25 déc. 2012

"LE MEILLEUR EST IMPROBABLE, MAIS IL N'EST PAS HORS D'ATTEINTE"

Déplacer les inégalités ou les éradiquer ?  (BEST OF - paru les 17, 18 et 19 septembre 2012)
LA TRIPLE TRANSFORMATION DU MONDE : CONVERGENCE, GLOBALISATION ET CONNEXION
Au cours du 4ème trimestre de l’année dernière, j’ai écrit plusieurs articles portant sur la situation à laquelle nous faisons face (1). Mon propos essentiel était qu’il ne s’agissait pas d’une crise, mais d’une transformation en profondeur du monde : parler de crise, c’est laisser penser que les problèmes actuels sont graves, mais transitoires, et que l’objectif est de revenir à un passé perdu. Je crois qu’une telle vision est une erreur profonde, car demain ne pourra être comme hier, ce sous l’effet de trois forces qui s’entremêlent :
1. La convergence des niveaux de vie entre les grands pays :
Nos problèmes économiques ne sont ni nés en 2008, ni d’abord issus d’une crise financière, mais sont les effets de la convergence, amorcée à partir des années 90 : les écarts entre nos pays et les pays ex-émergents, aujourd’hui largement émergés (Chine, Inde et Brésil) se réduisent rapidement, le revenu brut moyen d’un habitant de nos pays occidentaux étant passé de 60 à 9 fois celui d’un Chinois, de 70 à 30 fois d’un Indien, de 8 à 4 fois d‘un Brésilien.
J’y écrivais notamment : « Prenez deux bassins ayant des niveaux d’eau très différents, séparés par des vannes, et approvisionnés par un cours d’eau. Commencez à ouvrir un peu les vannes : les niveaux vont alors se mettre à converger. Tant que la fuite est inférieure à l’apport d’eau, les écarts entre les niveaux se réduisent, mais le niveau le plus élevé ne baisse pas, au contraire. Ouvrons davantage les vannes. À un moment donné, la fuite devient supérieure à l’apport, et alors, le niveau le plus élevé baisse. Cette baisse durera tant que les niveaux ne seront pas identiques. 
C’est très exactement ce qui nous arrive. La mondialisation a rendu communicante nos économies, et a amorcé la convergence, d’abord lentement, puis de plus en plus vite à partir des années 2000. Grâce à l’endettement, nous avons masqué un temps cette baisse, mais cela ne peut plus durer. Comme nous sommes encore en 2011, trente fois plus riche qu’un Indien, neuf fois qu’un Chinois et quatre fois qu’un Brésilien, la convergence n’est pas terminée, et va s’étaler sur les dix à vingt ans à venir… sans compter les dettes qu’il va nous falloir rembourser. »
2. La globalisation du système économique et productif :
Le système économique et industriel passe de la juxtaposition d’entreprises et d’usines, à un réseau global de plus en plus complexe : les entreprises tissent des réseaux denses entre elles, et entre leurs différents lieux de production. Chaque produit, chaque service, chaque transaction fait intervenir un nombre croissant de sous-produits, sous-services, sous-transactions. Impossible de démêler les fils de ce qui est devenu une toile planétaire.
Cet entremêlement contribue à l’accroissement de l’incertitude, par la propagation du moindre aléa :
- Autrefois le monde était cloisonné, et les incertitudes restaient locales : ce qui se passait à Pékin, Johannesburg ou Bombay, n’était imprévu que pour les habitants de ces villes et de ces pays, car, vu la vitesse de propagation de son effet, les autres avaient le temps de s’y préparer.
- Maintenant la planète vibre de façon quasi synchrone, et ce qui se passe en un lieu, a des effets immédiatement de partout : nous sommes soumis à toutes les incertitudes. Un nuage de poussières issu d’un volcan islandais perturbe tout de suite une bonne partie de l’économie mondiale…
3. L’émergence d’une humanité d’individus connectés :
L’humanité passe d’une juxtaposition d’individus et d’appartenances, à un réseau global et de plus en plus complexe : sous l’effet cumulé de la croissance de la population, de la multiplication des transports et du développement d’internet, les relations entre les hommes se tissent finement. Les pensées et les actions rebondissent d’un bout de la planète à l’autre, des intelligences collectives apparaissent.
Comme Michel Serres l’a écrit dans le Temps des Crises, « le connectif remplace le collectif ». Dans une conférence tenue le 31 janvier 2011, il insistait sur les conséquences de a disparition d’individus spatialisés : « On est dans un nouvel espace topologique où on est tous voisins. Les nouvelles technologies n’ont pas raccourci les distances, il n’y a plus de distance du tout. (…) C’est l’adresse qui nous relie au politique. Donc ce ne peut plus être le même droit et la même politique, car ils étaient bâtis sur là où on habitait. (…) Nous habitons un nouvel espace, et comme il est nouveau, c’est un espace de non-droit. (…) Robin des bois : Robin vient de Robe, c’est l’homme de loi, l’homme de droit. Il habite la forêt de Sherwood qui est un espace de non-droit dont il construit le droit. Nous avons besoin de nouveaux Robins des bois. »
Un an s’est donc écoulé depuis lors, et rien ne m’amène à revoir mon propos. Au contraire, les malentendus me semblent perdurer…

LA CONVERGENCE EST LOIN D'ÊTRE TERMINÉE
À l’occasion du suivi des cours de Pierre Rosanvallon au Collège de France, je viens de découvrir une conférence faite, le 23 février 2011, sur « la Mondialisation de l’inégalité » par François Bourguignon, ancien Premier Vice-Président de la Banque Mondiale et actuel Directeur de l’École d’Économie de Paris.
Dans celle-ci, en s’appuyant sur une étude considérablement plus approfondie et étayée que la mienne, il confirme la convergence dont je parlais hier : il l’observe aussi à partir des années 90, et, la remettant en perspective grâce à une série statistique remontant aux années 1800, montre qu’elle est un retournement récent et extrêmement rapide. Selon ses estimations, le rattrapage aurait déjà ramené les pays émergents à la situation prévalant il y a un siècle.
Pour ce faire, il s’appuie non pas seulement sur le revenu brut moyen, mais le pondère par la parité de pouvoir d’achat, qui tient compte du coût de la vie dans un pays donné.

A quoi attribue-t-il ce retournement ? Essentiellement à un découplage apparu récemment entre les taux de croissance des pays de l’OCDE et des pays en voie de développement. Il constate en effet à partir des années 2000, un écart constant et d’environ 5 à 6 % entre les deux taux de croissance. Ceci rejoint très exactement aussi mon analyse.
Une remarque : pour mesurer les inégalités, il est effectivement pertinent de pondérer les écarts en tenant compte des parités de pouvoirs d’achat, mais cela masque une partie des effets de transfert entre pays.
En effet, pour apprécier la dynamique concurrentielle entre pays, c’est bien le revenu brut qui est pertinent : un Indien reste actuellement presque 30 fois moins cher qu’un ouvrier occidental, un Chinois 9 fois et un Brésilien 4 fois. Pour évaluer plus finement la situation concurrentielle, il ne faudrait pas redresser ces données par la parité de pouvoir d’achat, mais en tenant compte du niveau de qualification, des équipements des usines, des savoir-faire…
Plus la produit est sophistiqué, plus ce redressement sera réel… du moins pour un temps : il suffit de voir les performances des usines mécaniques chinoises ou des entreprises de software indiennes pour comprendre que ces coefficients correcteurs tendent rapidement vers zéro.
Je maintiens donc que je ne vois pas comment nous éviterons une baisse relative de notre niveau de vie, et ce durablement. En effet, l’effet de convergence se poursuivra au moins pendant dix à vingt ans, temps nécessaire pour finir le rattrapage.
Est-ce possible de supporter une telle évolution ? Oui, vu le niveau de richesse de nos pays, mais à une condition : que nous fassions porter cette baisse relative sur les plus favorisés, et que nous veillions à ne pas laisser se creuser les écarts.

LE PIRE N'EST PAS SÛR, MAIS IL EST DEVENU POSSIBLE
Si nous n’y prenons pas garde, ce sont les plus fragiles qui vont supporter la baisse relative de pouvoir d’achat, et une paupérisation massive va se diffuser chez nous.
Alors la réduction en cours des inégalités entre pays se traduira par le creusement des inégalités à l’intérieur de chaque pays, la mondialisation des activités aura créé des classes mondiales de riches et de pauvres, avec un transfert des écarts : aux inégalités géographiques se substitueront des inégalités sociales, et tout le bénéfice des actions entreprises dans nos pays depuis un siècle seront gommés.
Or que constate-t-on depuis vingt ans ? Précisément ce creusement des inégalités. Les données fournies par François Bourguignon sont sans appel :
- Aux États-Unis, entre 1979 et 2004, le revenu des 1% les plus riches a cru de 176 %, alors que celui des 20% les plus pauvres stagnait, et que celui des 20% suivant n’augmentait que de 17%. En moyenne le revenu de 80% des Américains n'a augmenté que de 21%... soit plus de 8 fois moins que les 1% les plus riches.
- Au sein de l’OCDE, entre 1985 et 2005, les inégalités ont fortement augmenté non seulement dans les pays anglo-saxons, mais aussi en Allemagne, Autriche, Belgique, Italie et dans les pays d’Europe du Nord. Les seuls pays où elles n’ont pas progressé sont la France, la Grèce, l’Espagne, l’Ireland, l’Islande ou des pays de l’Est.
François Bourguignon s’interroge pour savoir si ces pays où les inégalités progressent sont des éclaireurs. Quand je vois que ce sont plutôt ceux qui aujourd’hui résistent mieux à la crise, le futur n’est pas particulièrement réjouissant : pour s'adapter à un monde globalisé, ces pays ont creusé les inégalités. Est-ce une fatalité ?

Autre complément d’information : au lieu de s’intéresser à la convergence entre les populations, il a aussi regardé si les pays globalement convergeaient, c’est-à-dire si l’écart entre les pays les moins favorisés versus les plus favorisés diminuait lui aussi. La réponse est cette fois inverse : alors qu’en moyenne le niveau de vie de la population mondiale converge, ce sous l’effet du développement essentiellement de la Chine, de l’Inde et du Brésil, l’écart se creuse si l’on raisonne en terme de pays, ce spectaculairement depuis vingt ans.
C’est là la traduction du retard croissant pris par l’Afrique. Petite lueur d’espoir, mais bien fragile, la croissance en Afrique sub-Saharienne s’est accélérée depuis 2004. Est-ce durable ?
Bref le tableau est noir : la réduction des inégalités géographiques s’est traduite par le développement d’inégalités locales, et rien n’indique que ceci va s’arrêter naturellement. Bien au contraire…
Charles-Henri Filippi, dans Les 7 péchés du capital, insiste sur la dévalorisation de la valeur travail par « l’irruption dans le périmètre de la division internationale du travail et de l’échange de marché de milliards d’êtres humains qui créent aujourd’hui abondance et déflation salariales ». Il poursuit : « pris en tenaille être ce qui se vend sans devoir être fabriqué, et ce qui ne peut être fabriqué sans recours à des ressources dont la valeur augmente, le travail voit sa position s’affaisser progressivement. Mais plus définitivement encore, la société de marché financier, qui exprime la conquête de l’économie réelle par l’argent, fait de la richesse une résultante de la variation de prix dans l’échange plus que la création de valeur dans la production, du mouvement plus que de la matérialité. (…) Marx se retourne dans sa tombe : la plus-value ne se définit plus comme du « travail non payé » mais comme du « non-travail payé ». ».
Il parle enfin de « princes (qui) sont désormais sans peuples, (et de) peuples sans identité ».
Autre remarque qui n’apparaît pas directement dans ces statistiques, mais qui peut venir aggraver la situation future : la mondialisation en cours, la diffusion des technologies de l’information, la montée en puissance des arbitrages financiers, et la raréfaction progressive de quelques matières premières critiques conduisent toutes à un effet de polarisation qui fait que la richesse du monde se concentre de plus en plus en quelques points ou en quelques mains.
Je ne pense pas qu’il faille se résigner à un tel diagnostic, car alors nous irions droit vers des fractures sociales extrêmement dangereuses : qui ne voit pas qu’elles conduiront à des explosions, et qu’aucune ligne Maginot ne pourra protéger demain une classe de favorisés immergés dans un monde de pauvres.
Il est plus que temps de se réveiller car, comme Charles-Henri Filippi conclut : « Le pire n’est pas sûr, mais il est devenu possible. Le meilleur est improbable, mais il n’est pas hors d’atteinte. »

21 déc. 2012

ÉCRIRE À FLEUR DE PEAU

Extrait de Double J
A l’aéroport, en revoyant Jacques, je ne pus m’empêcher de porter sur lui un double regard : je voyais à la fois l’amant retrouvé et la peau vierge. Les deux m’attendaient, mais je me sentais encore plus attiré par la peau que par l’amant. Troublant. Je secouai la tête en souriant pour essayer de dissiper mon trouble. (…)
Je saisis le stylet et m’apprêtai à faire la première pénétration dans cette peau que je n’avais jusqu’à présent qu’embrassée.
Au dernier moment, quand à peine un millimètre me séparait de lui, je fus pris d’un vertige. Qu’étais-je sur le point de faire ? Ce n’était plus un stylo que je tenais dans la main, mais bien un stylet. Ce n’était plus une feuille de papier que j’allais tatouer d’encre rouge, mais bien la peau de mon amant. J’étais à un millimètre d’un geste irréversible, d’un geste qui allait définir pour toujours un avant et un après. Je fus pris de peur et retirai ma main.
« Je ne peux pas. Vraiment, non, je ne peux pas. » Et je m’éloignai à reculons, ne lui laissant pas le temps de me répondre. (…)
Mon corps se leva et se déplaça jusqu’au lit, ma main saisit à nouveau le stylet et plongea sans hésiter sur la peau de Jacques. Je sentis la lame franchir la barrière du derme pour venir s’insérer en lui. Je ne le tatouais pas consciemment, je n’étais que le spectateur, le témoin de ma propre œuvre. Dédoublement. Mon histoire était tellement forte qu’elle n’avait pas besoin de moi pour s’exprimer, ma technique était tellement digérée que les lettres se dessinaient d’elles-mêmes. Progressivement, je sentis monter en moi une transe mystique, j’étais dans un état second, extatique, violent et orgasmique. Je perdis alors la conscience du temps et des événements.
Quand je revins à moi, la nuit était tombée, et Jacques dormait tranquillement. A la lumière de la pleine lune qui baignait la chambre, je voyais un texte serré, raffiné et élégant qui courait sur le début de ses épaules. Je suis resté éveillé toute la nuit, figé dans la fascination de ce tatouage, incapable de le toucher, incapable de m’en éloigner, horrifié et séduit par ce viol couleur sang qui le marquerait à tout jamais. Quand l’aube arriva, quand la lumière froide et bleutée de la lune laissa place aux premiers rayons du soleil, mes inquiétudes et mes hésitations laissèrent place à ma détermination et ma volonté de mener à bien l’écriture de mon roman. Je n’avais plus qu’une envie : recouvrir chaque pouce de cette peau rosée qui ondulait doucement à mes côtés.

Pendant la période de Noël, je diffuserai le mardi et le vendredi des articles tirés de ceux parus en 2012, un billet pour le Nouvel An, et retour au « live » le 7 janvier 2013. Bonnes fêtes à tous !

20 déc. 2012

LES RADEAUX DES FOURMIS DE FEU


Les tribus animales (4)
Un exemple étonnant de propriété émergente au sein d’un groupe est celle des radeaux des fourmis de feu.
Où vivent-elles ? Essentiellement en Amérique du Sud, où elles sont nées et prospèrent. Elles sont des forces de la nature, capables de se déplacer rapidement et de tout ravager sur le chemin. Mais ce qui m’intéresse ici, est leur réaction en cas de pluie diluvienne et d’inondation.
Ont-elles individuellement appris à nager ? Voit-on les unes partir en un crawl réinventé, les autres à la brasse ? Non, dès qu’une telle pluie survient, elles s’agrippent les unes aux autres, emprisonnent, chacune et ensemble, un maximum d’air, et forment une boule qui a la souplesse et la résistance d’une balle de tennis. Cette balle n’a pour but d’aller rebondir sur un quelconque court tropical, non, cette balle a une propriété essentielle : elle flotte quoi qu’il lui arrive. Toutes ensemble les fourmis sont devenus un radeau insubmersible.
Au cœur du radeau, bien protégée par toutes ses ouvrières, se trouve la reine. Avec l’air embarqué, non seulement tout le monde flotte, mais respire. Les jours peuvent alors passer, les obstacles venir heurter la fourmilière, rien de grave ne survient. Probablement quelques fourmis périront au cours du voyage, mais comment les compter et qui s’en préoccupe ? L’important est qu’in fine, quand le radeau heurte la terre ferme ou une souche, les fourmis du bord s’y agrippent, la reine est transportée, les liaisons se dénouent et la marche conquérante des fourmis de feu peut reprendre…
Abandonnons un instant les fourmis de feu à leur périple insubmersible, et partons dans l’infiniment petit du monde animal : au sein de tous, se trouvent des milliards de micro-organismes, qui s’y promènent blottis à l’intérieur des corps…
(à suivre… le 7 janvier 2013)
(Photo David Hu and Nathan J. Mlot)

19 déc. 2012

LES MATRIOCHKAS SOCIALES

Les tribus animales (3)
Avec la « colle sociale », le groupe acquiert des propriétés qu’aucun de ses individus n’avait.
Ainsi, les fourmis sont capables de faire de l’élevage ou de l’agriculture intensifs, chacune fonctionnant comme une cellule spécialisée au sein du groupe prenant en charge une partie du travail à faire. Les abeilles ne sont pas en reste. Par exemple, grâce à leur danse, elles savent échanger des informations entre elles, et choisir par un vote majoritaire, le meilleur emplacement pour une nouvelle ruche.
Dans les espèces les plus sophistiquées, cet échange prend une autre dimension : l’unité de base est beaucoup plus petite et devient la famille, avec au cœur la relation mère-enfant. Ce sont les familles qui s’associeront pour donner naissance à la tribu collective. Nouvelle complication qui ouvre la porte à des apprentissages plus approfondis, et à l’apparition de l’individu : si aucune fourmi n’est strictement identique à sa voisine, les différences sont sans commune mesure au sein des mammifères.
Cet apprentissage d’abord entre la mère et ses enfants, puis entre tous les membres d’une même tribu, repose sur un mode d’échange d’information beaucoup plus riches, ce grâce aux neurones-miroirs.  De quoi s’agit-il ? De neurones qui, sans l’intervention d’un quelconque processus conscient, sont capables de mimer ce que fait l’autre : quand un animal muni de tels neurones regarde la main d’un autre se déplacer, le mouvement est reproduit dans son cerveau. Il peut donc apprendre en regardant. Ces processus sont essentiels pour la transmission des expériences. Ils sont aussi un levier pour diffuser plus rapidement une alerte au sein d’une tribu.
Ainsi avec l’animal, apparaissent des soudures informationnelles, qui donne naissance à un nouveau type de poupée russe : la poupée russe sociale, une poupée souple et vivante, dont tire sa puissance de la mise en réseau des capacités physiques et cognitives de ses membres.
(à suivre)

18 déc. 2012

VIVE LA « COLLE SOCIALE » !

Les tribus animales (2)
Quelle est donc cette « colle sociale » qui naît avec le monde animal ?
Voilà les individus qui n’échangent plus des composants chimiques, mais de l’information. Ou plus exactement si l’échange se fait encore souvent via des substances chimiques (Comme les phéromones dans le cas des fourmis), ce ne sont pas elles en tant que telles qui relient les individus, mais les informations qu’elles véhiculent. Mais la transmission peut aussi se faire par la vue comme pour la danse des abeilles, par l’ouïe pour les oiseaux… Ce sont progressivement les cinq sens qui sont mobilisés et construisent un langage qui soude le groupe : la poupée devient tribu, l’individu fait société.
C’est bien à un nouveau type d’assemblage que nous avons affaire : un assemblage social. Des êtres vivants, tout en gardant une individualité propre se caractérisant notamment par leur morphologie et leurs capacités cognitives propres, font société, et donne naissance à une nouvelle entité, le groupe ou la tribu, qui est dotée de propriétés nouvelles et émergentes. Chaque animal est physiquement autonome, libre de ses mouvements, et socialement dépendant.
Notons que si un échange d’informations existe aussi au sein des cellules végétales et entre elles, il permet seulement à une plante de réagir à son environnement et de s’y adapter, mais il ne soude pas les cellules entre elles. Grâce à la reproduction, chaque plante est aussi le plus souvent voisine de ses alter ego : les coquelicots dessinent des vagues rouges au printemps, les champignons poussent en grappe, les jeunes chênes grandissent à l’ombre de leurs aînés. Ensemble, tous les végétaux élaborent des écosystèmes qui favorisent leur croissance, mais aucune nouvelle propriété n’émerge de ces regroupements : une chênaie n’est jamais qu’un ensemble de chênes, et un groupe de champignons, une poêlée potentielle, et rien de plus …
L’animal, lui, quand il se regroupe, acquiert des propriétés nouvelles. Les fourmilières et les ruches en sont des exemples les plus frappants. On peut même affirmer que, si la fourmi est petite, la fourmilière est grande : le record en terme de taille semble être détenu par la Formica yessensis, une espèce de fourmi des bois, qui a construit une colonie de 45 000 nids sur 1 250 hectares à Hokkaido, abritant plus d’un million de reines et 306 millions d’ouvrières. 
Mais, la taille n’est pas le plus important, c’est l’apparition de nouvelles capacités qui l’est, ce grâce à une répartition des rôles ou à une action collective…
(à suivre)