27 sept. 2010

« L’INTERCULTUREL N’EST PAS INSCRIT DANS NOS NEURONES. L’AUTRE, L’ÉTRANGER, EST UNE MENACE EN PUISSANCE PERMANENTE »

Nous venons seulement de sortir de la jungle

Patchwork tiré du livre de Martine Laval (*), N'écoutez pas votre cerveau.

Peut-on regarder sans déformer ?
« Notre société d'image a une médecine de prises de vues. Elle intervient quand l'événement est là, en train de se dérouler sous ses yeux, sinon elle répond aux abonnés absents. (…) Notre médecine en ce qu'elle a d'éphémère et de précipité est le reflet de nos propres pratiques et de nos exigences désordonnées, excessives, et sans cohérence globale. »
«  « Si tu comprends, les choses sont comme elles sont, si tu ne comprends pas, les choses sont comme elles sont » dit un proverbe zen. Comprendre permet d'agir à partir de ce qui est, et non à la place. »
« Manager consiste dans un premier temps à savoir mettre ses certitudes temporairement à distance, afin d'avoir accès à l'autre sans jugement, car le jugement tue l'écoute, et il ne peut y avoir de véritable communication sans écoute préalable. Puis dans un deuxième temps, il s'agit de revisiter ses a priori car ils ferment la porte aux réalités. »
« Qui nous habite ? : S'agit-il de souvenir ou de conditionnement ? (…) Un rien peut les réveiller (…) Si Marcel Proust n'avait pas fait le lien entre l'odeur merveilleuse des gâteaux de la boulangère et les madeleines que sa maman chérie cuisinait amoureusement, peut-être aurait-il fini par épouser la boulangère. »

L'autre est-il d'abord une menace ?
« L'interculturel n'est pas inscrit dans nos neurones. L'autre, l'étranger, est une menace en puissance permanente. »
« (La colère) se connecte lorsque nous avons l'impression que nos territoires réels ou symboliques sont attaqués, méprisés, convoités, ou quand nous sommes en état de manque, de désirs non assouvis et d'attentes non comblées. »
« Comment interrompre ces courses de « mammifères repus » qui connectent l'énergie de la colère pour une cause aussi triviale que celle d'être premier ? »

Sommes-nous le cancer de notre planète ?
« Notre société porte en elle tous les stigmates du cancer. La similitude de comportement entre ces cellules qui en veulent toujours plus et absorbent tout ce qu'elles trouvent, et nous qui n'arrêtons pas de consommer tout et n'importe quoi, est troublante. Biologiquement dérégulées, elles sont le miroir de nous-mêmes. Sans interventions précises, rien ne les arrête. Il en faut beaucoup pour stopper l'être humain dans ses prédations incessantes. Cette maladie, cette épidémie plutôt, nous montre par mimétisme combien nous faisons fausse route au point d'en perdre la raison. Pareil à ces cellules déréglées, l'homme apparemment civilisé, en réalité tueur en série de l'autre et de lui-même, est déjà en chemin en train de faire disparaître les éléments de la planète avant d'être éliminé à son tour avec. »

(*) Martine Laval est psychologue, consultante et coach en entreprises depuis plus de trente ans. Elle dirige et anime un cycle d'enseignement pour managers à HEC

23 sept. 2010

DE « LOST IN TRANSLATION » À « LOST IN CONNECTIONS »

Se protège-t-on vraiment en érigeant des barrières ?

Il y a quelques jours, alors que je marchais dans le forum des Halles à Paris, mon regard fut arrêté par l'aspect des projecteurs d'éclairage : ils étaient tous dotés de pics verticaux, leur donnant une allure de porcs-épics technologiques. Voilà la réponse qui a été trouvée, comme en beaucoup d'autres endroits, pour se protéger contre les pigeons.

Ceci me rappelle cette maison proche de la mienne en Provence qui, pour lutter contre les cambriolages, avait été recouverte de grilles et de portails métalliques. La solution fut effectivement efficace : la maison n'a plus jamais été cambriolée. Mais sa façade est défigurée et qui a vraiment envie de vivre à l'intérieur d'une prison ?

Bill Murray, dans le film Lost in translation, refuse de se plonger dans le Japon qui entoure son hôtel et qui, dans son esprit, l'assiège. Il s'enferme dans la double barrière de son hôtel et de sa langue pour garder à distance ce monde qui lui fait peur. Comme le projecteur, il se couvre de pics pour que personne ne vienne se poser. Comme la maison en Provence, il condamne la moindre ouverture pour n'avoir aucun contact.

Ne serait-il pas temps d'avoir une autre approche et de s'ouvrir un peu plus aux autres et aux différences ? 
Plutôt que « Lost in translation », ne serait-il pas souhaitable d'être « Lost in connections » ?

22 sept. 2010

DIRIGER ATTENTIVEMENT POUR RÉUSSIR DANS L’INCERTITUDE

Comment diriger en lâchant prise

Je reprends la publication d'extraits de mon dernier livre en abordant maintenant les questions liées à la mise en œuvre.

« Diriger différemment pour réussir, dans l'incertitude, à atteindre la mer si longuement choisie, voilà le challenge. Même si les courants de fonds sont favorables, même si on peut prendre appui sur les potentiels de situation, la route sera longue et difficile. Comment faire pour que la traversée ne tourne pas au cauchemar, ni au naufrage ? Comment diriger pour que l'entreprise ne se désagrège pas ou, à l'inverse, ne se rigidifie pas ? Comment obtenir que l'énergie collective progresse et ne s'épuise pas ?
Dans le titre de ce livre et l'avant-propos, j'ai déjà indiqué quelle était ma réponse : il faut diriger en lâchant prise. Diriger pour donner du sens et garder le cap, lâcher prise pour prendre appui sur ce qui advient et faire du voyage une expérience positive. Atteindre ce cocktail miracle de sens et de plaisir qui conduit au bonheur individuel et à l'efficacité collective.

Certes, mais concrètement qu'est-ce que cela signifie ?
- En termes de bonnes pratiques à encourager, j'en vois une centrale et essentielle : la culture de la confrontation. C'est elle qui va maintenir la cohésion interne sans tout souder en un seul bloc rigide et cassant. C'est elle qui va assurer les respirations entre le dehors et le dedans, respirations qui rendront l'entreprise capable de sentir ce qui se passe et d'en tirer parti effectivement.
- En termes d'organisation et de structure de l'entreprise, je vais recommander de la penser comme un jardin à l'anglaise, respectant les différences et laissant émerger la cohérence. L'existence de ces différences couplées avec le maintien d'un minimum de flou dans les systèmes permettra de donner vie à l'organisation.
- Enfin, en termes de comportement du dirigeant lui-même, ma réponse est de manager dans le calme et la durée, s'interdire le zapping et ne pas changer d'entreprise trop souvent. Cette stabilité du management apportera la sérénité nécessaire face aux aléas. »

Extrait des Mers de l'incertitude p.133-134

21 sept. 2010

LA BIÈRE EST LE COMMUN DE L’HISTOIRE DES HOMMES

Où que j'aille, elle est toujours au rendez-vous !

Souvent pour s'amuser les hommes qui voyagent, prennent des bières, vastes boissons amères, qui suivent, indolents compagnons de voyage, leur errance glissant d'un pays à l'autre… Désolé pour cette paraphrase maladroite d'un poème de Baudelaire, mais ces mots voyagent – parmi d'autres – avec moi, et, sans raison évidente, ils ont surgi sous mes doigts au moment de parler de la bière, ou plutôt des bières.

Je suis toujours surpris, où que j'aille, de trouver cette boisson au rendez-vous. Et pas une bière d'importation, pas un produit de luxe pour touriste en mal de terre natale, mais bien une bière locale, ou plutôt des bières locales : Afrique, Chine, Thaïlande, Inde, Mexique, USA… A chaque fois elle est là entre les mains de tout un chacun.

Étonnant. Autant les alcools ou les vins ne sont pas universels – certes le champagne ou le whiskey se trouvent un peu partout, mais ce ne sont pas des productions locales –, autant la bière l'est… comme l'eau. Finalement Jésus-Christ, sur le plan marketing, a fait une erreur lors de la Cène : il aurait dû se saisir d'une chope de bière, plutôt que d'un verre de vin… mais il est vrai que le vin rouge a plus de parenté avec le sang… Peut-être une bière rousse… Mais je m'écarte de mon propos.

Je repense aux développements faits par François Jullien sur les différences entre l'universel, l'uniforme et le commun (*) : le Coca-cola, le whiskey ou le champagne sont des biens universels, et souvent uniformes ; la bière est un bien commun, partagé par nous tous, construit par chacun de nous.

Comme quoi en partant de nos cultures multiples et diverses, nous pouvons aboutir à des valeurs communes !

(*) Voir « La solution n'est pas dans le compromis, mais dans la compréhension »

20 sept. 2010

LES DEUX FACES DE BÉNARÈS

Quand le territoire des hommes est celui de la nuit et de la fange…

Cet été, j'ai passé plusieurs semaines en Inde entre Bénarès, Calcutta, Darjeeling et Puri. Occasion de télescopages multiples entre observations, souvenirs et réflexions. Voici quelques lignes écrites à l'occasion de mon séjour à Bénarès.

Bénarès est une hydre à deux têtes, ou plutôt un lieu fait d'un yin et d'un yang où sont, juxtaposées, des vies parallèles et entremêlées. Un côté lumineux, un côté noir, entre les deux, des séries de passages…
Le côté lumière est celui du Gange et des Dieux. Le soleil omniprésent vient balayer la moindre marche, le moindre recoin. Aucune ombre, aucun arbre, aucun abri. Juste des berges en pierres, rythmées par des grands escaliers, les ghâts. Même sous la pluie de la mousson, on sent le soleil et la lumière sourdre au travers des nuages. Pas moyen de se cacher du fleuve et du regard des Dieux. Être au bord du Gange, c'est être soumis à sa puissance, son calme et sa force. Au calme du fleuve mère, répond le calme des rives. Pas de cris, pas de voitures, pas de courses. Simplement des hommes, femmes et enfants qui marchent, prient, chantent, méditent… et aussi se lavent ou lavent. Quelques animaux, les incontournables buffles et vaches, des chiens, mais eux non plus se déplacent en silence. On peut voir ainsi à quelques mètres de distance prier, jouer et laver. Tout cela dans la lumière et la clarté.

Le côté obscur, est celui de la rue et des hommes et de la rue. Étroite, elle se faufile en arrière-plan, comme si elle avait peur d'elle-même, coincée entre des maisons qui semblent vouloir l'obstruer, encapuchonnée de toiles multiples, la lumière semblant son ennemi. Elle est le règne du sale, du bruit et des heurts physiques. Les déchets humains ou animaux jonchent le sol ; la pluie, loin de tout nettoyer, transforme le sol en boue et en fait du tout, une sorte de pudding répugnant. Les bruits résonnent et se télescopent, accumulations de cris, de radio et de pots d'échappement. Pour avancer, il faut se faire son chemin, fendre la foule, bousculer celui qui ne vous laissera pas passer spontanément, prendre garde à la moto ou au vélo qui arrivent… Tel l'univers des hommes. C'est là qu'ils vivent, travaillent et « prospèrent »… dans la fange.

Ainsi à Bénarès, le côté obscur est celui des hommes, le côté lumineux celui du fleuve mère. Entre les deux, des passages multiples, des chemins étroits ou larges, parsemés de marches. Pour aller vers le côté obscur, il faut monter ; pour trouver la lumière, il faut descendre. Étrange métaphore inversée où il est facile d'aller vers la lumière, difficile de rejoindre la fange. Comme une invitation du fleuve mère à se laisser glisser vers lui, une forme d'antithèse de notre culture judéo-chrétienne qui, elle, impose l'effort pour accéder à la rédemption.
Côté lumière, côté obscur. Comme un remake de la Guerre des Étoiles et du combat des Jedis pour ne pas tomber du mauvais côté de la force, du côté obscur. Georges Lucas est-il passé par Bénarès et a-t-il influencé par ce monde dual ? Faut-il éviter de tomber du côté des hommes ? Étrange et inquiétant !

Dans le noir de la terre des hommes, me reviennent quelques phrases de Michel Serres : « Or j'ai souvent noté qu'à l'imitation de certains animaux qui composent leur niche pour qu'elle demeure à eux, beaucoup d'hommes marquent et salissent, en les conchiant, les objets qui leur appartiennent pour qu'ils le deviennent. Cette origine stercoraire ou excrémentielle du droit de propriété me paraît une source culturelle de ce qu'on appelle, pollution, qui, loin de résulter, comme un accident, d'actes involontaires, révèle des intentions profondes et une motivation première. » (*)
Ici à Bénarès, on conchie et marque son territoire sans état d'âme. Mais les marques sont tellement confuses et multiples, que l'on serait bien à mal de dire qui a fait quoi. Et comme personne ne se préoccupe de ce que fait et a fait l'autre, pas de problèmes !

(*) Le Contrat naturel de Michel Serres, Éditions François Bourin 1990, p.59

16 sept. 2010

« UNE CROYANCE QUI CORRESPOND À CE POINT À NOS DÉSIRS, IL Y A LIEU DE CRAINDRE QU’ELLE N’AIT ÉTÉ INVENTÉE POUR LES SATISFAIRE »

Quand André Comte-Sponville s'interroge sur les raisons de croire ou pas en Dieu…

Nouveau patchwork tiré d'une de mes lectures récentes, « L'Esprit de l'athéisme » d'André Comte-Sponville.

Peut-on se passer de la religion ?
« L'existence de Dieu est douteuse, celle des religions ne l'est pas. (…) Il ne s'agit pas de savoir si les religions existent, mais ce qu'elles sont, et si on peut s'en passer. »
« Ce qui relie les croyants entre eux, du point de vue d'un observateur extérieur, ce n'est pas Dieu, dont l'existence est douteuse, c'est qu'ils communient dans la même foi. (…) Une société peut assurément se passer de dieu(x), et peut-être de religion ; aucune ne peut se passer durablement de communion. »
« Que ces valeurs soient nées, historiquement dans les grandes religions, nul ne l'ignore. Qu'elles aient été transmises, pendant des siècles, par la religion, nous ne sommes pas près de l'oublier. Mais cela ne prouve pas que ces valeurs aient besoin d'un Dieu pour subsister. (…) La foi porte sur un ou plusieurs dieux ; la fidélité sur des valeurs, une histoire, une communauté. La première relève de l'imaginaire ou de la grâce ; la seconde, de la mémoire et de la volonté. »
« Ce n'est pas parce que Dieu m'ordonne quelque chose que c'est bien, c'est parce qu'une action est bonne qu'il est possible de croire qu'elle est ordonnée par Dieu. (…) Pour ceux qui n'ont pas ou plus la foi, il reste les devoirs, qui sont les commandements que nous nous imposons à nous-mêmes. »
« J'appelle « sophistique » tout discours qui se soumet à autre chose qu'à la vérité, ou qui prétend soumettre la vérité à autre chose qu'à elle-même, ( : ) « Si Dieu n'existe pas, il n'y a pas de vérité. ». J'appelle « nihilisme » tout discours qui prétend renverser ou abolir la morale, non parce qu'elle est relative, mais parce qu'elle serait, comme le prétend Nietzche, néfaste et mensongère, ( : ) : « Si Dieu n'existe pas, tout est permis. » »
« Si Jésus n'avait pas ressuscité, cela donnerait-il raison à ses bourreaux ? Cela condamnerait-il son message d'amour et de justice ? »
« Résumons-nous. On peut se passer de religion ; mais pas de communion, ni de fidélité, ni d'amour. »

Des raisons pour ne pas croire en Dieu
« « Professeur, croyez-vous en Dieu ? ». A cette question, que lui posait un journaliste, Einstein répondit simplement : « Dites-moi d'abord ce que vous entendez par Dieu ; je vous dirai ensuite si j'y crois. » »
« À quoi bon la prier, puisqu'elle ne nous écoute pas ? Comment obéir, puisqu'elle ne nous demande rien ? Pourquoi lui faire confiance, puisqu'elle ne s'occupe pas de nous ? »
« Si le hasard (des mutations) crée de l'ordre (par la sélection naturelle), on n'a plus besoin d'un Dieu pour expliquer l'apparition de l'homme. La nature suffit. »
« Essayez, par exemple, de prouver que le Père Noël n'existe pas, ni les vampires, ni les fées, ni les loups-garous… Vous n'y parviendrez pas. Ce n'est pas une raison pour y croire. Qu'on n'ait jamais pu prouver leur existence est en revanche une raison forte pour refuser d'y prêter foi. Il en va de même, toutes proportions bien gardées de l'existence de Dieu : l'absence de preuve, la concernant, est un argument contre toute religion théiste. Si ce n'est pas une raison d'être athée, c'en est une, à tout le moins, de ne pas être croyant. »
« On ne m'ôtera pas de l'idée que, si Dieu existait, cela devrait se voir ou se sentir davantage. (…) Pourquoi se cache-t-il à ce point ? Pour nous faire la surprise ? Pour s'amuser ? (…) Prétendre que Dieu se cache afin de préserver notre liberté, ce serait supposer que l'ignorance est un facteur de liberté. (…) « Je les ai laissé croire qu'ils étaient orphelins ou de père inconnu, afin qu'ils restent libres d croire ou pas en moi » (…) L'idée d'un Dieu qui se cache est inconciliable avec l'idée d'un Dieu Père. »
« Dieu ne parle pas, parce qu'Il écoute. (…) Cela me fait penser à cette boutade que raconte quelque part Woody Allen : « Je suis effondré ! Je viens d'apprendre que mon psychanalyste était mort depuis deux ans : je ne m'en étais pas rendu compte ! ». Encore peut-on changer de psychanalyste. Mais de Dieu, s'il n'y en a qu'un ou s'ils se taisent tous ? »

Des raisons pour croire que Dieu n'existe pas
« D'ailleurs, ajoutera Lucrèce, la nature montre assez, par ses imperfections, « qu'elle n'a pas été créée pour nous par une divinité ». (…) Pourquoi Dieu nous a-t-il créés si faibles, si lâches, si violents, si avides, si lourds ? »
« L'homme n'est pas foncièrement méchant. Il est foncièrement médiocre, mais ce n'est pas sa faute. Il fait ce qu'il peut avec ce qu'il a ou ce qu'il est, et il n'est pas grand-chose, il ne peut guère. (…) Comment devant une telle médiocrité des créatures, croire encore à l'infinie perfection du Créateur ? »
« Une croyance qui correspond à ce point à nos désirs, il y a lieu de craindre qu'elle n'ait été inventée pour les satisfaire. (…) Que désirons-nous plus que tout ? (…) D'abord de ne pas mourir, ou pas complètement, ou pas définitivement ; c'est ensuite de retrouver les êtres chers que nous avons perdus ; c'est que la justice et la paix finissent par triompher ; enfin, et peut-être surtout, c'est d'être aimés. (…) L'illusion n'est donc pas un certain type d'erreur ; c'est un certain type de croyance : c'est croire que quelque chose est vrai parce qu'on le désire fortement. »

Une spiritualité pour les athées

« L'esprit est une chose trop importante pour qu'on abandonne aux prêtres, aux mollahs ou aux spiritualistes. (…) L'esprit n'est pas la cause de la nature. Il est son résultat le plus intéressant, le plus spectaculaire, le plus prometteur. »
« Une spiritualité de la fidélité plutôt que de la foi, de l'action plutôt que de l'espérance, enfin de l'amour, évidemment, plutôt que de la crainte ou de la soumission. Il s'agit moins de croire que de communier et de transmettre, moins d'espérer que d'agir, moins d'obéir que d'aimer. »
« Celui qui se sent « un avec le Tout » n'a pas besoin d'autre chose. Un Dieu ? Pour quoi faire ? L'univers suffit. Une Église ? Inutile. Le monde suffit. Une foi ? A quoi bon ? L'expérience suffit. »
« Rien à espérer, rien à craindre : tout est là. (…) La sérénité n'est pas l'inaction ; c'est l'action sans peur, donc aussi sans espérance. Pourquoi non ? Ce n'est pas l'espérance qui fait agir, c'est la volonté. Ce n'est pas l'espérance qui fait vouloir ; c'est le désir ou l'amour. On ne sort pas du réel. On ne sort pas du présent. »
« Il n'y a plus que le réel, qui est sans autre. (…) Spinoza l'a pensé dans sa rigueur : « Le bien et le mal n'existent pas dans la Nature » (…) Il ne s'agit pas de dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Il s'agit de comprendre que tout va comme il va dans le seul monde réel, qui est le monde. C'est le contraire d'un nihilisme. Il ne s'agit pas d'abolir la morale, mais de constater que la morale n'est qu'humaine, qu'elle est notre morale, non celle de l'univers ou de l'absolu. »


15 sept. 2010

« S’IL N’Y AVAIT PAS EU DE NEWTON, QUELQU’UN D’AUTRE N’AURAIT-IL PAS DÉCOUVERT LES LOIS CLASSIQUES DU MOUVEMENT ? »

Quand les sciences viennent rejoindre la philosophie

Parmi les scientifiques qui sont venus bouleverser la vision scientifique en montrant que l'incertitude est au cœur de notre monde, Ilya Prigogine occupe une place privilégiée, grâce à ses apports issus de la théorie du chaos. Voici un patchwork de son livre, Le temps des certitudes.(1)

Incertitude et possible
« Comme Duhem l'avait souligné dès 1906, la notion de trajectoire n'est un mode de représentation adéquat que si la trajectoire reste à peu près la même lorsque nous modifions légèrement les conditions initiales. Les questions que nous posons en physique doivent avoir une réponse robuste, qui résiste à l'à-peu-près. La description en termes de trajectoires des systèmes chaotiques n'a pas ce caractère robuste. C'est la signification même de la sensibilité aux conditions initiales. »
« Les lois de la nature acquièrent une signification nouvelle : elles ne traitent plus de certitudes mais de possibilités. Elles affirment le devenir et non plus seulement l'être. Elles décrivent un monde de mouvements irréguliers, chaotiques, un monde plus proche de celui qu'imaginaient les atomistes anciens que des orbites newtoniennes. »
« Le possible est « plus riche » que le réel. L'univers autour de nous doit être compris à partir du possible, non à partir d'un quelconque état initial dont il pourrait, de quelque, être déduit. »
« Notre univers a suivi un chemin de bifurcations successives : il aurait pu en suivre d'autres. Peut-être pouvons-nous en dire autant pour la vie de chacun d'entre nous. »
« S'il n'y avait pas eu de Newton, quelqu'un d'autre n'aurait-il pas découvert les lois classiques du mouvement ? »
« L'indéterminisme, défendu par Whitehead, Bergson ou Popper, s'impose désormais en physique. Mais il ne doit pas être confondu avec l'absence de prévisibilité qui rendrait illusoire toute action humaine. C'est de limite à la prévisibilité qu'il s'agit. »
« Le futur n'est pas donné. Nous vivons la fin des certitudes. »

Sur la flèche du temps
« La nature nous présente à la fois des processus irréversibles et des processus réversibles, mais les premiers sont la règle, et les seconds l'exception. »
« Henri Bergson demande : « A quoi sert le temps ? … le temps est ce qui empêche que tout soit donné d'un seul coup. Il retarde, ou plutôt il est retardement. Il doit donc être élaboration. Ne serait-il pas alors le véhicule de création et de choix ? L'existence du temps ne prouverait-elle pas qu'il y a de l'indétermination dans les choses ? » »
«  ("L'hypothèse indéterministe") confère une signification physique fondamentale à la flèche du temps sans laquelle nous sommes incapables de comprendre les deux caractères principaux de la nature : son unité et sa diversité. La flèche du temps, commune à toutes les parties de l'univers, témoigne de l'unité. Votre futur est mon futur. »
« On peut parler de flux de communication dans une société tout comme il y a un flux de corrélations dans la matière. (…) Nous commençons à concevoir la manière dont l'irréversibilité peut apparaître au niveau statistique. Il s'agit de construire une dynamique de corrélations et non plus une dynamique des trajectoires. »

Sur la représentation du monde
« La physique de l'équilibre nous a donc inspiré une fausse image de la matière. »
« Les lois de la physique, dans leur formulation traditionnelle, décrivent un monde idéalisé, un monde stable et non le monde instable, évolutif, dans lequel nous vivons. »
« Nous assistons à l'émergence d'une science qui n'est plus limitée à des situations simplifiées, idéalisées, mais nous met en face de la complexité du monde réel, une science qui permet à la créativité humaine de se vivre comme l'expression singulière d'un trait fondamental commun à tous les niveaux de la nature. »
« Cela nous éloigne de manière décisive de ce que l'on peut appeler le « réalisme naïf » de la physique classique, c'est-à-dire l'idée que les grandeurs construites par la théorie physique correspondent directement à ce que nous observons dans la nature, et ce à quoi nous attribuons de manière directe des valeurs numériques. »

Sur l'observation et la connaissance
« L'évolution de l'univers serait-elle différente en l'absence des hommes ou des physiciens ? (…) Si la flèche du temps doit être attribuée au point de vue humain sur un monde régi par des lois temporelles symétriques, l'acquisition même de toute connaissance devient paradoxale puisque n'importe quelle mesure suppose un processus irréversible. (…) Quelque chose ne se produit vraiment que lorsqu'une observation est faite, et en conjonction avec elle… l'entropie augmente. Entre les observations, il ne se produit rien du tout. »
« Cette communication, cependant, exige un temps commun. C'est ce temps commun qu'introduit notre approche tant en mécanique quantique que classique. (…) L'observation présuppose l'interaction avec un instrument de mesure ou avec nos sens. (…) La direction du temps est commune à l'appareil de mesure et à l'observateur. »
« Un monde symétrique par rapport au temps serait un monde inconnaissable. Toute prise de mesure, préalable à la création de connaissances, présuppose la possibilité d'être affecté par le monde, que ce soit nous qui soyons affectés ou nos instruments. Mais la connaissance ne présuppose pas seulement un lien entre celui qui connaît et ce qui est connu, elle exige que ce lien crée une différence entre passé et futur. La réalité du devenir est la condition sine qua non à notre dialogue avec la nature. »

(1) 1996 – Odile Jacob

14 sept. 2010

DES HISTOIRES MÉLANGÉES QUI S’ENTRECHOQUENT

Avec le temps, Pars, Demain, Alléluia et quelques autres…
La musique accompagne depuis toujours aussi bien mes temps de travail, de sport ou de loisirs. Les mots s’entremêlent et se répondent comme dans un flot ininterrompu. Je suis particulièrement sensible aux commencements, fins, doutes et départs. Autant d’occasions de se remettre en perspective, de trouver de nouveaux horizons ou d’approfondir le chemin vers sa mer…
En voici un patchwork tiré de chansons de Léonard Cohen, Cali, Léo Ferré, Jacques Higelin et Christophe Willem. J’ai joué à les mélanger pour laisser émerger comme de nouveaux sens possibles :
« J’ai essayé de te quitter, je ne le nie pas. Les années passent, tu perds ton charme, le bébé pleure, alors tu ne sors pas et tout ton travail est là devant tes yeux. Bonne nuit, chérie, j’espère que tu es satisfaite. Le lit est un peu étroit, mais mes bras sont grand ouverts, et voici un homme qui cherche toujours à te faire sourire.
Avec le temps, va, tout s'en va. On oublie le visage et l'on oublie la voix. Le cœur, quand ça bat plus, c'est pas la peine d'aller chercher plus loin, faut laisser faire et c'est très bien.
Si tu veux un amant, je ferai tout ce que tu me demanderas. Si tu veux un autre genre d'amour, je porterai un masque pour toi. Si tu veux un partenaire, prends ma main. Et si tu veux me frapper parce que tu es colère, je suis là. Je suis ton homme.
Bébé, j’ai déjà vu cela, je connais cette pièce, j’ai marché sur ce sol. J’ai longtemps vécu seul avant de te connaître. J’ai fait de mon mieux, ce n’était pas beaucoup. Je t’ai dit la vérité, je ne suis pas venu pour te tromper. Et même quand tout est parti de travers, je suis resté debout devant le Dieu de la chanson, avec rien d’autre sur ma langue qu’Alléluia.
Pourquoi n’essaies-tu pas de vivre seul ? As-tu vraiment besoin de ses mains pour ta passion ? Pourquoi ne l’oublies-tu pas ? Ouvre juste délicatement ta petite main, tu sais que la vie est pleine de doux compagnons, de rencontres d’une nuit.
Tu m'aimes mal, tu ne m'aimes pas. Tu aimes celui que je ne suis pas. Mais demain, demain, je recommencerai. Demain, comme si de rien n'était, comme pour la première fois, j'irai brûler dans d'autres bras.
J'adore vivre depuis ce matin, au creux de cette nuit vaincue, j'ai vu, j'ai su que c'était foutu. J'adore vivre depuis ce matin, depuis que je sais qui je suis, que je te quitte, que c'est fini. Cette sale histoire nous a fait les poches. Je te dis au revoir, c'était bien.
Je te souhaite à mon pire ennemi. Oh oui je t'imagine agrippée à son bras, prête à éventrer à tout moment l'espèce de bout d'amour qu'il essaie de construire. Je veux le voir mourir comme tu m'as tué et je veux qu'il avance épuisé, harassé le dos voûté dans le bourbier de ses remords.  Que le diable l'emporte. Je suis le veuf d'une traînée qui n'est pas encore morte.
Pars, surtout ne te retourne pas. Pars, fait ce que tu dois faire sans moi. Quoi qu'il arrive, je serai toujours avec toi. Oh pars et surtout reviens-moi vite. 
Je crois, je ne suis plus fou. Nu face au miroir, j'inspecte ce corps usé fatigué mais debout. Suis-je à la moitié, suis-je à la fin, en tout cas, ce n'est plus le début. Bien sûr je suis seul, mais qui n'est pas seul au milieu de cette grande nuit. Aujourd'hui je marche au milieu du troupeau comme les autres fantômes sans folie.»