30 juin 2010
LES MERS SONT NOTRE FUTUR
« Vous êtes appuyé sur le rebord du pont, vous regardez la Seine et vous voulez savoir où elle va. Si vous cherchez à le deviner en la regardant couler, ou même si vous suivez son parcours, vous n'êtes pas prêt de trouver la bonne réponse : elle va fluctuer au hasard des méandres. Vous allez probablement rapidement jeter l'éponge en vous disant que la Seine n'en fait qu'à sa tête, qu'elle ne sait pas où elle va.
En fait si, elle le sait très bien : c'est un fleuve, et comme tous les fleuves, elle va se jeter dans une mer ou un océan. Lequel ? Celui qui est déterminé par la logique des bassins versants. Donc où elle va, elle le sait. Comment exactement va-t-elle y aller ? Là, elle ne sait pas très bien, elle verra, elle s'adaptera. Elle avance et chemine, en tirant parti du terrain. Si jamais, le niveau d'eau monte, elle pourra même s'étaler plus largement et emprunter de nouvelles voies. Mais, ce qui ne changera pas, c'est que toute cette eau, c'est dans la mer qu'elle finira. Quels que soient les aléas du trajet, on peut d'ores et déjà prévoir où elle va aller ; ce que l'on ne sait pas, c'est simplement à quelle vitesse et si le trajet fluctuera ou pas.
Ainsi, si vous voulez comprendre où va la Seine, ne regardez pas ce qu'elle fait, mais prenez le temps de comprendre « qui elle est » et qu'est-ce qui l'attire. Comprenez que c'est un fleuve, analysez les bassins versants et vous trouverez la bonne mer. Ne regardez pas le cours des choses, ne regardez pas le présent, cela ne sert à rien, cela ne peut que jeter le trouble. La mer est un attracteur qui attire à lui toute l'eau qui tombera tout autour. Comme les attracteurs des mathématiques du chaos, peu importe l'incertitude en amont, tout converge vers elle : c'est un système structurellement stable, un point fixe. Plus ou moins vite, plus ou moins directement, tout ce qui passe à proximité finit par converger vers elle.
Quand une équipe de direction cherche à construire une stratégie en partant du présent, et en imaginant qu'elle va pouvoir prévoir où vont les choses en observant ce qui s'est passé et se passe aujourd'hui, elle fait la même erreur que celui qui cherchait à deviner où allait la Seine depuis le pont Mirabeau. Comme dans le principe d'Heisenberg, mieux je sais où je me trouve, moins je vais savoir où je vais, et réciproquement. Comme pour la météo, si l'on prolonge les tendances immédiates, on aura tellement d'imprécisions et d'aléas qu'on ne pourra même pas quantifier le taux d'erreur. Quand on prévoit le futur à partir du présent, on croit que l'on peut encadrer le taux d'erreur via des hypothèses hautes et basses : il n'en est rien. Comme dans les mathématiques du chaos, rien ne va permettre d'affirmer que l'on peut borner l'incertitude.
Pour savoir où va la Seine, il faut oublier le présent, identifier les mers qui attirent le cours des choses et trouver la bonne. Où sont-elles ces mers ? Quelque part dans le futur des fleuves… »1
(1) Extrait des Mers de l'incertitude, p.108-109
29 juin 2010
28 juin 2010
ON NE TROUVE PAS DANS LES MATHÉMATIQUES LA RÉPONSE À L’INCERTITUDE
Nous cherchons trop souvent à mathématiser le monde et croyons que l'on peut y trouver la réponse à l'incertitude qui nous entoure. Il n'en est rien :
« Interrogé un jour sur les conséquences de la Révolution Française, Winston Churchill répondit qu'il était bien trop tôt pour se prononcer. Nassim Nicholas Taleb donne, lui, l'information suivante : « Au cours des cinquante ans qui viennent de s'écouler, les dix jours les plus extrêmes sur les marchés financiers représentent la moitié des bénéfices. Dix jours sur cinquante ans. Et pendant ce temps, nous nous noyons dans les bavardages. »1
Quand je pose la question aux différents dirigeants que je côtoie, pas un ne conteste que l'incertitude est omniprésente et se développe. Mais bon nombre sont « schizophrènes » : quand ils pensent et réfléchissent, ils acceptent l'incertitude ; quand ils agissent, ils font comme si l'on pouvait prévoir à moyen terme, voire au-delà.
Ainsi parfois, toutes les questions laissées en suspens lors de la constitution du plan stratégique, tous les aléas discutés lors de la constitution du scénario retenu sont vite oubliés, et les données chiffrées, qui n'étaient que des cadrages, se retrouvent reprises dans les documents budgétaires, et deviennent paroles d'évangile. Ou encore, pris par la pression de la rentabilité, on coupe toutes les actions qui ne sont pas en liaison avec des objectifs précis, identifiés et chiffrés, amputant d'autant la capacité à faire face aux aléas et imprévus…
Sommes-nous donc condamnés à cette schizophrénie ou peut-on faire le vide de quelques mauvaises habitudes ? (…)
Si un bagagiste ramasse en moyenne N bagages par heure, combien deux bagagistes en ramasseront-ils ? 2N ?
Oui, si l'on applique brutalement le calcul mathématique. C'est ce que l'on fait classiquement. Non, si l'on tient compte de ce que les hommes ne sont pas des objets théoriques dont on peut négliger le comportement.
Pourquoi considérer qu'ils ne peuvent pas se mettre à discuter ensemble ou, à l'inverse, profiter chacun de l'expertise de l'autre pour accroître leur rendement individuel ? Les hommes ne sont pas des objets que l'on peut additionner ou multiplier. Faut-il s'en plaindre ? »2
(1) Nassim Nicholas Taleb, Le Cygne Noir, p.354
(2) Extrait des Mers de l'incertitude p.100 et 103
25 juin 2010
SAVOIR SE PROMENER ATTENTIVEMENT
24 juin 2010
SAVOIR TROUVER LES TRUFFES
Être intensément attentif
Chercher des truffes, c'est voir un spectacle de prestidigitation. Au départ, il n'y a rien, juste des chênes, de la terre et quelques plantes éparses.
Et puis quelques secondes après, grâce à l'odorat du chien et au talent de son maître, les truffes sont là. Comme un lapin sorti du chapeau !
Je pourrais marcher pendant des heures au milieu des chênes truffiers, même à quatre pattes, je n'en trouverais pas une. Et pourtant elles sont bien là, cachées dans le sol, à quelques centimètres de moi.
Pour le chien, c'est facile, évident. Il détecte l'odeur, arrive à la repérer parmi le bruit ambiant et fonce sur la truffe. Quelques coups de pattes et il s'arrête.
La truffe n'attend que d'être révélée… par le bon passeur : celui qui sait repérer ses effluves et les distinguer des autres, celui qui sera aussi assez patient pour attendre le bon moment. Trop tôt : la truffe n'est pas mûre et ne sent pas, donc impossible de la trouver. Trop tard : elle aura pourri et sera sans intérêt.
Trouver des truffes est une affaire d'attention, mais pas celle de l'attention superficielle de l'humain en train de marcher au milieu des arbres, il faut celle, intense, du chien qui se déplace lentement, le nez (sa truffe !) soit au ras du sol, soit aux aguets du moindre effluve porté par le vent.
Comme le disait Henri Poincaré : « Ce que le vrai physicien seul sait voir, c'est le lien qui unit plusieurs faits dont l'analogie est profonde, mais cachée »1
Extrait de mon livre "Les Mers de l'incertitude"
(1) Henri Poincaré, Sciences et méthodes, p.22
23 juin 2010
« C’EST LA CULTURE QUI PILOTE LES RÉSULTATS »
Le 28 mai est paru dans le New York Times, une interview de Stephen I. Sadove, PDG de Saks (voir « For the Chief of Saks, It's Culture That Drives Results »).
En voici quelques extraits :
« Quand je parle à Wall street, ils veulent vraiment connaître vos résultats, quelles sont vos stratégies, qu'est ce que vous faites pour développer vos affaires. Ils sont focalisés sur le résultat. Jamais, vous n'en trouvez qui s'intéressent à la culture, au leadership, aux personnes présentes dans l'organisation. Pourtant, c'est l'inverse, ce sont les gens, le leadership, la culture et les idées qui finalement tirent les chiffres et les résultats. Aussi c'est un contre-sens.
Ce que j'essaie d'apprendre aux gens, c'est de ne pas commencer à poser la question des chiffres. Parlons des hommes, parlons de la culture, parlons des idées et de l'innovation. (…)
Ou vous pouvez le regardez et vous dire, "Ceci n'a aucun sens pour moi". Alors je veux que vous veniez vous asseoir avec moi et nous allons en parler. Invariablement, je trouve de vraies bonnes idées, celles qui vous font dire : "Pourquoi faisons-nous comme cela ? Cela n'a aucun sens". J'ai vu des petites choses, comme des grandes être sources de gaspillages et de plein de travail en double. (…)
J'aime me balader dans les étages. Un des plus grands risques pour un PDG est d'être isolé. »
Le 14 juin, Business week consacrait un autre article à Apple et à sa culture de start-up (voir « Apple's Startup Culture »). Nilofer Merchant y mettait l'accent sur les trois points qui sous-tend l'action de Steve Jobs visant à créer une culture de la performance.
« 1. Il a recentré la stratégie sur un objectif unique. Cela veut dire qu'il a tué même de bonnes choses. (…) Mais il a été extrêmement clair, et ainsi en éliminant beaucoup d'options au profit d'une stratégie cohérente, il a ouvert la voie pour la croissance.
2. Il a éliminé l'opposition passive et a poussé au débat quand de nouvelles idées apparaissaient. (…) Penser ensemble veut dire que vous avez à faire face à des conflits en amont, plutôt que d'avoir une opposition passive à la fin.
3. Il a mis en place une compréhension transverse de comment l'entreprise réussirait. Cette vision globale implique une cohésion à l'intérieur de l'entreprise, de la conception aux ventes. »
Est-il besoin de préciser combien le contenu de ces deux articles vient en résonance et en complément de mes écrits récents ?
22 juin 2010
ON NE FAIT PAS POUSSER UN ARBRE PLUS VITE EN LUI TIRANT DESSUS
21 juin 2010
NE PLUS ÊTRE MALADE DU TEMPS
Faire le vide suppose une nouvelle relation au temps. Voici quelques extraits issus de la partie consacrée à ce thème dans « les Mers de l'incertitude » :
« Comme le dit Jean-Louis Servan-Schreiber, nous sommes « plus stressés qu'obèses », et « nous travaillons sans recul. Pour un canon, c'est un progrès. Pas pour un cerveau »1 ! Partout, tout autour de moi, je ne vois que des gens en train de courir. Les directions enchaînent plan d'action sur plan d'action, et ne voient pas qu'à force de mouvement brownien, elles ne bougent pas et que rien ne se transforme : elles sont comme ces athlètes qui courent de plus en plus vite sur le stade, et passent de plus en vite au même endroit, elles tournent en rond.
Cette agitation ne concerne pas que les directions, mais s'est propagée à l'intérieur des entreprises : partout, on sent une activité trépidante. Pas un bureau vide, pas une tête songeuse, personne ne traîne devant la machine à café. Dès que l'on marche dans un couloir, on est bousculé par des gens qui courent en tous sens, les bras chargés de dossiers. En réunion, chacun a son téléphone connecté et répond immédiatement au moindre message. Dès huit heures le matin, l'effervescence commence et elle va durer jusqu'à vingt heures, voire au-delà. Cette attitude vibrionnaire se répand même le soir ou le week-end à la maison : tout « bon » cadre se sent coupable s'il ne suit pas le flux de ses mails ou s'il les laisse sans réponse.
Si agitation rimait avec efficacité, toutes les entreprises seraient performantes. Mais souvent, cette agitation rime avec moindre réactivité réelle, moindre compréhension de ce qui se passe, moindre rentabilité. Confusion entre activité et performance, agitation et progression…
La crise actuelle n'arrange rien, bien au contraire. Au lieu de se rendre compte que c'est parce que l'on a trop couru, que l'on n'a pas vu les signes annonçant la crise, on court encore davantage. Le stress et la crainte pour la survie ne sont pas toujours de bons conseillers : la peur de mal faire et d'être distancé déclenchent des réflexes issus de nos cerveaux reptiliens. (…)
Notre société est malade de « présentisme » : elle ne pense plus que dans l'instantané, dans l'immédiat, dans l'urgence. Mais est-ce encore de la pensée ? Si au moins, c'était de l'action, mais non : si l'on entend par action, capacité à entreprendre quelque chose, je crois que le plus souvent, c'est juste de l'agitation, de l'effervescence, de la dispersion. Les gens qui courent pensent qu'ils gagnent du temps. Mais pendant qu'ils courent, que font-ils d'autre que courir ? Quand je choisis de me déplacer plus lentement, comme je n'ai pas besoin de consacrer mon attention à mon déplacement, je peux profiter de ce temps pour lire, discuter ou simplement réfléchir. Qui gagne du temps ? Celui qui court ?
Car, la question n'est pas d'aller vite dans l'absolu, mais d'adapter la vitesse à ce que l'on veut faire, d'ajuster rythme et durée. Une idée centrale est de comprendre l'interaction entre la durée d'observation et l'analyse que l'on peut mener : un corps observé sur une courte durée peut sembler solide, alors qu'il ne le sera plus au bout d'un certain d'observation. »2
(1) Jean-Louis Servan-Schreiber, Le nouvel art du temps, p.77 et 116
(2) Extrait des Mers de l'incertitude p.89 et 91