Affichage des articles dont le libellé est Complexité. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Complexité. Afficher tous les articles

15 mars 2010

COMMENT VIVRE LA COMPLEXITÉ SANS CONFIANCE ?

En France, nous nous méfions les uns des autres

Dans cette conférence tenue en décembre 2009 à l'École Normale Supérieure, Yann Algan, professeur à Sciences Po, montre que : 
- En France, nous avons un déficit de confiance tant vis-à-vis de nos institutions que de nos concitoyens : par exemple, nous sommes parmi les pays qui ont la plus forte défiance vis-à-vis de leur justice. Ou encore, une français sur cinq fait confiance spontanément à quelqu'un qui ne connait pas versus trois sur quatre dans les pays d'Europe du Nord
- Il y a un lien direct entre le niveau de confiance dans un pays et la performance économique : par exemple, plus le degré de confiance est élevé, plus le pourcentage d'investissement l'est aussi, ce qui « est d'autant plus fondamental dans nos économies d'innovation ». Ou encore, moins il y a de confiance, moins il est facile de créer une entreprise, car plus les contrôles sont tatillons et multiples…

Un peu plus de quinze minutes à écouter… et à méditer

1 févr. 2010

POURQUOI LE DOCTEUR HOUSE RÉUSSIT-IL SES DIAGNOSTICS ?

Les cinq clés de la réussite

La série TV « Docteur House » met en scène, à chaque épisode, un diagnostic médical quasiment impossible : chaque fois, un patient présente un ensemble de symptômes apparemment contradictoires, et tous les tests viennent successivement éliminer les hypothèses faites. In fine, comme un magicien, le docteur House va trouver la solution, celle qui réunit tous les faits et va résoudre le cas.

Comme émerge cette solution ? Si j'analyse le déroulé du diagnostic, je trouve toujours : 
- Une confrontation constante au sein de l'équipe : Chacun est tenu de formuler à haute voix ses hypothèses, d'expliquer ce qui les sous-tend et d'accepter l'exercice de démolition venant du reste de l'équipe, et souvent de House lui-même.
- Un recueil large des faits qui va bien au-delà du classique questionnaire médical : Tous les éléments de contexte, y compris via une fouille de l'appartement du malade, sont collectés.
- Des tests successifs : Toute hypothèse est immédiatement testée, même si elle n'est pas certaine. Il suffit qu'elle soit envisageable, c'est-à-dire possible pour être vérifiée.
- Du temps passé à « ne rien faire » : L'essentiel de l'activité de House n'est pas planifiée, ni affectée à une recherche opérationnelle. Il passe son temps à discuter, critiquer les personnes qui l'environnent, jouer avec un balle, regarder une émission de télévision.
- Une solution qui vient d'ailleurs : La solution émerge toujours à partir d'une analogie externe. Confronté à une situation de la vie courante, House va y trouver la clé qui lui permet de relier les faits et comprendre ce qui lui échappait. De plus, pendant tout l'épisode, House va veiller à s'impliquer au minimum dans la relation au patient. Il est intensément au courant des faits, mais il reste ailleurs, à distance.

Voilà cinq points à garder en mémoire pour tout diagnostic complexe… On n'est toutefois pas obligé d'avoir un comportement aussi pénible que celui de House !


26 janv. 2010

L’INCERTITUDE DE NOTRE NEUROMONDE : HYPER-CONNEXION, HYPER-DÉPENDANCE ET HYPER-FLOU

Tout est dans tous et réciproquement

Depuis qu'elle est apparue, la vie avance de possibles en possibles, et, plus l'univers s'est développé, plus il s'est complexifié et moins on peut facilement prévoir les évolutions futures : trop d'interactions entre trop de paramètres, trop de phénomènes régis par des lois du chaos et impossibilité de connaître parfaitement les conditions initiales, présence de la vie et de l'auto-organisation, capacité du monde animal à construire des stratégies adaptatives, apparition de l'homme et de son libre-arbitre, …
Dernièrement avec les technologies de l'information, cette hypercomplexité a franchi un nouveau stade : tous connectés, nous sommes tous codépendants. De plus, nous sommes six milliards d'êtes humains et bientôt neuf. 
Dans le même temps, « notre savoir-faire s'adonne, de plus, depuis un temps assez récent, au façonnage des objets-monde. Un satellite, pour la vitesse, une bombe atomique, pour l'énergie, l'Internet, pour l'espace, les résidus nucléaires pour le temps... voilà quatre exemples d'objets-monde. » (Michel Serres, Hominescence). Aussi l'impact de chacun de nous est-il : grâce aux « objets-monde », il suffit de quelques hommes pour agir sur le monde tout entier. 
Résultat, comme l'écrit toujours Michel Serres (cette fois dans le Temps des crises), « nous dépendons enfin des choses qui dépendent de nous. (…) Ladite mondialisation me paraît aujourd'hui au moins autant le résultat de l'activité du Monde que des nôtres. » Qu'est-ce à dire ? Que nous sommes pris dans les mailles de l'effet de nos propres actes, que la boucle d'interaction entre l'action et ce sur quoi on agit devient prépondérante. Témoin les débats actuels sur le climat et le réchauffement de la Terre, l'eau, la pollution, l'énergie…

Conséquence, l'horizon du flou se rapproche et il devient de plus en plus aléatoire de voir précisément au-delà d'un horizon proche. Très vite, nous ne pouvons prévoir que les grandes tendances, et plus les évolutions précises… et encore.
Plutôt que parler d'horizon de flou, je devrais parler de flou progressif : plus je m'écarte du présent, moins je vois clair. A un moment, le flou est tel que je ne perçois plus que les grandes lignes.
Plus rien n'est certain. Au mieux, nous pouvons probabiliser des scénarios d'évolution, mais, le plus souvent, nous ne pouvons que les dessiner. Et de plus en plus, nous sommes dans le flou total : impossible même de dessiner des scenarios d'évolution…

20 janv. 2010

COMMENT SAVOIR QUAND NOUS SOMMES NÉS ?

L'identité n'est pas figée, mais se construit continûment

Une question : Quand sommes-nous réellement nés ? La réponse est évidente, non ? Au moment de notre naissance, c'est-à-dire lors de l'accouchement de notre mère. 
Certes, cette réponse est juridiquement incontestable. Mais, si l'on prend ceci comme définition, cela veut donc dire que nous acceptons de faire démarrer notre origine d'un élément qui nous échappe. De plus, en quoi le fait que l'accouchement ait lieu un jour plus tôt ou plus tard, change-t-il en quoi que ce soit notre existence propre ? Notre naissance débute-t-elle vraiment au moment où l'on coupe le cordon ombilical ? Est-ce cette notion d'autonomie et d'indépendance qui compte ? Pourquoi ne pas prendre le sevrage alors ? 
Après notre naissance, nous allons continuer à évoluer et à changer continûment : acquisitions successives du langage, de la motricité, de l'écriture… Chaque étape de notre vie va nous transformer, et notre identité n'est jamais fixe : chaque événement vient modifier le circuit de nos synapses, des connexions cérébrales se renforcent, d'autres s'affaiblissent, de nouveaux neurones apparaissent,… Comment décider que ce que nous sommes aujourd'hui a commencé un jour précis : je ne parle pas depuis le jour de ma naissance mais depuis le jour où j'ai effectivement commencé à parler, idem pour la marche, … Nos origines sont multiples et nous sommes l'enveloppe de toutes ces origines.
Si l'on remonte en amont de l'accouchement, nous aurons tendance à rattacher notre naissance au moment de notre conception, quand un spermatozoïde a fécondé un ovule. Notre naissance serait celle de l'œuf à l'origine du fœtus. C'est effectivement ce qui a défini notre patrimoine génétique. Mais à nouveau, notre identité est largement conditionnée par ce qui va se passer en aval, entre ce moment de la conception et l'accouchement : le développement du fœtus va dépendre de l'alimentation de sa mère et de toutes les variables d'environnement. 
Finalement on peut faire l'analogie avec un fleuve : la Seine prend sa source à Source-Seine, sur le plateau de Langres en Côte-d'Or, et donc en ce sens, on peut dire que c'est là que la Seine est née. Mais si je regarde toute l'eau qui passe à Paris, sous le pont Mirabeau, quasiment aucune de ces molécules ne vient de cette source. Si une de ces molécules pouvait parler et réfléchir, accepterait-elle que l'on dise qu'elle est « née » à Source-Seine ? Probablement non ! Pour nous, c'est différent, car nous avons une sensation de continuité et de responsabilité au cours du temps : nous nous sentons être celui que nous étions une semaine, un mois ou un an avant. Nous acceptons même d'être responsables de notre passé…

Il en est de même pour une entreprise : elle se transforme sans cesse, elle consomme des produits et en crée d'autres, elle intègre des individus et se séparent d'autres, elle crée des alliances avec certaines entreprises et en attaque d'autres… Elle vit. Quand est-elle née ? Qu'est-ce qui est à l'origine de son existence actuelle ? Y a-t-il une continuité historique et un sentiment de responsabilité dans le temps et l'espace ? Comment existe-t-elle en tant que système collectif, et non pas comme une collection d'individus juxtaposés ? Qu'est ce qui fait son identité ? Quand IBM devient une entreprise centrée sur le software et sur la prestation intellectuelle, est-elle toujours IBM ? Après avoir absorbé successivement Fina, puis Elf, Total est-il resté Total ? 
Quand Veolia nait à partir de la scission des activités environnement issues de la Générale des Eaux redevient-elle la Générale des Eaux sous un autre nom ? Quand France Telecom cesse d'être une entreprise publique et s'internationalise de plus en plus, est-elle toujours France Telecom ? Quand BSN devient Danone s'agit-il d'une création nouvelle ou d'une transformation d'une identité ?

19 janv. 2010

POURQUOI DÉPENSER AUTANT D’ARGENT DANS UN CATALOGUE ET DES CAMIONS QUI NE VENDENT RIEN

Un avantage marketing ne doit pas financer des usines obsolètes

Facom a été pendant de longues années l'entreprise leader de l'outillage à main. Sa force reposait sur la qualité de ses outils, et leur adéquation aux besoins des ouvriers, notamment de maintenance. Cette performance était soutenue essentiellement par deux leviers marketing : le catalogue et les camions de démonstration.

Le catalogue était « la bible de l'outillage » pour les ouvriers et techniciens : il comprenait non seulement toutes les offres Facom, mais surtout des explications générales pour chaque famille d'outils, avec photos à l'appui. Doté d'une couverture de qualité et extrêmement résistante, réalisé avec soin par des spécialistes, il était donné gratuitement dans toutes les usines. Quand on circulait dans les ateliers, il n'était pas rare de voir un ouvrier en train de le feuilleter.

Remplis d'outils présentés comme sur un linéaire de magasin, les camions sillonnaient la France, allant d'usine en usine. Leur visite était attendue par les ouvriers et techniciens de maintenance, car elle leur permettait de toucher directement les outils et d'avoir une discussion avec un spécialiste de la marque. Les camions étaient de fait des catalogues vivants et itinérants.

Or ni le catalogue, ni les camions n'étaient des moyens de vente directe : on ne pouvait pas commander à partir du catalogue, on ne pouvait pas acheter dans les camions. Toutes les commandes passaient par des distributeurs indépendants et spécialisés : le catalogue comme les camions renvoyaient vers eux. Catalogue et camions étaient là pour soutenir le premium de la marque, donner envie aux ouvriers d'acheter et faciliter les ventes pour les distributeurs.

Grâce à cela, Facom pouvait défendre des prix nettement plus élevés que ses concurrents directs (au moins 50% d'écart de prix). Cet écart de prix n'avait pu être créé, puis défendu que, d'une part à cause de la qualité des outils, d'autre part de ce double apport marketing. C'est cet écart de prix qui permettait à Facom de financer catalogue et camions, tout en conservant in fine une meilleure rentabilité.

Mais comme, dès les années 80, Facom a laissé déraper ses coûts industriels et a consacré une part croissante de l'écart de prix au comblement de ce handicap de prix de revient, elle a insuffisamment développé le catalogue et les camions. Quand, dans les années 90, la situation a commencé à se dégrader, il a été tentant de commencer à diminuer les dépenses qui ne créaient pas directement du chiffre d'affaires : à quoi bon, dépenser autant d'argent pour un catalogue et des camions qui ne vendent pas ? Le cercle fatal était enclenché. Aujourd'hui Facom a perdu son indépendance et a été rachetée en 2005 par Stanley.

« Moralité » : attention aux approches simplistes de productivité. Certaines, comme les mauvais régimes alimentaires, peuvent conduire à la mort.

13 janv. 2010

« LE MANAGER DOIT ÊTRE CONSCIENT QUE LES CLÔTURES IMPOSÉES ONT UN CARACTÈRE ARTIFICIEL »

Extraits d'un document du programme européen « Modélisation de la complexité »

L'Association pour la Pensée Complexe a mis en ligne toute une série de documents issus du Programme européen MCX "Modélisation de la Complexité" (http://www.mcxapc.org/)
On peut notamment trouver là un document intitulé « Stratégie des organisations et complexité : quels principes et quelles modalités d’action pour le management stratégique dans la complexité ?  » (http://www.mcxapc.org/docs/dossiermcx/dossier14.pdf). C'est un dossier construit par M.J. Avenier, F. Lacroux, L. Nourry, à partir d'échanges entre treize spécialistes européens du management stratégique des organisations, pour la plupart enseignants-chercheurs, au cours d'une Journée d'étude et d'échanges organisée sur le thème " Stratégie et Complexité " à l'initiative de l'Atelier n°1 du programme MCX, avec le concours de l'Institut du Management d'EDF et de GDF, le 11 avril 1996.
En voici quelques extraits :

Tout est contingent
« La contingence généralisée de la gestion est une implication directe du postulat d'inachèvement. L'impossibilité que l'on a de maîtriser le fonctionnement des systèmes complexes conduit de facto à une remise en cause du statut de la gestion et, par suite, des gestionnaires. »
« Ce qui pourrait caractériser cette action, c'est justement cette idée de contingence. Une contingence qui ne serait pas restreinte, réduite à quelques facteurs prédéterminés ou préformatés, mais plutôt généralisée. Contingence de l'action, certes indispensable, mais dont on ne pourra jamais être certain de l'efficacité ; contingence de la solution choisie, dont on sait qu'on ne pourra attester de sa robustesse dans le long terme, entre autres à cause des phénomènes d'apprentissage ; contingence du contexte, dont on sait qu'il sera toujours susceptible d'affecter les résultats futurs ; contingence des perceptions des acteurs, et donc des représentations qu'ils construisent etc, etc... »
« Cela signifie que pour agir, le manager, en permanence, simplifie, clôture, établit des limites, définit des règles précises, ou réduit ses modélisations. Dans une problématique couplage/découplage, il s'efforce de " découpler ", c'est à dire de concevoir des " îlots de certitude ", temporairement prévisibles et certains. »
« D'un autre côté, pour mieux appréhender une situation complexe, le manager s'efforce d'aller vers des modèles plus complexes, plus riches, prenant en compte des dimensions jusque là négligées. Cette complexification passe aussi par la création de conditions facilitant l'émergence de nouveaux modes de gestion. »
« L'enjeu est plutôt dans l'équilibration, ou l'incessant arbitrage des actions relevant de l'un ou l'autre de ces pôles. Il est aussi dans la conscience de ce pari, ou du choix d'un mode au détriment de l'autre. Le manager doit être conscient que les clôtures imposées au phénomène, bien qu'indispensables pour décider, ne doivent avoir qu'une existence transitoire, partielle, partiale... et surtout peut être qu'elles ont un caractère artificiel, voire arbitraire ; qu'il les a " délibérément et cognitivement construites " » 
« In fine, on peut aboutir à un principe d'action : pour construire ou choisir le modèle qui simplifie " moins mal que les autres et qui lui permet de décider ", ou qui permet l'action la plus rapide, le praticien est conduit à se construire et à se reconstruire en permanence une réflexion sur les présupposés et les conséquences de ses actions. »

Pourquoi faut-il développer la confrontation dans l'entreprise
« Dans la complexité, aucun des acteurs de l'organisation ne peut se targuer de posséder une représentation complète de l'entreprise et de son environnement. Aussi, rechercher et favoriser des " processus de délibération collectifs " permet d'enrichir mutuellement les compréhensions individuelles, de favoriser la création, sinon d'une représentation commune, au moins d'un " cadre référentiel " partagé, et in fine, met les acteurs concernés en situation de décider et d'agir de façon plus éclairée et mieux coordonnée. »

1 oct. 2009

UNE QUESTION « SIMPLE » : QUI DÉCIDE ?

Répondre pour aujourd'hui est difficile, répondre pour demain est impossible


Supposons d'abord que nous sommes face au cas le plus simple : je suis seul à décider. Dans ce cas limite et un peu théorique, nous savons donc répondre à la question « qui décide ? ». La réponse est moi.

Certes, mais ma décision va reposer sur une interprétation, interprétation fonction de ma mémoire, de mon histoire et de ma perception de la situation. Comme mémoire et histoire se recomposent sans cesse, mon identité change continûment et de façon imprévisible : je ne peux pas savoir qui je serai vraiment demain, du moins pas assez précisément pour en déduire ce que je déciderai.

Ainsi ce « moi » qui décide n'est pas constant et est en évolution : je ne sais plus vraiment qui j'étais car ma mémoire fluctue, je ne sais pas vraiment qui je serai car cela dépendra ce qui va m'arriver. Donc si je peux éventuellement savoir qui est en train de décider en ce moment, je ne peux pas répondre pour dans quelques mois ou années.

Mais la plupart du temps, une décision est un processus collectif. C'est toujours le cas en entreprise : même quand la décision finale ne repose que sur une personne, elle a été préparée et orientée par le travail des autres.

Les incertitudes existant sur une décision individuelle sont alors considérablement amplifiées :
- Qui a participé, participe ou participera à la décision ?
- Comment identifier et pondérer toutes les parties prenantes ?
- Faut-il se limiter au périmètre stricto-sensu de l'entreprise, ou prendre en compte ceux qui, dans son environnement, peuvent intervenir : financiers, clients, régulateurs… ?
- Quels sont les impacts de l'histoire et de la culture collectives ?
- …
Il est extrêmement difficile de répondre à ces questions pour une décision en train de se prendre. C'est impossible de façon prévisionnelle : pensez à votre entreprise et essayez de savoir comment seront prises telle ou telle décision dans un mois ou trois mois. Vous ne pouvez pas répondre précisément. C'est évidemment pire à un an ou trois ans.

Comment donc savoir ce qu'une entreprise va décider à l'avance, si on n'est déjà pas capable de répondre à cette question : qui va décider ?

29 avr. 2009

ALÉATOIRE, CHAOS ET SYSTÈMES VIVANTS

Promenade au sein du livre de Stewart « Dieu joue-t-il aux dés ? Les mathématiques du chaos », l'occasion de se poser quelques questions intéressantes…

Peut-on renouveler à l'identique une expérience ?

« Il est possible de répéter l'expérience avec apparemment le même boulet de canon, apparemment au même endroit et apparemment avec la même vitesse initiale, mais on ne peut contrôler individuellement tous les atomes afin de reproduire exactement le même état initial avec une précision infinie. En fait à chaque fois que l'on touche le boulet, quelques atomes sont arrachés à sa surface alors que d'autres sont transférés, ce qui donne des états différents à chaque essai. »

Quelle différence entre des systèmes réellement aléatoires et des systèmes chaotiques ?

« Il sera dit aléatoire si des états apparemment identiques débouchent presque immédiatement sur des résultats différents... L'effet papillon vous interdit des prédictions à long terme mais le déterminisme du chaos rend votre système prévisible à court terme… Le chaos est un mécanisme permettant d'extraire et de mettre au jour l'aléatoire qui réside dans les conditions initiales… Si nous connaissions ces « variables cachées » appartenant au plus grand système, nous arrêterions de croire que le sous-système est aléatoire. Supposons maintenant que nous nous intéressons un système réel que nous pensons aléatoire. Cet état de fait peut être dû à deux raisons : soit nous n'avons pas examiné le système avec assez d'attention, soit celui-ci est irréductiblement aléatoire.

Peut-on prévoir une évolution à long terme ?

« Mais lors même que les lois naturelles n'auraient plus de secrets pour nous, nous ne pourrons connaître la situation initiale qu'approximativement. Si cela nous permet de prévoir la situation ultérieure avec la même approximation, c'est tout ce qu'il nous faut, nous disons que le phénomène a été prévu, qu'il est régi par des lois ; mais il n'en est pas toujours ainsi, il peut arriver que de petites différences dans les conditions initiales en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux ; une petite erreur sur les premières produirait une erreur énorme sur les derniers. La prédiction devient impossible et nous avons le phénomène fortuit... Et c'est pourquoi mon cœur bat et que j'attends tout du hasard (Henri Poincaré, sciences et méthodes). »

Le chaos est-il un mécanisme du vivant ?

« Une des raisons du pouvoir d'attraction qu'exercent ces fables tient à une mauvaise compréhension de ce qu'est la stabilité de la nature. Il est clair qu'un écosystème viable doit être d'une certaine manière stable, sinon il ne pourrait continuer d'exister (c'est la signification même du mot « viable »). Jusqu'à une époque récente, le paradigme de la stabilité était l'équilibre. Par conséquent, il se trouve de nombreuses personnes pour argumenter qu'un écosystème étant une toile complexe d'interactions, la perte d'une partie quelconque de cette toile provoquerait la destruction la stabilité - parce que (« de façon évidente ») cela affecterait l'équilibre. Cette argumentation est fausse sur bien des points… Vous ne pouvez pas déterminer ce qui se passera en vous contentant de regarder la taille de votre perturbation ; cela dépend de la situation de la dynamique par rapport à un éventuel « point de bifurcation », autrement dit de sa sensibilité envers toute modification de ses paramètres... La plupart des gens recherchent des réponses faciles, la plupart des hommes politiques et des groupes de pressions veulent des slogans simples. Les écosystèmes, eux, sont trop complexes pour se plier à cette exigence… Les cerveaux ont besoin du chaos : le chaos est nécessaire aux fonctions cérébrales car le cerveau traite de l'information, ce qui implique une capacité à commuter rapidement d'un état à un autre. Nous avons vu que ce type de flexibilité est caractéristique des systèmes chaotiques, car les systèmes possédant une dynamique plus régulière ne peuvent changer d'état aussi rapidement. Il semblerait donc que le cerveau doit être chaotique pour pouvoir fonctionner correctement. »

16 avr. 2009

C’EST BEAU LA VIE… MAIS QUELLE PAGAILLE !

Nous ne sommes qu'un amas de désordres emboîtés

Les développements récents de la physique – notamment au travers de l'utilisation des lois du chaos – montrent que « l'irréversibilité devient un élément essentiel de la description de l'univers » (Ilya Prigogine dans « Les lois du chaos »).

Quel dommage ! Moi dont l'adolescence avait été peuplée de récits de science-fiction, moi qui avais rêvé si souvent autour du déplacement dans le temps, voilà le retour en arrière impossible « scientifiquement ». Déception. Finalement, je n'aurais jamais dû me mettre à rouvrir des livres de mathématiques et de physique…

Trop tard, le mal est fait ! Et comme il est précisément impossible de revenir en arrière, je vais devoir vivre avec…

Donc notre monde est fait d'irréversibilité, et le temps a une flèche : notre univers a défaut d'avoir un sens (voir mon article « Ciel, je suis né par hasard et pour rien ») a une direction.

Nous ne savons pas où nous allons, mais nous avançons inexorablement. Chaque photon émis lors du big-bang poursuit sa route au travers du cosmos (voir « A quoi pense un photon du big-bang qui voyage hors du temps ? »)

Autre enseignement de la physique contemporaine : l'instabilité est la règle, l'ordre et le désordre sont indissociables.

Disons, pour prendre une image, que nous faisons tous du vélo : dès que le vélo s'arrête, il tombe. Pas seulement, le vivant, mais chaque parcelle de matière même apparemment inerte fait du vélo. Quand on pense à l'effervescence des mouvements à l'échelle quantique, elle « pédale » même comme une folle !

Nous, vivants, nous sommes un emboitement de « vélos qui pédalent » : chacune particule de matière infinitésimale va de déséquilibre en déséquilibre ; chaque cellule est composée d'une multitude de particules qui entrent et sortent de la cellule ; chaque être vivant est un ensemble dynamique de cellules qui « collaborent » provisoirement, naissent et meurent sans cesse, « s'hybrident » constamment avec le « dehors ».

Et, cerise sur le gâteau, nous, les hommes – et les femmes aussi bien sûr ! , nous avons en plus un cerveau sophistiqué composé de milliards de neurones et d'un nombre quasi incalculable de connexions synaptiques (les connexions qui relient les neurones entre eux) et qui n'arrête pas d'intégrer de nouvelles informations, de recomposer ses interprétations passées et d'en construire de nouvelles.

Nous ne sommes donc qu'un gigantesque désordre, une pagaille qui ferait peur si nous pouvions la voir.

Et de tout cela, émerge notre conscience et notre conviction d'exister, c'est-à-dire une sensation de continuité et de responsabilité dans le temps : je suis celui que j'ai été et je me sens responsable de ce que j'ai fait. Tout notre système de pensée et de droit est fondé sur ce sentiment d'identité et de responsabilité.

Ainsi de ce fouillis indescriptible, nous sommes nés.

Et il y en a qui disent que « la vie n'est pas belle » !

7 avr. 2009

NOUS SOMMES TOUS DES GAZ CHAOTIQUES

Tous connectés, nous flottons et nous nous entrechoquons.

Chacun de mes pas, chacun de mes mouvements viennent de plus en plus télescoper mon voisin, cet autre que je ne connais pas.

Souvenir d'une discussion dans la campagne provençale, dans les années 80, où le chef de famille local trouvait que sa fille s'était « exilée » en s'éloignant de dix kilomètres. Alors il pouvait choisir celui qu'il ou elle rencontrait. Chacun était dans sa bulle, dans sa « caverne ». On pouvait vivre en oubliant les autres.

Aujourd'hui rien de tel. Nous sommes trop nombreux sur cette planète, nous sommes trop itinérants, nous voyageons trop pour nous penser les uns sans les autres. Que nous le voulions ou pas, nos villes sont devenues multiraciales, notre impact collectif dérègle le climat, la question des ressources en eau et en aliments de base se posent ou se reposent.

Et cet étranger – celui que je ne connais pas –, même s'il est physiquement distant de moi, je peux être connecté à lui au travers de mon organisation professionnelle – les entreprises sont des réseaux vivants qui créent et structurent des liens entre territoires et communautés –, ou au travers de réseaux privés grâce à Internet.

Finalement, si je voulais illustrer mon propos au travers d'une image, je dirai que nos sociétés sont passées d'un état solide à un état gazeux.

Je m'explique.

Par « état solide », je me réfère à ces structures anciennes où la place de chacun était, sauf exception, spatialement figée : j'allais mourir là où j'étais né. De plus les relations étaient des relations de proximité : comme dans un cristal, une molécule est contrainte par sa localisation et n'est en relation qu'avec celles qui lui sont contigües.

Par « état gazeux », je pense à ces nouveaux modes d'organisation et de relation beaucoup plus flous et incertains. Et aussi à ces relations aléatoires, faites des hasards des rencontres, des chocs entre des molécules libérées et flottantes. Cet état gazeux s'accompagne d'une sensation de chaos et d'incertitude, d'une forme d'entropie collective.

Mais n'est-ce pas le signe d'une forme de maturité où la forme – c'est-à-dire l'organisation et la structure – n'est plus le fruit d'une pensée a priori, mais le résultat des interactions collectives ?

Bien sûr, cela vient prendre de travers bon nombre de pensées politiques : classiquement, on imagine que c'est le centre – le président, le gouvernement, les institutions – qui doit définir le droit et les structures. Et si, dans le monde qui devient le nôtre, le rôle du politique était de plus en plus de trier parmi les structures émergentes, et non plus de les définir…