9 févr. 2009

LA CONFRONTATION, C'EST LA VIE !

Lors d’une conférence que je tenais la semaine dernière, j’ai été amené à repréciser l’importance de la confrontation. J’en ai déjà parlé à plusieurs reprises sur ce blog, mais il m’a paru dès lors souhaitable de refaire un peu une « synthèse » sur ce sujet.

Commençons d’abord par un passage tiré de mon livre Neuromanagement :
« Notre rationalité n’est pas absolue : elle est le résultat de notre interprétation, de notre analyse, de notre compréhension à partir de ce que nous savons du réel. Aussi la confrontation, il ne faut pas l’éviter, mais la rechercher : c’est la meilleure façon de se rapprocher encore un peu plus du réel. Le consensus doit être le résultat d’une confrontation, il ne doit pas être recherché a priori.
En effet tout désaccord n’est pas d’abord source de problèmes, mais surtout source d’enrichissements potentiels par confrontation des interprétations : avoir deux interprétations distinctes, c’est accroître les chances de mieux approcher le réel et de moins se tromper. Cette culture de la confrontation est moins confortable que celle de l’évitement, mais c’est le prix à payer pour rester connecté au réel et renforcer la probabilité de survie à long terme.
Je rappelle que, pour moi, conflit et confrontation sont deux notions différentes, même si, bien sûr, l’une peut conduire à l’autre : le conflit est un affrontement entre deux personnes ou systèmes qui, poursuivant des objectifs différents, rivalisent pour la conquête de la même chose, une idée ou un bien ; la confrontation oppose deux parties qui ont un objectif commun, comme, par exemple, la survie ou le développement de l’entreprise à laquelle ils appartiennent. Dans un conflit, on est face à face ; dans une confrontation, on est assis du même côté de la table et on fait face au problème qui est commun.
Le conflit, c’est un combat. La confrontation, c’est la recherche du réel.
Il faut pousser à la confrontation en interne : si deux personnes ne sont pas d’accord entre elles, il ne faut en aucun cas, par abandon d’un des points de vue ou en remontant directement pour arbitrage au niveau hiérarchique supérieur, éviter la discussion. Elles doivent analyser la divergence.
Noter que, souvent, lorsque quelqu’un a peur d’une confrontation, c’est qu’il n’est pas sûr de son propre raisonnement : la confrontation risque de montrer qu’il a tort ou l’obliger à communiquer les vraies raisons de son choix.
Attention, si l’une ou l’autre des parties perd de vue l’objectif commun, alors la confrontation va tourner au conflit.
Ceci implique qu’une Direction Générale doit toujours relier ce qu’elle demande à un des objectifs de survie et montrer que cela s’impose aussi à elle : elle est comme le reste de l’entreprise dans l’obligation de l’atteindre. Si elle veut que la mise en œuvre ne tourne pas au conflit, il est essentiel que le personnel ne pense pas qu’il faut faire ceci simplement pour lui faire plaisir. Je rappelle que l’expression « survie » s’entend au sens large en y incluant des objectifs positifs comme la croissance et le développement.
Si la Direction est capable de montrer effectivement que ce qu’elle demande est « indépendant » d’elle-même, et est lié à la situation de l’entreprise et du marché, elle peut alors susciter la confrontation pour enrichir sa décision. »

Vraiment toute cette thématique autour de la confrontation comme levier d’ajustement des interprétations est essentielle. Sans elle, les systèmes vont dériver : les ajustements internes ne vont plus se faire (voir « Se confronter en interne pour fiabiliser les décisions »), les informations venant du dehors ne sont plus intégrées et l’entreprise se déconnecte de son marché (voir « Se croire invulnérable tue ».)

En fait la confrontation fait partie de la vie, il en est le moteur de l’ajustement, et tout ceci peut se résumer en une phrase : sans confrontation, pas de vie !
Promouvoir une culture de confrontation est un des responsabilités premières d’un dirigeant (voir « La confrontation n’est pas naturelle »).
Comment faire ?
Ceci est, pour moi, tout sauf quelque chose de théorique. Au contraire, c’est très engageant, et singulièrement pour la Direction Générale qui doit être la première à appliquer ces principes. Quels sont-ils ?

J’en vois 5 majeures :
1. Avoir une organisation claire où chacun peut comprendre son rôle et celui des autres : Pour pouvoir me confronter positivement – c’est-à-dire sans partir vers le conflit ou l’évitement -, il faut que chacun ait une vue claire de ce que l’on attend de lui et la compréhension de celui des autres. Le mot compréhension est à prendre au sens fort, en incluant le respect de la compétence et du savoir-faire des autres.
2. Avoir un objectif commun partagé auquel chacun est capable de relier son objectif propre : Sans objectif commun, toute confrontation va tourner au conflit ; sans liaison entre l’objectif commun et l’objectif individuel, chacun risque de refuser la confrontation par peur de non atteinte de son objectif personnel.
3. Se confronter sur l’analyse et jamais sur les conclusions : Il faut remonter à ce qui a amené chacun à construire une interprétation différente, et ce en distinguant bien les faits des opinions (voir « Savoir distinguer les faits des opinions »).
4. Se refuser à arbitrer entre deux points de vue divergents si une confrontation préalable n’a pas été entrepris préalablement avant à leur niveau : Dans la plupart des cas, la confrontation permettra de faire émerger la solution (voir « La bonne solution n’est pas de demander à la Direction Générale de tirer à pile ou face ») et sinon, le problème remontera mais documenté et argumenté. La bonne solution n’est en effet jamais de passer le mistigri à l’échelon supérieur !
5. Ne pas considérer que l’accord a priori est normal et chercher la confrontation : S’interdire de prendre toute décision significative si il n’y a eu aucun débat interne réel. La plupart du temps, cela masque la non prise en compte d’une des dimensions du problème : il n’est pas normal que, sur un problème complexe, toutes parties soient immédiatement en phase (voir « C’est quand tout le monde est spontanément d’accord qu’il faut s’inquiéter », « C’est quand tout se passe bien qu’il faut s’inquiéter »).


7 févr. 2009

ARRÊTONS DE FAIRE UN DÉNI DE GROSSESSE ET FAISONS FACE À LA NAISSANCE DU NEUROMONDE

Il flotte dans l’air de nos sociétés – en France et dans le reste du monde – comme un arrière-goût amer, un de ces goûts qui vous empêchent de dormir et vous réveillent la nuit, un goût de gueule de bois, mais sans avoir bu. Nous sommes comme groggy d’un match de boxe que nous n’avons pas vraiment joué.
Ce n’est pas un désespoir absolu, mais une grande dépression collective, nourrie par la crise récente et par l’incapacité des structures collectives à y répondre, qu’elles soient politiques ou non.

De ce point de vue, le « show télévisé » de Nicolas Sarkozy n’était ni bon, ni mauvais. Il exprimait lui-même ce flottement, ce malaise. Il suffit de noter les contradictions entre ses propos successifs, son incapacité à esquisser ne serait-ce qu’une perspective de sortie. En fait, il ne procède que sous la forme d’ « incantations religieuses », de « formules magiques » supposées apporter la solution. A un moment, sur la répartition du profit entre le travail, l’investissement et le capital, il a même eu des accents d’un Georges Marchais des années 70, belle preuve de modernité…

Je repense aux films que j’ai vus ces dernières semaines et qui expriment tous d’une façon ou d’une autre, ce vide quasi abyssal : un groupe d’adolescents qui ne cherchent même plus à se rebeller et dont le seul projet est le suicide collectif (Everything is fine), des vies hachées , découpées, juxtaposées, et droguées par l’ennui (Better Things), la glissade irréversible depuis ses rêves vers une conformité bourgeoise qui dissout tout plaisir (Noces rebelles ou mieux avec son titre anglais « Revolutionary Road »).

Ambiance de fin de règne, de fin de période…
Que se passe-t-il ?
Sommes-nous tous victimes d’une forme d’asphyxie à un gaz qui viendrait nous endormir petit à petit, nous plongeant dans une torpeur pré-mortelle ?

Non, je crois que nous sommes sous le choc d’une transformation en profondeur, d’une renaissance collective, d’un accouchement. Et, à l’instar de certaines femmes, nous faisons un déni de grossesse, nous voulons nier ce changement, nous déprimons face à cette réalité que nous ne voulons pas assumer.

Comme je l’ai déjà écrit dans des articles précédents (voir notamment ma série d’articles autour du « Neuromonde »), je crois qu’il y a une forme de malentendu dans la lecture de la crise actuelle : la crise financière n’est pour moi que le révélateur et l’accélérateur d’une mutation profonde de notre monde. Cette mutation est celle de l’émergence progressive et réelle d’un monde globalisé où tous les hommes sont effectivement connectés.

Pourquoi sommes- nous connectés ?
D’abord parce que nous sommes plus nombreux et que nous nous « touchons » physiquement de plus en plus. Parce que dès lors nous avons un impact croissant et destructeur sur notre environnement. Parce que ce qu’un groupe d’individus fait à un bout du monde peut détruire ou améliorer l’environnement de tous.
Ensuite parce que, à cause du développement des transports physiques et dernièrement des communications virtuelles – singulièrement grâce à la téléphonie mobile et internet -, les entreprises sont devenues globales et non plus seulement internationales. Parce qu’alors tous les territoires sont reliés entre eux et sont en compétition effective. Parce que les écarts de revenus entre pays ne sont plus en conséquence tenables, les vannes ayant été ouvertes.

Nous sortons des cavernes de nos appartenances géographiques, comme nous sommes sortis, il y a des millénaires, des cavernes rocheuses. Cette sortie est amorcée, mais sera longue.
Cette transformation vient remettre en cause les organisations actuelles et les avantages acquis. L’organisation mondiale était favorable à nos pays et notre niveau de vie provenait de l’exploitation relative des autres. Ceci n’est progressivement plus possible. Et donc notre niveau relatif va baisser : la connexion a créé un Neuromonde dans lesquels il n’y a plus de « vannes » permettant de maintenir des différences durables entre les niveaux de vie.

Comme les « vannes » ont été ouvertes, l’eau coule irréversiblement, les niveaux se rapprochent, nous allons vers un monde plus égalitaire. Cet abaissement relatif était déjà enclenché, mais il était masqué par la croissance mondiale : l’hyper-croissance chinoise et indienne notamment permettait ce rattrapage, sans baisse absolue de notre niveau de vie.
La crise financière n’a pas provoqué cette baisse relative, mais, comme elle ampute fortement la croissance mondiale, elle rend cette baisse douloureuse, car elle est devenue une baisse absolue : dans nos pays – et singulièrement en France –, notre niveau de vie collectif baisse pour la première fois. Une annonce comme la diminution de 20% des salaires chez IBM en est un signal retentissant. Et comme la classe dirigeante protège ses acquis, les efforts sont supportés par les plus faibles, qui étaient déjà les plus fragiles…

La réponse ne peut pas être le retour en arrière, car nous ne pouvons pas nous « déconnecter » les uns des autres :
- Nous ne pouvons pas diminuer le nombre d’hommes sur la planète : Avez-vous envie d’une guerre mondiale comme principe de régulation des naissances ?
- Tous les processus économiques et industriels sont trop enchevêtrés : Comme la plupart des produits manufacturés sont la conjugaison de travaux impliquant un nombre croissant de pays, êtes-vous prêts à vous priver de la plupart des objets qui rythment votre vie quotidienne ?
- Tous les flux financiers sont interdépendants : Voulez-vous voir s’effondrer tout le système financier mondial ?
- Toutes les villes occidentales sont multiculturelles et multiraciales : Seriez-vous friands d’une guerre civile au sein de nos villes opposant les différentes ethnies, une sorte de guerre des banlieues en grand ?
- …

Nous ne pouvons plus refermer les vannes, nous ne pouvons plus lutter contre la force des courants, nous sommes emportés par la puissance de la transformation.
Et c’est heureux, car comment pourrions-nous vouloir retourner vers ce monde où notre richesse venait largement de l’appauvrissement des autres ? Ce n’est pas ce que vous voulez ? Rassurez-moi…

Non, le repli sur soi n’est pas la réponse. Non, nous ne devons pas chercher à retourner dans nos cavernes géographiques et territoriales.

Pour sortir de cette dépression collective, pour retrouver ensemble des chemins positifs et d’espoir, il est urgent de faire face à la réalité de la situation.
Ce n’est pas en faisant croire que le protectionnisme va protéger des emplois que l’on fait face.
Ce n’est pas non plus en pensant que la sortie de la crise financière sera la sortie de nos problèmes.
Ce n’est surtout pas en jetant l’anathème sur les autres – ceux qui ne sont pas comme nous – que nous y arriverons.

Faire face, c’est d’abord avoir le courage de regarder lucidement ce monde global dans lequel nous sommes entrés, ce Neuromonde qui, que nous nous le voulions ou pas, est en train de naître et qui devient le nôtre.


En liaison avec cet article, lire mes articles sur :
- La naissance du Neuromonde
- Comment distinguer les faits et les opinions

- Pourquoi prévoir est un art paradoxal et "impossible"



5 févr. 2009

SE CONFRONTER EN INTERNE POUR FIABILISER LES DÉCISIONS

"Une entreprise industrielle avait à réaliser un investissement majeur qui aboutirait à terme à un doublement de la capacité de production d’une de ses usines. La conception du nouvel équipement impliquait le siège et les cadres locaux.
Compte tenu des contraintes globales pesant sur la rentabilité l’entreprise, la Direction Générale voulait réaliser cet investissement en minimisant les coûts. Dans cette logique, une enveloppe avait été fixée pour l’investissement.
Dans la phase initiale, les réflexions étaient pilotées entre la Direction Industrielle et une cellule ad hoc créée au sein de l’usine. L’ingénieur de fabrication qui serait ensuite en charge de faire fonctionner le nouvel équipement n’était pas membre de la cellule.
Or l’équipe de fabrication, techniciens et contremaîtres, avait été vite persuadée que le projet ne tenait pas compte de toutes les conséquences pour l’usine : le périmètre étudié ne portait que sur l’investissement principal, et n’incluait pas les annexes.
Cette divergence majeure n’avait pas été remontée jusqu’à la Direction Générale. Cet évitement faisait courir un danger fort au projet, puisque les objectifs d’accroissement de la capacité de production risquaient de ne pas être atteints.
Il était donc vital d’organiser d’urgence une confrontation entre les différents points de vue, pour :
- soit convaincre la fabrication que ses inquiétudes étaient sans fondement,
- soit revoir les objectifs de croissance de la capacité de production,
- soit accroître le budget et modifier les annexes en conséquence.

Pourquoi un tel évitement ? Parce qu’à nouveau la confrontation n’est pas naturelle : souvent, on a « peur » en interne de se confronter, que ce soit avec son équipe, son collègue ou son supérieur hiérarchique. On privilégie le consensus, on pense que le problème finira bien par se régler de lui-même…
Or, en l’absence de la confrontation interne, l’ajustement n’interviendra qu’a posteriori, c’est-à-dire au moment de la confrontation avec l’extérieur de l’entreprise. Au mieux, ceci déclenchera retards et surcoûts pour l’entreprise ; au pire, l’erreur ne pourra pas être rattrapée.

Ce risque d’évitement est d’autant plus fort que la culture interne est « confortable » et ne pousse pas à la remise en cause. Pour dépasser l’évitement, il faut apprendre à se confronter efficacement."
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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)


4 févr. 2009

IL EST IMPOSSIBLE DE SE FAIRE COMPRENDRE

Communiquer est un objectif impossible.
Vous êtes surpris par ma formulation, vous pensez que j’exagère… Je ne crois vraiment pas. Je vais essayer de m’expliquer, même si vouloir expliquer que « communiquer est impossible » est une activité paradoxale !
Quand vous voulez exprimer quelque chose – quoique ce soit –, vous allez employer des mots qui vont, pour vous, correspondre au sens que vous voulez donner, à votre interprétation. Vous allez accompagner cette communication verbale d’une communication physique qui va émaner de vous à ce moment-là.
Celui qui va « recevoir » votre message – ce mélange de verbal et de physique – va lui l’interpréter à partir de son histoire, son expérience et l’ensemble de ses ressorts émotionnels propres.

Prenons, par exemple, un cas extrêmement simple : vous voulez parler, pour une raison ou une autre, d’une table. Vous employez le mot sans précaution particulière, sans y mettre aucun affect, sans accompagnement corporel. Vous parlez « techniquement » d’une table. Vous êtes neutre et calme. La table est un objet simple que tout le monde connaît. Pas de problème donc, pas de raison de « se prendre la tête », n’est ce pas ?

Oui, mais il se trouve que celui à qui vous parlez a un père menuisier qui avait pour marotte de faire des tables.
Toute son enfance, votre interlocuteur l’a passée auprès de ce père, sa mère étant morte alors qu’il était très jeune. Un père castrateur, donneur de leçons et qui lui répétait tout le temps : « Tu vois, des tables comme celles-là, tu ne sauras jamais en faire. ». Et effectivement, plus tard, il avait tout à fait autre chose.
Et c’est à lui que vous parlez de table. Pas de chance, vous êtes debout, lui assis. Et vous êtes son supérieur hiérarchique… Imaginez alors si, en plus, il venait d’apprendre la mort de ce père… Peu de chances qu’il vous écoute vraiment : Avec ce petit mot de « table », vous venez de réveiller tout un passé enfoui. Il ne peut plus vraiment vous écouter. Il voit son père…

Évidemment cet exemple est caricatural. Vous n’avez à peu près aucune chance de vous retrouver dans une situation aussi extrême. Aussi ne prenez pas trop de précautions pour parler de table !

Bien sûr, en général, ce que l’on a à évoquer est beaucoup plus compliqué qu’une simple table ! Alors faites attention à ne pas croire qu’il va suffire de parler clairement pour être compris.

Quelques « conseils » pour essayer d’atteindre l’objectif impossible de la communication :

- Ne pas hésiter à utiliser plusieurs façons pour parler du même sujet. Plus vous multiplierez les chemins explicatifs, plus vous augmenterez la probabilité d’être compris correctement. Malheureusement, ceci n’est souvent pas possible, car cela demande du temps et de la disponibilité chez l’autre.
- Communiquer au travers d’histoires, se rapprochant le plus possible de situations simples de la vie courante. C’est ce que je viens de faire avec mon « histoire de table ». La Bible en est truffée, il doit y avoir une raison (on appelle ces histoires-là des paraboles, c'est plus chic, mais c'est la même idée !).
- Faire attention à son langage corporel qui va porter implicitement une grande partie du message. Par exemple, si vous avez à répondre à une question et que vous voulez enclencher un échange, ne jamais le faire en restant debout : toujours être assis au même niveau pour engager un mode équilibré.
- Et bien sûr, faire un « bouclage » pour comprendre à votre tour ce que l’autre a compris.
Ce ne sont que des pistes. L’important est en fait simplement dans cette phrase : « Comprendre qu’il est impossible de communiquer réellement, et donc être vigilant dès que l’on cherche à le faire… ».

Me suis-je fait comprendre ?


Sur ce thème du langage, vous pouvez jeter un coup d’œil aux articles que j’ai écrit sur le sujet (CLIQUER) et aussi regarder la vidéo ci-dessous sur « Comment la mémoire peut nous tromper »

3 févr. 2009

No future ?

La camera est comme figée par le vide qu’elle filme. Successions de plans fixes. Alternance de décors ou paysages qui composent autant de natures mortes, venant en écho morbide à la désespérance des acteurs.
Il émane de ce film une tristesse hypnotique, sans fonds, sans solution. Rien n’est proposé, ni même esquissé. Même vieillir n’est pas une solution. Rien.
Le film commence et finit par une mort par overdose. Nous aussi, nous recevons une overdose face à l’impasse de ces vies. Nous sommes shootés, nous sombrons, petit à petit, image après image.
« Better Things » n’est pas un film, mais un cri muet… A voir d’urgence.
Il fait écho à « Everything is fine ». Là c’est un adolescent dont les 4 copains viennent de suicider et qui se retrouve seul face à sa douleur et au vide de ses journées. Pas gai non plus, mais troublant et émouvant.
Lien évident avec des films aussi comme Paranoid Park ou Elephant de Gus Van Sant.
Prenons garde à ce que ces « no future » ne deviennent pas la marque de nos sociétés…

2 févr. 2009

POUR SORTIR DE LA CRISE, NOUS N'AVONS PAS BESOIN DE ZORROS - QUELS QU'ILS SOIENT -, BIEN AU CONTRAIRE !

J’entends de plus en plus se développer un discours dominant : la sortie de la crise va dépendre de la qualité de nos dirigeants et de la capacité de quelques uns à reprendre les manettes en main.
Ce discours est vrai en politique. Pour preuve, le niveau des attentes liées à l’arrivée de Barack Obama comme nouveau Président des États-Unis. Ou encore l’exacerbation des réactions vis-à-vis de Nicolas Sarkozy : il est tour à tour le démon ou le sauveur suivant le bord politique de l’observateur.
Ce discours est vrai dans les entreprises. L’hyper-crise actuelle provoque le plus souvent une recentralisation des décisions et un renforcement du pouvoir des PDG et de leurs équipes rapprochées. Ceci est encouragé par bon nombre de cabinets de conseil qui prônent ceci comme un levier nécessaire.
Cette raréfaction de la sphère dirigeante s’accompagne d’une diminution du nombre des experts reconnus et patentés. On assiste maintenant à un ballet bien huilé de quelques « spécialistes » – en économie, culture, politique, philosophie, … – Les plus « performants » deviennent même des « multicartes de l’expertise » capables d’apporter le bon éclairage sur à peu près tout thème ou tout sujet. Ils deviennent, en quelque sorte, le conseil d’administration de la holding de l’expertise.
Or je voudrais faire deux observations simples :
1. Nous avons vu, ces dernières années, monter en puissance la sphère financière, sphère que j’appelais dans mon livre Neuromanagement, la Neurofinance : « Le système financier, dopé par sa connectivité globale et tous les systèmes experts qui s’y rajoutent, prend une importance chaque jour croissante et capte de plus en plus de revenus à son profit… Ainsi, sans contre-pouvoir face à lui, à force de renforcer sa puissance, à force d’élargir son étendue, à force de complexifier sa structure, le système financier risque de dériver du réel, c’est-à-dire de se décarreler de la production effective de richesse. ». La crise financière actuelle est largement due à cet excès de pouvoir de quelques personnes. Comme toujours, le pouvoir absolu corrompt…absolument.
Comment, dès lors, ne pas voir comme le renforcement du pouvoir de quelques personnes – quelles que soient leurs qualités – est dangereux et inquiétant ?

2. L’accroissement de la population mondiale, la gestion des impacts sur les équilibres écologiques, le développement rapide de toutes les connexions entre individus et organisations – connexions physiques par les transports, immatérielles par Internet -, et la sophistication croissante du fonctionnement de nos sociétés – multiplication des associations, spécialisation des entreprises, … – viennent accroître de façon exponentielle la complexité du fonctionnement de nos systèmes. Il est de moins en moins possible à un petit nombre d’individus d’intégrer cette complexité et de trouver le bon chemin. Prévoir, anticiper devient de plus en plus une gageure (cliquer pour voir ma série d’articles sur ce thème).
Comment imaginer que la solution va venir d’un renforcement de la centralisation, c’est-à-dire par une diminution de la capacité auto-adaptative ?

Ainsi, je suis convaincu que, plus nous allons confier la sortie de la crise à un club restreint de dirigeants politiques et économiques, s’appuyant sur une poignée de gurus, plus nous allons en amplifier la profondeur. Et ceci n’est pas dû à la compétence de ces « élus ». Non, ce n’est pas simplement pas la bonne approche : la crise est précisément venue d‘un excès de concentration.

Nous ferions mieux de nous inspirer du mode de fonctionnement des organismes vivants et du moteur de l’évolution : il repose sur un principe d’auto-organisation (voir notamment les travaux d’Henri Atlan ou Francisco Varela). La forme, le sens, la direction ne sont pas « pensés » ou « décidés » a priori, mais sont la résultante des actes et des interactions entre des agents multiples et codépendants : ils « émergent »…

Ainsi que l’écrit Francisco Varela dans L’inscription corporelle : « Le système entier ressemble à un patchwork de sous-réseaux assemblés par un processus complexe de bricolage bien plus qu'un système résultant d'une conception unifiée, claire, nette et précise... Les esprits consistent en un grand nombre « d'agents » dont les aptitudes sont fortement circonscrites : chaque agent pris individuellement n’opère que dans un micromonde de problèmes de petite échelle ou problèmes « jouet »... Ce faisant, l’esprit émerge comme une sorte de « société ». »

Vaste programme à appliquer pour repenser nos modes de management de nos entreprises, nos sociétés, et, par là, notre monde…

En liaison avec cet article, lire mes articles sur :
- Comment distinguer les faits et les opinions
- Pourquoi prévoir est un art paradoxal et "impossible"



31 janv. 2009

REFUSONS LE HOLD-UP MÉDIATIQUE DU "LES FRANÇAIS PENSENT QUE…"

Ouvrez au hasard une radio ou une chaîne de télévision, et très vite, vous allez entendre : « Les Français pensent que… », ou « Oui, mais les Français ne sont pas prêts… », ou bien encore « C’est clair que la manifestation d’hier veut dire… »… Et ces propos peuvent être tenus indifféremment par un journaliste, un économiste, un syndicaliste ou un homme politique.
Ces « experts » des media nous assènent ces affirmations sans même prendre la peine de les justifier. Ils n’en ont pas besoin, car ils s’approprient « de façon magique » le point de vue de la société : agissant comme des medium modernes, des « cartomanciens » de l’opinion, ils savent ce que les Français veulent, ou, si leur pouvoir est plus limité, ce qu’une catégorie – les professeurs, les ouvriers, les marseillais, les beurs… c’est selon – veut. Magie de l’affirmation. Hold-up médiatique.

Car sauf exception, ils n’ont aucun sondage, ni aucune mesure qui viennent appuyer leur propos. Non, ils n’en ont pas besoin. Ils savent « par essence ».

Commode pour éviter de répondre à une question. Pourquoi en effet prendre la peine de justifier quoique ce soit, puisqu’il suffit de répondre par « Ce n’est pas possible puisque les Français n’en veulent pas » ? Simple et efficace, non ?
Je ne sais pas pour vous, mais je suis de plus en plus fatigué de voir ces « soi-disant experts » venir me voler mon opinion, sans même d’ailleurs me la demander, mais en l’inventant. Halte à ce hold-up !
Souvent dans mon métier de consultant, j’ai entendu des dirigeants me dire : « Oui, bien sûr, je suis d’accord avec vous ; mais mon entreprise, elle, n’est pas prête ». En moi-même, à chaque fois, j’ai pensé : « Bien, donc lui n’est pas prêt et il faut que je comprenne pourquoi. Pour l’entreprise, on verra ensuite ce que les gens pensent à l’intérieur. »

Là aussi le mécanisme est le même : quand un « expert » a besoin d’en appeler à un témoignage extérieur dont personne ne peut vérifier la véracité – pas facile de convoquer au pied levé les Français dans un studio de radio ou de télévision ! –, c’est qu’il n’est pas d’accord lui-même, et que, pour une raison ou une autre, il ne veut pas le reconnaître.

Que faire alors ?

Organiser une manifestation pour réclamer la libération de nos opinions et l’arrêt des hold-up ? Inefficace, car, comme ce sont les « experts » qui vont commenter notre manifestation, ils pourront « en toute bonne foi » réécrire le pourquoi du comment. Par exemple en disant : « Il est clair que la manifestation d’aujourd’hui est un appel à plus de démocratie et à plus d’engagement citoyen. Toutes choses qui viennent à l’appui de ce que je disais la semaine dernière… ».

Brûler tous les « experts » en place publique ? Irréaliste, car ils sont trop nombreux, puissants et irresponsables de leurs actes. Et oui, puisque ce sont nos opinions qu’ils relaient, de quoi pourrions-nous les accuser ?

En appeler à la vengeance divine contre ces usurpateurs ?
Oui, pourquoi pas. Je ne suis vraiment pas sûr que Dieu existe, mais cela ne coûte rien d’essayer. Et si jamais Dieu existe, comme il est la première victime de ces « experts » – combien de crimes n’a-t-on pas commis au nom de Dieu ! – , il sera pour sûr de notre côté.

Bon donc, je vais, de ce pas, mettre un cierge à Notre Dame…

En liaison avec cet article, lire mes articles sur :
- Comment distinguer les faits et les opinions
- Pourquoi prévoir est un art paradoxal et "impossible"



30 janv. 2009

JE SUIS LE CENTRE DU MONDE !

L’Atlas des Atlas élaboré par Courrier International montre la subjectivité du regard induit par une carte. Ainsi que l’écrivent Christine Chameau et Philippe Thureau-Dangin dans leur introduction : « Cet atlas ne cherche pas à donner une vision cohérente, européo-centrée du globe. Il invite au contraire à décentrer le regard, en prenant d’autres points de fuite et d’autres angles. »
L’ouvrage commence par les « Visions du monde » : selon le continent auquel on appartient, la planisphère tourne et chacun se voit toujours au cœur du monde (ci-contre en bas celle des cartographes australiens issue de ce livre, complétée de deux autres cartes trouvées sur Internet).
Or ces visions modifient la compréhension, faisant « oublier » des proximités : ainsi notre vue depuis l’Europe nous masque la proximité entre la Californie et l’Asie…

Il en est de même dans notre vie quotidienne : nos interprétations sont construites à partir de notre point de vue et de « l’endroit » où nous nous trouvons, endroit à la fois physique, culturel et mental.
Prenons conscience que ceci point de vue n’est pas absolu, mais relatif, et qu’il va nous « tromper », faussant notre analyse.
Que faire face à cette erreur de centrage, forme d’erreur de parallaxe ?
Apprendre à découvrir le point de vue de l’autre en se « déplaçant » soi-même : changer de pays, apprivoiser d’autres langues, approcher d’autres cultures, pratiquer le métissage…
Et à chaque fois, ne pas trop poser de questions – car dès que je pose des questions, que je le veuille ou non, je vais projeter ma vision du monde –, mais simplement « s’asseoir » là, dans cet ailleurs, et regarder le monde sous cet angle neuf.

Ceci est aussi bien sûr vrai pour une entreprise qui doit veiller à ne pas voir le monde – clients, technologie, concurrence, … – que depuis son point de vue. Elle aussi doit apprendre à « se déplacer » pour revisiter la pertinence de sa vision stratégique.
Quête et remise en cause sans fin.

Laissons la parole à Michel Serres qui, au tout début de son livre « Le Tiers Instruit » écrit : « En traversant la rivière, en se livrant tout nu à l’appartenance du rivage d’en face, il vient d’apprendre une tierce chose. L’autre côté, de nouvelles mœurs, une langue étrangère certes. Mais par-dessus tout, il vient d’apprendre l’apprentissage en ce milieu blanc qui n’a pas de sens pour les rencontrer tous… Les instituteurs se doutent-ils qu’ils n’ont enseigné, dans un sens plein, que ceux qu’ils ont contrariés, mieux, complétés, ceux qu’ils ont fait traverser ?... Car il n’y a pas d’apprentissage sans exposition, souvent dangereuse, à l’autre. Je ne saurai jamais plus qui je suis, d’où je viens, où je vais, par où passer. Je m’expose à autrui, aux étrangetés. »

On ne peut mieux dire !


29 janv. 2009

ON N’EST PAS À L’ORIGINE DES CHOSES, ON SE TROUVE SIMPLEMENT À L’ENDROIT OÙ ELLES SE PRODUISENT.

« Issue de la culture asiatique, et plus précisément bouddhiste, cette idée est dérangeante pour notre logique occidentale : comment se pourrait-il qu’avec nos écoles de management et d’ingénieurs, nos ressources techniques et financières, nos manuels, nos modèles mathématiques… nous ne soyons que le jouet des événements, sans prise sur eux ? Vraiment déraisonnable cette idée ?
Et pourtant, quand on repense aux situations réelles, les succès ne sont-ils pas souvent plus des opportunités qui se sont présentées et que l’entreprise a su saisir plus vite et plus efficacement ? A-t-elle créé les situations ou les a-t-elle repérées et exploitées ?

Prenons l’exemple de Microsoft. On pourrait écrire son histoire comme le fruit d’une stratégie pensée et remise en cause à chaque fois au bon moment. Une autre lecture est possible : celle de la capacité de Microsoft à s’être trouvé au bon endroit, au bon moment et d’avoir fait alors les bons choix, puis d’avoir excellé dans la mise en œuvre.

Première étape initiale dans les années 70. IBM considère que le système d’exploitation du petit ordinateur qu’il veut lancer – le PC – n’est pas stratégique, décide de le sous-traiter et le confie à une équipe proche. Microsoft est né et va se développer d’abord dans l’ombre d’IBM. Sa naissance n’est pas le fruit d’une stratégie propre mais le résultat du choix fait par IBM. Microsoft est né de la volonté de Bill Gates de créer une société, de regarder les opportunités qui se présentent à proximité de lui et de saisir celle-là.

Deuxième étape dans les années 80. En parallèle, Apple s’est créé et a fait le choix d’une solution intégrée autour de son système d’exploitation. Ce système est largement préféré par tous les utilisateurs : il est beaucoup plus simple d’accès et plus ergonomique que le système MS-DOS développé par Microsoft. Face à cette concurrence qui progresse, Microsoft veut avoir un nouveau système d’exploitation compétitif. Mais il n’y arrive pas, du moins pas assez vite à son goût. Alors il s’adresse à Apple pour avoir une autorisation de licence de son système. Restant fidèle à sa vision intégrée, Apple refuse et Microsoft n’a pas d’autre solution que de s’obstiner. Finalement, Windows naît. Le système est imparfait, car MS-DOS reste sous-jacent derrière le système Windows. Mais, Microsoft sait compenser ceci par la qualité de son marketing opérationnel, et notamment les accords passés avec les fabricants de PC. À nouveau c’est le choix d’un autre qui conditionne le sien : Microsoft a suivi la dynamique créée par Apple, a été contraint par son refus de le licencier et a pallié le handicap logiciel par la puissance de la distribution.

Troisième étape dans les années 90. Arrive l’essor d’Internet et une nouvelle menace : Netscape. Au début Microsoft ne croit pas à l’importance du phénomène Internet et l’ignore. Quand elle en prend conscience, Netscape domine le marché des navigateurs et personne n’imagine qu’elle puisse être délogée. Microsoft se lance dans un sprint pour imposer son navigateur Internet Explorer. Elle va y arriver à nouveau non par une meilleure performance logicielle, mais par l’intelligence de son marketing opérationnel. Cette fois encore elle n’est à l’origine ni d’Internet, ni du concept du navigateur, mais a su mieux que d’autres à ce moment-là en tirer parti. On peut vraiment parler d’excellence opérationnelle, notamment dans sa capacité à se remettre en cause : elle a su rester connectée au réel et revoir son interprétation.

Résultat : Microsoft se retrouve aujourd’hui une des entreprises les plus puissantes au monde non pas tant parce qu’elle a anticipé les changements, mais bien parce que :
- elle s’est trouvée au bon endroit, au bon moment,
- elle a su mieux que d’autres en tirer parti,
- elle a repéré les changements dans son marché et senti les changements de courant,
- elle est restée en éveil, alors même qu’elle était devenue grande et puissante.

Aujourd’hui elle fait face à un nouveau défi avec la montée en puissance de Google. La quatrième étape est en train de s’écrire…

De nombreux autres cas d’entreprises sont du même type : McDonald a su industrialiser le hamburger, Coca-Cola le soft-drink, L’Oréal repérer le shampooing aux USA.
Ainsi un mouvement efficace doit s’inscrire dans les forces qui l’entourent et en tirer parti.

Et notre libre arbitre dans tout ceci ? On ne deviendrait Microsoft, McDonald ou L’Oréal que par chance ? Bien sûr que non !

Sentir les opportunités et exceller dans la mise en œuvre, voilà le libre arbitre réel et efficace :
- Savoir exploiter les marges de manœuvre et les degrés de liberté qui existent au sein du réseau des forces et du champ de contraintes : mieux lire la réalité de la situation, grâce à l’efficience du système qui connecte l’entreprise au réel et élabore des interprétations pertinentes ; identifier les options possibles en passant des interprétations à l’élaboration de scénarios ; exceller dans la mise en œuvre.
- Si le réseau de contraintes amène l’entreprise dans une direction qu’elle refuse, savoir se déplacer et « changer d’endroit » : modifier son portefeuille d’activités par des cessions/acquisitions ; aller vers de nouveaux marchés en inventant de nouvelles applications ;... »
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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)

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