pouvait pas faire des tables comme les siennes, il avait d’autres talents.
Tout cela est bien loin maintenant, puisqu’il a près de cinquante ans. Certes, mais son père vient de mourir. La semaine dernière. L’enterrement était hier.
Et vous êtes debout, face à lui, vous son supérieur hiérarchique. Et vous lui parler de table. Du coup, tout son passé lui revient. Il ne vous écoute plus. Il est ailleurs…
Évidemment cette histoire est caricaturale, et vous n’avez à peu près aucune chance de vous retrouver dans une situation aussi extrême. 
Mais à chaque fois que vous exprimez quelque chose – quoi que ce soit –, vous employez des mots qui, pour vous, correspondent au sens que vous voulez donner, à votre interprétation : vous parlez à partir de votre histoire et de votre vision du monde.
Votre interlocuteur, celui qui reçoit votre message, l’interprète lui à partir de son histoire, son expérience et l’ensemble de ses ressorts émotionnels propres.
Difficile de se comprendre… sauf si l’on a pris le temps de comprendre quel est celui à qui l’on s'adresse, ou que l’on arrive à construire une histoire qui parlera à tous. Une parabole comme dans la bible par exemple…
Me suis-je fait comprendre ? J

12 févr. 2018

VAINCRE LA GUEULE DE BOIS DE LA DÉPENSE PUBLIQUE

Extrait de "2017 : le Réveil Citoyen"
Il y a deux ans, je publiais mon livre « 2017 : Le réveil citoyen », un essai politique qui comprenait à la fois un diagnostic et un ensemble de propositions. 
J’y abordais notamment un sujet qui reste toujours d’actualité : notre maladie de la dépense publique. En voici, quelques extraits…
"Depuis tant de matins, la France se lève avec une solide gueule de bois. Depuis tellement d’années qu’elle fait la fête grâce à la dépense publique. Quand elle a un problème, c’est sa recette miracle : trop de chômeurs ? Qu’à cela ne tienne, on va augmenter les allocations. Pas assez de logements ? Qu’à cela ne tienne, on va inventer une aide fiscale de plus. Trop de pauvreté ? Qu’à cela ne tienne, on va augmenter les allocations. Combien de verres de dépense publique avons-nous bus ? Impossible de les compter. Tout est flou. Car la France a appliqué le dicton populaire en soignant le mal par le mal : s’il n’y avait pas assez d’emplois, si tous les déficits explosaient, si la dette était abyssale, c’était parce que la dépense publique était insuffisante. Un peu plus de dépense publique, et vous verrez, mon bon Monsieur, la croissance va repartir et nos problèmes disparaîtront. Regardez l’Éducation nationale décrocher : vous n’allez quand même pas abandonner nos enfants, au moment où tout le monde clame que l’avenir est dans l’accroissement des compétences. Allez encore un petit verre, et Messieurs les Français, vous vous sentirez mieux ! (…)
Il était une fois un pays qui avait un très grave problème de chômage. Pourquoi ? Parce qu’il n’y avait plus assez d’activité. Alors le Président de ce pays, qui était un homme très sage et très puissant, eut une idée : il créa deux entreprises, l’une qui creuserait des trous, l’autre qui les boucherait. Il mit à la tête de chacune un homme de confiance. Et le miracle advint : plus la première se développait, plus la seconde avait du travail. Et réciproquement. En un rien de temps, le chômage fut résorbé. Partout on creusait, partout on bouchait. 
À votre regard, je vois que vous trouvez mon histoire stupide, et que vous pensez que je me moque de vous. Tout le monde sait bien que l’économie réelle ne se développe pas ainsi. Que le chômage ne baisse durablement que si l’activité des entreprises d’un pays crée une valeur réelle. Or creuser des trous pour les reboucher, cela n’en crée pas. Vrai. Mais, laissez-moi maintenant vous donner quelques exemples issus de ce qui se passe dans notre pays.
D’abord, parlons de nos ronds-points : c’est notre passion et avec trente mille construits, nous en avons six fois plus qu’en Allemagne, et continuons à en ajouter cinq cents chaque année.  Non contents de les multiplier, nous avons aussi le record du coût unitaire. Pourquoi ? Parce qu’en leur milieu, on trouve selon les cas, un mini-musée, un succédané de jardin public, ou une construction indéfinissable. Toutes ces œuvres ont une caractéristique commune : elles sont inaccessibles, puisque des voitures tournent constamment autour. C’est le propre d’un rond-point, non ? Un reste de lucidité m’a toujours interdit d’essayer d’emmener un des mes petits-enfants y jouer. Trop dangereux et trop pollué. Un jour, j’ai voulu visiter l’un de ces musées. Mal m’en a pris : j’ai créé un gigantesque embouteillage et écopé d’une contravention. 
La création de ces « œuvres » inaccessibles induit un surcoût qui se compte en dizaines de milliers d’euros par rond-point, voire en centaines de milliers. Et cerise sur le gâteau, la présence de ces superstructures entrave la visibilité : à cause d’elles, souvent l’on ne voit plus l’autre côté, ni donc l’arrivée potentielle d’une voiture. Un comble : ces « œuvres » ne se contentent même pas d’être simplement inutiles, mais elles sont de surcroît nocives, puisqu’elles dégradent la fonction de base des ronds-points, à savoir la sécurité routière. (…) Au total, c’est plus d’une dizaine de milliards d’euros qui ont été dépensés pour rien. Cet argent, ne croyez-vous pas qu’il serait plus utile ailleurs ? Je vous laisse choisir : dans les écoles, la justice, les prisons… ou alors dans votre poche. (…)
Une remarque en guise de conclusion provisoire sur la dépense publique : je ne suis ni pour, ni contre. Pourquoi ? Parce que raisonner en terme de référendum n’a aucun sens. La question à se poser n’est pas celle-là, mais celle de son utilité : est-ce qu’avec ce projet ou ce financement, plus de valeur ajoutée est créée, oui ou non ? Si la réponse est oui, pas de problème ; si la réponse est non, il faut surtout ne pas le faire, et laisser l’argent dans la poche des contribuables qu’ils soient particuliers, professionnels ou entreprises. Car même si Keynes doit se retourner dans sa tombe – Paix à son âme ! -, un accroissement de la dépense publique ne crée de la croissance que s’il crée plus de valeur. Ou alors lançons immédiatement des entreprises qui creusent des trous et d’autres qui les bouchent, ce sera plus simple et plus rapide."

10 févr. 2018

COURIR POUR FUIR ET NE PLUS PENSER

Nouvel extrait de mon livre « Coming in » : Écartelé entre passé factice et futur inconnu 
"Seule échappatoire, la course à pied. Courir pour fuir, ne plus penser. Toujours les mêmes parcours : en semaine, des tours sur l’avenue de Breteuil ; le week-end, un grand tour de plus de vingt kilomètres associant bois de Boulogne et parc de Saint Cloud. Tourner physiquement en rond pour au moins ne rien empirer. 
Enfiler mon short, mon débardeur et ma paire d’Asics. Glisser mon iPhone dans mon brassard après avoir choisi la musique du jour, et emboîter le casque dans mes oreilles. Commencer à courir d’abord lentement – muscles trop durs, trop froids –, puis accélérer tranquillement. Parvenir à cet état où, drogué par l’endorphine qui se répandait en moi, je flottais. 
C’étaient les seuls moments où la tension qui m’habitait disparaissait. La morphine du rythme hypnotique et la monotonie du parcours toujours identique me conduisaient à ne plus penser. Je ne percevais plus que l’élasticité du sol, la régularité de mes foulées. 
Enfoui dans la bulle de la musique et la pulsation du sang qui vibrait dans mes tempes, coupé de tous, de Cécile comme de Marc, je m’immergeais au plus profond de mes neurones. Je quittais mon corps. Seul, il continuait la course. Plus tard, je le réintégrerais.
Je retrouvais la chaleur de lieux accessibles et connus que de moi-même. Je redevenais l’enfant quasiment autiste à qui personne – ni mes parents, ni mes sœurs, ni quiconque – n’avait jamais eu accès. Pas de vrais amis, peu ou pas de jeux à plusieurs. Solitaire avant tout. Reclus en moi. 
Assis sur ma chaise, face à mon petit bureau, je rejouais des parties contre moi-même, scrabble ou échec. J’inventais mes propres règles. Ou alors un problème de mathématiques. Ce n’était pas pour rien que j’avais excellé dans cet art des constructions théoriques et mentales. J’élaborais des scénarios complexes et enchevêtrés. Je construisais des univers où les symétries n’en étaient pas, où les additions n’existaient pas, où les nombres n’étaient pas encore nés.
Loin de Marc, de Cécile et de mes enfants, loin du monde, je surfais des vagues que ni mes passions, ni mes envies, ni mes répulsions n’atteignaient. Un surf revigorant où les claques de l’eau me lessivaient en profondeur. Plus rien ne me perturbait. Dissous dans mon passé, j’y renaissais.
Je revoyais l’adolescent qui hantait les vestiaires des piscines, guettait des corps dénudés, et aimait s’y exhiber. Celui qui déjà n’aimait que des sexes semblables au sien, mais sans le comprendre, ni même s’en rendre compte. Je réhabitais les tentes de mes nuits de scout, où, glissé en slip dans mon duvet, j’attendais en vain un partenaire aventureux. Je repensais à ce petit voisin avec qui je me cachais sous une table couverte de multiples tissus la transformant en abri étanche à tous les regards. 
Je m’asseyais à nouveau aux côtés d’Alexandre, un blond camarade de classes préparatoires dont j’étais amoureux sans le savoir. Je repassais de longues soirées, installé sur le lit de sa chambre. Je revivais des week-ends de révision dans sa maison de campagne. Je me voyais le convaincre de m’accompagner pour mon voyage de noce. Je le regardais faire l’amour dans les eaux claires de la mer grecque. Je comprenais que c’était à la place de son amie que j’aurais aimé être, et non dans les bras de Cécile.
(…)
Je réémergeais de mes courses sans guérison, ni solutions. Juste provisoirement calmé, heureux d’avoir plané. Un long shoot. Je savais que demain, une autre dose me serait nécessaire. Plus forte. Plus intense. Plus profonde. La journée comme la nuit seraient longues. Tiraillé entre un passé et un présent incompatibles. Marc ou Cécile. Quel futur ?"

8 févr. 2018

RIEN NE SE PASSE JAMAIS COMME PRÉVU !

Prévision quand tu me tiens…
Été 1978, à Paris
Avant de lancer une restructuration majeure de la sidérurgie, pour asseoir ses décisions, le gouvernement français fait réaliser une étude sur le marché de l’acier à cinq ans. Celle-ci l’estime à 21 millions de tonnes. La CGT la conteste en prévoyant, elle, un marché à 30 millions de tonnes. Le journal Le Monde, dans un élan de sagesse, tranche, lui, au milieu. 
En 1983, la demande annuelle n’est que d’environ 17 millions de tonnes…
Ainsi le plus proche – les prévisions officielles –, s’est trompé de 25 %, erreur sur une donnée supposée prévisible et non sujette à des spéculations : la demande en acier n’est ni une donnée virtuelle, ni cotée dans une quelconque bourse, ni le fruit d’arbitrages faits dans des salles obscures. Elle est le résultat de la demande réelle d’un pays.
12 août 1981, aux États-Unis
Le tout-puissant IBM annonce fièrement au monde entier le lancement de son nouveau petit ordinateur, le PC. 
Personne ne fait attention à la petite société qui lui fournit le système d’exploitation, un obscur Microsoft. Tous les yeux sont rivés avec admiration sur la seule nouvelle importante : IBM et son PC.
7 septembre 1998, dans un garage en Californie
Dans un garage de Menlo Park, Larry Page et Sergey Brin, deux étudiants de Stanford, lancent Google Inc. : fort d’un soutien financier d’un million de dollars, ils vont pouvoir donner une autre dimension à leur moteur de recherche inventé deux ans plus tôt.
Ce dans l’indifférence de Microsoft : pourquoi se préoccuper d’une telle start-up alors que la vraie préoccupation vient de la montée en puissance potentielle du système d’exploitation Linux, ou du navigateur Mozilla ?
Entre août 2007 et septembre 2008, à New York et un peu partout (1)
En août 2007, Wall Street s’effondre emmenant l’ensemble des bourses mondiales dans sa chute. Mais, pour la plupart des économistes et experts, il n’y a pas de raison de s’inquiéter :
« Je pense que la croissance mondiale peut résister entre 4 % et 5 % pour l’an prochain, grâce à la croissance des pays émergents et au rôle des banques centrales. L’autre scénario, qui n’est pas le mien, est celui d’une récession américaine. (…) L’effet de cette crise me paraît modéré en Europe. » (Président du Conseil d’analyse économique, novembre 2007)
« La croissance du produit intérieur brut (PIB) de ses pays membres passera de 2 % au dernier trimestre 2007 à 1,9 % au premier trimestre 2008, avant d’amorcer une remontée pour atteindre 2,5 % au premier trimestre 2009. Ainsi la croissance des pays de l’Organisation ne devrait pas être trop touchée par la hausse des matières premières et la crise des « subprimes ». Le ralentissement de l’économie mondiale sera à son maximum au premier trimestre 2008. » (OCDE, prévisions semestrielles, décembre 2007)
« Avec les interventions des banques centrales, mi-2008, la crise et les désordres du marché monétaires devraient finalement s’estomper. (…) Aux États-Unis, l’embellie arrivera certainement mi-2008. En Europe la reprise prendra sans doute quelques mois de plus. En tout cas, il n’aura pas de krach cette année ! » (Deutsche Bank, janvier 2008)
Au cours du premier trimestre 2008, la crise s’aggrave, mais non, il n’y a toujours pas de raison de s’inquiéter :
« L’économie américaine connaîtra une légère récession en 2008, en raison des effets de synergie entre les cycles de l’immobilier et des marchés financiers, avant de ne se redresser que progressivement en 2009. » (FMI, avril 2008)
« Il n’y a pas de deuxième vague : les pertes supplémentaires qu’annoncent les banques sont la conséquence mécanique de l’évolution des marchés. On est dans un cycle normal de provisionnement des risques, sans danger cette fois de contagion à d’autres secteurs du crédit bancaire. » (Banque de France, juin 2008)
Le 7 septembre 2008, Freddie Mac et Fannie Mae sont mis sous tutelle gouvernementale, et le 16 septembre, la faillite de Lehman Brothers ébranle le système financier mondial.

Quelques histoires parmi d’autres qui illustrent que rien n’arrive jamais comme prévu. Trop d’aléas, trop d’interactions entre tous les acteurs, trop d’incertitudes technologiques et réglementaires…
(1) Toutes les citations proviennent d’articles parus dans le journal Le Monde

6 févr. 2018

DANS LE VENT GLACÉ DES CIMES DE L’EMPIRE CÉLESTE

Sur le dos du serpent légendaire
Un air glacial, au moins dix degrés en dessous de zéro. Le vent vif vient creuser les morsures. Sur les montagnes qui m’entourent, la neige offre un miroir aux rayons du soleil. 
Pékin, pourtant à seulement cent kilomètres, est à l’infini. Ici aucun bruit, aucune pollution, aucune vie. 
Juste Haï et moi. 
Et le froid. Et le vent. Et la neige.
Et, sur le sommet de la montagne, un immense serpent qui dort, immensément immobile. Caméléon protecteur, habillé des pierres tirées des cimes sur lesquelles il repose, il veille depuis deux mille ans, sentinelle de l’Empire céleste.
Doucement, nous montons sur son dos. Les pas de Haï glissent en prenant garde à ne pas la réveiller. J’essaie de me hisser au niveau de son art. La glace recouvre les aspérités qui font office de marches. Progression lente, religieuse, difficile.
Un souffle dans mon cou me fait me retourner. Je vois couler le serpent sur lequel nous avons progressé. Au loin, je l’aperçois dormant sur les crêtes. Tapi, il attend ceux qui voudraient s’attaquer aux forces de l’Empire du Milieu.
A quelques pas de moi, un peu plus bas, Haï me regarde. Il est chez lui et sait qu’il n’a rien à craindre. Ces terres sont les siennes. Ce serpent aussi.
Ses bras se lèvent. Veut-il que je le rejoigne ? Pour qu’ensemble, étroitement joints, nous nous envolions ?
Me reviennent alors les mots de Dominique A : « On imagine pourtant très bien voir un jour les raisons d'aimer, perdues quelque part dans le temps. Mille tristesses découlent de l'instant. Alors qui sait ce qui nous passe en tête ? Peut-être finissons-nous par nous lasser. Si seulement nous avions le courage des oiseaux qui chantent dans le vent glacé ! »1

(1) Dominique A, Le Courage des Oiseaux

4 févr. 2018

NOUS FRANCHISSONS DES PORTES SOUVENT SANS NOUS EN RENDRE COMPTE

Retour sur mon dernier livre "Coming in" avec un extrait "Pousser des portes"
« Voilà presque quarante ans que je poussais des portes. L’une après l’autre. Sans réfléchir. Par curiosité. Par paresse. Ou juste parce qu’elle était là. Difficile de résister au charme de l’inconnu. Du mystère.
Mais derrière une porte, on ne trouve que par accident ce que l’on cherche. Ai-je jamais d’ailleurs cherché quoi que ce soit ? Qui que ce soit ? Qui peut prétendre savoir pourquoi il fait tel choix plutôt que tel autre ?
Et personne ne m’avait prévenu que pousser certaines portes conduisait à des glissades définitives. Une fois franchie, on perd le contrôle de sa vie pour dépendre de ce qui se trouve au-delà.
Certaines portes délimitent et dessinent des espaces, quand d’autres sont les trous des peaux de mondes successifs, des passerelles qu’il suffit d’emprunter pour basculer de l’un à l’autre. 
Fermées, elles interdisent l’accès, et cachent ce qui est inconnu. Fermées, elles laissent place à l’imagination. Pourquoi vouloir savoir ? Pourquoi ne pas laisser son esprit voguer, et se contenter de rêver ce que l’on ne voit pas ?
Entrouvertes, elles sont un appel, une invitation à se glisser le long d’elles. Il faut les saisir vite de peur qu’elles ne se referment. Mais ce que l’on entraperçoit, est-ce un mirage, un chant de sirènes visuel, une prison tentatrice ? Faut-il s’encorder avant de s’avancer ? Fuir ?
D’autres ne sont que virtuelles. Pas de porte, pas de charnières. Juste le symbole d’un franchissement, la matérialisation d’un avant et après. Il ne semble n’y avoir aucun risque, puisque tout est visible. N’est-ce qu’un jeu de passe-passe ? Une tentation à aller de l’autre côté, pour ensuite se retourner et découvrir sous un angle nouveau, ce que l’on vient de quitter ? Est-ce si simple ? N’y a-t-il vraiment aucun danger ? On ne ressort jamais indemne d’un voyage, fusse-t-il le plus facile.
En rencontrant Marc, c’est une telle porte que j’avais involontairement poussée. Invisible, virtuelle et pourtant intensément réelle et essentielle. 
Et si je n’étais pas allé ce soir-là au sauna IDM ? Ou beaucoup plus tard ? Ou m’étais endormi dans la cabine ? Et si, et si, et si… 
Mais la porte avait été franchie ouvrant en moi tant d’autres closes. Je n’étais plus étanche. Des voies multiples étaient créées.
Aucun retour en arrière n’était possible… »

1 févr. 2018

COMMENT FAIRE LA DIFFÉRENCE ENTRE UNE BROSSE À DENTS ET UN ÉCUREUIL ?

Faire attention plus aux actes qu’aux discours
Depuis la culture grecque, le « logos » est premier et nous avons souvent tendance à voir les actes comme seconds, comme le moment de la mise en œuvre.
Nous sommes ainsi des experts des mots : 
- Lors du Grand oral du concours d’admission à l’ENA, on juge de la capacité du candidat à « improviser » brillamment sur un sujet qu’il ne connaît pas. Le discours en lui-même et pour lui-même.
- Ouvrez un journal, écoutez ce débat ou assistez à ce congrès : le plus souvent, l’art de la dialectique y règne davantage que la connaissance et l’analyse des faits.
Or, comme le sait la culture populaire, avec les mots, on peut faire dire ce que l’on veut. Mais dans l’action, c’est plus difficile.
Ainsi comment distinguer à coup sûr une brosse à dent d’un écureuil ?
Si je me contente de rester au niveau des mots, je vais progressivement gommer les différences : les deux ont une queue, des poils, et leurs longueurs ne sont pas si éloignées…
Au bout d’un moment, vous verrez les différences s’estomper, et vous aurez du mal à savoir qui est qui.
Si, plutôt que de parler, j’agis, tout sera plus simple : mettez les deux au pied d’un arbre et regardez ce qui se passe. Personnellement, je n’ai jamais vu une brosse à dents être capable de monter !
Ou si vous préférez, lavez-vous les dents avec un écureuil : je parie qu’il ne se laissera pas faire !
Aussi un conseil : accorder plus d’importance aux actes et méfier vous des discours. Car, le meilleur moyen de savoir qui est capable de quoi, n’est pas d’écouter ce qu’il dit, mais de regarder ce qu’il fait.
Et si vous voulez savoir ce qu’untel est capable de faire, créez donc une situation concrète test, et observez comment il agit.

29 janv. 2018

LA RESTAURATION DE L’AUTORITÉ DU PROFESSEUR N’EST PAS LA PANACÉE MIRACLE

Que l’Éducation sorte de l’évaluation strictement individuelle et de la reproduction des connaissances préformatées, pour devenir le lieu de l’apprentissage de l’innovation et du travail en groupe
Ah qu’il était beau le temps de l’Éducation Nationale d’antan, celui des blouses grises, des élèves bien sages, alignés en rang avant d’entrer en classe, assis sur des tables en bois avec l’encrier dans lequel chacun plongeait soigneusement sa plume, récitant tous ensemble un poème, regardant respectueusement le détenteur du savoir…
J’en parle en connaissance de cause, j’y étais... sur un banc et dans les rangs.
Souvenir des relations rigides entre la maîtresse ou le maître et les collégiens, des leçons multiples à apprendre par cœur, des devoirs faits en silence, de l’interdiction de parler à ses voisins, des heures de colle passées à remplir des pages et des pages.
Régnaient alors l’ordre, l’obéissance, la reproduction des connaissances. Pas d’improvisation, presque pas d’imagination. L’excellence était purement individuelle, aucun travail en groupe.
Quelques années plus tard, quand j’ai plongé dans le monde des entreprises, j’ai découvert l’importance du travail collectif : rien ne s’y fait de façon solitaire. Bien, bien loin des méthodes de travail solitaire et du mode d’évaluation purement individuel de l’école.
Aujourd’hui sous l’effet de la transformation rapide de notre monde, cet écart est devenu un gouffre :
- L’incertitude explose, de nouvelles technologies naissent et se diffusent rapidement, aucune position n’est acquise, bref tout bouge et de plus en plus vite : il ne s’agit plus de reproduire des concepts passés, mais d’en inventer de nouveaux, de mobiliser ses connaissances non pas pour copier, mais pour créer.
- Les capacités de stockage deviennent quasiment infinies et l’accès à ces mémoires externes immédiat et sophistiqué. Aussi la performance des individus repose moins sur la qualité de leur mémoire personnelle, que sur leur capacité à savoir efficacement accéder aux données, les vérifier et les exploiter.
- Les lignes hiérarchiques rigides et verticales sont de plus en plus contreproductives, et la prise d’initiative est essentielle pour sortir des idées reçues. Les relations sont de plus en plus décloisonnées et fluides, en évitant les effets hiérarchiques intangibles. Les organisations deviennent horizontales et transverses, et l’encadrement fonctionne de plus en plus collégialement, même si chacun a une expertise précise et une responsabilité directe distincte.
- La performance est collective et c’est la capacité à travailler en groupe qui fait la différence. Les bons managers sont ceux qui savent créer et animer ces dynamiques collectives, les bons agents sont ceux qui travaillent le mieux avec les autres. Les évaluations de fin d’année se font au travers d’entretiens et de procédures complexes, prenant en compte l’évolution de la personne, sa capacité à travailler avec les autres, les situations auxquelles elle a eu à faire face.
Or l’Éducation Nationale, elle, a bien peu changé quant au travail en groupe, à l’encouragement à l’innovation et à ses méthodes d’évaluation. Elle est restée verticale et continue à ne mesurer que les performances individuelles, le travail en groupe y reste marginal. A la différence des pays de l’Europe du Nord ou anglo-saxons.
Voilà un des grands chantiers à entreprendre… en priorité.
Or si je me réjouis de voir qu’un réel projet de transformation de l’Éducation semble enfin mis sur les rails, si la présence de Stanislas Dehaene à la tête du Conseil scientifique est de bonne augure pour que les découvertes faites par les neurosciences soient enfin prises en compte, je n’entends personne parler de ce double sujet clé : sortir de l’évaluation strictement individuelle et de l’apprentissage à reproduire des connaissances préformatées.
Au moment où les solutions sont collectives, où la performance repose plus sur l’imagination et l’initiative que sur la reproduction de schémas historiques, où la confiance en soi et en les autres est critique, est-il réellement pertinent de continuer à privilégier la relation maître-élève et l’évaluation individuelle ? 
Le temps du fordisme est terminé, nous sommes dans l’économie de la connaissance et de la fluidité !
Or si l’on a grandi dans un environnement où parler avec son voisin était interdit et sanctionné, comment pourrait-on ne pas être freiné dans la collaboration ? Si chacun est constamment évalué, jugé, classé, si l’on peut redoubler, c’est-à-dire rompre les liens sociaux construits avec ses pairs, comment ne pas voir ses peurs grandir ?
Tant que l’on croira en France, qu’il suffit de renforcer l’autorité du maître, tant que l’on ne sera pas passé, comme cela a été fait dans d’autres pays, d’une relation un à un, à une relation communauté d’enseignants à groupe d’élèves, nous resterons avec notre handicap collectif.
Il est urgent et indispensable de faire de l’Éducation le lieu de l’apprentissage du monde d’aujourd’hui et de demain !