Prendre en compte l'incertitude au moment de décider
Classiquement, lorsque l'on travaille sur l'élaboration d'une stratégie, on va construire des scénarios. Chaque scenario constitue un ensemble cohérent d'actions et est bâti pour permettre le choix final. Souvent on a un scenario ambitieux, un prudent et un médian. Ce peut peut-être aussi autour d'options plus fondamentalement différentes (par exemple : lancement ou non d'une distribution intégrée, externalisation ou non de telle fonction…).
On va ensuite chercher à tester la sensibilité de ces scénarios en déréglant les hypothèses faites lors de leur constitution : la croissance du marché, le coût des ressources financières, le nombre de concurrent, une date de lancement… Mon expérience m'a montré que ces tests se font en déréglant les hypothèses dans des proportions importantes, mais finalement limitées : +/- 10 %, parfois +/- 20 %.
Ce ne sera pas encore suffisant et la question à se poser est : « Que pourrait-il arriver de pire ? Y a-t-il un événement qui est susceptible à lui-seul de tout remettre en cause ? Y a-t-il un ou des cygnes noirs (*) potentiels ?
Repensez au titre d'Andy Grove : « Seuls les paranoïaques survivront » et traduisez-le en : « Seuls les paranoïaques y arriveront ». Soyez dans l'état d'esprit suivant : le futur est tellement imprévisible, tant de choses peuvent survenir, qu'il doit bien y avoir un moyen de m'empêcher d'atteindre mon objectif.
Ou formulé autrement : ce sera seulement au prix d'un effort continu, d'une attention extrême et de beaucoup d'imaginations que l'on pourra arriver au bord de la mer visée.
Face à ces risques, à ces événements improbables mais fortement disruptifs, inutile de bâtir à l'avance des plans d'actions détaillés, mais simplement se voir dans la situation d'avoir à faire face à lui : aurait-on le moyen de le voir venir ? Si oui, pourrait-on influer sur lui et le rendre moins dangereux ? S'il advient quand même, quelles sont les marges de manœuvre ?...
Ce mode de pensée est celui de la gestion des risques en milieu industriel : pour mieux maîtriser les risques en matière d'environnement, des scenarios de crise sont étudiés au cours desquels on va faire subir aux installations des crises majeures et voir comment elles peuvent résister. Ceci amène parfois à redimensionner des processus industriels et les rendre redondants pour assurer une continuité en cas de panne.
C'est la même chose qu'il faut faire pour la construction des scénarios stratégiques : trouver les risques majeurs et voir comment y faire face ; se poser la question d'avoir ou non une stratégie redondante, c'est-à-dire répartir ses moyens sur des axes distincts, mais visant la même cible. La productivité apparente peut se trouver dégradée, mais la résilience de la stratégie peut être nettement plus élevée, et donc la productivité réelle, c'est-à-dire en intégrant le coût des risques, meilleure.
Finalement le succès d'un projet global d'entreprise est plus complexe que celui d'une seule installation industrielle : n'est-il pas normal d'être encore plus exigeant en matière de gestion des risques ?
De ce point de vue, attention aux emballements trop rapides et aux consensus immédiats : si l'ensemble de l'équipe de direction est tout de suite convaincue et du même avis, il y a fort à parier que l'on ne va pas sérieusement étudier quels sont les risques et pourquoi on pourrait échouer. Un conseil donc : ne sauter jamais l'étape de la remise en cause et du « Destroy my strategy ». Si tout le monde est convaincu, allez chercher qui ne l'est pas et confier lui l'analyse des risques. Il vous apportera un peu de cette paranoïa qui risque autrement de manquer !
Par exemple, à titre personnel, je marche sans inquiétude dans les rues de Paris. Oui les météorites existent, mais ils sont très hautement improbables et leurs effets tellement dévastateurs que, si on les intègre dans son raisonnement, on ne sort jamais.
Les actionnaires privées ont de ce point de vue un comportement plus efficace que celui des établissements financiers.
Ces derniers ont tendance à vouloir prendre tellement de précautions que la sortie du landau est peu probable. Les actionnaires privés ont une vision meilleure des risques. Est-ce pour cette raison que les entreprises familiales créent plus de valeur et saisissent mieux les opportunités que les autres ? Peut-être…
Finalement en tant qu'individu, nous savons bien que le futur est incertain et pourtant nous agissons et prenons des risques. Avant de nous engager, ouvrons-nous notre ordinateur pour créer un tableur excel et modéliser ce qui va se passer ? Non, n'est-ce pas ? Alors pourquoi le faire dans les entreprises ?
Ayons le culot de penser à partir du futur et de rêver quelles seront les mers possibles, imaginons-nous y aller, peuplons le parcours de monstres de toutes sortes pour voir ce qui pourrait se passer et si, après tout cela, nous sentons une grande envie d'y aller, plongeons !
C'est alors que tout commence vraiment…
(*) Voir "Le Cygne noir" de Nassim Nicholas Taleb
1 commentaire:
Bonjour,
Merci pour cet article qui fait le tour des comportements possibles en vue d'atteindre des objectifs.
La tendance actuelle recherchée par les investisseurs en capital développement me semble être efficace avec un soin à apporter sur l'efficience. "Le pire est réalisée au lieu de penser qu'il n'est pas le plus probable. Et l'improbable est à venir". Avec une telle attitude, il me semble que l'on sollicite encore plus la capacité de créativité, d'innovation, de rupture au sens Triz sans pour autant dégrader l'efficience. Bien sûr, il faut trouver des solutions au bout du processus.
Quand on a affronter le pire, la direction peut lâcher prise, en toute sérénite (moins d'angoisse !) mais beaucoup de vigilance ! N'est-ce pas la classe !
Enregistrer un commentaire