28 déc. 2009

QUE FAIRE DE SON TEMPS LIBRE ET DE SON ARGENT ?

Histoire de caverne (Saison 4 – Épisode 1)
Rappel (rapide) des saisons précédentes : Nous sommes à l'époque lointaine des cavernes. Pendant longtemps, moi, Bobby le financier, et mes amis et autrefois rivaux – Johnny, le roi de l'industrie et de l'invention, Jojo le devin et Paulo le magicien, les deux rois de la prévision –, avions régné dans le monde des cavernes. Mais avec l'arrivée de Jordana et la découverte de Christina, la chef d'un monde inconnu au-delà du bout du bout du monde, c'est-à-dire de l'autre côté des montagnes, nous avons dû partager notre pouvoir. Cela ne s'est pas fait sans heurs : un moment grâce à la sophistication des modèles prévisionnels construits par mon fils, Thomas, nous avons crû pouvoir les battre. Mais nous avions dû nous rendre à l'évidence, seule, la collaboration était possible. Elle fut fructueuse, et finalement, les affaires de chacun se sont développées. Tout serait donc parfait si Isabella, une laissée pour compte de notre cartel, n'avait décidé de mettre à mal notre système. Elle venait de mener une attaque simultanée sur deux fronts : elle venait de faire exploser la bulle de spéculation immobilière, m'obligeant à me retrouver propriétaire d'une multitude de cabanes sans valeur ; elle avait poussé les chimpanzés et les gorilles, maillon indispensable pour le bon fonctionnement des piles de cabanes (ils assurent la montée et la descente des habitants, comme de tous leurs colis ou paquets), à se mettre en grève. Ils venaient d'obtenir une augmentation substantielle. (Pour plus de détails vous pouvez lire la saison 1, la saison 2 et la saison 3 – pour cela, cliquez sur le lien de la saison correspondante).

Coco était mort de rire : Il n'en revenait pas du tour qu'il venait de jouer à Christina, et à ce Johnny qui ne la quittait plus guère. Coco était, comme il aimait à la répéter, le chef des gorilles. Si jamais, l'un de ses congénères levait un peu trop son cri ou bombait un peu trop fort le torse, Coco avait vite fait de le remettre en place. Être chef était une affaire de famille : on était chef de père en fils dans la sienne.
Quand il repensait à tout ce qui s'était passé en quelques mois, il n'en revenait pas. Il n'y a encore pas longtemps, lui et les siens vivaient durement dans la forêt. La survie supposait un combat quotidien.
Puis était arrivé Johnny, qui, très vite, s'était mis en tête d'empiler les cabanes, les unes au-dessus des autres. Il avait eu besoin des services des gorilles. Bien sûr, Coco n'était pas dupe, Johnny avait cherché à les exploiter. Mais c'était déjà mieux que la situation précédente : en montant ou descendant quelques humains par jours, en assurant en complément le service de livraison, les gorilles avaient largement de quoi vivre. 
Avec son importation de chimpanzés (voir « Comment casser le pouvoir des gorilles ? »), Johnny lui avait compliqué la tâche : moins facile de peser dans les négociations avec ces demi-portions toujours prêts à travailler beaucoup plus pour ne gagner qu'un tout petit peu plus en échange.
Mais c'était maintenant terminé grâce à l'intelligence d'Isabella. Géniale, cette femme ! Avoir réussi à nous mettre d'accord avec les chimpanzés, avoir mis en place la CGC – Confédération des gorilles et des chimpanzés -, avoir créé ce réseau de communication entre les deux bouts du monde (en parallèle du réseau fonctionnant grâce à des signaux lumineux mis en place par Bobby et Johnny, la CGC a son propre réseau reposant lui sur des signaux sonores relayés par des chimpanzés), tout cela avait permis la grève générale.
Au bout d'un conflit finalement relativement court – seulement un mois -, ils avaient eu gain de cause sur toutes leurs revendications : deux jours de repos par semaine, deux semaines de congés payés par an, augmentation du salaire de 20%. Comme Coco venait en plus d'être élu Président de la CGC, comme il touchait un pourcentage sur tous les gains des gorilles, c'était royal !
D'où l'hilarité actuelle de Coco. Mais, très vite, il eut comme un vide dans la tête : qu'allait-il bien pouvoir de ce temps libre et de tout cet argent ? Les bananes pourrissaient déjà dans ses placards. Alors que faire ?

A l'autre bout du monde, dans ma grande caverne, je tenais un conseil de guerre.
« J'ai rendez-vous dans une heure avec Isabella, disais-je. Donc, nous sommes bien d'accord sur la marche à suivre.
- Oui, répondirent en cœur Jojo et Paulo qui se trouvaient à mes cotés. »
Johnny, lui, n'était pas avec nous : il était avec Christina au milieu des arbres. Il fallut attendre que ma question arrive jusqu'à lui grâce à Internex (c'est le nom de baptême que mon fils Thomas avait donné à notre réseau de signaux lumineux, réseau dont il assurait la direction depuis qu'il avait pris la présidence de l'Écho du monde, mon groupe de presse et de communication. Personne n'avait bien compris pourquoi il avait choisi ce nom – lui non plus –, mais comme cela n'avait aucune importance, nous n'allions pas le contrarier pour si peu). Puis sa réponse prit le chemin inverse. Cinq minutes en tout furent nécessaires, un temps ridiculement court.
« OK pour nous aussi, répondit Johnny. Simplement peux-tu nous reconfirmer les termes de la plateforme de discussion.
- L'idée est simple : faire rentrer d'une façon ou d'une autre Isabella dans nos affaires. Tant qu'elle restera à l'extérieur, elle sera une source de problèmes. Or j'ai déjà assez de mal avec toutes les cabanes que j'ai sur les bras, et la multiplication des billes. Je vais voir si je sens une ouverture de son côté. »
Au fur et à mesure de mes paroles, un chimpanzé émettait un signal lumineux qui partait dans le ciel. Heureusement, le soleil brillait, sinon nous aurions dû annuler notre réunion. Pas de soleil, pas d'Internex en état de marche. Pas d'Internex, pas de communication avec Johnny et Christina.
« Et je viens avec toi, compléta Jordana »
« Oui, et cela ne me plaît guère, pensai-je ». Je n'avais pas pu faire autrement que d'accepter sa présence…

(à suivre)

25 déc. 2009

« AU LIEU DE CHERCHER À ÊTRE RECONNU, IL FAUT CHERCHER À ÊTRE CONNU »

Le bonheur est-il à portée de main ?

Quel meilleur thème pour le jour de Noël qu'un patchwork issu de l'excellent livre de Tal Ben-Shahar, « L'apprentissage du bonheur » ?

Sur les fonceurs, les viveurs et les défaitistes
« Ce qui singularise les fonceurs, c'est qu'ils sont incapables de prendre plaisir à ce qu'ils font – et croient constamment qu'ils seront heureux le jour où ils atteindront un objectif donné. (…) Nous apprenons à nous concentrer en permanence sur un but futur, et non sur le présent, et toute notre vie nous courons après un avenir qui toujours nous échappe. (…) En confondant soulagement et bonheur, le fonceur continue à courir après les buts qu'il s'est fixés comme si le simple fait de les atteindre un jour était une condition de son bonheur. »
« Sans but à long terme, sans défi à surmonter, la vie perd son sens. »
« L'illusion du fonceur est de croire que le bonheur durable viendra quand il aura atteint sa destination. Celle du viveur, de n'accorder d'importance qu'au chemin. Quant au défaitiste, ayant renoncé tant au but qu'au parcours c'est un déçu de la vie. Le premier est l'esclave de l'avenir, le deuxième celui du moment, et le troisième celui du passé. »
Sur le bonheur
« Ma propre définition du bonheur est « la sensation globale de plaisir chargé de sens ». L'individu heureux éprouve des sentiments positifs tout en trouvant une raison d'être à son existence. »
« Comme le disait George Bernard Shaw, « c'est cela, la joie véritable, dans la vie : être au service d'un dessein que l'on considère soi-même comme supérieur » »
« Le bienheureux remet en question la formule « On n'a rien sans rien » car il prend plaisir au processus engagé et, en se consacrant à un dessein auquel il croît, parvient à un meilleur résultat. »
Sur les objectifs
« Pour cela, nous devons discerner et poursuivre des buts à la fois porteurs de sens et de plaisir. »
Citation de Goethe : « Quoi que vous puissiez ou que vous rêviez de faire, faites-le. L'audace a du génie, de la puissance et de la magie. »
« Tandis que si on s'est fixé une destination, si on sait plus ou moins où on va, on est libre de concentrer son attention sur une tâche : profiter au maximum de l'endroit où on se trouve. »
Sur l'éducation
« Ce paradoxe (nous prétendons préférer les loisirs, mais c'est dans notre métier que nous passons par le plus d'expériences optimales) est à la fois insolite et révélateur. Il laisse supposer que le préjugé à l'égard du travail, l'assimilation effort/souffrance et oisiveté/plaisir est si profondément enraciné en nous qu'il déforme la perception de ce que nous vivons en réalité. »
« Comme Csikszentmihalyi le souligne : « Les adultes contribuent à induire (les jeunes) en erreur. Ils donnent aux tâches sérieuses des allures de corvées abrutissantes et pénibles, et font passer les activités superficielles pour excitantes et faciles. »
Sur le sentiment amoureux
« Au lieu de chercher à être reconnu, entériné – au lieu de quêter l'approbation, les félicitations de l'autre –, il faut éprouver le désir d'être connu. »
« Beaucoup de gens pensent que pour vivre une union heureuse il faut trouver le bon partenaire. En fait, l'élément le plus important, le plus délicat à trouver n'est pas là ; ce qu'il faut, c'est cultiver la relation que l'on a choisie. »
*
* *
Joyeux Noël à tous les lecteurs de mon blog !

Pendant les jours à venir, et ce jusqu'aux premiers jours de janvier, je vais publier la saison 4 de ma « saga préhistorique ». Le blog sera de retour sous sa forme habituelle le 11 janvier.

Avec un peu d'avance, bonne année à tous !

24 déc. 2009

JE N’AIME PAS LES BOUTEILLES DE VIN ANONYMES

Nous avons de plus en plus besoin d'enracinements

Quand j'ouvre une bouteille de vin – ce qui m'arrive assez régulièrement… –, je n'aime pas que ce soit une bouteille anonyme. Qu'est-ce que j'entends par anonyme ? Une bouteille achetée dans un magasin, un vin dont je ne connais personnellement ni le terroir, ni le vigneron.
La plupart du temps, la bouteille que j'ouvre, je l'ai achetée sur place, chez son producteur. Elle a alors un tout autre parfum : elle est habitée du souvenir du moment passé dans la cave, du regard de celui qui a élevé ce vin, du soleil et du paysage qui l'ont vu grandir. (La photo de l'étiquette ci-jointe est celle d'un de mes vins préférés, un côte du Rhône produit à proximité de ma maison en Provence. Si vous cliquez sur l'image, vous aurez accès au site de ce producteur)
Plus nous sommes connectés tous ensemble, plus les réseaux d'internet et de la téléphone mobile nous permettent de nous abstraire de l'endroit physique où nous nous trouvons, plus nous avons besoin de repères et d'enracinement : le vin que je vais boire, mon corps saura d'où il vient. C'est rassurant…

23 déc. 2009

L’ABSURDITÉ DES « TEMPS MODERNES » EST AUJOURD’HUI SOUVENT DANS LES BUREAUX


La taylorisation est passée des usines aux bureaux

Quand je me trouve dans des lieux comme des services administratifs ou des centres d'appel, je ne peux m'empêcher de penser au film de Charlie Chaplin, les Temps modernes. 
Dans ce film, on voyait Charlot être prisonnier du rythme des machines qui l'entouraient et l'asservissaient : le développement de la mécanisation et la mise en place du travail à la chaîne grâce au taylorisme avaient abouti à cette déshumanisation du travail en usine. L'insertion de l'électronique et de l'informatique dans les machines couplée avec la formation et l'enrichissement des tâches, ont permis progressivement de donner de la souplesse et de supprimer ces chaînes asservissantes. Plus personne ne pense aux Temps modernes qu'il regarde une usine actuelle : l'homme a été remis au cœur du processus de production.
L'arrivée des technologies de l'information dans les bureaux est un peu de même nature que la mécanisation initiale dans les usines : on a taylorisé le travail administratif, la machine – ici le système d'information – étant au cœur et les hommes à son service. L'exemple le plus criant est celui des centres d'appel : le système choisit vers qui envoyer l'appel, le système propose en temps réel un script que l'agent doit suivre dans sa discussion avec l'appelant, le système surveille tous les paramètres et établit automatiquement rapport et alertes…

Dans les Temps modernes, c'était le corps de Charlot qui était mis à mal : soumis au rythme inexorable des machines, il pouvait penser à autre chose, car le système ne lui demandait pas de penser – surtout pas ! –, mais juste de suivre mécaniquement ce que lui imposait la machine. Dans les bureaux d'aujourd'hui, on ne peut plus penser à autre chose, car c'est l'activité cérébrale qui est prise dans l'étau de cette taylorisation intellectuelle.
Dans les usines du siècle dernier, c'étaient les corps qui avaient des accidents. Dans les bureaux d'aujourd'hui, ce sont les cerveaux qui en ont de plus en plus. Tout témoigne de cette dégradation. 
« Heureusement », cette mécanisation administrative montre ses limites, même par rapport à son objectif initial : plus elle se développe, plus la relation client devient mécanique et de moindre qualité. Les derniers développements des technologies de l'information permettent aussi de remettre les hommes au cœur du système, pour peu qu'on le veuille vraiment.
Il y a urgence…

22 déc. 2009

S’ORGANISER SUR LE PIRE POUR N’AVOIR PLUS QUE DES BONNES NOUVELLES

Si je choisis un scénario médiant, une fois sur deux, j'aurai à faire face à un débordement

« Cela fait plus de quinze minutes que je t'attends, lui dis-je. On avait bien pourtant prévu de se retrouver à 11h, non ? Nous allons être en retard pour notre rendez-vous.
- Désolé, mais il y a eu plus d'embouteillages que je ne pensais, me répondit-il.
- Une question : combien de temps tu pensais mettre entre ton rendez-vous précédent et ici ?
- Trente minutes. Pourquoi me demandes-tu cela ?
- Tu vas voir. Et donc tu es parti à 10h30 ?
- Oui, puisque je pensais mettre trente minutes.
- Mais en fait, tu n'es pas vraiment sûr de mettre trente minutes. La preuve, tu es en retard… Comme d'habitude, d'ailleurs… Donc quand tu estimais le temps à trente minutes, tu penses que c'était plus ou moins combien de minutes.
- Je ne sais pas exactement. Je dirais quinze, vingt minutes.
- Donc si tu pars, trente minutes avant, tu as donc systématiquement une chance sur deux d'être en retard.
- Vu comme cela, oui.
- Donc à partir de maintenant, quand tu choisiras ton heure de départ, tu tiendras compte de l'incertitude : si tu penses que la durée d'un trajet est de trente minutes plus ou moins quinze minutes, tu pars quarante-cinq minutes avant ton rendez-vous. Comme cela, tu seras, sauf accident exceptionnel, sûr d'être à l'heure. Souvent tu seras en avance, mais tu ne feras plus porter le poids de l'incertitude sur les autres. Ce sera l'occasion de faire une dernière préparation de ton rendez-vous… »
Cette anecdote me vient d'une histoire réelle avec un collaborateur qui n'arrivait jamais à l'heure.

Comme lui, souvent, nous avons tendance à nous organiser sur un scénario médiant : aussi une fois sur deux, nous sommes pris de court, débordés par la situation. Ceci est vrai pour la gestion du temps, mais aussi pour la gestion de la trésorerie, l'organisation d'un projet complexe,… 
Pour garder la maîtrise du bon déroulement, il faut chercher à « mettre l'incertitude à l'intérieur » de son calcul, en s'organisant à partir de la pire des hypothèses. On n'aura ainsi plus qu'à gérer « des bonnes nouvelles ».
C'est plus facile, non ?

21 déc. 2009

« LE PLUS DIFFICILE EN PÉRIODE TROUBLE N’EST PAS DE FAIRE SON DEVOIR, MAIS DE LE CONNAÎTRE »

Patchwork issu de La méthode 6. Éthique d'Edgar Morin

Le vivant se nourrit de la mort
« Ainsi en est-il des écosystèmes qui « vivent la mort ». Ainsi en est-il de nous autres animaux, mammifères, primates, humains, qui vivons par régénération permanente de nos cellules et molécules à partir de leur mort et de leur destruction. Ainsi en est-il de nos sociétés qui se régénèrent en éduquant les générations nouvelles tandis que meurent les anciennes. « Vivre de mort, mourir de vie », avait énoncé Héraclite. »
« Le vie lutte cruellement contre la cruauté du monde et résiste avec cruauté à sa propre cruauté. Tout vivant tue et mange du vivant. Le cycle nourricier des écosystèmes (cycle trophique) est en même temps un cycle de mort pour les animaux et végétaux dévorés. La régulation écologique se paie par des hécatombes. La cruauté est le prix à payer pour la grande solidarité de la biosphère. La Nature est à la fois mère et marâtre. Tout vivant lutte contre la mort en intégrant la mort pour se régénérer (mort des cellules dans les organismes individuels remplacées par des cellules neuves, mort des vieillards dans les sociétés remplacés par les nouvelles générations). »

Qu'est-ce comprendre ?
« Nous sommes totalement responsables de nos paroles, de nos écrits, de nos actions, mais nous ne sommes pas responsables de leur interprétation ni de leurs conséquences. »
« Les idées nous manipulent plus que nous les manipulons. La possession par l'idée nous rend incompréhensifs de ceux qui sont possédés par d'autres idées que les nôtres et de ceux qui ne sont pas possédés par nos idées. »
« Comprendre, c'est comprendre les motivations intérieures, c'est situer dans le contexte et le complexe. Comprendre, ce n'est pas tout expliquer. La connaissance complexe reconnaît toujours un résidu inexplicable. Comprendre, ce n'est pas tout comprendre, c'est aussi reconnaître qu'il y a de l'incompréhensible. »
« Comprendre n'est pas innocenter, ni s'abstenir de juger, ni s'abstenir d'agir, c'est reconnaître que les auteurs de forfaits ou d'infamies sont aussi des êtres humains. N'oublions jamais le message de Robert Antelme : les SS veulent nous retrancher de l'espèce humaine, ils ne le pourront pas, mais nous-mêmes ne pouvons (ne devons) les retrancher de l'espèce humaine. »
« Conditionner le pardon au repentir, c'est perdre le sens profond du pardon qui est un pari sur l'humain. (…) Mais la confiance elle-même peut vaincre la méfiance. C'est pourquoi le pardon, acte de confiance en la nature humaine, est un pari. »

L'incertitude fait que l'on ne fait jamais réellement ce que l'on avait voulu
« Ainsi l'agir humain devient catastrophiquement imprévisible. « On déclenche des processus dont l'issue est imprévisible, de sorte que l'incertitude (…) devient la caractéristique essentielle des affaires humaines. » (Hannah Arendt) (…) Nulle action n'est donc assurée d'œuvrer dans le sens de son intention. »
« Les scientifiques partagent avec les autres citoyens une autre cause d'aveuglement éthique : c'est l'ignorance de l'écologie de l'action ; celle-ci, rappelons-le, enseigne que toute action humaine, dès qu'elle est entreprise, échappe à son initiateur et entre dans un jeu d'interactions multiples qui la détournent de son but et parfois lui donnent une destination contraire à son intention. Ceci est vrai en général pour les actions politiques, ceci est vrai aussi pour les actions scientifiques. »
« L'utopisme banal ignore les impossibilités. Le réalisme banal ignore les possibilités. Comme nous l'avons vu, le réalisme banal ignore que le réel est travaillé par des forces souterraines, au départ invisibles, qui tendent à la transformer. Il ignore l'incertitude du réel. (…) Le vrai réalisme se fonde sur l'incertitude du réel. (…) Comprendre l'incertitude du réel, savoir qu'il y a du possible encore invisible dans le réel. »

Le développement de l'incertitude en appelle à la reliance
« Plus nous sommes autonomes, plus nous devons assumer l'incertitude et l'inquiétude, plus nous avons besoin de reliance. Plus nous prenons conscience que nous sommes perdus dans l'univers et que nous sommes engagés dans une aventure inconnue, plus nous avons besoin d'être reliés à nos frères et sœurs de l'humanité. »
« Au niveau de la plus haute complexité humaine, la reliance ne peut être qu'amour. (…) L'humanité n'a pas souffert seulement d'insuffisance d'amour. Elle a produit des outrances d'amour qui se sont précipitées sur les dieux, les idoles et les idées, et sont revenus sur les humains, transmutées en intolérance et terreur. »
« Le plus difficile en période trouble n'est pas de faire son devoir, mais de le connaître. » (Rivarol)
« Les fragments d'humanité sont désormais en interdépendance, mais l'interdépendance ne crée pas la solidarité ; ils sont en communications, mais les communications techniques ou mercantiles ne créent pas la compréhension ; l'accumulation des informations ne crée pas la connaissance, et l'accumulation des connaissances ne crée pas la compréhension. »
« La pensée complexe est la pensée qui relie. L'éthique complexe est l'éthique de la reliance. La mission éthique peut se concentrer en un terme « relier ». Il faut, pour tous et pour chacun, pour la survie de l'humanité, reconnaître la nécessité de relier :
- Se relier aux nôtres,
- Se relier aux autres,
- Se relier à la Terre-Patrie »

18 déc. 2009

POURQUOI NOTER DES RÉUNIONS AUXQUELLES ON N’IRA TRÈS PROBABLEMENT PAS

Comment classer ses rendez-vous en trois catégories

Ainsi que l'indique très justement Jean-Louis Servan-Schreiber dans « Le nouvel art du temps », si nous n'y prenons pas garde, nous n'avons aucun temps disponible pour réfléchir : au fur et à mesure des demandes de rendez-vous, l'agenda se remplit. In fine, il est plein, et, pour avoir du temps à nous, nous sommes alors contraints à soit arriver à sept heures du matin, soit repartir après vingt-et-une heures. Aussi suggérait-il de « régulièrement prendre rendez-vous avec nous-mêmes pour des plages au moins hebdomadaires ».

Mon métier de consultant reposant par construction sur le temps et ma capacité à l'optimiser constamment au mieux, j'ai développé une approche complémentaire. Elle consiste à classer tous les réunions en trois catégories :
  1. Celles où ma présence est absolument indispensable, c'est-à-dire que mon absence annule l'existence même du rendez-vous. Il peut s'agir de toutes les réunions à deux, mais aussi de celles où je suis le présentateur ou l'animateur sans possibilité de remplacement,
  2. Celles où ma présence est nécessaire (soit par la valeur ajoutée spécifique que je peux apporter, soit par l'importance du sujet traité et ses conséquences dans le futur), mais pas indispensable, c'est-à-dire que la réunion peut se tenir sans moi. Ce sont par exemple tous les comités de direction et de suivi (sauf si j'en suis le président ou le rapporteur sans remplaçant possible).
  3. Celles où ma présence n'a pas d'impact sur la réunion, mais dont je vais en retirer une plus-value personnelle. Ce sont bien sûr toutes les réunions d'information, mais aussi bon nombre de comités auxquels je peux participer sans être directement impliqué à l'ordre du jour.

    Quel est l'intérêt d'une telle classification ?
    D'abord, à noter qu'il n'y a pas une 4ème catégorie qui correspondrait au cas où je participe à une réunion pour laquelle ma présence n'a pas d'impact et dont je ne retirerais rien. A quoi bon y aller ? Donc, cela permet de « faire le ménage » dès la prise de rendez-vous : toujours refuser d'aller à ce type de réunion.
    Ensuite, le fait d'avoir hiérarchiser son agenda de cette façon va permettre de gérer les imprévus et de réallouer dynamiquement son temps, soit pour trouver de la place pour une réunion non planifiée, soit pour se dégager du temps pour soi-même.
    En effet, si vous appliquez cette typologie à votre agenda, vous verrez que vous avez très peu de réunions de type 1. Bon nombre des rendez-vous peuvent avoir lieu sans vous et donc de type 2. Même s'il faut chercher à « taper » en priorité dans les rendez-vous de type 3, seuls les rendez-vous de type 1 sont les points réellement durs : toute modification suppose une reprogrammation complète de la réunion.
    Pourquoi marquer ce type de réunions de type 3 sur son agenda, alors que la plupart du temps on n'ira pas ?
    D'abord parce que y aller reste une bonne idée, car c'est souvent au cours de ces moments-là que l'on peut élargir son champ de réflexion et acquérir de nouvelles informations. Comme on n'est pas en première ligne, on est naturellement plus disponible et plus ouvert.
    Ensuite, parce que c'est une autre façon de prendre rendez-vous avec vous-mêmes comme le recommande Jean-Louis Servan-Schreiber…

    17 déc. 2009

    « NOUS SOMMES DÉJÀ RÉUNIS DEPUIS 500 € »

    Plus on est nombreux, plus cela devrait aller vite…

    Je prolonge mon billet d'hier relatif au temps et la lecture du Nouvel Art du Temps de Jean-Louis Servan-Schreiber par une observation sur les réunions en entreprises.
    Compte-tenu de mon métier de consultant, j'ai eu l'occasion de participer ou assister à un très grand nombre de réunions.
    Il m'est venu, il y a quelques années, une idée « fantaisiste » pour améliorer le fonctionnement des réunions, suffisamment fantaisiste pour que je n'aie cherché jamais à le mettre en pratique, suffisamment logique pour que j'en parle ici.
    Quelle est-elle ? Classiquement, pour une réunion donnée, on fixe une date et une durée, et un certain nombre de participants. Au moment de monter la réunion, on va réfléchir à la durée en fonction de l'importance et de la difficulté du sujet à traiter. Mais à aucun moment, on ne va vraiment chercher à faire le lien entre cette durée et le nombre et la qualité des participants (sauf, bien sûr, à tenir compte de leur disponibilité). De même, on ne calcule que rarement, le coût de cette réunion.
    Or, plus il y aura de monde dans une réunion donnée, plus il y aura d'intelligence collective, et donc « normalement », plus la réunion devrait être efficace. Ce n'est malheureusement, la plupart du temps, pas le cas, car l'accroissement du nombre de participants va surtout de pair avec la multiplication des arguties et des polémiques internes. On peut donc avoir une situation paradoxale : accroissement du nombre de participants et donc du coût, et dégradation de la qualité de la réunion.
    Il m'est un jour venu alors l'idée suivante : plutôt que de prévoir une réunion disons d'une heure, pourquoi ne pas prévoir une réunion de « tant d'euros ». Il suffit parallèlement que chaque membre de l'entreprise ait un coût horaire (facile à calculer à partir du salaire, des charges sociales et des coûts administratifs directs). Ceci aurait déjà pour mérite de mettre en regard le coût de la réunion avec la valeur du sujet traité.
    De plus, on pourrait remplacer les horloges par des compteurs débitant des euros et, quand quelqu'un demande à participer ou soit convoqué, avoir son coût horaire chargé dans le système. Dès lors, plus il y aura de participants, moins la réunion devra durer longtemps. On pourrait donc en cours de réunion, au bout d'un moment, avoir quelqu'un qui dirait : « Nous sommes déjà réunis depuis 500 €, et il ne nous en reste plus que 1500. Il faut absolument que l'on avance. »
    Évidemment, comme la mise en œuvre d'une telle idée ne serait pas de nature à détendre l'ambiance en entreprise et à diminuer le stress, je ne la recommande pas telle qu'elle. Mais bien souvent, quand je suis dans des réunions surchargées et qui s'éternisent, je ne peux m'empêcher d'imaginer ce compteur monétaire en train de tourner…

    16 déc. 2009

    « NOUS SOMMES PLUS STRESSÉS QU’OBÈSES »

    Patchwork tiré du « Nouvel Art du temps » de Jean-Louis Servan-Schreiber

    « Le vocabulaire courant nous met sur de fausses pistes. « Gagner » ou « perdre » du temps n'a aucun sens. Nous disposons de la totalité du temps disponible, lequel est imperturbable et non modifiable. »
    « Ce n'est plus la lumière solaire, mais l'heure d'entrée et de sortie de l'usine qui rythme les journées. (…) Et comme l'ouvrier ne fabrique plus lui-même ses aliments ou ses vêtements, il doit s'adapter aux horaires d'ouverture de ceux qui vendent. Quand, enfin, beaucoup plus tard, les conquêtes sociales, lui permettent d'introduire des loisirs dans sa vie, il lui faut aussi être à l'heure pour le début su spectacle ou de l'émission de télé. »
    « Le Choix du moment : Notons que c'est l'écriture et non l'imprimerie qui a permis de décaler la naissance d'une idée de sa réception parmi nous. (…) Aujourd'hui, ce pouvoir de décalage entre production et usage s'est généralisé grâce à une prolifération des machines. Le congélateur, (…) le magnétoscope, (…) et toutes les messageries écrites ou parlées. »
    « Nous réfléchissons bien plus à l'emploi de notre argent, renouvelable, qu'à celui de notre temps, irremplaçable. »
    « Le grand morcellement de notre temps ne s'est propagé que depuis la Seconde Guerre mondiale. (…) Les déménagements, (…) les changements d'employeurs, ou même de métier, (…) les amours successives (…) A une vie courte aux temps peu nombreux, s'est substituée une vie longue aux temps multiples et mêlés. » 
    « Plus stressés qu'obèses : ulcères, crises cardiaques ou cancers naissent dans le sillage du stress, qui est au temps ce que l'obésité est à la nourriture. »
    « Nous travaillons sans recul. Pour un canon, c'est un progrès. Pas pour un cerveau. »

    15 déc. 2009

    « LES MONTAGNES S’ÉCOULENT DEVANT DIEU »

    On ne peut pas voir les effets à long terme au travers d'observations immédiates
    Quand nous regardons le monde qui nous entoure, nous distinguons des liquides et des solides. Effectivement, si je verse un liquide, il va immédiatement se répandre sur toute la surface du sol ; si je pose un solide, il restera là où je l'ai posé. Entre les deux, c'est le monde du visqueux ou du pâteux (pensez à du sirop, du ketchup ou un plastique chauffé).
    Certes… mais si je prolonge mon observation du solide, il va finir par lui-aussi « couler ». En fait, la différence entre solide et liquide est une question d'échelle de temps : un liquide coule immédiatement, un solide de façon différée (il flue). Ceci dépend du « nombre de Deborah » (en référence à la prophétesse Deborah qui, après la victoire de Baraq sur Sisera le Philistin, dit : « Les montagnes s'écoulent devant Dieu ») : ce nombre est le rapport entre le temps de relaxation de la matière suite à une déformation (le temps de relaxation est le temps de retour à l'équilibre et est une propriété intrinsèque de la matière) et le temps d'observation.

    Si mon temps d'observation est très inférieur au temps de relaxation, la matière m'apparaît comme solide. S'il est très supérieur, elle m'apparaît comme liquide (le temps de relaxation de l'eau est de 10-12 s). Entre les deux, elle va m'apparaître plus ou moins visqueuse ou pâteuse.

    Je ne peux m'empêcher de faire le lien avec l'entreprise, le management et la prise de décision.
    N'y a-t-il pas là aussi un lien entre le temps d'observation et ce que l'on observe ? Est-ce qu'à vouloir décider vite, on n'est pas condamné à des temps d'analyse et d'observation tellement courts, qu'ils nous trompent sur la réalité en nous masquant les effets à long terme ? Comment peut-on créer de la valeur dans la durée si l'on ne tient pas compte de ces effets à long terme ?
    Faisons attention à cette culture du zapping et de la plus-value à court terme. En management, il n'y a pas besoin d'invoquer Dieu pour voir les montagnes couler, il suffit souvent d'attendre un peu…