28 févr. 2011

LA VIE EST UNE AFFAIRE DE POUPÉES RUSSES

Une histoire est faite de phrases... faites de mots... faits de lettres…
Prenez un livre : Il est composé de phrases, elles-mêmes composées de mots, à leur tour composés de lettres. Emboîtement de niveaux dont chacun suit des règles qui lui sont propres : seules certaines successions de lettres donnent des mots ; toutes les suites de mots n’aboutissent pas à une phrase qui ait un sens et des règles de grammaire doivent être respectées ; la suite des phrases doit aboutir à une histoire, structurée ou non, qui correspond à la signification visée.
Si l’on observe le livre, Il y a des blancs, c’est-à-dire des espaces, qui ne portent en eux-mêmes aucun sens. Pourtant, si vous enlevez ces espaces, vous n’avez plus que des lettres dont n’émergent plus ni les mots, ni les phrases, ni le livre. Ces espaces qui séparent des lettres pour définir le début et la fin des mots créent un nouveau type de lien, un lien entre les mots ainsi définis : ces espaces séparent et réunissent. Grâce à ces espaces, on passe du niveau des lettres à celui des mots.


De même, la membrane qui limite une cellule est ce qui la définit et la circonscrit : sans cette membrane, pas de cellule. Mais cette membrane, c’est aussi ce par quoi la cellule échange avec le reste du monde, avec les autres cellules et avec ces éléments dont elle a besoin pour vivre. C’est aussi grâce à la membrane qu’elle va pouvoir s’unir avec d’autres cellules pour aller composer un groupe de cellules, et progressivement construire le niveau supérieur. A nouveau, la membrane sépare et réunit.
La nature est ainsi bâtie autour de séparations/réunions qui articulent et distinguent. Les deux propriétés sont inséparables et sont réalisées indistinctement. Ce sont elles qui contribuent à la solidité de chaque niveau ; ce sont elles qui assurent les emboîtements et les circulations nécessaires entre niveaux.
Extrait des Mers de l’incertitude


(à suivre)

25 févr. 2011

SORTIR DES LIMITES EN CHANSONS


Trois façons de sortir du cadre...
Take a walk on the wild side
Je dépasse aisément toutes les limites quand je commence, je consomme énormément le but est de ressentir les choses
Plucked her eyebrows on the way, shaved her legs and then he was a she
Je dépasse et j’aime en faire des tonnes, ça irrite les braves gens plein de raison qui respectent les limites
Jackie is just speeding away, thought she was James Dean for a day
We don't need no education, we don't need no thought control
Hey je ne rêve pas je sais quand j’arrêterai
Hey teacher, leave us kids alone
 


24 févr. 2011

« NOUS ÉDUQUONS DES GENS EN DEHORS DE LEURS CAPACITÉS CRÉATIVES »

Si éduquer ne rimait plus avec mise en conformité ?
Il ne s’écoule pas un mois en France, sans que le débat sur l’éducation ne revienne pour une raison ou pour une autre. Pour reprendre une expression venant du monde de la presse, c’est un des marronniers de la politique et du débat social. Il est malheureusement rarement abordé avec la clairvoyance et l’ouverture d’esprit de quelqu’un comme Sir Ken Robinson.
Pour preuve ces deux conférences qu’il a fait dans la cadre de TED, l’une en février 2006, l’autre en février 2010. Vous avez la possibilité de les visionner à la fin de ce mail (vous pouvez faire apparaître des sous-titres en anglais ou en français si vous le souhaitez).

23 févr. 2011

LA VIE NAIT DE L’INACHEVÉ

Heureusement Michel-Ange ne les a pas terminés…
A Florence, se trouvent des statues étonnantes et interpelantes. Je parle des statues d’esclave réalisées par Michel-Ange, et qui sont restées inachevées. Initialement situées dans la Grotte de Buontalenti, elles se trouvent depuis 1924 dans la Galleria dell'Accademia de Florence.
A chaque fois que je les vois, j’ai l’impression que les esclaves cherchent à sortir de la pierre, à s’en extraire. Ils sont en train de naître, devant moi. Ils émergent. J’aime à imaginer que ce sont des œuvres volontairement inachevées.
Michel-Ange leur a donné vie, mais ne les a pas terminés, les laissant ainsi libres de leur futur. Quel beau paradoxe pour des esclaves ! Que vont-ils faire ? Comment vont-ils s’en sortir et faire face à ce monde dans lequel ils émergent ?

Michel-Ange n’en savait rien. Alors, il les a dessinés à grand trait, leur a donné juste ce qu’il fallait pour qu’ils vivent, mais rien de plus. A eux de se débrouiller.
Ces sculptures sont, pour moi, une belle métaphore du management dans l’incertitude : on dessine un peu les choses mais pas trop, on esquisse les formes, on donne la direction… et on laisse faire.
Ceci ne veut surtout pas dire que la stratégie doit être un brouillon. Avez-vous l’impression de voir des brouillons en regardant ses statues ? Moi, pas. J’y vois de la vie et de l’énergie. C’est parce qu’ils sont inachevés qu’ils sont vivants : à eux avec nous de combler les manques…
Ce qui est vivant, est ce qui n'est pas terminé, pas fini. Ce qui est terminé est achevé, fini et donc mort...
Construire une stratégie, c’est aussi trouver les lignes de force, ces mers qui attirent les cours des fleuves. Construire une stratégie, c’est laisser des blancs pour que la vie les comble

22 févr. 2011

UN CHIMPANZÉ PEUT-IL, NON SEULEMENT VOIR, MAIS PENSER QU’IL VOIT QUELQUE CHOSE ?

Quand une philosophe s’intéresse au monde animal
Joëlle Proust, dont je donnais hier un patchwork de son livre La nature de la volonté, mène des travaux sur les animaux, dont elle tire toute une série de réflexions passionnantes sur leur comportement, et leur capacité à penser. Une façon originale et efficace de revisiter en conséquence comment nous êtres humains pensons… Voici un patchwork tiré de son livre paru en 2010, Les animaux pensent-ils ?.
Y a-t-il une exception humaine ?
« La maîtrise du langage, la faculté d’apprendre et l’essor de la culture qui lui sont associés permettent à l’humanité de s’extraire de la lutte pour la survie, et d’échapper aux pressions évolutionnaires. (…) Cette représentation naïve est rarement explicitée ; elle forme un compromis entre la conviction centrale (nous ne sommes pas des animaux) et la reconnaissance que les hommes, en effet, sont porteurs de gènes et qu’ils sont les produits de l’évolution. La solution de cette contradiction consiste dans l’idée intuitive que la possession du langage et de la pensée, souvent attribués à l’origine divine des hommes, les élève au-dessus du règne animal et met un terme à l’évolution biologique des hommes. »
« Dès le Xe siècle av. J.C., les religions monothéistes chassent les croyances totémiques et les polythéismes qui divinisaient certains animaux. Dieu a créé l’homme à son image, a fait de lui le centre de sa création, et lui a donné une âme immortelle : l’attrait de ces idées est de permettre de se penser en opposition avec la nature, en particulier avec la nature animale. »

21 févr. 2011

SENS DE L’ACTION, VOLONTÉ ET CONSCIENCE DE SOI

Quand une philosophe prend appui sur les dernières découvertes des neurosciences
Patchwork tiré du livre de Joëlle Proust, La nature de la volonté :
« Par exemple, Gavrilo Princip a appuyé sur la gâchette, tué Pierre de Serbie, et déclenché la Première Guerre Mondiale. Comment alors déterminer, de manière générale, l’étendue de l’événement dans lequel consiste une action donnée ? Faut-il considérer que l’action de Princip a simplement consisté à presser la gâchette, ou bien s’étend-elle jusqu’à l’effet le plus direct (blesser Pierre de Serbie), ou encore à l’effet recherché et obtenu (tuer Pierre de Serbie) (…) Comme l’écrit Davidson dans une formule percutante : Nous ne faisons jamais autre chose que mouvoir nos corps : c’est la nature qui se charge de faire le reste. »
« Pour vouloir X avec ses conséquences recherchées P, il faut que
(1)                l’agent dispose de la représentation des moyens de la production occurrente de P (conjuguant des modèles directs et inversées) dans un contexte motivant donné (condition de contrôle existant)
(2)                qu’un présent contexte motivant rende le but P saillant (condition de saillance)
(3)                que la motivation présente soit causalement suffisante pour que l’agent se mette en état de produire P de manière contrôlée (condition quantitative) »
« Pensons par exemple à une conversation normale : chaque locuteur commence à parler sans savoir au juste quels mots il va employer et comment ses phrases vont s’enchaîner entre elles. Il n’est pas conscient du modèle interne qui contrôle ses paroles. Il en va de même pour l’exécution d’actions corporelles ; l‘agent n’a pas conscience de choisir où il va mettre les pieds, ni comment il va distribuer son poids selon les particularités du terrain ; il ne décide pas consciemment du geste pour saisir tel objet, etc. Quoique l’agent ne soit pas directement conscient des commandes qui organisent dynamiquement son action, il peut en prendre conscience indirectement, précisément parce que la deuxième partie de la boucle de contrôle – le suivi – donne lieu à des perceptions conscientes, ce que les psychologues appellent des « réafférences ». »
« Prenons par exemple un souvenir comme « je me rappelle que j’ai visité le château de Versailles ». Il ne suffit pas que « je » dans « je me rappelle » et « je » dans « j’ai visité » se trouvent faire référence à la même personne ; il faut en outre que je sache qu’il s’agit bien de la même personne. (…) Pour être une personne, on doit au minimum être conscient de deux événements (d’avoir vu Versailles et de s’en souvenir) et de les rassembler dans la même expérience consciente présente concernant le même « je ». »
« Le sens d’être soi, avec la réflexivité forte dont nous avons vu que dépendait le concept de personne, réside dans la conscience de pouvoir d’auto-affecter, c’est-à-dire dans le souvenir de s’être auto-affecté joint à la conscience d’être en mesure, maintenant, de le faire. »
« Nous avons identifié trois conditions qui sont, ensemble, constitutives de ce qu’est une personne :
(1)                Être capable de métacognition, et en particulier de former des buts mentaux et de les réviser.
(2)                Former des souvenirs en recouvrement des épisodes antérieurs de révision.
(3)                Pouvoir réorienter ses actions mentales sur la base de (1) et (2) pour planifier des actions à venir et modifier éventuellement ses dispositions volitives et exécutives. »
« Savoir qui l’on est doit passer par l’évaluation consciente de ses propres choix et l’engagement qu’ils représentent relativement aux actions de la vie. »

18 févr. 2011

LE DÉSORDRE PAR LES MOTS ET LES SONS

Trois appels
Télescopage de mots de révolte :
Poète, vos papiers !
Il les a enfermés en disant soyez sages, et, quand la bombe a explosé de tous ces personnages, il n'en est rien resté.
Faut dépenser les ptits sous, faut du réseau pour les enfants, faut ressembler à des guignols, faut que tu passes à la télé,
Oh non l'homme descend pas du singe, il descend plutôt du mouton,
J'accuse ! Au mégaphone dans l'assemblée !
Le vers est libre enfin et la rime en congé, on va pouvoir poétiser le prolétaire
Je jur' devant Dieu en mon âme et conscience qu'en détruisant tous ces tordus, je suis bien convaincu d'avoir servi la France
Poète .... circulez ! Circulez poète !



17 févr. 2011

LES ROIS SONT NUS

Digression dans un neuromonde (fin)
Nous voilà donc entrés dans ce Neuromonde, où, pour reprendre les ruptures mises en avant par Michel Serres(1), nous venons de sortir du Néolithique :
  • Nous n’avons plus de relation physique avec le monde que nous habitons (les agriculteurs ne représentent que 1% de la population),
  • Notre relation avec la vie et la mort change (grâce à la médecine devenue efficace, la durée de vie s’allonge, la douleur est de mieux en mieux contrôlée…),
  • Notre adresse est virtuelle et non spatiale (nous sommes joints par le téléphone mobile et l’email),
  • Nous sommes tous voisins, les uns des autres, et c’est aussi la porte ouverte à de nombreux nouveaux problèmes (l’autre n’est pas gênant tant qu’il est loin),
  • Nous sommes devenus des individus et être ensemble n’est plus naturel (nous ne faisons plus équipe)
  • Le politique et la morale sont à réinventer
Pas étonnant donc que nous soyons dans une crise profonde et qu’un malaise profond flotte tout autour du globe. Ce d’autant plus que tous ces changements se sont produits sans que nous y ayons pris garde. Nous nous réveillons douloureusement dans ce monde nouveau. Nous sommes sortis d’une nouvelle caverne.
Le monde politique n’est pas mieux loti. Il est lui aussi largement désemparé, pris de court, avec une légitimité d’autant plus chancelante que la relation au territoire s’affaiblit. Et comme il est pris dans une course sans fin, il n’a pas le temps de réfléchir : tout homme politique saute de réunion en réunion, de décision en décision, de meeting en meeting, ce d’autant plus qu’il est au pouvoir.
Il serait temps de comprendre que le monde dans lequel nous sommes, ce neuromonde, n’a pas grand-chose en commun avec celui où nous étions nés, que c’est un monde infiniment plus complexe, plus riche et plus incertain, que l’on ne peut plus réfléchir à partir du passé, et que c’est en partant du futur, des mers qui attirent le cours des fleuves, que l’on pourra inventer de nouveaux d’organisation sociale et politique.
Quand on observe ce qui se passe au plan politique, et singulièrement en France - mais pas seulement là -, on voit que, comme on dit, « Ce n’est pas gagné ». Espérons que la campagne présidentielle sera l’occasion d’amorcer un changement.
Sinon, le décalage entre le jeu politique et la réalité sociale va continuer à croître, et, un matin, chacun se lèvera en constatant que « le Roi est nu ». Alors tout deviendra possible, le meilleur… comme le pire…
(1) Voir mon article de ce lundi « Nous avons besoin de nouveaux Robins de Bois »

16 févr. 2011

TOUS CONNECTÉS, TOUS CO-DÉPENDANTS

Digression dans un neuromonde (suite)
Ce thème du Neuromonde, notre monde de l’hyperconnexion et de l’immédiateté, je le prolongeais dans mon livre « Les mers de l’incertitude » : 
 « Grâce au langage, nous avons appris à manipuler des concepts et des représentations, et à construire des interprétations. Grâce à l’écriture, nous avons pu stocker de l’information non plus seulement dans notre mémoire personnelle, mais aussi dans un support externe, début d’exodarwinisme mental en reprenant la terminologie de Michel Serres. Grâce à l’imprimerie, ce stockage externe a gagné en puissance avec la multiplication facilitée par la reproduction.
Ce processus se poursuit avec l’arrivée des technologies de l’information :
  • Elles viennent donner une toute nouvelle puissance au stockage de l’information : nous sommes constamment à un clic tant de la sauvegarde que de l’accès, et on peut stocker aussi bien de l’écrit et de l’image que du son. Le coût du gigaoctet s’effondre et devient de plus en plus une commodité dont la charge tend vers zéro. Ce stockage se fait maintenant sur le réseau et, grâce à l’indexation, aux liens RSS et aux moteurs de recherche comme Google, l’accès est facile et immédiat quel que soit l’endroit où l’on se trouve.
  • Elles nous connectent progressivement tous, individus comme systèmes : le monde devient progressivement une grande toile réticulée qui nous prend dans ses filets. Tout peut se propager : comme la toile d’une araignée vibre à la moindre proie qui se prend dans les mailles, nous résonnons au moindre aléa.
  • Chacun peut vivre intellectuellement des situations sans avoir à les expérimenter physiquement : chacun peut avoir un avatar et circuler dans le cyberespace pour y interagir avec d’autres excroissances virtuelles. Le développement des systèmes experts facilite l’élaboration de scénarios et la construction de représentations : il est possible de traiter une quantité de plus en plus grande d’informations, de structurer automatiquement des analyses et des synthèses à partir de ce traitement, d’élaborer des représentations de ces résultats plus facilement manipulables dans l’esprit humain.
(...) La croissance de la population humaine s’est brutalement accélérée : en cinquante ans, nous venons de passer de deux milliards et demi d’hommes à six milliards, alors que nous n’étions qu’un milliard, il y a deux cents ans, et deux cent cinquante millions, il y a mille ans. Demain, en 2050, nous serons probablement neuf milliards.
Dans le même temps, l’impact de chacun de nous est démultiplié par tous les outils mis à notre disposition : grâce aux « objets-monde »1, il suffit de quelques hommes pour agir sur le monde tout entier.
Résultat, comme l’écrit Michel Serres, « nous dépendons enfin des choses qui dépendent de nous. (…) Ladite mondialisation me paraît aujourd’hui au moins autant le résultat de l’activité du Monde que des nôtres. »2
Qu’est-ce à dire ? Que nous sommes pris dans les mailles de l’effet de nos propres actes, que la boucle d’interaction entre l’action et ce sur quoi on agit devient prépondérante. Témoins les débats actuels sur le climat et le réchauffement de la Terre, l’eau, la pollution, l’énergie…
Conséquence, l’horizon du flou se rapproche et il devient de plus en plus aléatoire de voir précisément au-delà d’un horizon proche. Très vite, nous ne pouvons au mieux que prévoir les grandes tendances, et non plus les évolutions précises. »
(1) « Notre savoir-faire s'adonne, de plus, depuis un temps assez récent, au façonnage des objets-monde. Un satellite, pour la vitesse, une bombe atomique, pour l'énergie, l'Internet, pour l'espace, les résidus nucléaires pour le temps... voilà quatre exemples d'objets-monde. » (Michel Serres, Hominescence, p.205)
(2) Michel Serres, Le temps des crises, p.36 et 51

15 févr. 2011

HISTOIRE DE TÉLESCOPAGES

Digression dans un neuromonde
En prolongement de mon patchwork relatif à la dernière conférence de Michel Serres, voici ce que j’écrivais, il y a maintenant près de trois ans, dans mon premier livre, Neuromanagement, ce en introduction d’une partie intitulée, « Digression dans un neuromonde »
« Un dimanche soir, gare de Montélimar, dans le Sud de la France, il est 17 h 10 et j’attends un TGV pour Paris qui doit arriver dans une dizaine de minutes. Je ne pense à rien de précis, et mon esprit surfe sur les conversations voisines. Mon attention est attirée par l’une d’elles : un petit groupe parle de l’évolution du parti communiste et de la montée en puissance des mouvements d’extrême gauche. Je comprends que ce sont des sympathisants. Brutalement, sans transition réelle, l’un d’eux change de sujet et dit d’une voix assurée : « Pour l’éducation de mes enfants, la seule chose que je leur demande à l’école, c’est d’apprendre l’anglais. Le reste pour moi n’est pas important : le français, les mathématiques, cela ne leur servira pas pour parler plus tard. Avec l’anglais, ils pourront voyager partout et se faire comprendre. Vraiment, c’est l’anglais qui compte ». Étonnante affirmation, surtout vu ses convictions politiques : plus besoin d’avoir quelque chose à dire, il suffirait de pouvoir parler. L’échange ne serait plus un moyen, mais une fin en soi…
Quelques jours plus tard, je déjeune à Paris avec un client. Il est de retour de deux semaines de vacances en Iran et me relate une soirée au cours de laquelle il a pu passer quelques heures avec des Iraniens.
« Mais comment avez-vous communiqué, lui demandai-je ? Ils parlaient anglais, français ?
– Non, ils ne parlaient ni français ni anglais, me répondit-il. Mais étrangement, on a réussi à se comprendre avec des gestes et des expressions ! »
Étonnant télescopage de ces deux anecdotes. Deux extrêmes : l’un qui privilégie le contenant au contenu et pense que, demain, l’important ne sera plus le fond ; l’autre qui, en l’absence de tout langage, suffisamment avide de comprendre les différences, arrive à échanger…
En repensant à cela, j’écoute la radio. Le débat porte sur le sujet récurrent de l’assimilation de nouvelles cultures en France : est-il normal ou non par exemple que des musulmans ne se conforment pas aux habitudes culturelles historiques françaises ? Témoignage d’une auditrice qui parle de la France comme si elle en était propriétaire, comme si le fait d’y être né lui donnait le droit d’en définir les conditions d’accès. L’animateur lui rappelle que certains musulmans sont nés en France comme elle. Elle n’en démord pas et fait appel à une sorte de droit de propriété historique : ceux qui sont arrivés récemment seraient moins légitimes qu’elle…
Voilà notre neuromonde : un monde fait de télescopages et parfois d’incompréhensions, un monde où les frontières s’abolissent, un monde dont certains voudraient lisser les différences, un monde face auquel les structures politiques géographiques sont souvent inadaptées.
Pourquoi neuromonde ? Parce que, grâce ou à cause des technologies de l’information, nous sommes de plus en plus interconnectés et que la neurobiologie est, me semble-t-il, une clé de lecture pertinente pour comprendre le fonctionnement nouveau de nos sociétés et de nos relations interpersonnelles. Ce n’est finalement que la prolongation et l’extension de l’analyse que je viens de faire au niveau des entreprises. »