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15 mars 2011

NOUS NOUS SOUVENONS DES CHOSES COMME NOUS TRANSPORTONS LES ARMOIRES

Nos souvenirs sont découpés en petits morceaux
Que fait-on pour transporter une armoire ? On la démonte. Pourquoi ? Parce qu’elle passera plus facilement par les portes et les escaliers. Parce qu’elle tiendra moins de place dans le camion. Attention simplement de ne pas perdre de pièces pendant le voyage.
Et à l’arrivée, reste à la remonter. Si jamais on n’a pas numéroté les pièces, si l’on n’a pas noté comment elles s’emboitaient les unes dans les autres, cette étape risque d’être difficile, voire impossible.
Ce mode de déplacement est aussi celui employé sur internet : l’information, comme l’armoire, voyage démontée, avec annexée la liste comprenant le nombre de pièces et comment on doit les assembler.
Et notre mémoire, comment fonctionne-t-elle ? Avons-nous, dans un coin du cerveau, toutes les informations stockées, bien rangées, les unes à côté des autres ? Notre cerveau contient-il un « bibliothécaire » qui classerait chaque souvenir comme un livre et irait le chercher ensuite au bon moment ?
Non, pas du tout, nous stockons les souvenirs comme nous transportons les armoires, nous les démontons. Chaque souvenir complexe est décomposé en un grand nombre d’éléments : la bande-son va se loger dans la partie du cerveau associée à l’audition, les images dans celle associée à la vue, etc. Et chacune de ces sous-informations peut être elle-même éclatée en plusieurs éléments.
Du coup, nous optimisons l’espace mémoire, et tout est bien rangé, au bon endroit.
Est-ce donc un système parfait ?
(à suivre) 

26 janv. 2011

« PENSER C'EST OUBLIER DES DIFFÉRENCES, C'EST GÉNÉRALISER, ABSTRAIRE »

Sur les épaules de Darwin : Mémoires(1)

Comme j'ai eu souvent l'occasion de le dire, se souvenir c'est revivre ce qui a été mémorisé, et ainsi le modifier(2) : on ne se souvient jamais deux fois de suite de la même chose. Et comme le dit Jean-Claude Ameisen, on ne se souvient que s'il y a eu transformation, et donc, celui qui se souvient n'est déjà plus celui à qui est arrivé l'événement.

Et qu'adviendrait-il si nous nous souvenions de tout, si nous avions une mémoire infiniment parfaite ?

Il fait alors référence à la nouvelle de Jorge Luis Borges, 'Funès ou la mémoire'(3), dont voici un extrait : « En effet, non seulement Funes se rappelait chaque feuille de chaque arbre de chaque bois, mais chacune des fois qu'il l'avait vue ou imaginée. (…) Non seulement il lui était difficile de comprendre que le symbole générique chien embrassât tant d'individus dissemblables et de formes diverses; cela le gênait que le chien de trois heures quatorze (vu de profil) eût le même nom que le chien de trois heures un quart (vu de face). (…) Il avait appris sans effort l'anglais, le français, le portugais, le latin. Je soupçonne cependant qu'il n'était pas très capable de penser. Penser c'est oublier des différences, c'est généraliser, abstraire. Dans le monde surchargé de Funes il n'y avait que des détails, presque immédiats. »
Où l'on voit que l'oubli est nécessaire et que, sans lui, nous ne pourrions jamais accepter qu'une pomme plus une pomme puissent être deux pommes…

Il continue en reprenant des extraits d'un poème de Rainer Maria Rilke, Pour écrire un seul vers : « Et il ne suffit même pas d'avoir des souvenirs. Il faut les oublier quand ils sont trop nombreux et il faut avoir la grande patience qu'ils reviennent (….) Ce n'est qu'alors qu'il peut arriver qu'en une heure très rare, du milieu d'eux, se lève le premier mot d'un vers. »

Il conclut en rappelant que nos relations collectives sont elles-aussi faites de souvenirs et d'oublis, souvenirs qui sont nécessaires pour apprendre et ne pas reproduire indéfiniment les mêmes erreurs, oublis indispensables si l'on veut pouvoir vivre ensemble et dépasser les massacres passés…

(1) Émission du 18 septembre 2010, rediffusée le 8 janvier 2011
(3) Publiée en 1944 dans Fictions

31 mai 2010

LANGAGE, INTERPRÉTATION, COMMUNICATION ET DÉCISION

Comment passe-t-on de l'observation à la compréhension et à la décision ?

Je poursuis la présentation de la première partie de mon livre avec des extraits sur les langages qui sont d'abord le moyen par lequel nous structurons notre pensée, avant d'être celui par lequel nous tentons de communiquer, puis sur la décision.

« Le premier langage est celui de notre langue et de ses mots. Mais ce n'est pas le seul qui peuple notre cerveau : les mathématiques ou le jeu d'échecs sont aussi des langages. Là où le profane ne voit que des assemblages de lettres, de chiffres et de symboles, le mathématicien lit le problème et architecture des solutions ; là où le débutant ne voit que des pièces juxtaposées sur un échiquier, le joueur averti voit des configurations avec lesquels il va construire des stratégies.
Ainsi, avec nos langages, nous lisons la situation présente et l'enrichissons de notre expérience tirée de notre passé. De tout ceci, naissent nos interprétations, mélanges du passé recomposé, du présent perçu et du futur imaginé, toutes intimement liées à chaque individu car elles reposent d'abord sur l'histoire personnelle (tant dans sa partie réellement vécue que dans tout l'imaginaire associé), sur les déformations de la mémoire et sur l'analyse de la situation présente, sans parler de la perception que chacun peut avoir du futur. On n'est donc pas près de pouvoir modéliser et prévoir des interprétations individuelles !

Qu'en est-il de la communication entre individus ? Pour faire court, communiquer est un objectif impossible ! Vous êtes surpris par ma formulation, vous pensez que j'exagère… Je ne crois vraiment pas. Quand vous voulez exprimer quelque chose, quoi que ce soit, vous employez des mots qui correspondent, pour vous, au sens que vous voulez donner. Pour cela, vous vous référez à votre mémoire et à la compréhension que vous avez de ce que vous voulez dire. Celui qui reçoit votre message, l'interprète, lui, à partir de son histoire, son expérience et l'ensemble de ses ressorts émotionnels propres. Les deux sont, sauf en cas d'histoire commune longue et dense, structurellement différents. Comment arrivons-nous alors à communiquer ? Par l'existence d'usages et de règles collectives qui ont construit progressivement des sens communs. Par des ajustements progressifs et aussi beaucoup grâce à la communication non verbale : celle-ci ne passe plus par les mots, mais sollicite essentiellement les neurones miroirs qui nous permettent de « lire l'autre »

(…) Supposons d'abord que nous sommes face au cas le plus simple : je suis seul à décider. Dans ce cas limite et un peu théorique, nous savons donc répondre à la question « qui décide ? ». La réponse est moi. Certes, mais comme nous l'avons vu précédemment, ma décision va reposer sur une interprétation, interprétation fonction de ma mémoire, de mon histoire et de ma perception de la situation. Comme je ne peux pas penser en dehors de mes propres langages, je ne peux pas être conscient des présupposés qu'ils induisent. En ce sens, je ne peux donc pas vraiment comprendre comment je décide.

De plus, comme ma mémoire et mon histoire se recomposent sans cesse, mon identité change continûment et de façon imprévisible : je ne peux pas savoir qui je serai vraiment demain, du moins pas assez précisément pour en déduire ce que je déciderai. Ainsi ce « moi » qui décide est-il constamment en évolution : je ne sais plus vraiment qui j'étais car ma mémoire fluctue, je ne sais pas vraiment qui je serai car cela dépendra ce qui va m'arriver. »1


(1) Extraits des Mers de l'incertitude p.40-41et 44-45

18 mars 2010

TOUT EST AFFAIRE DE MÉMOIRE ET D’INTERPRÉTATIONS

Ce n'est pas gagné !

Il y a dix-huit mois, à l'occasion de la sortie de mon livre Neuromanagement, j'ai eu l'occasion dans une courte vidéo de préciser en quelques mots le rôle de la mémoire, et pourquoi ceci était valable tant pour qu'un individu que pour une entreprise.

En effet, l'entreprise, elle-aussi, se nourrit d'interprétations. Comme pour un individu, elles reposent sur la mémoire et des langages. Les langages sont essentiellement ceux des mots, mais pas seulement : chaque population technique a son propre langage qui est un de ses vecteurs d'efficacité. Les mots eux-mêmes dans une grande entreprise relèvent des langues multiples : même s'il existe toujours une langue dominante qui sert de support à la communication collective, cela suppose pour bon nombre un double effort de traduction. On a ainsi des langages multiples et donc autant de traductions qui sont des risques d'incompréhension et d'erreurs. Pour faire court, et m'exprimer en langage populaire : « Ce n'est pas gagné ! »…

17 mars 2010

NOTRE MÉMOIRE NOUS RACONTE DES HISTOIRES

Pourquoi mesurer la satisfaction client en temps réel ?

Quand Daniel Kahneman, prix Nobel d'Économie et spécialiste de l'exploration des conséquences des neurosciences, nous parle du bonheur, et de la différence entre l'expérience vécue et la mémoire que l'on en a, cela vaut la peine de l'écouter.

Vingt minutes passionnantes (en anglais, avec possibilité d'activer les sous-titres anglais), où il nous fait comprendre que ce qui est important ce sont les histoires que la mémoire nous raconte, qu'être heureux dans notre vie ou être heureux de notre vie ne sont pas identiques, que les dernières secondes d'une expérience vécue peuvent à elles-seules provoquer un souvenir globalement négatif…

Ne faudrait-il pas tenir compte de ces enseignements pour suivre la satisfaction des clients, et mieux comprendre pourquoi ils sont fidèles ou pas ?

7 sept. 2009

SE SOUVENIR OU L’ART DE FAIRE ET REFAIRE DES PUZZLES EN REDÉCOUPANT DES PIÈCES ET EN EN PERDANT

Chaque fois que je me souviens, je reconstruis ma mémoire

Comment la mémoire fonctionne-t-elle ? Avons-nous dans un coin du cerveau toutes les informations stockées, bien rangées, les unes à côté des autres ? Notre cerveau contient-il de plus une forme de bibliothécaire qui irait chercher le volume qui va bien et au bon moment ? Non pas vraiment. Et même pas du tout.
En fait, nous ne stockons pas un souvenir comme un bloc, mais comme un puzzle à reconstituer le moment venu. Chaque souvenir est décomposé en un très grand nombre d'éléments correspondant en simplifiant d'abord au sens concerné : la partie visuelle va se loger dans la partie du cerveau qui est associée à la vue, la partie auditive dans la partie associée à l'ouïe, etc.
C'est même beaucoup plus complexe. Une question « simple » que j'emprunte à Henri Bergson (L'énergie spirituelle PUF 1996, p.52) : « Que sera-ce, s'il s'agit de l'image visuelle d'une personne, dont la physionomie change, dont le corps est mobile, dont le vêtement et l'entourage sont différents chaque fois que je la revois? Et pourtant il est incontestable que ma conscience me présente une image unique, ou peu s'en faut, un souvenir pratiquement invariable de l'objet ou de la personne: preuve évidente qu'il y a eu tout autre chose ici qu'un enregistrement mécanique. ».
Terriblement vrai, non ? Et pourtant, on nous parle toujours de notre mémoire visuelle, de notre mémoire photographique. Comment cela peut être possible alors tout bouge tout le temps. Penser par exemple à une personne qui vous est  chère. Immédiatement une image d'elle vous vient dans votre cerveau. Et bien une image fixe, pas une image animée. Cette image est gravée en vous à tel point que vous allez reconnaître à coup sûr la personne en question même de loin, même à partir d'un détail ou de l'inflexion de sa voix. Pourtant ce que nous appelons une image n'en est pas une vraiment, non ? Ce n'est pas une photo, c'est à la fois plus flou et plus précis. Plus flou car elle n'a pas tous les détails qu'aurait une photographie à haute définition. Plus précise car elle peut servir de support à une reconnaissance élargie : la personne peut changer des détails de son apparence, avoir d'autres vêtements, vous allez encore la reconnaître.

Décidément, la constitution de notre mémoire est un monde complexe et durablement impénétrable.

Continuons. Donc un souvenir est archivé en une multitude de morceaux.
Que se passe-t-il quand nous nous souvenons de quelque chose ? Est-ce que nous reconstituons le puzzle ? Oui et non.
Oui, nous allons rappeler les morceaux concernés. Mais ce rappel est imparfait. En imageant la réalité, disons que certaines pièces vont manquer et que d'autres vont arriver déformées. Au besoin, vous allez redécouper certaines des pièces pour qu'elles puissent s'assembler entre elles.
Si maintenant, une heure plus tard, le lendemain ou un mois plus tard, vous vous voulez à nouveau rappeler ce souvenir, il vous reviendra avec les déformations faites la première fois, plus les nouvelles que vous allez faire. Mais si vous le rappelez souvent, je vous rassure : au bout d'un moment, vous ne ferez plus de nouvelles modifications.
Donc à chaque fois que je me souviens, je reconstitue et je recrée. Notre mémoire a de l'imagination !
Et cela peut même être pire : si, lors de la mise en mémoire, une émotion forte est venue troublée l'événement, votre souvenir initial peut dès le départ être faussé.
Ainsi comme je l'indiquais dans Neuromanagement, « Imaginons par exemple qu'un bébé ait dû attendre son biberon pendant suffisamment longtemps pour que cela ait constitué une expérience émotionnelle très traumatisante. Supposons qu'à ce moment-là la couleur rouge ait été présente fortement dans son environnement immédiat, alors que d'habitude il ne la rencontrait pas. Cette situation vécue va laisser une trace indélébile avec laquelle il devra vivre toute sa vie : chaque fois qu'il verra la couleur rouge, il ressentira une émotion négative très violente. Or cette émotion est injustifiée puisqu'il s'agit d'une fausse association causale : le rouge n'était pas la cause de la faim, il était seulement présent en même temps. »

Et pour une entreprise, tout ceci ne s'applique évidemment plus ? Tout est rationnellement, stocké, archivé, documenté ? Bien sûr que non ! On est face à la même complexité.
D'abord parce que la mémoire de l'entreprise est largement constituée à partir de celle des hommes qui la compose.
Ensuite, parce que cette mémoire est multiforme, multitechnnique, multipays… Autant de risques supplémentaires de déformation … ou de source d'imagination créative !
Les nouveaux systèmes d'information sont venus apporter une colonne vertébrale à cette mémoire, mais on ne parle alors le plus souvent que de la mémoire des chiffres et des tableaux de bord. Certaines entreprises sont allées plus loin avec la mise en place de gestion documentaire. Mais cela ne reste qu'une partie de la mémoire qui reste très largement au sein des hommes qui la composent.
Pour preuve, cette expression que j'ai entendue des dizaines de fois : « Allez voir untel c'est la mémoire de l'entreprise ». C'est rassurant d'un côté car cela montre que nous sommes loin de systèmes déshumanisés. Mais d'un autre, cela laisse les entreprises vulnérables à de nombreuses pertes de mémoire.
Témoin ce groupe pétrolier qui ne savait plus pourquoi sept de ses filiales de distribution dépendaient d'une direction, et une cinquantaine d'une autre. Cette perte de mémoire – il m'avait fallu remonter l'histoire du groupe aux années 50 pour trouver l'explication (voir « Quand une entreprise vend moins cher à son concurrent qu'à son propre réseau… ») – n'aurait pas été plus grave que cela, si elle n'avait eu une conséquence pour le moins fâcheuse : il vendait le carburant moins cher aux grandes surfaces qu'à son propre réseau ! Surprenant mais authentique. Certaines pertes de mémoire peuvent être fatales.