28 janv. 2009

ON SAUTE RAREMENT D’UN AVION SANS PARACHUTE

« Imaginons-nous un instant dans un avion. Mon objectif est de vous faire sauter en parachute. Si vous n’avez jamais sauté, si vous ne vous êtes même jamais exercé au sol, je vais avoir du mal à vous persuader de sortir de l’avion… et vous aurez raison. Inutile de dire que, sans parachute, aucune chance de vous faire sauter : j’aurais beau vous parler du plaisir de se trouver en l’air ou de l’intérêt de ce qui nous attend une fois arrivé, rien n’y fera.
À l’inverse, si vous êtes expérimenté, une simple explication va vous amener à sauter. Ainsi ce qui va déclencher la décision de sauter, ce n’est pas tant la perspective du gain attendu que l’appréciation du risque à prendre pour atteindre ce gain. Cette appréciation n’est pas absolue, mais relative à l’expérience de la personne : c’est l’interprétation du risque qui compte.

Autre situation : vous êtes maintenant au bord d’une rivière et mon objectif est de vous la faire traverser. Je vous ai expliqué que vous alliez trouver de l’autre côté quelque chose qui correspond à ce que vous aimez et recherchez, ce qui signifie que j’ai déjà fait l’effort de projeter sur vous non pas pourquoi moi je veux que vous traversiez, mais bien pourquoi vous, vous y trouveriez un intérêt personnel.
Vous avez envie d’y aller, mais vous regardez l’eau qui tourbillonne devant vous. Vous savez nager, vous pouvez traverser, mais finalement vous avez peur de cette eau et restez immobile. À ce moment, arrive sur votre rive une menace importante, par exemple un animal sauvage ou un feu.
Entre ce risque certain et immédiat et le risque potentiel de la traversée, vous vous décidez à plonger, ce d’autant plus que vous savez que de l’autre côté vous allez trouver ce que vous cherchez.
Ainsi donc finalement, le déclencheur aura été plus la peur que l’attraction : votre interprétation du risque a été différentielle. Elle est ainsi fonction de l’expérience passée – Quelle est mon évaluation du risque lié à la traversée ? – et de la criticité de la situation présente – Quel est le risque à ne pas bouger ? –.


Dernière histoire : celle du Petit Poucet. Simplifions-la : les parents n’ont plus de quoi nourrir leurs enfants et décident de les abandonner dans une forêt. Le Petit Poucet avec ses frères doit revenir à la maison sans y être du tout préparé. Il va avoir de lui-même à résoudre tous les problèmes : comment retrouver son chemin, comment arriver à prendre le leadership sur ses frères, comment faire face aux menaces rencontrées…
Pour déclencher cette action, les parents ont employé une solution extrême : l’abandon – comme si je vous avais poussé tout à l’heure de l’avion –. L’ensemble joue avec les peurs des enfants et reste dans nos mémoires comme une expérience effrayante.

Nous sommes tous d’accord pour considérer que les parents du Petit Poucet, même s’ils avaient à faire face à une situation dramatique, ont recouru à une solution évidemment condamnable.

Repassons maintenant à l’entreprise. Quand un manager fixe à l’un de ses collaborateurs un objectif sans s’être assuré qu’il a les ressources techniques et humaines pour les atteindre, il est dans l’attitude des parents du Petit Poucet : « Je vous largue dans la forêt, à vous de vous débrouiller ! ». Le collaborateur n’exprimera probablement pas ses craintes, intériorisera son stress… et fera tout pour ne pas aller dans cette forêt. Idem quand une Direction Générale fixe une cible sans avoir réfléchi au chemin.
À l’inverse, si les parents du Petit Poucet lui avaient fait suivre au préalable un stage de formation sur la traversée d’une forêt et la conduite à suivre, s’ils lui avaient fourni dans un sac à dos un matériel de survie, et si, alors seulement, ils l’avaient laissé seul avec ses frères dans la forêt, toute la fable serait changée et cesserait d’être effrayante : elle deviendrait une sorte d’aventure scoute avec pour seul risque d’avoir à faire un bivouac…

Dans tous ces exemples, un point commun : l’analyse du risque. Le risque n’a pas une valeur intrinsèque, il est relatif : je vais comparer ma perception du risque de la situation actuelle au risque du changement. Revenons un moment sur l’exemple de l’avion : si celui-ci est en feu, dans tous les cas, je saute, sauf évidemment sans parachute ! Ainsi plus le changement sera perçu comme risqué, plus il sera difficile à déclencher. À la limite, si le risque est perçu comme infini, rien ne pourra déclencher… »

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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)

Vidéo : "Les entreprises sont-elles meilleures en situation de danger ?"


27 janv. 2009

SAVOIR ÉVITER UN CHIEN

« Comme le dit Antonio R. Damasio dans l’Erreur de Descartes : « Arriver à une décision demande de posséder des informations relevant de toutes sortes de domaines, et d’être en mesure de leur appliquer certaines stratégies de raisonnement. » (Opus P. 115)

De la même façon, la Direction Générale doit être capable de construire des scénarios intégrant l’ensemble des informations pertinentes situées dans l’entreprise. Ces informations portent sur :
- Le fonctionnement interne : l’état de performance instantanée ou « l’état du corps » pour l’individu,
- La mémoire : l’expertise cumulée ou « les souvenirs de ce que l’on a vécu ou pensé »,
- Le dehors : ce qui se passe en ce moment ou « ce que je vois, sens, entends, touche ou goûte ».
Cette connexion peut se faire sur activation de la Direction Générale, lorsqu’elle veut mobiliser les réseaux de l’entreprise pour construire une vision de la situation. Elle peut aussi se faire « spontanément » quand apparaît en un point quelconque de l’entreprise un élément que « cherche » la Direction Générale.
Arrêtons-nous sur ce point : qu’est-ce que je veux dire par « cherche » ?

Retour sur l’individu et la neurobiologie : une des clés du bon fonctionnement du cerveau est dans la capacité de la remontée de l’inconscient vers le conscient, soit pour propager une alerte lorsque la survie est en jeu, soit pour signaler l’obtention d’une solution possible lors d’un processus d’innovation. Dans le premier cas, la remontée fonctionne parce qu’il existe le moteur émotionnel ; dans le deuxième, parce que la phase initiale a positionné consciemment le problème et précisé ce que l’on recherche.

Revenons à l’entreprise : ce que cherche donc la Direction Générale, c’est être prévenue soit d’une évolution des risques de survie – menace ou opportunité -, soit de l’obtention d’une information correspondant à une de ses préoccupations du moment. Pour que ceci se produise, il faut au préalable avoir :
- construit le moteur émotionnel de l’entreprise – c’est-à-dire ses conditions de survie –, et l’avoir diffusé en profondeur,
- explicité les priorités de la Direction Générale et ce qui est de nature à nourrir les réflexions, et avoir aussi diffusé l’ensemble.
Tout le monde dans l’entreprise doit avoir une vue commune de ce qui peut mettre en cause la survie et de ce que sont les objectifs de la Direction Générale. Les enjeux de survie sont à plusieurs horizons : à court terme comme la fabrication, les ventes ou la trésorerie ; à moyen terme comme les investissements, les produits nouveaux ou le marketing ; à long terme comme le portefeuille stratégique, les acquisitions ou les diversifications.

Mais quand le chien s’est précipité vers moi lors de ma course, l’information n’est pas arrivée brute à ma conscience : elle a d’abord été traitée par la zone du cerveau chargée de la vue et a été élaborée une image qui était une représentation visuelle complète du chien. En parallèle, des premiers traitements cognitifs inconscients ont eu lieu pour calculer sa trajectoire, qualifier l’objet, rechercher dans ma mémoire des éléments pour l’identifier, évaluer le degré de risques et associer le tout à l’émotion issue de mon enfance. Enfin, toujours inconsciemment, une action immédiate d’évitement a été décidée et mise en œuvre. Ainsi j’ai pu décider quoi faire en connaissance de cause et en ayant déjà pris de premières mesures de sauvegarde.

Pour l’entreprise, l’analogie se poursuit : ce dont a besoin la Direction Générale, ce n’est pas d’une information brute, mais bien d’une information prétraitée et qualifiée, avec les différentes « interprétations » possibles, c’est-à-dire des analyses. De même si cela est nécessaire, sans attendre l’intervention de la Direction Générale, des mesures d’évitement doivent être prises là où l’action doit être faite. Ainsi la remontée d’une alerte doit en parallèle avoir initié une réponse appropriée et « automatique » en attente des décisions venant de la Direction Générale. »
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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)

Vidéo : "Les entreprises peuvent-elles commettre des erreurs d'interprétation ?"



26 janv. 2009

NE NOUS LAISSONS PAS BERNER PAR LA « MAGIE DES BATTEMENTS DE L’AILE D’UN PAPILLON »

Je prolonge ma réflexion sur la difficulté à prévoir une évolution future et sur notre propension à reconstruire a posteriori la logique passée (voir « Plus facile d’expliquer a posteriori que de prévoir a priori », « Il est bien trop tôt pour se prononcer sur la Révolution Française » et « Résonances entre dérive naturelle et cygne noir »).

J’aime beaucoup l’histoire du « battement de l’aile d’un papillon ». Je pense que la plupart d’entre vous la connaissent : dans certaines circonstances, un simple battement d’aile d’un papillon à un bout du monde peut provoquer plus tard un bouleversement climatique à l’autre bout du monde.

Magie des signaux faibles, de ces phénomènes apparemment sans importance qui, par la propagation d’une « fissure », vont avoir des effets disproportionnés par rapport au changement initial. Ou encore comme l’écureuil irrésistible de l’Age de glace qui, à cause de sa noisette, va fissurer la banquise et déclencher une catastrophe.

Oui, sympathique tout cela. Mais j’aimerais poser 2 questions simples :

- Comment peut-on vraiment prétendre isoler les effets d’un seul événement – surtout quand il s’agit d’un phénomène de faible amplitude –, et être sûr que c’est bien à cause de lui que se produit plus tard un changement majeur ? Ou autrement dit, peut-on isoler un processus de propagation et garantir qu’il n’y a pas des interférences d’un autre ensemble de « battements d’aile de papillon » ? Souvenir de mes études scientifiques et de quelques lectures depuis, j’ai comme un doute sur la possibilité d’une démarche fiable : tout est tellement entremêlé que je ne vois pas bien comment on peut démêler les fils…

- En admettant que mes doutes ne soient pas justifiés et que le phénomène soit bien provoqué par ce seul battement d’aile de papillon ou par cet écureuil un peu fou et amoureux de sa noisette, comment repérer au début le bon papillon ou le bon écureuil – il est vrai qu’il n’y a pas beaucoup d’écureuils sur la banquise ! – ? Vous faites face à une nuée de papillons et vous allez être capable d’un coup d’œil de trouver non seulement quel est le bon papillon, mais quel battement est celui qui va tout déclencher. Vraiment ? Et sinon, à quoi cela sert-il de reconstruire a posteriori une chaîne de causalités, chaîne dont la « solidité » reste à prouver ?

Nous avons un tel besoin d’explication, de « logique » et de cartésianisme que nous avons du mal à accepter une situation telle qu’elle, sans savoir d’où elle vient et ce qui a pu la provoquer.

Attention alors à ne pas construire des raisonnements trop simplistes et à nous laisser berner par la « magie des battements d’aile de papillon ».

25 janv. 2009

LES TRAINS US ROULENT « DERRIÈRE » LES CHEVAUX DE GUERRE ROMAINS !

Pas facile quand on observe une situation – que ce soit dans la vie courante ou professionnelle – de comprendre les origines, le pourquoi de ce que l’on voit ou de ce que l’on fait. Les origines sont le plus souvent obscures et cachées.

Avec notre culture occidentale, nourrie au sein du cartésianisme et à la pensée théorique – merci à la philosophie grecque –, nous avons tendance à croire à des schémas logiques, pensés, prévus… Or la plupart de temps, il n’en est rien. Ce qui s’est passé n’est que le fruit de hasards successifs, de chocs de la vie, d’une dérive évolutive (voir sur ce thème mon article « Résonances entre dérive naturelle et cygne noir »).

C’est aussi ce que je voulais évoquer dans mon article d’avant-hier sur « Clavier Azerty, inconscient et inefficacité collective ». Comment un adolescent qui tape sur son clavier pourrait-il imaginer que la localisation des touches a pour but d’éviter que des tiges métalliques se bloquent entre elles ? Pas évident…

Cet article a été publié sur AgoraVox et a provoqué de nombreux commentaires. L’un d’eux m’a signalé une anecdote du même genre : pourquoi aux USA la distance standard entre deux rails est-elle de 4 pieds et 8,5 pouces.

Je laisse pour un temps à ce commentaire issu d’un papier paru en juillet 2003 :

« Parce que les chemins de fer US ont été construits de la même façon qu'en Angleterre, par des ingénieurs anglais expatriés, qui ont pensé que c'était une bonne idée car ça permettait également d'utiliser des locomotives anglaises.

Pourquoi les anglais ont-ils construits les leurs comme cela ? Parce que les premières lignes de chemin de fer furent construites par les mêmes ingénieurs qui construisirent les tramways, et que cet écartement était alors utilisé.

Pourquoi ont-ils utilisé cet écartement ? Parce que les personnes qui construisaient les tramways étaient les mêmes qui construisaient les chariots et qu'ils ont utilisé les mêmes méthodes et les mêmes outils.

Okay, pourquoi les chariots utilisent un tel écartement ? Et bien, parce que partout en Europe et en Angleterre les routes avaient déjà des ornières et un espacement diffèrent aurait causé la rupture de l'essieu du chariot.

Donc, pourquoi ces routes présentaient-elles des ornières ainsi espacées ? Les premières grandes routes en Europe ont été construites par l'empire romain pour accélérer le déploiement des légions romaines.

Pourquoi les romains ont-ils retenu cette dimension ? Parce que les premiers chariots étaient des chariots de guerre romains. Ces chariots étaient tirés par deux chevaux.

Ces chevaux galopaient côte-à-côte et devaient être espacés suffisamment pour ne pas se gêner. Afin d'assurer une meilleure stabilité du chariot, les roues ne devaient pas se trouver dans la continuité des empreintes de sabots laissées par les chevaux, et ne pas se trouver trop espacées pour ne pas causer d'accident lors du croisement de deux chariots.

Nous avons donc maintenant la réponse à notre question d'origine. L'espacement des rails US (4 pieds et 8 pouces et demi) s'explique parce que 2000 ans auparavant, sur un autre continent, les chariots romains étaient construits en fonction de la dimension de l'arrière train des chevaux de guerre. »

Je ne sais pas si cette explication est exacte – si vous avez des informations la confirmant ou l’infirmant, n’hésitez pas à réagir –, mais elle me paraît plausible. Et elle est surtout une illustration parfaite de mon propos : comment imaginer a priori un tel enchaînement ?

Finalement ce n’est qu’a posteriori que l’on peut savoir pourquoi et comment les choses se sont passées.

Décidément, comme je le concluais dans mon billet intitulé « Il est bien trop tôt pour se prononcer sur la Révolution Française » : « Oui la prévision est un art impossible. Et pourtant il faut bien en faire. Paradoxe de toute réflexion stratégique… »



24 janv. 2009

VEUT-ON DÉVISSER OU ENFONCER DES CLOUS ?

J’ai rarement quelqu’un s’obstiner à desserrer des vis avec un marteau ou enfoncer des clous avec un tournevis…
Alors si vous voulez que quelqu’un enfonce des clous, ne lui donnez pas de tournevis, mais plutôt un marteau … et faites lui confiance : pas besoin de lui expliquer ce que vous attendez de lui. Il n’est pas stupide, une fois qu’il est muni d’un marteau, il va vite comprendre ce qu’il doit faire. Ne craignez pas de le voir plus tard en train de dévisser.
J’enfonce des portes ouvertes. Oui, peut-être… mais pas tant que cela.
Mon expérience de consultant m’a montré que certains dirigeants ne comprenaient pas pourquoi, dans leur entreprise, le personnel ne faisait pas ce que l’on attendait de lui. Très souvent, c’est parce que, alors que l’on voulait qu’il « enfonce des clous », on lui avait « donné des tournevis »… et, alors tout le monde cherchait des vis.
La rationalité n’était pas dans ce cas du côté du dirigeant : l’outil structure les comportements plus que les discours !

23 janv. 2009

CLAVIER AZERTY, INCONSCIENT ET INEFFICACITÉ COLLECTIVE

Tout un chacun nous sommes devenus « conditionnés » par le clavier AZERTY, et, même si nous ne sommes pas des experts de la frappe, nous avons progressivement mémorisé la place des touches et une bonne partie de notre frappe se fait de façon inconsciente : nos doigts « savent » où sont les touches. Si vous en doutez, prenez un clavier QWERTY (la version anglaise du clavier) et vous allez être surpris du nombre de nouvelles fautes que vous allez commettre.

Or d’où viennent ces claviers AZERTY et QWERTY.

Voici la réponse donnée sur le site « Dis pourquoi Papa » : « Il s’avérait que les utilisatrices des machines à écrire tapaient trop vite. Certaines tiges se levaient en même temps et bloquaient. Sholes, en 1868, eut alors l’idée de séparer, de part et d’autre du clavier, les lettres fréquemment utilisées en langue anglaise comme le Q, le R, E, le W, etc.

Ainsi, les tiges correspondantes s’emmêlaient moins lorsque la frappe était rapide. Cela donna le clavier QWERTY. Une simple adaptation à la langue française, et le clavier AZERTY que l’on connaît était né. En fait, la disposition que nous connaissons n’est purement due qu’à un problème mécanique au détriment de l’ergonomie. »

Je ne sais pas pour vous, mais, quand je tape sur le clavier de mon ordinateur, je n’ai pas vraiment l’impression que cela risque encore de provoquer le blocage de tiges métalliques… Et pourtant les claviers sont toujours AZERTY en français, QWERTY en anglais.


Des tentatives de les remplacer par des claviers pensés selon une logique ergonomique ont bien eu lieu. Redonnons la parole à « Dis pourquoi Papa » : « C’est pour cela que dans les années 30, aux États-Unis, August Dvorak (professeur à l'université de Washington) inventa une disposition des touches du clavier de façon optimisée non pas pour les problèmes mécaniques, mais pour le confort de l’utilisateur. Les consonnes et les voyelles les plus utilisées étaient disposées sur la ligne centrale. Un peu plus tard, une autre disposition fut mise au point sous le nom DIATHENSOR, correspondant aux 10 lettres les plus utilisées en langue anglaise. »

Sans succès. Inertie des habitudes.

Résultat : notre inconscient est structuré par une architecture désuète et ne présentant plus aucune justification.

Bel exemple d’inconscient contreproductif qui montre, comme la reprogrammation des habitudes collectives, est difficile…


22 janv. 2009

« IL EST BIEN TROP TÔT POUR SE PRONONCER SUR LES CONSÉQUENCES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE »

Interrogé un jour sur les conséquences de la Révolution Française, Winston Churchill répondit qu’il était bien trop tôt pour se prononcer. Ce propos repris hier dans Rédaction (lettre quotidienne roborative et iconoclaste qui constitue un excellent réveil matinal des méninges !) est frappé d’une lucidité trop rare : la plupart du temps nous adorons prévoir, ce malgré la démonstration régulière et obstinée de nos erreurs.

En août 1983, j’étais alors chargé de mission à la DATAR (Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale) et assurait notamment le suivi de la sidérurgie. La France ayant pris ses quartiers d’été, j’avais du temps disponible et me suis alors plongé dans mes dossiers.

En 1978, un plan important avait été décidé et j’ai décidé de relire les informations qui avaient alors servi de support à ces décisions. Un élément clé pour la restructuration avait bien sûr été les prévisions de la demande d’acier en France, l’horizon choisi étant de 5 ans. Les prévisions officielles – celle du gouvernement – avaient été de 21 Millions de Tonnes. La CGT qui était l’organisation syndicale majoritaire avait contesté ce nombre et arrivait à 30 Millions. Le journal Le Monde, dans un de ses articles définitifs comme il les aime, avait tranché environ au milieu.

Or j’avais le « résultat des courses », car nous étions alors, au moment où je relisais ces prévisions, précisément 5 ans après : la demande annuelle allait finalement être d’environ 17 Millions de tonnes. Ainsi le plus proche – c’étaient les prévisions officielles qui étaient les « meilleures » – s’était trompé de 20%. Pourtant l’horizon n’était que de 5 ans, la valeur une donnée supposée « prévisible » et non sujette à des spéculations. Depuis cet été 1983, je suis plus que réservé sur tout exercice de prévision qui ne présente pas de scénarios évaluant les sensibilités aux hypothèses.

Nassim Nicholas Taleb, dans Le Cygne Noir, donne l’information suivante : « Au cours des cinquante ans qui viennent de s’écouler, les dix jours les plus extrêmes sur les marchés financiers représentent la moitié des bénéfices. Dix jours sur cinquante ans. Et pendant ce temps, nous nous noyons dans les bavardages. » A nouveau, c’est l’imprévisible qui est le facteur le plus explicatif de la tendance historique.

Parfois quand j’écoute des discours d’hommes politiques ou d’économistes, je repense à cette histoire du type qui a sauté du toit d’un gratte-ciel et qui, passant devant les fenêtres du 5ème étage, se dit : « Pour l’instant, tout va bien ». Ou encore à la dinde mentionnée par Nassim Nicholas Taleb et qui est contente de la ferme où elle se trouve, parce que, vraiment, on la nourrit très bien…

Oui la prévision est un art impossible. Et pourtant il faut bien en faire. Paradoxe de toute réflexion stratégique…



20 janv. 2009

NOUS NE SOMMES PAS SORTIS DE LA JUNGLE POUR NOUS RETROUVER DEMAIN DANS UNE NEUROJUNGLE !

Comme je l’ai déjà développé dans mon livre "Neuromanagement" et dans plusieurs articles (*), l’efficacité d’un individu ou d’une entreprise repose très largement sur ses processus inconscients : être rationnel, ce n’est pas nier l’importance des processus inconscients, mais, bien au contraire, les accepter et apprendre à en tirer parti.

Un bon nombre de ces processus viennent de ce que l’on appelle souvent notre « cerveau reptilien ». Issus des tréfonds de notre origine animale et même probablement des plus vieux codes du vivant, ces processus sont centrés sur la survie primaire et nous poussent au combat : tout autre, toute différence, toute remise en cause sont perçues d’abord comme des menaces. La force vient de la tribu, de l’identique. Souvenir de la jungle et de la bataille de chaque espèce pour se tailler la « part du lion ».

Ainsi que je l’indiquais dans mon article « Nous sommes tous des cannibales », le vivant, à l’exception des végétaux, ne se nourrit quasiment que de vivant. Normal alors que chaque espèce cherche à se protéger des autres : sans combat, pas de survie. Manger ou être mangé…

Oui, mais nous ne sommes plus dans la jungle. La survie de l’homme n’est plus dans sa capacité à « manger les autres », mais à vivre ensemble. La survie pour les années à venir va beaucoup plus dépendre dans notre capacité à coopérer, à ne plus nous « manger les uns les autres », à ne plus « dévorer notre planète ».

Aussi il faut nous méfier de nos « pulsions reptiliennes ». Les informations sont peuplées de témoignages des dégâts qu’elles font : c’est notre cerveau reptilien qui nous pousse à nous réfugier dans des réflexes identitaires et à nous battre contre notre voisin, contre l’autre tribu. Conflit de Gaza, multiples guerres intra-africaines, éclatement de la Yougoslavie, volontés impérialistes, égoïsmes nationaux… La liste est longue.

Il est vital que nous dépassions ces réflexes contreproductifs. Nous sommes maintenant trop nombreux sur cette planète – 6 milliards en 2000, de 8 à 12 en 2050 -, trop proches les uns des autres – à la fois physiquement et virtuellement via Internet -, trop interdépendants pour pouvoir continuer à concevoir la survie via notre cerveau reptilien. Nos cerveaux reptiliens, loin de garantir notre survie individuelle et collective, vont amener la mort de notre espèce, et probablement de la planète – en tant que système vivant – en même temps.


Il est urgent qu’un nombre croissant d’entre nous en appelle à dépasser concrètement et dans des actes immédiats nos réflexes reptiliens. Bannissons les intellectuels, leaders et favorisés qui utilisent leur situation pour en appeler au combat (voir mon article « Ne laissons pas notre cerveau reptilien collectif nous emmener dans la neurojungle » ).

Apprenons individuellement et collectivement à tirer parti de nos processus inconscients, c’est-à-dire à lutter contre ceux qui sont néfastes : comprenons que nous ne sommes pas sortis de la jungle pour nous retrouver demain dans une neurojungle !


(*) Voir notamment :
- Sans inconscient, pas d’efficacité
- Sans inconscient, pas d’entreprise efficace

19 janv. 2009

MANAGER N’EST PAS UN MÉTIER QUE L’ON PEUT TRANSPOSER FACILEMENT D’UN LIEU À UN AUTRE

Avoir réussi comme dirigeant à la tête d’une entreprise fait-elle de lui un professionnel du management ? Ou dis autrement est-ce qu’il peut réussir à la tête de toute autre entreprise ?
La plupart des personnes vont répondre oui à cette question. Les livres de management sont d’ailleurs peuplés de « recettes » qui sont sensées garantir le succès dans tous les cas.
Je suis pour ma part beaucoup plus réservé face à cette interrogation, et ma réponse sera non dans la plupart des cas.
Pourquoi ? Parce que je suis persuadé du poids et de la prégnance des processus inconscients tant chez l’individu que dans le fonctionnement même de l’entreprise.
Ainsi que je j’ai exposé en détail dans mon livre « Neuromanagement », l’entreprise, comme l’individu, est très largement soumise à des processus inconscients qui, loin d’être un problème, sont le garant de l’efficacité, de la rapidité et de la performance (voir « L’entreprise a des inconscients »).
Mais ces processus sont cachés, non directement lisibles. Pour les percevoir, les comprendre, il faut avoir le temps « d’apprendre » l’entreprise, son histoire, ses succès et ses échecs…
Il en est de même pour un dirigeant. Son histoire personnelle – à la fois professionnelle et privée – a structuré ses processus inconscients. Sans s’en rendre compte, une bonne partie de son succès en tant que dirigeant provient de la bonne « synchronicité » entre ces deux inconscients : le sien et celui de l’entreprise.
Du coup, ses intuitions sont exactes, il délègue en confiance, il « sent » son entreprise. Et si un changement se profile, si une rupture est nécessaire, il va les voir venir et pourra agir en profondeur dans l’entreprise pour reprogrammer ce qui doit l’être…

Si maintenant, auréolé de ses succès passés, il change d’entreprise et se retrouve à la tête d’un ensemble qu’il ne connaît plus et dont les logiques ne sont plus les siennes. Comment ne pas être trompé par ses réflexes inconscients, quand, par exemple, on passe d’une industrie de process lourd à un domaine où la technologie et le marketing sont essentiels et où la durée de vie de tout produit est de moins de 5 ans…
Alors comme il doit prendre décision sur décision – il est venu pour cela et il a toujours su le faire -, il ne se rend pas compte que c’est son inconscient qui le conditionne et le trompe. Et comme en plus il ne comprend pas comment l’entreprise réagit, comme ce qui se passe n’est pas ce qu’il attendait, il se crispe, délègue de moins en moins, contrôle de plus en plus.
Rien ne va plus. Et ce manager qui a toujours réussi ne comprend pas pourquoi cela ne marche plus. Il est perdu, noyé dans un double inconscient qu’il ne perçoit pas.

Souvenir de cette discussion au début des années 80. Je rencontrais alors le dirigeant d’un des grands groupes français les plus performants. Il m’a fait cette confession que je n’ai pas comprise alors : « Vous savez, Robert, après 20 ans passés dans ce groupe, je suis convaincu que je peux le diriger. Je suis aussi convaincu que c’est le seul groupe que je peux diriger. »
Quelle lucidité ! Quelle humilité ! Bien trop rare, malheureusement.
Et oui, manager n’est pas un métier que l’on peut transposer d’un lieu à un autre, c’est le fruit d’une expérience et d’une interaction dans un lieu et un moment précis…

18 janv. 2009

QUELLE DIFFÉRENCE ENTRE UNE BROSSE À DENTS ET UN ÉCUREUIL ?

Notre culture occidentale nous pousse à privilégier la pensée par rapport aux actes.
Depuis la culture grecque, le « logos » est premier et nous avons tendance à voir les actes simplement comme seconds, comme le moment de la mise en œuvre.
Nous sommes devenus des « experts des mots » : pour preuve, le poids du « Grand oral » du concours d’admission à l’ENA, épreuve où l’on va juger de la capacité du candidat à « improviser » brillamment sur un sujet qu’il ne connaît pas. Le discours en lui-même et pour lui-même.
Écoutez au hasard un journal, un débat ou un congrès quelconque, et vous y entendrez essentiellement un art de la dialectique, plus qu’une connaissance et une analyse des faits.
Or, comme le sait la culture populaire, avec les mots, on peut faire ce que l’on veut. Mais dans l’action, c’est plus difficile.

Pour faire passer cette idée, j’ai l’habitude de raconter l’histoire de la brosse à dent et de l’écureuil. L’histoire est la suivante.
« Quelle est la différence entre une brosse à dent et un écureuil ?
Si je me contente de rester au niveau des mots, je vais pouvoir progressivement gommer les différences : finalement les deux ont une queue ; je trouve aussi des poils ; et puis la longueur n’est pas si éloignée…
Mais, au pied d’un arbre, je n’ai jamais vu une brosse à dents être capable de monter en haut !
Donc pour faire la différence, inutile de parler. Mettez-les au pied d’un arbre et regardez celui qui monte. »

Dans la vie, c’est pareil. Nous devrions accorder plus d’importance aux actes et ne pas s’appuyer d’abord sur le discours.
C’est d’ailleurs ce que font la plupart des employés d’une entreprise : ils regardent ce que font concrètement les dirigeants et se méfient de plus en plus des discours…

Aussi, ayons tous le réflexe de planter des arbres quand nous voulons savoir si nous avons affaire à des écureuils ou des brosses à dents.