22 janv. 2013

LE MOI S’INVENTE DES HISTOIRES

L’iceberg de l’inconscient (3)
C’est bien d’un iceberg qu’il s’agit : l’essentiel de l’énergie consommée par le cerveau est appelée « l’énergie sombre », représenterait 80% du total et serait consommée en continu, même quand notre cerveau est en repos.
Enfin, si jamais nous sommes confrontés à un événement inexplicable, nous n’hésiterons pas à réinventer un passé qui n’existe pas :
- Si la raison de notre comportement est liée à une information subliminale, inaccessible à notre conscience, nous trouverons une autre explication.
- Si nous croyons avoir fait un choix, nous construisons des raisons pour l’expliquer.
Siri Hustvedt, une poétesse et essayiste, a vécu une histoire exemplaire de recomposition du passé. Comme elle le relate, dans « La femme qui tremble », elle a un souvenir d’enfance très précis qui se déroule alors qu’elle avait quatre ans. Elle voit très bien du lieu exact où il s’est déroulé, lieu qui est celui de sa maison d’enfance. Sauf qu’elle s’est rendue compte dernièrement que cette maison n’avait pas encore été acquise par sa famille quand elle avait quatre ans.  Elle avait reconstruit une histoire simple, cohérente et facilement racontable.
Jung définit ainsi le moi : « J’entends par Moi un complexe de représentations formant, pour moi-même, le centre du champ conscienciel, et me paraissant posséder un haut degré de continuité et d’identité avec lui-même… Mais le Moi n’étant pas le centre du champ conscienciel ne se confond pas avec la psyché ; ce n’est qu’un complexe parmi d’autres. Il y a donc lieu de distinguer le Moi et le Soi, le Moi n’étant que le sujet de ma conscience, alors que le Soi est le sujet de la totalité de la psyché, y compris de l’inconscient. » 1
(à suivre)
(1) CG Jung, Types psychologiques

21 janv. 2013

UN ENFANT CROÎT DÉSIRER LIBREMENT DU LAIT

L’iceberg de l’inconscient (2)
Voici quelques exemples pour vous montrer la taille de l’iceberg de nos processus inconscients :
- Si, bébé, vous avez dû attendre un biberon pendant plusieurs heures dans une pièce où tout était rouge, couleur que vous découvriez pour la première fois. Cette situation a laissé une trace indélébile avec laquelle vous vivez depuis : à chaque fois que vous voyez la couleur rouge, vous vous sentez mal à l’aise et ressentez une émotion négative violente. Et, comme vous n’avez aucun souvenir conscient de cette épisode initial, vous ne comprenez pas pourquoi.
- Notre mémoire n’est pas un système stable et figé : chaque souvenir est décomposé lors de son stockage initial, puis, à chaque rappel, reconstruit et modifié. Se souvenir, c’est un peu comme transporter un meuble en le démontant et en le remontant de façon incomplète et un peu inexacte. Ces souvenirs sont en plus colorés par les émotions ressenties alors.
- Il est dimanche matin, vous venez de vous réveiller. Comme votre planning est libre, que rien n’est prévu, vous devez décider de ce que vous allez faire de cette journée. Rapidement trois options s’imposent à vous, et c’est entre elles que vous choisissez. Pourtant le nombre réel des choix possibles était beaucoup plus vaste : vos processus inconscients ont fait un premier tri, et vous n’avez traité consciemment qu’un choix limité.
- Face à un jeu où il s’agit de trouver parmi quel tas il est plus intéressant de tirer des cartes, vous trouvez quelle est la bonne stratégie, avant d’être capable d’expliquer ce que vous faites. Ce n’est que plus tard que vous pourrez expliciter les raisons de votre choix.
- Face à un choix complexe et multicritères, ce n’est pas la décision consciente qui aboutit à un choix qui correspond le mieux à vos objectifs annoncés : c’est en faisant confiance à votre intuition que vous ferez le meilleur choix, ceci notamment à cause de la capacité des processus inconscients à traiter rapidement et de façon parallèle des données complexes.
- Notre système nerveux ne vous « donne à voir » de façon consciente, qu’une seule interprétation du monde à un instant donné, alors que d’autres réponses possibles ont aussi été traitées, et chacune avec un niveau de vraisemblance associée. Si l’on vous demande de fournir après un certain intervalle de temps, une deuxième réponse, la moyenne des deux réponses sera meilleure que chacune prise isolément, même si la deuxième est moins bonne que la première.
- Au-delà de la vision consciente, il y a ce qui a été baptisée « la vision aveugle » : des informations que vous ne savez pas avoir vus sont traitées et aboutissent à des prises de décision. Par exemple, vous pouvez désigner des objets que vous ne savez pas avoir vus, ou ressentir des émotions pour des visages dont vous n’avez aucun souvenir conscient.
Comme Spinoza l’a écrit, il y a longtemps : « C’est ainsi qu’un enfant croit désirer librement le lait, et un jeune garçon irrité vouloir la vengeance, ou un pusillanime, la fuite. »
(à suivre)

(1) Ces exemples sont issus des cours de Stanislas Dehaene au Collège de France, et des travaux d’Antonio Damasio et de Daniel Kahneman

18 janv. 2013

RENCONTRES INSOLITES EN CHINE

A Pékin
Trois images insolites de mon premier séjour à Pékin en novembre 2003.
Mon regard ne sait plus bien où se porter dans l’effervescence des rues du centre de la ville. Tout est bruit, foule, et mouvement. Les vélos sont légions, les piétons aussi, et les voitures ne sont pas en reste.
Fatigué de cette folie qui m’entoure, mes pas ralentissent, et mon regard suit la façade de l’immeuble qui se trouve face à moi. Et là, tout là-haut, au sommet, la silhouette gigantesque d’un joueur de basket plane. Comment est-il arrivé à s’extraire de la foule ? Comme je l’envie d’être capable de surplomber ainsi le monde !
Mais où est donc le panier qu’il semble viser ? J’ai beau chercher de toutes parts, je ne le trouve pas. Lui semble pourtant savoir ce qu’il fait…

Depuis plus d’une heure, avec mon ami Hai, nous sillonnons les méandres du Palais d’Été, merveille architecturale, orpheline de l’impératrice qui ne vient plus jamais y séjourner.
Sans nous douter du risque que nous courrons d’enfreindre la loi, nous avançons confiants jusqu’à la rencontre de ce panneau.
« Ciel, dis-je, mais nous n’avons pas le droit d’y faire grand chose ! »
Heureusement, après un examen approfondi de tous les icones, je me rends compte que tout va bien : nous n’avons ni moto, ni voiture, ni patin, ni chien, ni fusil. Je ne me rappelle pas non plus avoir allumé un feu, joué au ballon ou du clairon.
Rassurés, nous poursuivons notre promenade…

Pas très loin du Palais d’Été, se trouve le Parc Yuanmingyuan. C’est un endroit plus calme où les touristes ne se bousculent pas trop. Et pour cause, puisque seules des ruines s’y trouvent.
Autrefois, le parc était peuplé de palais qui avaient été construits sur le modèle de l’architecture occidentale. Ils sont tous été détruits par les troupes anglo-françaises en 1860, lors de l’invasion de Pékin. D’où les ruines.
Mais ce qui est le plus étonnant, c’est qu’à côté de chaque ruine, se trouve une maquette montrant le palais tel qu’il était avant d’être détruit. Et devant chaque maquette, figure une pancarte rappelant que le palais originel a été détruit par les troupes franco-anglaises.
Tout en marchant dans ce parc, à force d’être interpellé par toutes ces maquettes et ces pancartes, je ressens comme un malaise à me sentir français. Pour me rassurer, je me dis que, n’ayant pas un anglais à mes côtés, je ne vais être perçu comme dangereux…

17 janv. 2013

QUI SUIS-JE ?

L’iceberg de l’inconscient (1)
« Je pense, donc je suis » a affirmé Descartes il y a presque cinq cents ans. Quel chemin parcouru depuis, et quelle remise en cause tant de la notion de pensée, que celle d’identité ! En effet, ce « je » conscient, celui qui est capable non seulement de constater ce qu’il fait, mais pourquoi il le fait, n’est que la pointe immergée de l’iceberg de notre identité.
En effet, comme, par hypothèse, nous n’avons accès qu’à nos processus conscients, c’est-à-dire à ce que nous pouvons analyser, jusque tout dernièrement, nous ne nous sommes pas rendus compte qu’une bonne partie de ce qui nous sous-tend, nous est inaccessible, profondément caché dans les profondeurs de nos processus inconscients ou déformé par nos souvenirs et nos émotions.
Je ne parle pas là seulement des processus qui régissent l’équilibre de notre corps ou qui nous permettent de marcher ou nager sans y penser. Non, c’est bien la totalité de nos processus cognitifs qui sont en jeu, et nous ne sommes que « superficiellement » conscients : la plupart du temps n’avons accès qu’aux conséquences de choix inconscients qui ont été fait à l’insu de nous-mêmes, si ce « nous-mêmes » ne recouvre que notre conscience.
Voulez-vous quelques exemples pour vous montrer la taille de l’iceberg de nos processus inconscients ?
(à suivre)

16 janv. 2013

NOUS EXTRAYONS DES RÉGULARITÉS DU MONDE

On ne voit que ses pensées
Comment notre cerveau peut-il induire à partir de presque rien ?
Essentiellement parce qu’il ne se contente pas de tirer des conclusions à partir de ce qu’il observe, mais parce qu’il mobilise des règles apprises dans le passé : il est capable de transférer des règles et donc de progresser ainsi rapidement.
Par exemple, si, parce que quelqu’un vient de tirer de tirer cinq boules blanches d’une boîte dont on ne voit pas le contenu, il est périlleux et faux d’en déduire que la suivante sera forcément une boule blanche. Mais si l’on a appris, par l’expérience, que ces boîtes ne contiennent toujours que des objets identiques, et de même couleur, on saura que les tirages suivants seront aussi des boules blanches.
C’est ce type de transfert d’expérience qui permet l’apprentissage du langage chez un enfant :
1. Face à une ensemble de cinq objets, trois sortes de balles et deux sortes de tasses, il apprend que trois s’appellent des balles, et deux des tasses.
2. Il constate que les formes des balles et des tasses sont différentes, mais que toutes les tasses ont la même forme, ainsi que les tasses.
3. Il en conclut qu’à chaque nom, correspond une forme spécifique. Les « choses » ont une forme donnée qui les caractérise.
4. Il transfère ce savoir acquis à d’autres noms, et comprend qu’une girafe est un animal qui a une forme de girafe, qu’un crayon la forme d’un crayon, etc.
C’est le principe du méta-apprentissage : nous apprenons à apprendre, et, chaque progrès nous transforme et facilite l’acquisition future. Nous extrayons naturellement des régularités du monde.
En simplifiant, voici donc comment on pourrait représenter le fonctionnement de notre processus de pensée :
- Notre cerveau est « nourri » des informations transmises par nos cinq sens (vue, audition, toucher, goût, odorat).
- De ces informations, après un traitement immédiat et automatique, qui s’appuie sur des métarègles et les connaissances issues de notre passé, émerge une première interprétation de la situation.
- Cette interprétation, enrichie des traces mémorielles et des émotions associées à elle, est transmise à nos processus conscients pour traitement.
Et ainsi, nous n’avons jamais accès consciemment aux faits bruts qui nous entourent…

15 janv. 2013

LES LANGAGES SONT LE PROPRE DE L’HOMME

Nous ne pouvons pas ne pas communiquer
Selon Rabelais, le rire est le propre de l’homme. Il est vrai que j’ai rarement vu des fourmis rire, mais comment être certain qu’elles ne vivent pas à leur échelle une forme d’humour ? Mais les singes semblent bien capables de se jouer des tours, et de s’en amuser. Donc il semble bien que le rire ne soit pas vraiment le propre de l’homme.
Par contre, je n’ai jamais entendu parler d’un animal qui ferait un numéro de chansonnier ou un stand-up, avec tous ses congénères assis et s’esclaffant de ses jeux de mots. Car, oui, le langage, avec toutes ses subtilités, tous les sens et les contresens qu’il véhicule, nous est bien spécifique : si les animaux communiquent entre eux, et sont capables à partir de cela de déclencher des comportements collectifs, ils n’emploient pas à proprement parler de langage, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas capables de manipuler des symboles porteurs de sens et qui se substituent aux objets même, et les représentent.
Nous, humains, au fil de notre évolution, nous avons multiplié nos langages. Bien sûr d’abord ceux au travers desquels nous nous exprimons et lisons. Mais aussi une multitude de langages spécialisés, soit pour le jeu (comme les échecs, le bridge ou le go), soit pour les sciences ou la technique (les mathématiques, la physique, la chimie, l’architecture…), soit au sein de structures locales (les langues internes aux entreprises par exemple avec leur floraison d’acronymes).
D’ailleurs, sauf à nous isoler sur une île déserte, nous ne pouvons pas ne pas communiquer. En effet comme chacun de nos comportements a valeur de message, volontairement ou involontairement, nous nous exprimons sans cesse, et symétriquement nous sommes soumis au flux des autres :  « On ne peut pas ne pas avoir de comportement. Or, si l’on admet que, dans une interaction, tout comportement a la valeur d’un message, c’est-à-dire qu’il est une communication, il suit qu’on ne peut pas ne pas communiquer, qu’on le veuille ou non. Activité ou inactivité, parole ou silence, tout a valeur de message. De tels comportements influencent les autres, et les autres, en retour, ne peuvent pas ne pas réagir à ces communications, et de ce fait eux-mêmes communiquer. » 1
Bref, même si sous le coup d’une colère, nous pouvons nous écrier : « L’enfer, c’est les autres » 2, sans eux, nous sommes impuissants. Aussi les mots, c’est du sérieux, on ne doit laisser aux seuls humoristes l’art de jouer avec, et « lire après tout, est une façon de vivre à l’intérieur des mots d’autrui. » 3

(1) P. Watzlawick, J. Helmick Beavin et Don D Jackson, Une logique de communication
(2) Jean-Paul Sartre, Huit Clos
(3) Siri Hustvedt, La femme qui tremble

14 janv. 2013

SORTONS DE L’HYPOCRISIE DU DÉBAT ACTUEL SUR LA SOUPLESSE DE L’EMPLOI EN FRANCE

Avec les CDD, l'intérim et la sous-traitance, la souplesse est déjà là... au préjudice des faibles
On se pose en ce moment la question de savoir s'il faut oui ou non plus de flexibilité en France pour sauver l'emploi (voir par exemple ledébat sur ce sujet sur Newsring).  Mais, la question est mal posée, car nous avons déjà la flexibilité en France, mais une mauvaise flexibilité.
En effet, comme le contrat de travail dit CDI est trop rigide, et largement inadapté à ce qu'est devenue la réalité économique, il a été contourné et ce de trois façons :
- d'abord bien sûr au travers de la prolifération de CDD, qui représentent maintenant quasiment le statut normal à l'embauche,
- ensuite avec l'intérim, qui est la version dégradée des CDD : quand l'entreprise a un besoin trop fluctuant, et qu'elle trouve les CDD trop rigides encore, elle recourt à l'intérim, et c'est auprès des entreprises d'interim que les CDD sont signés. Les entreprises d'intérim se trouvent ainsi amortir les aléas en agrégeant les besoins de leurs clients,
- enfin avec l'externalisation croissante : là l'entreprise achète seulement des produits et des services, et laisse ses sous-traitants ou ses fournisseurs faire face au problème social
Donc la souplesse et la précarité sont là. En fait elles se sont répandues pour protéger une forme d "élite  du salariat" qui bénéficie des CDI et qui constitue le gros des bataillons des syndicats. Elles sont aussi l'expression d'une sorte de démission des dirigeants (économiques et politiques) qui n'ont pas voulu affronter le problème et l'ont contourné.
La question en France n'est donc pas plus ou moins de souplesse, mais d'inventer un nouveau cadre social, plus juste et recouvrant la majeure partie des situations, tout en préservant la souplesse actuelle, ce afin de protéger les plus faibles qui sont les victimes du système actuel.
Arrêtons de laisser le débat monopolisé par d'une part les dirigeants des grandes entreprises, et d'autre part des représentants syndicaux qui parlent au nom uniquement des CDI....
Il est plus que temps d'avoir collectivement et individuellement le courage en France de sortir de l'hypocrisie ambiante. C'est à cette condition que se créeront de nouvelles solidarités et que nous sortirons du climat de défiance actuel.

11 janv. 2013

AU PAYS DE LAWRENCE D’ARABIE ET D’INDIANA JONES

Un moment à Petra
A partir de ce vendredi, et ce tous les vendredis, je vais vous inviter à parcourir quelques-unes de mes photos favorites, prises à l’occasion de mes voyages. J’ai retenu celles qui étaient associées à des souvenirs particuliers ou qui m’interpellaient particulièrement. Elles seront assorties de commentaires essayant de vous les faire partager.
Pour commencer, Petra en Jordanie où je me trouvais en octobre 2003, à l’occasion d’un voyage professionnel en Jordanie.

Une route faite de sable part de là où le taxi m’a laissé. Tout est soleil et or. Petra est dissimulé. Je sais que je le trouverai au débouché de la sente sablonneuse, qui part devant moi.
Un groupe de jeunes jordaniens juchés sur leurs chevaux, dansent comme une samba. Jouent-ils ? Non pas vraiment. Ils sont là à la recherche de touristes qu’ils pourraient accompagner. Je reste un moment à les regarder, fasciné par le ballet de leurs courses. Sans raison précise, les images de Lawrence d’Arabie me reviennent. Je revois la course dans le désert, quand les cavaliers se battent pour se saisir d’un trophée.

Sortant de ma torpeur, je m’engage sur le chemin qui se dessine devant moi. Petit à petit, il s’engage dans un défilé qui devient de plus en plus étroit. La lumière parvient difficilement à y pénétrer. Je chemine dans une obscurité qui me rappelle celle des cryptes. Aller vers Petra, c’est un peu entrer en religion. Je sens le caractère sacré et secret du lieu.
Puis, au détour d’un dernier virage, une porte majestueuse, irradiée de soleil, apparaît. Quelques minutes, plus tard, je suis dans un cirque immense, cerné de temples, tous sculptés à même les cavernes. La voie étroite pour y parvenir rend encore plus étonnante le débouché.
Lawrence d’Arabie cède la place à Indiana Jones. Un instant, je goûte le plaisir d’être enfin arrivé à ce temple qui est le but de ma dernière croisade. Vais-je y trouver la coupe du Saint Graal ?

Non, je ne crois pas…
Malgré la chaleur, pris par une envie soudaine, je mets à courir, et, à petites foulées, je parcours le site, escaladant les collines, m’arrêtant pour une perspective, une silhouette, ou parfois simplement pour rien. Volonté de m’extraire des touristes qui sont restés en bas.
Les minutes deviennent des heures. Le temps est suspendu, dans le silence du vent, et des quelques chèvres qui avancent au loin.
Cette chaude torpeur, des années plus tard, flotte encore en moi. Magie unique d’une cathédrale inversée, où, au lieu de marcher dans un lieu fermé et de savoir le monde à l’extérieur, on est dehors et des dedans nous cernent, présents et inaccessibles. Ce dehors est pour toujours en moi, et j’y ai gagné un Graal que je n’ai ni trouvé, ni conquis.

10 janv. 2013

FERMONS LE ROBINET DES VOITURES INUTILES !

Pourquoi continuons-nous à dépenser autant dans des objets dont nous nous servons si peu ?
Fin 2011, est sorti le numéro 2 de la revue PAM de l’Association des Anciens de l’École des Ponts et Chaussées, revue dont je suis éditorialiste. Ce numéro 2 était consacré au récent Forum mondial sur l’eau, et j’ai choisi de centrer mon billet non pas sur l’eau et le gaspillage que nous en faisons dans nos pays, mais à un autre dont on ne parle, à mon avis, pas assez, celui de toutes nos voitures qui roulent si peu, et la plupart du temps quasiment vides. Voici cet article tel qu’il est paru.
« Ferme ce robinet, et ne laisse pas couler l’eau ! C’est du gaspillage ! »
Combien de fois n’avons-nous pas entendu cette phrase dans notre enfance, ou ne l’avons-nous pas prononcée depuis ?
Au moment de la prise de conscience que cette ressource si essentielle risque de ne plus être au rendez-vous, ce même dans nos pays, il est plus que jamais d’actualité de lutter contre ce gaspillage. Quoi de plus naturel donc que la revue Ponts-Alliance face de l’eau, le thème central de son deuxième numéro.
Certes, certes…
C’est pourtant un autre robinet que je voudrais voir fermer, une autre eau que, sans cesse, nous laissons se dissiper emportant bon nombre des ressources de notre planète.
Quelle est cette « eau » que nous gaspillons chaque jour d’avantage ? Je veux parler de nos chères voitures.
Car enfin, nous n’arrêtons pas d’en acheter pour ne pas nous en servir :
- Même quand on l’utilise souvent, on ne s’en sert qu’une heure par jour – je mets de côté les représentants et autres professionnels de la voiture –, soit 4% du temps.
- Quand on est dans sa voiture, le plus souvent on est seul, soit un taux d’occupation de 25%, voire 20% pour les plus grandes.
- Ainsi les voitures les plus utilisées ne le sont qu’à moins de 1% de leur capacité.
- Et pour la plupart, leur occupation principale est celle d’être des ventouses sur des parkings…
Or en moyenne, en 2011, les Français ont dépensé 21 000 € pour acheter un véhicule, soit 12% de plus qu’en 2010 (1), véhicule qui perdra de la valeur quoi qu’il lui arrive, et qu’il faudra assurer, entretenir… et nourrir si jamais on décidait de le faire rouler.
Et quand je pense que d’aucuns se sont offusqués de voir Serge Gainsbourg lors d’une émission de télévision, brûler un billet de 500 F ! C’est pourtant ce que nous faisons collectivement en permanence en accroissant le parc automobile.
Un tel gaspillage coule-t-il de source ? N’est-il pas temps d’en appeler à l’émergence, là aussi, d’une économie sociale et solidaire ? Pourquoi ne pas fluidifier la mobilité ?
Je sais que certains m’opposeront que la voiture est un statut, une façon de paraître en société. Mais est-ce raisonnable et durable, quand nous rentrons dans une période d’économie et de remise en cause de notre niveau de vie ? Et est-ce que pour la nouvelle génération, la voiture n’est pas plus une contrainte qu’un statut ?
D’autres voudront défendre ces usines qui sont parmi les dernières en France. Mais comment croire que la performance économique et la lutte contre le chômage passent par la production de biens largement inutilisés et consommant les ressources rares de la planète ?
Pourquoi pas alors simplement ouvrir des entreprises qui creuseraient des trous, que d’autres boucheraient, trous que l’on proposerait à la location ou la vente, le temps de leur existence ?
Cela ne serait pas plus utile, mais au moins, cela serait favorable à l’environnement !

(1) source L’Argus

9 janv. 2013

« NOS PME ONT BESOIN D’ÊTRE PAYÉES QUAND ELLES LIVRENT LEURS PRODUITS, ET NON PAS TROIS MOIS PLUS TARD »

Les PME ont besoin d’un geste de confiance
Le jeudi 27 décembre 2012 est paru dans le Figaro un article que j’ai cosigné avec Stéphane Cossé 1. Il est aussi paru dans les Echos le 31 décembre 2012. Le voici ci-dessous in extenso :
Depuis plus de trente ans, chaque gouvernement se fait le chantre de l’aide aux PME. Cette fois encore, il dit avoir mis en place un dispositif nouveau et performant, à travers notamment la création d’une banque publique d’investissement et le recours à un crédit d’impôts. Les 42milliards d’euros de prêts, garanties et interventions en capital de la BPI, couplés aux 20 milliards de crédits d’impôts ? Seront-ils la potion magique tant attendue ? À en croire la réaction du Medef et de bon nombre de commentateurs, on pourrait en avoir l’impression, et pourtant, malheureusement, les doutes subsistent.
Passons sur les difficultés auxquelles il faut s’attendre de la BPI, lourde machine peuplée de fonctionnaires et de banquiers, à évaluer la pertinence d’un plan de développement d’une PME. Concernant le crédit d’impôts, malgré les volontés d’accélérer le processus, sa mise en œuvre ne sera effective qu’en 2014. Le gouvernement promet qu’il ne demandera aux PME, en contrepartie de ce crédit, aucun engagement formel. Mais comment en être sûr avec un ministre du Redressement productif dont le discours est pour le moins empreint de dirigisme ? Les dirigeants de PME vont-ils se lancer dans des dépenses immédiates et certaines, dans un contexte d’annonces tantôt rassurantes tantôt interventionnistes, et sur la base d’un mécanisme perçu comme futur et aléatoire ? La confiance est la première condition de l’investissement. Or, force est de constater que, depuis trop longtemps, l’inconstance et l’incohérence du politique entraînent une défiance logique de la part des entreprises.
Il existe pourtant une mesure simple qui modifierait structurellement la donne : nos PME ont essentiellement besoin, comme cela est le cas en Allemagne, d’être payées quand elles livrent leurs produits, et non pas trois mois plus tard. Ce retard de paiement, qui peut aller parfois jusqu’à six mois, les empêche trop souvent de se développer. Les sommes en jeu sont considérables : le crédit inter-entreprises représente globalement 500 milliards d’euros par an.
Pour une PME en plein développement, attendre d’être payée par son client, le plus souvent une grande entreprise, c’est autant de besoin de financement supplémentaire à dégager pour financer sa croissance. Face à ce besoin, le dirigeant doit se retourner vers son banquier pour obtenir un crédit de trésorerie qui va lui coûter l’essentiel de sa marge bénéficiaire, freinant d’autant la croissance de ses fonds propres et le financement de ses investissements.
De surcroît, en maintes occasions, l’entrepreneur devra, pour obtenir ce crédit, mettre en garantie ses biens propres, témoignage de son engagement personnel. Rapidement si la croissance est au rendez-vous, ses biens personnels ne suffiront plus comme garantie, et aucun financement ne sera accordé.
Voilà bien un handicap structurel qui empêche l’émergence d’entreprises moyennes, celles qui font tant défaut à notre développement industriel, à nos exportations et nos innovations. Naturellement, les entreprises de distribution et les grandes entreprises recourant à la sous-traitance sont farouchement opposées à l’arrêt de ce décalage de paiement qui leur profite. De même, les banques veulent conserver ces crédits de trésorerie rentables.
Voilà un sujet où un arbitrage du gouvernement en faveur des PME serait le bienvenu : la grande distribution et les banques domestiques ne sont, pour leur part, pas soumises à la concurrence internationale et les emplois ne risquent pas d’être délocalisés. Quant aux banques, libérées du financement de la trésorerie des PME, elles pourraient alors mieux financer les grandes entreprises et la distribution.
Que faire en pratique ? La réponse est simple : il faut changer le droit commercial pour que, à l’instar de l’Allemagne (qui a en la matière un avantage compétitif), le transfert de propriété soit effectif au paiement, et non plus à la livraison. Tant que ce ne sera pas le cas, les PME resteront réticentes à se retourner contre un client, car elles savent qu’elles risquent de perdre des marchés à venir.
Alors, chiche ! Pour relancer la production en France, le gouvernement devrait prendre une telle mesure qui n’exige ni intervention de l’État ni soutien financier: le tissu des PME françaises immergées dans la compétition mondiale aurait enfin les moyens de financer par elles-mêmes leur croissance.

(1) Maître de conférences à Sciences Po et membre du comité d’orientation d’Europa Nova

8 janv. 2013

PERSONNE NE PEUT COMPRENDRE CE QUI DÉPASSE SA PROPRE LOGIQUE

Les tribus animales (6)
Quant aux micro-organismes qui ont hanté le corps de Marcel Proust pendant la durée de ses travaux d’écrivain, je crois pouvoir affirmer sans risque d’être démenti, qu’aucun d’eux n’a pu comprendre, ni même imaginer qu’il contribuait à l’existence d’un des sommets de la littérature française. Et pourtant, c’est la réalité. Magie des emboîtements et de l’interdépendance.
Des fourmis directement emboîtées dans un radeau aux propriétés émergentes qui les dépassent, des micro-organismes n-fois emboîtés au sein d’un génie littéraire…
Il en est de même avec les fourmis qui se livrent à la culture de champignons, comment pourraient-elles analyser le pourquoi de ce qu’elles font ? Et quand d’autres viennent au secours de nymphes pour faire partir des prédateurs, ont-elles en tête le nectar que cette même nymphe pourra donner en retour ? Et les abeilles pourraient-elles comprendre qu’elles ont inventé le vote démocratique et le choix par la loi du plus grand nombre ?
Non, tout ceci est né de l’évolution, et perdure, car c’est une réponse pertinente face à des situations récurrentes et de nature à assurer la survie et le développement de l’espèce : ces performances collectives ont émergé sans qu’aucun des membres de l’espèce n’en soit conceptuellement à l’origine, ni ne les pilote, ni ne les comprennent.
Il me vient l’idée d’une forme de principe de la compréhension des emboîtements et de l’émergence : un organisme vivant peut avoir une compréhension superficielle des propriétés émergentes pour les emboîtements immédiats auxquels il participe. Pour les emboîtements plus lointains, même si sa présence est indispensable à l’émergence des propriétés, il ne peut en avoir aucune idée. Il peut percevoir ce qui est proche, pas de ce qui est lointain.
Georges Bateson et Don D. Jackson résument bien ceci : « Le rat qui dirait : « J’ai bien dressé mon expérimentateur. Chaque fois que j’appuie sur le levier, il me donne à manger », refuserait d’admettre la ponctuation de la séquence que l’expérimentateur cherche à lui imposer. » .
Personne ne peut comprendre ce qui dépasse sa propre logique.