Faire des calculs sur le coût du travail n’a pas grand
sens
La quasi-totalité
des hommes politiques, de gauche comme de droite, et des économistes continuent
à considérer que le travail est une quantité que l’on peut additionner et
multiplier. Il en était ainsi lors des débats sur les 35 heures, il en est
ainsi aujourd’hui quand on parle du coût du travail.
Or les activités
humaines ne se prêtent pas aux règles de trois, et heureusement ! C’est
déjà ce que j’indiquais dans mon livre, Les
mers de l’incertitude, quand je m’attaquais aux dangers de la
mathématisation du monde. J’y écrivais
notamment :
« Si un bagagiste ramasse en moyenne N bagages
par heure, combien deux bagagistes en ramasseront-ils ? 2N ? Oui, si l’on
applique brutalement le calcul mathématique. C’est ce que l’on fait
classiquement. Non, si l’on tient compte de ce que les hommes ne sont pas des
objets théoriques dont on peut négliger le comportement. Pourquoi considérer
qu’ils ne peuvent pas se mettre à discuter ensemble ou, à l’inverse, profiter
chacun de l’expertise de l’autre pour accroître leur rendement individuel ? Les
hommes ne sont pas des objets que l’on peut additionner ou multiplier. Faut-il
s’en plaindre ?
Malgré tout, nous continuons à ramener le comportement
humain à des équations simples et à manipuler les hommes à coup de règles de
trois. Quelques exemples :
- Dans la plupart des démarches de productivité, on calcule combien de temps en moyenne une personne met pour effectuer une tâche. Puis connaissant le nombre de tâches à effectuer par jour, on en déduit combien de personnes sont nécessaires. Comme s’il n’y avait aucun effet lié au nombre de personnes.
- Pour accélérer le déroulement d’un projet informatique, on double le nombre de personnes impliquées en faisant l’hypothèse que le délai sera divisé par presque deux.
- Les approches sur les conséquences de la réduction du temps de travail, considèrent que la quantité de travail est une donnée qui se divise, se multiplie et se répartit. La réalité dément quotidiennement ces calculs. »
Comment ne pas voir
dès lors l’absurdité de ramener la compétitivité des entreprises, au coût du
travail en France ?
Comment ne pas voir
que, en dehors des taches simples et répétitives qui ne représentent, Dieu
merci, plus que la minorité du travail, la performance est d’abord liée à
l’engagement individuel et collectif, au niveau de formation, à la capacité à
travailler ensemble ou à la compréhension de son rôle dans un processus
industriel complexe ?
Comment donc penser
que c’est en agissant sur la variable du coût du travail, et en plus dans des
proportions faibles, que l’on va redévelopper l’emploi industriel en
France ?
C’est décidément
bien peu comprendre ce que sont les réels modes de fonctionnement des
entreprises, et ce qui fait la performance dans le monde globalisé de
l’incertitude, le Neuromonde comme je l’appelle.
C’est aussi absurde
que de penser, que l’on va mettre moins de temps pour aller de Paris à Lyon par
autoroute, en changeant de voiture. Le temps de parcours dépend d’abord des
embouteillages, des travaux éventuels et de la météo et du type de conduite. La
voiture intervient bien peu, puisque toutes les voitures peuvent atteindre des
vitesses moyennes largement supérieures à 130 km/h… Alors arrêtons de parler
des voitures, et abordons les vrais sujets.