25 mai 2011

QUAND UNE ENTREPRISE SE POSE UNE QUESTION QUI N’EXISTE PAS

Observer plutôt que questionner
Si, pour analyser une situation, on commence  par poser des questions, on risque non seulement de ne pas comprendre ce qui se passe réellement, mais chercher à régler un problème qui ne se pose pas. Voilà un exemple tiré d’un cas réel que j’ai vécu et que j’ai relaté dans les Mers de l’incertitude.
Pour des raisons liées à l’environnement, l’entreprise avait décidé de mettre dans ses déodorants un nouveau gaz de propulsion, gaz dont la densité était plus faible. Ainsi, avec la même quantité de produit, donc le même nombre d’utilisations, le bidon du déodorant allait devenir plus léger. L’écart était faible mais suffisant pour être perçu si l’on tenait dans une main l’ancien déodorant, et dans l’autre le nouveau.
Que fallait-il faire ? Il était facile de compenser l’écart de poids en alourdissant le flacon ou en le remplissant un peu plus. Mais ces deux solutions allaient accroître le coût de production, sans aucune possibilité de répercussion dans le prix de vente. Si l’entreprise avait procédé à une enquête (c’est-à-dire en demandant au client s’il préférerait un flacon plus lourd ou pas), la réponse était dans la question : les clients allaient penser que, si le flacon était plus léger, il y avait moins de produit à l’intérieur.
L’entreprise a procédé autrement. Méfiante de ses réflexes internes, elle a décidé d’observer comment se comportaient les clients. Grâce à des stagiaires envoyés sur les lieux de vente, elle a rapidement compris que le geste fait en interne (comparer les deux bidons) n’existait pas lors de l’achat : la consommatrice prenait un flacon, le secouait pour voir s’il était rempli, le reposait et en prenait un autre. Elle n’avait à aucun moment les deux flacons en même temps dans les mains. Or si l’écart de poids était suffisant pour être perçu quand on tenait les deux flacons, un dans chaque main, il était trop faible pour l’être quand les flacons étaient pris successivement. Rien n’a donc été changé.

5 commentaires:

Le Blog de Paule Orsoni a dit…

Sans entrer dans les détails que tu proposes et que tu justifies,je pense alors à ces assertions bachelardiennes qui ont alimenté le renouvellement de l'esprit scientifique et qui nous disent ceci:"Déjà l'observation a besoin d'un corps de précautions qui conduisent à réfléchir avant de regarder ,qui réforment du moins la première vision de sorte que ce n'est jamais la première observation qui est la bonne.L'observation scientifique est toujours une observation polémique ,elle confirme ou infirme une thèse antérieure,un schéma préalable ,un plan d'observation,elle montre en démontrant,elle hiérarchise les apparences,elle transcende l'immédiat.Elle reconstruit le réel après avoir reconstruit ses schémas."Voilà ce que G?Bachelard propose dans son "Nouvel Esprit Scientifique" (page 16.Vrin éditeur).ceci pour apporter quelque contribution à une distinction des concepts(Observer /questionner) et qui ne vise pas nécessairement à justifier,une bonne fois pour toutes les données de la Science et l'entreprise de rationalisation qu'elle entend effectuer...

Robert Branche a dit…

Je ne suis pas certain qu'il faille avoir - du moins si l'on veut appréhender du nouveau et de l'inconnu - "une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d'observation".
Je crois au contraire qu'il faut essayer de faire le vide pour observer sans a priori... ou plutôt avec le minimum d'a priori, car, on ne peut jamais faire le vide complet (on reste soumis à sa culture, ses origines et à l'endroit d'où l'on observe)

Le Blog de Paule Orsoni a dit…

Je me rapproche de ce que tu dis,même si je mesure la difficulté qu'il y a à "faire le vide" et à se poser en esprit détaché de toute considération de quelque ordre que ce soit.On pourrait alors renvoyer cette posture idéale à la question suivante:"Quelle part l'ancien occupe-t-il dans la nouveauté?" et à d'autres qui concerneraient le statut de la Perception en même temps que la nature du fameux "point de vue"

Robert Branche a dit…

Oui j'aime bien tes deux suggestions de thème :
"quelle est la part de l'ancien dans la nouveauté" et "comment percevoir sans point de vue"
Je pense que je vais rebondir sur ces questions la semaine prochaine...

Le Blog de Paule Orsoni a dit…

Oui,empruntons les chemins toujours à construire...