19 janv. 2011

LES STRUCTURES RIGIDES SONT CASSANTES

Le flou est nécessaire à la performance à long terme

Hier je reprenais un passage de mon dernier livre, Les mers de l'incertitude, portant sur le rôle du chaos : le chaos n'est pas d'abord un problème, mais une solution, car c'est lui qui permet l'auto-organisation et la résilience des systèmes face à l'incertitude.

C'est aussi ce qu'a développé Edgar Morin à de multiples occasions, et notamment dans Introduction à la pensée complexe :
« Le facteur "Jeu" est un facteur de désordre mais aussi de souplesse : la volonté d'imposer à l'intérieur d'une entreprise un ordre implacable est non efficiente… On peut dire grossièrement que plus une organisation est complexe, plus elle tolère le désordre… A la limite, une organisation qui n'aurait que des libertés, et très peu d'ordre, se désintégrerait à moins qu'il y ait en complément de cette liberté une solidarité profonde entre ses membres. La solidarité vécue est la seule chose qui permette l'accroissement de complexité. »

On le voit quotidiennement que les systèmes rigides et parfaitement ordonnés sont cassants, et sont emportés dès que les conditions pour lesquels ils ont été créés changent.

Et pourtant, bien trop d'entreprises restent encore emprisonnées dans des structures figées, bien trop de dirigeants croient que c'est en définissant chaque tâche le plus précisément possible que l'efficacité sera garantie, bien trop de plans de productivité rendent les entreprises parfaitement ajustées et donc vulnérables … et bien trop d'entre nous attendent de leurs dirigeants – notamment politiques – qu'ils apportent des réponses définitives et prévisionnelles…

18 janv. 2011

LE CHAOS, VECTEUR DE STABILITÉ DE LA VIE ET DE PUISSANCE DU CERVEAU

La vie est faite d'ordre et de désordre

Le chaos sert-il à quelque chose ? Est-ce simplement une complication pour le plaisir de notre univers ? Le créateur, quel qu'il soit, a-t-il voulu nous jouer un mauvais tour en nous condamnant à vie à l'aléatoire : quoi que nous fassions, nous ne pourrons jamais prévoir ?

Non, car si le chaos est source d'incertitude, il aboutit aussi à des propriétés essentielles pour le développement de la nature et de la vie : il apporte la stabilité. Dualité de notre monde : sans incertitude, pas de stabilité.
En effet comment un système vivant peut-il perdurer malgré tous les aléas qui l'entourent et tous les changements constants ? Comment n'est-il pas détruit par toutes les perturbations venant de son environnement ? Comment notre écosystème peut-il survivre et évoluer ? C'est grâce à la stabilité structurelle apportée par le chaos.

Ainsi ce chaos qui nous brouille la vision du futur est aussi celui qui nous permet d'en avoir un : si notre avenir pouvait être prédit, la moindre perturbation viendrait tout détruire. C'est le flou qui permet la résilience. Pensez à la fable du chêne et du roseau : le chêne rigide casse, là où le roseau flexible survit. C'est un peu la même chose.

Un enseignement majeur à garder en tête pour le management des entreprises : quand une équipe de direction supprime le flou et le désordre, il rend l'entreprise cassante et fragile. Je reviendrai plus loin sur ce que j'appelle le risque de l'anorexie(1).
Enfin, il semble bien que le chaos soit aussi nécessaire aux fonctions cérébrales pour traiter de l'information : les systèmes chaotiques sont plus à même de réagir rapidement et de s'adapter à des aléas. Le chaos est probablement au cœur de la vie de nos neurones. Voilà notre cerveau qui, après s'être découvert impacté par la mécanique quantique, devient chaotique.

Extrait des Mers de l'incertitude

17 janv. 2011

QUAND DES DÉBATS EN CACHENT D’AUTRES

Faut-il lire de travers ?

Voilà les quatre débats que proposait hier Le Monde :
  • Haïti : l'aide internationale en question
  • Le FN, entre menace et normalisation
  • La dépendance, une réforme qui divise
  • Vers le dépassement des 35 heures
En lisant ces titres, je me suis demandé s'il n'y avait pas d'autres débats implicitement proposés :
  • Haïti, entre menace et normalisation : un point frappant concernant Haïti est notre capacité à ne plus réellement nous y intéresser. Tellement d'autres événements se sont produits depuis lors, tellement plus nouveaux, tellement plus intéressants qu'Haïti tombe dans les oubliettes de la banalisation. La catastrophe est-elle devenue trop « normale » ?
  • Le FN, l'aide internationale en question : dans tous les pays d'Europe, on constate une montée de l'extrême droite, montée nourrie par les craintes locales face à la mondialisation et à la perte relative du leadership local et européen. Arriverons-nous à proposer un nouveau projet politique positif prenant appui sur cette mondialisation ou allons-nous laisser les peurs l'emporter ? Dans quel sens jouera « l'aide internationale » ? Comme un nouveau projet commun ou comme l'internationale des extrémistes ?
  • La dépendance, vers le dépassement des 35 heures : quand je regarde la relation au travail, je vois souvent des situations de dépendance, de confusion entre quantité de temps passé et efficacité, entre précipitation et rapidité. Allons-nous garder encore longtemps cette approche quantitative du travail datant de la bonne Ford T noire ?
  • Une réforme qui divise (avec la photo de Manuel Valls) : en ce début de la campagne pour la candidature PS à l'élection présidentielle, Manuel Valls fait le choix d'ouvrir des débats qui divisent, et bien au-delà de la seule gauche. Lancer un débat, pourquoi pas, mais à condition que le débat en question est réellement lieu. Sinon, seul le souvenir de la division risque de rester…

14 janv. 2011

LE TEMPS EN CHANSONS

_____ Musique du vendredi ________________________________________________________________

Trois regards sur le temps qui passe
  • Le regard désabusé et déjà amer de Cali face à ses trente-deux ans : "Tout va bien"
Ma mémoire est un scaphandrier qui suffoque tout au fond de la mer
Il pleure sur le trésor qu'il ne remontera jamais
Ma jeunesse est morte hier
Et la nuit s'avance vers mes trente deux ans
  • La désespérance de Ferré : "Avec le temps"
L'autre à qui l'on croyait pour un rhume, pour un rien
L'autre à qui l'on donnait du vent et des bijoux
Pour qui l'on eût vendu son âme pour quelques sous
Devant quoi l'on s'traînait comme traînent les chiens
  • Le rock décalé de Dominique A : "Le Regard des oiseaux"
Si seulement nous avions le courage des oiseaux
Qui chantent dans le vent glace

Et ensuite, à chacun de faire comme il peut...



13 janv. 2011

« ON NE PEUT PAS VÉRIFIER CE QUI SE PASSE AU CIEL, ALORS QUE L’ON A PU VÉRIFIER CE QUI SE PASSAIT EN UNION SOVIÉTIQUE »

Quand Edgar Morin fait l'éloge de la résistance

Le 7 juin 2010, Edgard Morin a été l'invité d'une rencontre Fnac-Le Monde, intitulée « Éloge de la résistance ».
La vidéo ci-dessous reprend la troisième partie de cette rencontre(1) au cours de laquelle il en vient à ses réflexions sur la complexité et l'évolution actuelle du monde.
Il y développe notamment à partir de l'exemple de l'industrie du film à Hollywood l'importance de la relation entre production et création, et la nécessité de comprendre que la relation n'est pas antagoniste, mais complémentaire.

Voici aussi quelques échantillons de ses propos :
« Je vois la contradiction à l'intérieur d'un camp. (…) Le contraire d'une grande vérité n'est pas une erreur, mais une autre vérité. »
« Quand je suis rentré au CNRS, j'avais 30 ans. J'étais un jeune chercheur, ce que je suis resté, dans le langage du CNRS, jusqu'à presque 50 ans. Mais quand j'avais 22 ans, j'étais un jeune chef de la résistance. Personne ne m'a dit : Vous êtes un jeune chef. (…) Il fallait que je vieillisse pour que les critères académiques me trouvent jeune. »
« Le calcul est aveugle sur la vie. »
« Après cette religion du salut terrestre qu'était le communisme, ressuscitent les religions du salut céleste qui sont elles beaucoup plus solides, car on ne peut pas vérifier ce qui se passe au ciel, alors que l'on a pu vérifier ce qui se passait en Union Soviétique. »
« L'éthique est une double résistance : la résistance à la cruauté du monde, car la nature est notre mère et notre marâtre, et la résistance à la barbarie humaine »




(1) Les deux premières parties sont aussi disponibles sur YouTube (1ère partie, 2ème partie). Il y expose notamment ce qui l'a amené à devenir résistant face à l'occupation, sa relation complexe avec le communisme et son implication au moment de la guerre d'Algérie. L'intégrale de cette rencontre est disponible sur YouTube

12 janv. 2011

IL N’EST PAS TRÈS POPULAIRE D’AFFIRMER L’IRRÉDUCTIBILITÉ DE L’INCERTITUDE

Au secours, il ne sait pas !

Lundi, j'ai mis en ligne la courte vidéo tournée lors de ma conférence faite le 18 décembre 2010 auprès du Conseil Général de l'Eure. Dans cette vidéo, j'insiste notamment sur le fait que l'incertitude est irréductible, et que le rôle du management n'est donc pas de lutter contre elle, mais de prendre appui sur elle.

Sur ma proposition, cette vidéo a aussi été reprise sur le site AgoraVox TV. Ceci a permis d'amplifier sa diffusion et aussi de recueillir des réactions d'un public plus vaste, et moins sensible à mes propos sur l'incertitude. Le site permet à ceux qui visionnent un article ou une vidéo d'indiquer s'ils sont d'accord ou pas avec les propos tenus.
Quels ont été les avis sur ma vidéo ? Le résultat est net et clair : les ¾ ont été négatifs ! Je ne suis pas surpris : une fois de plus, il n'est pas très populaire d'affirmer l'irréductibilité de l'incertitude. Pour la plupart des gens, tout responsable qui dit ne pas pouvoir prévoir, est un menteur ou un incapable…

C'est d'ailleurs ce que dit Henri Atlan dans son dernier livre, La philosophie dans l'éprouvette, livre dont j'ai donné un patchwork, hier : « Peu d'experts ont le courage d'annoncer qu'ils ne peuvent pas répondre à la demande même en probabilité. Ils cèdent le plus souvent à la tentation de donner tout de même une réponse, soit pour rassurer, soit pour mettre en garde. »

Il est plus que temps de faire la pédagogie de l'incertitude !

11 janv. 2011

« LE NOMBRE D’ATTRACTEURS POSSIBLES VERS LESQUELS LE SYSTÈME PEUT CONVERGER EST BEAUCOUP PLUS PETIT QUE LE NOMBRE DE MODÈLES ET DE CHEMINS POUR Y ARRIVER »

Quand biologie, philosophie et incertitude s'emmêlent…

Patchwork tiré du nouveau livre d'Henri Atlan (*), La philosophie dans l'éprouvette.

Vie, auto-organisation, redondance
« Détournant une phrase de Schrödinger dans son fameux livre Qu'est ce que la vie ? selon laquelle la vie se nourrit d'ordre, Heinz von Foerster avait déclaré : « la vie a aussi du désordre au menu ». »
« Je me suis rendu compte qu'on peut rendre compte de ce genre de phénomène de façon formelle en mettant en évidence le rôle du hasard et d'une redondance initiale dans la création d'information. Ainsi des phénomènes classiquement considérés comme source de désorganisation et de mort sont apparus comme parties intégrantes de processus caractéristiques du vivant. »
«  Aujourd'hui, on s'aperçoit que les réactions chimiques dont on croyait qu'elles étaient les plus déterministes s'effectuent avec une part non négligeable d'aléatoire qui joue un rôle important dans la création de la diversité développementale. »

Sous-détermination des modèles et incapacité à prévoir
« Au contraire, la difficulté vient de ce que nous disposons de trop de bons modèles sans que les observations disponibles permettent de décider si l'un est meilleur que les autres, et idéalement de les éliminer tous sauf un. Or ces modèles reposent sur des hypothèses différentes et conduisent à des prédictions différentes sur de nouvelles observations futures éventuelles. C'est ce que j'avais alors appelé la « sous-détermination des modèles par les observations ».
« Quand on a affaire à un système complexe naturel sur lequel on ne peut pas expérimenter, comme c'est le cas par exemple en géologie, en volcanologie et en climatologie, une énorme sous-détermination des modèles par les observations est inévitable. Ceci doit rendre très prudent dans l'interprétation des rapports avec la réalité de ces modèles pourtant bons et validés par les observations disponibles ; et réservé sur la croyance à accorder aux prédictions d'évolutions futures qui en sont déduites. En outre, cette sous-détermination est souvent intrinsèque au système étudié et pas seulement une insuffisance de la modélisation. C'est ce que l'on observe parfois en biologie quand il existe une grande redondance fonctionnelle »
« Tout cela doit inciter à la prudence. Il ne suffit pas d'avoir trouvé le bon modèle qui explique ce que l'on observe pour conclure que ce modèle est vrai, et pour croire que les extrapolations qu'on pourra faire à partir de lui pour l'avenir sont forcément exactes. »

Sous-détermination et convergence
« Le fait de parvenir assez rapidement à la même conclusion est un aspect positif de la sous-détermination des modèles par les observations qui devient ici la sous-détermination des motivations par les conclusions. Ceci peut s'appliquer de manière intuitive : plus on a affaire à une question particulière et plus le nombre de réponses possibles se réduit. À la limite, il n'y a que deux ou trois possibilités : oui, non, ou à certaines conditions. En revanche, le nombre de raisonnements possibles pour y parvenir est beaucoup plus important, chacun d'eux dépendant d'un ensemble différent d'axiomes, de principes, de croyances, de visions du monde. Autrement dit, comme j'ai pu l'observer en construisant des modèles de réseaux immunitaires, le nombre d'attracteurs possibles vers lesquels le système peut converger est beaucoup plus petit que le nombre de modèles et de chemins pour y arriver. »

Expertise et incertitude
« Il faut reconnaître que l'expertise scientifique en situation d'incertitude est difficile. Peu d'experts ont le courage d'annoncer qu'ils ne peuvent pas répondre à la demande même en probabilité. Ils cèdent le plus souvent à la tentation de donner tout de même une réponse, soit pour rassurer, soit pour mettre en garde. »
« Plutôt que de tenter de prévenir des risques globaux incertains par des mesures globales à l'efficacité tout aussi incertaine, mieux vaut résoudre les problèmes localement en corrigeant ce qui peut l'être et en s'adaptant à ce qui ne peut pas être évité à court terme, par des mesures d'urbanisation et éventuellement de déplacements de population si c'est nécessaire. Plutôt que « sauver la planète », sauver les populations dénutries et sans eau potable. »
« Lorsque (les experts scientifiques) se trouvent dans une situation d'incertitude, ils recourent alors aux statistiques ou aux modèles, c'est-à-dire à une forme de demi-mensonge sans trop insister sur les interprétations critiques des résultats. »

(*) Voir aussi « Ciel, Dieu me parle », le florilège que j'avais tiré de son livre « A tort et à raison »

10 janv. 2011

7 janv. 2011

TROIS FORMES DE SOUHAITS EN CHANSON

_____ Éditorial du vendredi _______________________________________________________________





6 janv. 2011

ON FAIT SON ANNÉE COMME ON LA VIT

Bonne année à tous !

Voilà donc arrivé le moment de vœux de bonne année. Je ne veux évidemment pas déroger à cette tradition bien établie et sympathique puisqu'elle consiste à souhaiter le meilleur à ceux que l'on connaît et avec qui on est contact.
Mais que veut dire : souhaiter le meilleur ?

Il s'agit souvent de vœux de bonne santé. Dans ce cas, pas de soucis : effectivement, nous sommes d'abord des enveloppes physiques et notre cerveau – et donc ce qui supporte notre pensée et notre identité –, est un viscère. Aussi la santé est-elle un pré-requis à tout le reste. Mens sana in corpore sano, comme l'a dit un de nos romains ancêtres…

Mais pour le reste… Comment définir ce qui est meilleur, et comment le souhaiter à l'avance ? Tout est tellement aléatoire, incertain et personnel. Toute rupture, même douloureuse et subie, peut être à l'origine d'un nouveau départ. Tout succès apparent peut être l'occasion d'un endormissement et de la perte d'autres vraies opportunités.
Je crois vraiment que l'on réussit son année si l'on la construit jour après jour en saisissant ce qui se présente et en sachant aussi s'arrêter régulièrement pour prendre du recul. Un proverbe dit « on fait son lit comme on se couche ». En le paraphrasant, je dirais : « on fait son année comme on le vit. »

Ceci ayant été précisé, bonne année à tous les lecteurs de ce blog !