1 févr. 2010

POURQUOI LE DOCTEUR HOUSE RÉUSSIT-IL SES DIAGNOSTICS ?

Les cinq clés de la réussite

La série TV « Docteur House » met en scène, à chaque épisode, un diagnostic médical quasiment impossible : chaque fois, un patient présente un ensemble de symptômes apparemment contradictoires, et tous les tests viennent successivement éliminer les hypothèses faites. In fine, comme un magicien, le docteur House va trouver la solution, celle qui réunit tous les faits et va résoudre le cas.

Comme émerge cette solution ? Si j'analyse le déroulé du diagnostic, je trouve toujours : 
- Une confrontation constante au sein de l'équipe : Chacun est tenu de formuler à haute voix ses hypothèses, d'expliquer ce qui les sous-tend et d'accepter l'exercice de démolition venant du reste de l'équipe, et souvent de House lui-même.
- Un recueil large des faits qui va bien au-delà du classique questionnaire médical : Tous les éléments de contexte, y compris via une fouille de l'appartement du malade, sont collectés.
- Des tests successifs : Toute hypothèse est immédiatement testée, même si elle n'est pas certaine. Il suffit qu'elle soit envisageable, c'est-à-dire possible pour être vérifiée.
- Du temps passé à « ne rien faire » : L'essentiel de l'activité de House n'est pas planifiée, ni affectée à une recherche opérationnelle. Il passe son temps à discuter, critiquer les personnes qui l'environnent, jouer avec un balle, regarder une émission de télévision.
- Une solution qui vient d'ailleurs : La solution émerge toujours à partir d'une analogie externe. Confronté à une situation de la vie courante, House va y trouver la clé qui lui permet de relier les faits et comprendre ce qui lui échappait. De plus, pendant tout l'épisode, House va veiller à s'impliquer au minimum dans la relation au patient. Il est intensément au courant des faits, mais il reste ailleurs, à distance.

Voilà cinq points à garder en mémoire pour tout diagnostic complexe… On n'est toutefois pas obligé d'avoir un comportement aussi pénible que celui de House !


29 janv. 2010

ARRÊTONS DE DÉBATTRE À PARTIR DE FAUX HORIZONS ET D’INDICATEURS QUI N’EN SONT PAS

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Où l'on voit que Yoda, celui qui est grand sans être un guerrier, peut être la source d'une discussion étonnante avec un douanier français. 
- Mardi : Nous sommes trop nombreux et trop connectés pour nous penser indépendants les uns des autres. Résultat pris dans l'effet cumulé de nos actes individuels, et dans des boucles de rétroactions multiples, nous sommes condamnés au flou. Au mieux, nous pouvons dessiner des possibles.
- Mercredi : Patchwork issu du livre Crise & Mutation, où les questions sur les marques et la consommation viennent s'entrechoquer avec celles sur le sens et la relation au monde. Avec une conclusion : « L'instant présent est tout ce qui nous reste. »
- Jeudi : Qu'y a-t-il entre le flou du long terme et la netteté du présent immédiat ? Rien. Le moyen terme est un horizon inutile et dangereux. Il faut en même temps se penser au futur et agir intensément au présent, et c'est tout.
Ainsi mon billet de jeudi vient-il en contre-point de mon patchwork de la veille : à la différence de Jean-Pierre Crépin et de Charles Antoni (les auteurs de Crise et Mutation), je ne crois pas que l'instant présent soit tout ce qui nous reste. Nous avons aussi la possibilité de comprendre et sentir vers quoi vont les évolutions et quelles sont les mers qui nous attirent. Nous ne sommes pas condamnés à n'être que le jouet des courants.

Quand j'analyse la plupart des débats politiques actuels, je vois qu'ils tombent dans le danger de l'horizon à moyen terme, cet horizon inutile et dangereux. A quoi bon débattre des heures et des jours sur des prévisions à 2 ou 3 ans ?
Ne serait-il pas plus pertinent de se poser collectivement la question de la mer que nous voulons viser ? Dans quel type de société voulons-nous vivre ? Pouvons-nous sortir de notre jungle et cesser de nous organiser sur nos antagonismes ? Comme pour un fleuve, ce n'est pas en partant de la situation actuelle et des courants immédiats, que l'on pourra trouver notre mer et penser notre futur collectif…
En parallèle, pourquoi ne pas analyser intensément la situation actuelle et ce sans préjugés, ni a priori ? A quoi cela sert-il de débattre, pendant des jours et des heures, de chiffres qui n'ont pas d'autre sens que d'être le résultat d'un calcul ? Ainsi comment peut-on parler de « taux de croissance » ou de « taux d'inflation » sans comprendre qu'ils ne représentent pas une réalité, mais juste un calcul, et que, ce faisant, ils nous masquent le réel et nous en écartent…

28 janv. 2010

SE PENSER AU FUTUR, AGIR AU PRÉSENT ET C’EST TOUT !

Ne pas faire de plan à moyen terme

Au-delà de l'horizon du flou, impossible de prévoir ce qui va se passer : au mieux, je peux dessiner des possibles, les organiser dans des scénarios, mais je ne saurai jamais les probabiliser. Trop d'incertitudes, trop d'interférences, Trop de cygnes noirs. (voir « Nous n'aimons pas l'incertitude »« Vive les recettes de cuisine » et « Seuls les paranoïaques y arriveront… »). Je dois seulement chercher quelles sont les mers qui vont attirer le cours des fleuves.
En deçà de cet horizon, je peux prévoir et calculer : je construis des plans d'action, élabore des budgets, répartis les moyens. A quelle échéance commence l'horizon du flou ? De plus en plus tôt car le flou progresse et s'avance vers nous. Pour la plupart des secteurs, il se situe autour de l'année.

Et entre les deux, entre le choix des mers que je vais viser et mes plans d'action immédiats, y a-t-il un horizon intermédiaire ? Puis-je dessiner des plans à moyen terme ? Puis-je m'organiser à l'avance ? 
Non, ce serait non seulement inutile, mais dangereux.
Inutile, car je ne peux pas savoir ce qui va se passer, alors pourquoi passer du temps à faire des plans qu'il faudra refaire ?
Dangereux, car je serai moins disponible pour lire ce qui va advenir réellement, mes plans venant comme un prisme déformer ma lecture de la réalité.
Dans le monde de l'incertitude, il faut simultanément se penser au futur et agir intensément au présent. C'est tout… et c'est déjà beaucoup !

Mais comment peut-on alors articuler plan d'action immédiat et mer visée ? Bonne question. Je vous apporterai ma réponse prochainement…

27 janv. 2010

« CONSOMMATION ET RELIGION SE MARIERONT-ELLES POUR DONNER NAISSANCE AU BURKING (STRING SOUS LA BURKA) ? »

Quand l'économie rencontre la philosophie…

Vendredi soir, à l'occasion de la sortie de son livre, j'ai retrouvé Jean-Pierre Crépin, un ami perdu de vue depuis plus de dix ans. Ce livre court et tendu, préfacé par la philosophe Paule Orsoni, est écrit à deux voix : c'est un dialogue entre Jean-Pierre et Charles Antoni, le premier parlant depuis l'économie et la consommation, le deuxième depuis la philosophie et la réflexion sur le sens.
Une occasion de vous livrer un nouveau patchwork personnel issu de leurs réflexions…
Marques, consommation et croissance
« Les banlieues où la barbarie côtoie l'amour des Marques en sont l'illustration car, comme tu le sais, dans les démocraties de marché, le bonheur des citoyens dépend de la consommation qui dépend de la croissance économique qui dépend de la consommation qui dépend elle-même du bonheur des citoyens. La boucle est bouclée… »
« C'est toute la difficulté d'Olivier Besancenot (fonctionnaire révolutionnaire), hostile à la société de consommation, de porter un message dans des territoires de marques extrêmement forts comme le sont les banlieues. Sous cet angle, il est donc légitime que l'expression d'une révolte sociale se solde par un pillage de magasin de chaussures. En cela nous pouvons considérer que nous avons assisté à la Gare du nord à une émeute consumériste révolutionnaire menée par des gens qui n'avaient plus accès à la culture Nike et Adidas. »
« Que nous aura laissé cette époque mémorable où la consommation des démocraties de Marché se sera heurtée de plein fouet à la religion des républiques islamistes et au terrorisme ? D'immenses interrogations comme : le port du string fait-il partie des droits de l'homme ? J'exagère à peine… En quoi le port du string libère-t-il la femme par rapport au port de la Burka ? Sur la tête ou sur le sexe, ces morceaux de tissus ne sont-ils pas que l'expression d'une domination masculine visant à réduire la femme à un statut d'objet sexuel ? (…) Consommation et religion se marieront-elles pour donner naissance au Burking (string sous la Burka) ? »
« Si l'on avait réellement souhaité cesser d'importer de la pauvreté, peut-être aurait-il fallu exporter de la richesse… cela tombait sous le sens et c'était le prix de la mondialisation heureuse. Aucune démocratie de Marché ne l'a fait. Toutes connaîtront des émeutes consuméristes avec pillage de magasins. »
« Ce ne sont pas les entreprises qui produisent trop, ce sont les consommateurs qui n'achètent pas assez. Ainsi fonctionnent les sociétés avancées et c'est à cela que servait le bonheur payable à tempérament : à garantir la cohésion sociale en assurant la croissance. »
« Car au fond, cette frénésie de la consommation exacerbée et orchestrée à grande échelle est habitée par l'ennui… et il s'agit « de consommer jusqu'à se consumer ». Épuisement total : des richesses naturelles et de nous-mêmes. Sauf qu'une question d'importance se pose sur le sort de ce monde… Faut-il au juste le sauver ? » (Paule Orsoni dans la préface)

Travail et plaisir ?
« Les hommes travaillent généralement trop pour pouvoir rester eux-mêmes. Le travail : une malédiction que l'homme a transformée en volupté. (…) Il est significatif que le travail en soit venu à désigner une activité purement extérieure : aussi l'homme ne s'y réalise-t-il pas – il réalise… » (Sur les cimes du désespoir de Cioran) 
« Bref, ceux qui ne travaillent pas s'ennuient, ceux qui travaillent s'ennuient également. Tous parlent du travail comme une activité extérieure à eux-mêmes… »
Langage, pensée et sens
« Il en est d'ailleurs ainsi pour presque tous les mots qui finissent par ne plus rien signifier. La perte de la langue est le signe avant-coureur de la fin d'une civilisation. »
« Le langage, en conséquence, n'est plus utilisé pour la médiation mais pour la représentation. »
« Nous savons que la pensée est la plus grande force qui nous ait été donnée : employons-la. Penser sa vie au lieu de laisser les pensées nous diriger en toutes circonstances : c'est ce que l'on pense qui produit la réalité finale. »
« Alors, il se rend à la certitude et à l'évidence, que ce qui est connu par lui n'est ni le soleil ni la terre mais ce n'est jamais qu'un œil voyant le soleil, une main touchant une terre, que le monde environnant n'existe qu'à titre de représentation, c'est-à-dire seulement en rapport avec quelque chose d'autre : avec ce qui se représente, à savoir l'homme lui-même. » (Le Monde comme Volonté et comme représentation de Schopenhauer). 
« Le monde est tel que nous sommes et non tel qu'il nous semble être. C'est nous-mêmes qui créons le monde que nous percevons. Rien n'existe à l'extérieur de nous. C'est l'Univers qui est en nous, et non pas nous qui sommes dans l'Univers. » 
« L'instant présent est tout ce qui nous reste. »

26 janv. 2010

L’INCERTITUDE DE NOTRE NEUROMONDE : HYPER-CONNEXION, HYPER-DÉPENDANCE ET HYPER-FLOU

Tout est dans tous et réciproquement

Depuis qu'elle est apparue, la vie avance de possibles en possibles, et, plus l'univers s'est développé, plus il s'est complexifié et moins on peut facilement prévoir les évolutions futures : trop d'interactions entre trop de paramètres, trop de phénomènes régis par des lois du chaos et impossibilité de connaître parfaitement les conditions initiales, présence de la vie et de l'auto-organisation, capacité du monde animal à construire des stratégies adaptatives, apparition de l'homme et de son libre-arbitre, …
Dernièrement avec les technologies de l'information, cette hypercomplexité a franchi un nouveau stade : tous connectés, nous sommes tous codépendants. De plus, nous sommes six milliards d'êtes humains et bientôt neuf. 
Dans le même temps, « notre savoir-faire s'adonne, de plus, depuis un temps assez récent, au façonnage des objets-monde. Un satellite, pour la vitesse, une bombe atomique, pour l'énergie, l'Internet, pour l'espace, les résidus nucléaires pour le temps... voilà quatre exemples d'objets-monde. » (Michel Serres, Hominescence). Aussi l'impact de chacun de nous est-il : grâce aux « objets-monde », il suffit de quelques hommes pour agir sur le monde tout entier. 
Résultat, comme l'écrit toujours Michel Serres (cette fois dans le Temps des crises), « nous dépendons enfin des choses qui dépendent de nous. (…) Ladite mondialisation me paraît aujourd'hui au moins autant le résultat de l'activité du Monde que des nôtres. » Qu'est-ce à dire ? Que nous sommes pris dans les mailles de l'effet de nos propres actes, que la boucle d'interaction entre l'action et ce sur quoi on agit devient prépondérante. Témoin les débats actuels sur le climat et le réchauffement de la Terre, l'eau, la pollution, l'énergie…

Conséquence, l'horizon du flou se rapproche et il devient de plus en plus aléatoire de voir précisément au-delà d'un horizon proche. Très vite, nous ne pouvons prévoir que les grandes tendances, et plus les évolutions précises… et encore.
Plutôt que parler d'horizon de flou, je devrais parler de flou progressif : plus je m'écarte du présent, moins je vois clair. A un moment, le flou est tel que je ne perçois plus que les grandes lignes.
Plus rien n'est certain. Au mieux, nous pouvons probabiliser des scénarios d'évolution, mais, le plus souvent, nous ne pouvons que les dessiner. Et de plus en plus, nous sommes dans le flou total : impossible même de dessiner des scenarios d'évolution…

25 janv. 2010

DANS QUELLE CATÉGORIE, METTRE UN YODA ?

Est-ce une œuvre d'art, un jouet ou seulement un objet en latex ?

« Dans quelle catégorie, allons-nous bien pouvoir le mettre? Vous me dites que c'est un Yoda. Mais qu'est-ce que c'est au juste un Yoda ? »
Celui qui venait de me poser cette question étrange était un fonctionnaire chargé du dédouanement à l'aéroport d'Orly. Pourquoi venait-il de me la poser ?

Parce que je suis un fan de la Guerre des Etoiles, et surtout de Yoda (voir « Que la force soit avec toi » et  « Non, Ronald Mc Donald n'est pas un Jedi ! ».  J'apprécie singulièrement deux répliques de Yoda faites lors de sa première apparition (dans le deuxième film qui est en fait le cinquième – les initiés comprendront …) :
- Lors de sa rencontre avec Luke Skywalker, celui-ci lui dit être à la recherche d'un grand guerrier. Alors Yoda lui répond en riant : « Ahhh ! Un grand guerrier. Personne n'est devenu grand grâce aux guerres. »
- Un peu plus tard, à Luke qui n'arrive pas à soulever par la pensée son aéronef enlisé dans les marécages, et qui a fini par lui avouer qu'il ne croît pas que ce soit possible, il lui dit : « C'est pourquoi tu échoues ».

Je suis suffisamment fan pour que, il y a plus de dix ans, à l'occasion d'un voyage aux États-Unis, j'ai fait l'acquisition d'un Yoda en latex, grandeur nature (ce qui restait d'une taille raisonnable, Yoda étant grand par la pensée et la force, mais pas par sa taille comme tout un chacun le sait… ou devrait le savoir). Comme je faisais un voyage professionnel avec plusieurs haltes, j'ai alors dû me le faire expédier à Paris.
Ce que je n'avais pas prévu, c'est qu'une fois arrivé, j'allais avoir à le faire dédouaner. Et me voilà donc dans ce bureau situé dans la zone de fret de l'aéroport d'Orly, ayant cette conversation quelque peu surréaliste, conversation dont l'objet était de déterminer dans quelle catégorie, on pouvait mettre un Yoda.
Mais était-ce un objet en caoutchouc, une œuvre d'art, un jouet … ? Par respect pour ce qu'il représentait, il ne pouvait être question d'accepter qu'il fut considéré comme un jouet.
Le fonctionnaire, amusé, fut conciliant et accepta de choisir finalement la catégorie pour lesquels les droits de douane seraient les moins élevés. Conscient du crime de lèse-majesté, mais voulant en finir, j'acceptais. 

Depuis ce Yoda, trône au-dessus de ma télévision…

22 janv. 2010

SANS COMPRÉHENSION NI VISION COLLECTIVES, NOUS RÊVONS D’UN PASSÉ, D’UN PRÉSENT ET D’UN FUTUR, TOUS TROIS IMAGINAIRES

______ Éditorial du vendredi ____________________________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Toute interprétation est contingente. Si nous n'y prenons pas garde, nous cherchons dans ce que nous observons ce que nous croyons savoir. Aussi les mêmes faits ne seront-ils pas compris de la même façon, et seule une « approche d'historien » peut-elle s'approcher du réel.
- Mardi : En prenant appui sur le système Facom qui reposait sur un catalogue et des camions apparemment inutiles, on peut prendre conscience que des approches simplistes de productivité peuvent conduire à la mort : l'anorexie n'est pas une preuve de bonne santé.
- Mercredi : Nous naissons en continu et non pas seulement le jour de l'accouchement ou de la fécondation. Entreprises comme individus se composent sans cesse au hasard des rencontres, des décisions et des apprentissages. Notre identité est ce sentiment de continuité qui nous fait relier nos états passés à notre présent et notre futur possible.
- Jeudi : La vision et la compréhension des risques futurs ne doivent pas nous amener à rester dans notre landau. Fort de leurs expériences et de leurs expertises, entreprises comme individus, doivent sentir où sont les mers et se lancer dans le mouvement des flots qui les y conduisent.

Bon nombre des réflexions et travaux portant sur l'évolution de la société française pêchent par une mauvaise prise en compte de ces différents éléments :
- L'évaluation de l'efficacité des structures publiques : Bien peu d'analyses sont menées en prenant le soin d'une approche de type « historien » qui va s'en tenir au maximum aux faits et qui va confronter les points de vue. Souvent les analyses expriment les a priori de ceux qui les mènent, sans parler des manipulations… Attention aux approches simplistes de productivité : comme pour les individus et les entreprises, un État anorexique n'est pas un État en bonne santé. Nous sommes ainsi en déficit d'une compréhension commune et partagée de notre présent.
- La réflexion et le débat sur l'identité française : Ils tombent à tout moment dans le risque de vouloir figer cette identité, au lieu de la penser en dynamique. En quoi la notion même de France est-elle porteuse de sens pour demain ? Comment relier cette idée d'un futur, cette mer que collectivement nous visons, à notre passé ? Comment notre identité collective peut-elle nous aider à vivre cette transformation ? 
- Le principe de précaution : Nous sommes tellement en déficit d'adhésion à un projet collectif, nous ne savons tellement plus quelle mer viser, nous avons tellement peur du futur, que nous refusons collectivement de bouger tant que nous ne sommes pas certains de ne courir aucun risque. Faisons attention, car si cela continue, nous n'apprendrons plus les nouvelles « marches » nécessaires à notre évolution et nous nous anesthésierons dans le rêve d'un landau fictif et perdu.

21 janv. 2010

N’AYONS PAS PEUR DU MOINDRE BATTEMENT D’AILE D’UN PAPILLON

Attention à la paranoïa paralysante

« Il se met à marcher, à parler, à adopter cent attitudes inutiles par lesquelles il espère s'en sortir. Non seulement il ne s'en sort pas, mais il empire son cas. Plus, il parle, moins il comprend, et plus il marche, plus il fait du surplace. Très vite, il regrettera sa vie larvaire, sans oser se l'avouer. (…) C'est la vie qui devrait être tenue pour un mauvais fonctionnement. » Ainsi s'exprime Amélie Nothomb, dans la Métaphysique des tubes

Il est vrai que, compte-tenu de tous les risques, est-il vraiment raisonnable de sortir de son landau ? (voir « Non, je ne marcherai jamais : c'est beaucoup trop dangereux ! ») Pourtant, il va bien falloir le faire, non ? On ne peut pas rester immobile, tétanisé dans son landau.
Au moment d'évaluer une stratégie, il faut développer suffisamment de paranoïa pour identifier les ruptures majeures improbables, mais il faut ensuite savoir se décider à agir et choisir les risques que l'on va accepter de courir.

Premier moyen pour éviter de tomber dans la paralysie de l'action : ne pas tomber dans la paranoïa du signal ultra-faible. On ne doit prendre en compte dans l'analyse des risques que les ruptures majeures. 
Inutile d'avoir peur au moindre papillon qui viendrait à battre des ailes (voir « Ne nous laissons pas berner par la magie des battements de l'aile d'un papillon »). Avez-vous peur quand vous marchez dans les rues d'une ville quelconque de prendre un météorite sur la tête ? Non, n'est-ce pas ? Vous marchez confiant, sans lever les yeux vers le ciel sans arrêt pour voir si un météorite n'est pas en train de tomber. Vous savez que cet événement hautement improbable, mais statistiquement possible, est suivi par les télescopes. 

Ensuite, avoir suffisamment d'expérience, de professionnalisme et de connaissance de l'entreprise et de ses marchés, pour faire confiance à la capacité de réaction et d'adaptation.
Plus l'équipe de direction sera récente, et le poids des actionnaires centrés sur le court terme, moins l'entreprise ne bougera : un réflexe de précaution excessif va jouer. Au vu de certains comportements provoqués par la crise, on a même parfois l'impression que, face à tous les risques potentiels, certains voudraient pousser l'entreprise à retourner dans son landau !
A l'inverse, plus l'équipe de direction sera en place depuis longtemps, plus les actionnaires auront une préoccupation à long terme, et meilleure sera la prise de risque. 

(Sur le même thème, voir aussi : « Seuls les paranoïaques y arriveront… »)

20 janv. 2010

COMMENT SAVOIR QUAND NOUS SOMMES NÉS ?

L'identité n'est pas figée, mais se construit continûment

Une question : Quand sommes-nous réellement nés ? La réponse est évidente, non ? Au moment de notre naissance, c'est-à-dire lors de l'accouchement de notre mère. 
Certes, cette réponse est juridiquement incontestable. Mais, si l'on prend ceci comme définition, cela veut donc dire que nous acceptons de faire démarrer notre origine d'un élément qui nous échappe. De plus, en quoi le fait que l'accouchement ait lieu un jour plus tôt ou plus tard, change-t-il en quoi que ce soit notre existence propre ? Notre naissance débute-t-elle vraiment au moment où l'on coupe le cordon ombilical ? Est-ce cette notion d'autonomie et d'indépendance qui compte ? Pourquoi ne pas prendre le sevrage alors ? 
Après notre naissance, nous allons continuer à évoluer et à changer continûment : acquisitions successives du langage, de la motricité, de l'écriture… Chaque étape de notre vie va nous transformer, et notre identité n'est jamais fixe : chaque événement vient modifier le circuit de nos synapses, des connexions cérébrales se renforcent, d'autres s'affaiblissent, de nouveaux neurones apparaissent,… Comment décider que ce que nous sommes aujourd'hui a commencé un jour précis : je ne parle pas depuis le jour de ma naissance mais depuis le jour où j'ai effectivement commencé à parler, idem pour la marche, … Nos origines sont multiples et nous sommes l'enveloppe de toutes ces origines.
Si l'on remonte en amont de l'accouchement, nous aurons tendance à rattacher notre naissance au moment de notre conception, quand un spermatozoïde a fécondé un ovule. Notre naissance serait celle de l'œuf à l'origine du fœtus. C'est effectivement ce qui a défini notre patrimoine génétique. Mais à nouveau, notre identité est largement conditionnée par ce qui va se passer en aval, entre ce moment de la conception et l'accouchement : le développement du fœtus va dépendre de l'alimentation de sa mère et de toutes les variables d'environnement. 
Finalement on peut faire l'analogie avec un fleuve : la Seine prend sa source à Source-Seine, sur le plateau de Langres en Côte-d'Or, et donc en ce sens, on peut dire que c'est là que la Seine est née. Mais si je regarde toute l'eau qui passe à Paris, sous le pont Mirabeau, quasiment aucune de ces molécules ne vient de cette source. Si une de ces molécules pouvait parler et réfléchir, accepterait-elle que l'on dise qu'elle est « née » à Source-Seine ? Probablement non ! Pour nous, c'est différent, car nous avons une sensation de continuité et de responsabilité au cours du temps : nous nous sentons être celui que nous étions une semaine, un mois ou un an avant. Nous acceptons même d'être responsables de notre passé…

Il en est de même pour une entreprise : elle se transforme sans cesse, elle consomme des produits et en crée d'autres, elle intègre des individus et se séparent d'autres, elle crée des alliances avec certaines entreprises et en attaque d'autres… Elle vit. Quand est-elle née ? Qu'est-ce qui est à l'origine de son existence actuelle ? Y a-t-il une continuité historique et un sentiment de responsabilité dans le temps et l'espace ? Comment existe-t-elle en tant que système collectif, et non pas comme une collection d'individus juxtaposés ? Qu'est ce qui fait son identité ? Quand IBM devient une entreprise centrée sur le software et sur la prestation intellectuelle, est-elle toujours IBM ? Après avoir absorbé successivement Fina, puis Elf, Total est-il resté Total ? 
Quand Veolia nait à partir de la scission des activités environnement issues de la Générale des Eaux redevient-elle la Générale des Eaux sous un autre nom ? Quand France Telecom cesse d'être une entreprise publique et s'internationalise de plus en plus, est-elle toujours France Telecom ? Quand BSN devient Danone s'agit-il d'une création nouvelle ou d'une transformation d'une identité ?

19 janv. 2010

POURQUOI DÉPENSER AUTANT D’ARGENT DANS UN CATALOGUE ET DES CAMIONS QUI NE VENDENT RIEN

Un avantage marketing ne doit pas financer des usines obsolètes

Facom a été pendant de longues années l'entreprise leader de l'outillage à main. Sa force reposait sur la qualité de ses outils, et leur adéquation aux besoins des ouvriers, notamment de maintenance. Cette performance était soutenue essentiellement par deux leviers marketing : le catalogue et les camions de démonstration.

Le catalogue était « la bible de l'outillage » pour les ouvriers et techniciens : il comprenait non seulement toutes les offres Facom, mais surtout des explications générales pour chaque famille d'outils, avec photos à l'appui. Doté d'une couverture de qualité et extrêmement résistante, réalisé avec soin par des spécialistes, il était donné gratuitement dans toutes les usines. Quand on circulait dans les ateliers, il n'était pas rare de voir un ouvrier en train de le feuilleter.

Remplis d'outils présentés comme sur un linéaire de magasin, les camions sillonnaient la France, allant d'usine en usine. Leur visite était attendue par les ouvriers et techniciens de maintenance, car elle leur permettait de toucher directement les outils et d'avoir une discussion avec un spécialiste de la marque. Les camions étaient de fait des catalogues vivants et itinérants.

Or ni le catalogue, ni les camions n'étaient des moyens de vente directe : on ne pouvait pas commander à partir du catalogue, on ne pouvait pas acheter dans les camions. Toutes les commandes passaient par des distributeurs indépendants et spécialisés : le catalogue comme les camions renvoyaient vers eux. Catalogue et camions étaient là pour soutenir le premium de la marque, donner envie aux ouvriers d'acheter et faciliter les ventes pour les distributeurs.

Grâce à cela, Facom pouvait défendre des prix nettement plus élevés que ses concurrents directs (au moins 50% d'écart de prix). Cet écart de prix n'avait pu être créé, puis défendu que, d'une part à cause de la qualité des outils, d'autre part de ce double apport marketing. C'est cet écart de prix qui permettait à Facom de financer catalogue et camions, tout en conservant in fine une meilleure rentabilité.

Mais comme, dès les années 80, Facom a laissé déraper ses coûts industriels et a consacré une part croissante de l'écart de prix au comblement de ce handicap de prix de revient, elle a insuffisamment développé le catalogue et les camions. Quand, dans les années 90, la situation a commencé à se dégrader, il a été tentant de commencer à diminuer les dépenses qui ne créaient pas directement du chiffre d'affaires : à quoi bon, dépenser autant d'argent pour un catalogue et des camions qui ne vendent pas ? Le cercle fatal était enclenché. Aujourd'hui Facom a perdu son indépendance et a été rachetée en 2005 par Stanley.

« Moralité » : attention aux approches simplistes de productivité. Certaines, comme les mauvais régimes alimentaires, peuvent conduire à la mort.