5 oct. 2011

UN PUZZLE DE 300 000 PIÈCES

Faire et défaire…
Une des conséquences inattendues des ravages faits par les Khmers rouges, est d’avoir transformé le chantier de restauration du temple Baphuon(1) en un gigantesque puzzle : environ 300 000 pièces (2) jonchent le sol, posées les unes à côté des autres.
Que s’est-il passé ? Dans les années soixante, avec les meilleures intentions du monde, une équipe d’archéologues français décide pour consolider son assise, de démonter complètement le temple. Chaque pierre est consciencieusement numérotée, et un plan indique comment les remonter. Mais la guerre est venue interrompre le chantier, alors que tout était démonté, et les plans ont été détruits.
Résultat ce gigantesque puzzle…
Preuve de l’efficacité des hommes : malgré toute sa puissance, la jungle met des décennies avant de digérer un temple, et les arbres n’escaladent que lentement les murs. Les hommes sont beaucoup plus efficaces, et ont été capables, eux, de détruire ce temple en un rien de temps.
Depuis les années 90, nous le reconstruisons, lentement et péniblement…
(1) Le temple Baphuon fait partie des temples d’Angkor
(2) Bien qu’ayant été sur place, je ne les ai pas comptées, et ai fait confiance au guide Lonely Planet

4 oct. 2011

DANS L’EFFERVESCENCE DES TÉLÉCOMMUNICATIONS, ON RÉUSSIT EN NE SE LAISSANT PAS DISTRAIRE

Moins on change, mieux on se porte
Depuis le début des années quatre-vingt dix, j’ai accompagné plusieurs opérateurs de télécommunications, ainsi que ponctuellement quelques autres acteurs intervenant dans le secteur des télécommunications.
Je me suis trouvé observateur privilégié de l’effervescence de ce secteur qui a été soumis à une triple instabilité :
-          Instabilité réglementaire : en 1990, les acteurs étaient en Europe, et dans la plupart des pays du monde, des entreprises publiques, voire des administrations, agissant uniquement dans leur champ géographique propre. Puis petit à petit, le jeu s’est ouvert, des organismes de régulation ont été mis en place, la concurrence s’est développée, et des acteurs internationaux sont apparus.
-          Instabilité technologique : aucun secteur, je crois, n’a été soumis à une telle succession de ruptures technologiques, amenant à chaque fois des remises en cause profonde : passage de l’analogique au numérique, émergence de la téléphonie mobile et du standard GSM, développement de l’internet, téléphonie sur internet, passage du GSM à l’UMTS, Wifi,…  Ces ruptures sont parfois venus sans être anticipées : par exemple, personne ne prévoyait fin des années 90 l’arrivée du Wifi.
-          Instabilité concurrentielle : ce double mouvement de dérégulation et de rupture technologique a été l’occasion d’une modification régulière au sein des acteurs en place. Les frontières sont mouvantes, et, sous la pression de la croissance d’internet, la limite entre informatique et télécommunications est devenue plus que poreuse. Le monde des équipementiers s’est modifié avec les déboires d’acteurs historiques comme Alcatel ou Nortel, et la succession des leaders dans la téléphonie mobile – Motorola, puis Nokia, et maintenant Apple, Samsung et HTC –. Internet a connu lui aussi des étoiles filantes comme Netscape ou AOL (1), et ses stars actuelles, Google et Facebook, n’existaient pas il y a douze ans pour l’une, et cinq ans pour l’autre.
Dans cette agitation permanente, comment les opérateurs de télécommunications ont-ils pu survivre, voire se développer ? Paradoxalement, en restant centré sur leur métier d’origine, à savoir :
  • opérer un réseau de télécommunications, c’est-à-dire des tuyaux, en garantissant la meilleure performance de la transmission, ainsi que sa fiabilité,
  • développer la relation client, commerciale et technique, au travers d’agences physiques et de services après-vente,
  • mettre en place des systèmes d’information permettant le suivi du trafic et la facturation des clients
Au fur et à mesure du développement des télécommunications, se maintenir à un niveau d’excellence dans ces trois composantes a supposé des efforts importants : les ruptures techniques et la complexité des données à transmettre, la croissance et l’évolution des exigences des clients croissantes, la sophistication des tarifications.
Chaque fois qu’un opérateur a tenté de se diversifier, il a détruit de la valeur. Les tentatives d’entrée, par exemple, dans le monde des contenus, ont été à chaque fois coûteuses.

Prochaine étape : le développement du paiement via le téléphone mobile. Je parie que,  là encore, ceux qui gagneront seront ceux qui « se contenteront » de fournir la meilleure solution technique (incluant la facturation), sans chercher à vouloir devenir une banque.
Ainsi donc, ceux qui ont le mieux réussi sont ceux qui ne se sont pas laissé distraire par l’effervescence ambiante, et sont restés focalisés sur la « mer » qu’il visait, c'est-à-dire qui ont le moins changé de stratégie, et qui se sont centrés sur l’excellence de sa mise en œuvre.
Belle illustration des propos de mon dernier livre.
Mais il est vrai que cette stabilité et cette cohérence gagnantes dans la durée, ne sont pas toujours ce qui est reconnu par la bourse…

(1) Netscape a été le premier leader de l’internet, avec l’invention du navigateur grand public, avant d’être balayé par Microsoft. AOL, grâce à son portail et sa base de clients,  a atteint une telle valorisation boursière qu’elle a pu absorber Time Warner, dans une fusion largement à son bénéfice.


 

3 oct. 2011

FAUT-IL QUE LES PME FINANCENT LES GRANDES ENTREPRISES ?

Les plans en faveur des PME/PMI se répètent à l’identique depuis trente ans, et rien ne change. Voulons-nous continuer ainsi ?
Les plans en faveur des PME/PMI sont un des marronniers de la politique française : chaque fois qu’un gouvernement est en mal d’idées, chaque fois qu’un parti politique élabore un programme, chaque fois qu’une commission économique quelconque se réunit, un nouveau plan nait. Un nouveau qui est toujours le même…
Il se trouve qu’à la sortie des mes études, en septembre 1979, alors que je commençais mon activité professionnelle, étant chargé de mission à la Délégation à la Petite et Moyenne Industrie, j’ai participé à l’élaboration de l’un d’eux (1). Je n’ai pas conservé une copie de nos travaux de l’époque (2), mais je me souviens très bien des têtes de chapitre.
De quoi y parlait-on ? De simplification administrative, de financement et de trésorerie, de l’accès aux marchés publics, d’encouragement à la création d’entreprises, d’aide à l’innovation, de soutien à l’exportation, de facilitation de la transmission et de la succession …
Nous avions aussi mis en avant notre déficit en entreprises de taille moyenne (3), ce singulièrement par rapport à l’Allemagne. Nous avions montré que c’était ce déficit qui expliquait largement la fragilité du commerce extérieur français.  C’était lui aussi qui limitait le renouvellement de nos grandes entreprises, et leur permettait de fonctionner un peu comme un club privé.
Nous avions pu relier ce déficit à l’importance du crédit interentreprises, c’est-à-dire au crédit correspondant aux délais de paiement : en France, la pratique était de payer à 90 jours, voire bien davantage, dès que le rapport de force était défavorable au vendeur. Or l’essentiel des clients des PME étant des entreprises de taille beaucoup plus grandes qu’elles, le rapport de force ne leur était pas favorable, et elle attendait longtemps avant d’être payé. Pour paraphraser un sketch de Fernand Renaud, célèbre dans les années soixante, et relatif au temps nécessaire au refroidissement du fût d’un canon, combien de temps attendaient-elles ? Un certain temps, le temps qu’il faudrait, le temps que la grande entreprise voudrait…
En Allemagne, ce même délai était d’une dizaine de jours. Du coup, l’importance des sommes correspondantes était considérable, puisque, si l’on prenait un délai moyen en France de 90 jours, cela représentait un écart moyen de 75 à 80 jours, soit donc plus de 20% de la valeur de la totalité des échanges interentreprises, soit beaucoup plus que mille milliards de francs.
Étant au bout de la chaîne, les PME supportait l’essentiel de ce crédit interentreprises, et finançait de fait tout le processus industriel et le système bancaire : en simplifiant et en caricaturant, les bénéfices qu’elles accumulaient, servaient en grande partie à abonder la trésorerie des grandes entreprises et de la distribution (4). Elles se trouvaient aussi dans la nécessité de se retourner vers les banques, en quémandant des financements pour couvrir les besoins de trésorerie générés par ces délais de paiement. Les banques avaient ainsi entre leurs mains la survie de la plupart des PME, et leur faisaient payer le prix cher, notamment au travers de la demande de caution personnelle. Résultat pour les PME : dégradation de la rentabilité, fragilisation, situation de dépendance et alourdissement de toutes les prises de décision.
Que se passait-il pour une PME qui était en situation de croître rapidement ? Tout d’abord, sa capacité d’investissement était diminuée par le coût du financement de son besoin en trésorerie, besoin qui suivait linéairement la croissance de son chiffre d’affaires. Si elle arrivait malgré tout à croître, à un moment, elle était le plus souvent étranglée, car elle ne pouvait plus trouver le financement correspondant : les banques, trouvant l’opération risquée, demandait de nouvelles garanties personnelles, qui rapidement excédaient le patrimoine du dirigeant. D’où blocage, et, selon nos estimations, source essentielle du déficit en entreprises de taille moyenne, et c’était la raison essentielle selon nos analyses de notre déficit en entreprises moyennes.
En Allemagne, rien de tel : le paiement quasi comptant était la règle. Donc, il n’y avait pas de goulot d’étranglement à la croissance, et une petite entreprise bien dirigée pouvait croître et financer son développement sans entraves.
Compte-tenu de l’importance du sujet, nous avions alors cherché à comprendre pourquoi de tels délais de paiement s’étaient développés en France, et pas en Allemagne. Nous avions montré qu’il y avait un lien direct avec une différence existant entre le droit commercial anglo-saxon et latin :
  • Dans le droit anglo-saxon, le transfert de propriété n’était pas effectué à la livraison, mais au paiement. Aussi, si une entreprise voulait transformer un bien en l’intégrant dans son processus de production, ou le revendre à un client, elle ne pouvait le faire qu'après elle l’avait effectivement payé. D’où le développement du paiement comptant, ou quasi comptant.
  • Dans le droit latin, le transfert étant effectué à la livraison, l’acheteur n’était pas contraint à le payer avant de le transformer ou le revendre. Le délai de paiement était alors issu du rapport de forces entre l’acheteur et le fournisseur. Aussi dès que l’acheteur était une grande entreprise, le rapport de forces lui étant favorable, le délai de paiement se rallongeait. D’où l’existence du crédit interentreprises en France.
En conséquence dans le plan en faveur des PME/PMI, nous avions mis l’accent sur ce thème.


Qu’est-ce que j’observe plus de trente ans plus tard ?
Tous les plans en faveur des PME/PMI qui se sont succédés – et il y en a eu autant que de gouvernements, si ce n’est plus –, contiennent la même litanie d’objectifs : innovation, création, simplification, financement… Les derniers ne font pas exception, qu’ils émanent du gouvernement, de l’ex-commission Attali ou de l’opposition.
Si j’étais cynique, je dirais que le bon côté est que cela facilite leurs rédactions, et devrait diminuer le besoin en experts pour le rédiger. Mais ce n’est pas le cas, et il est triste de voir que rien ne bouge…
Quant au crédit interentreprises, a-t-il été réduit ? Pas vraiment, voire pas du tout. On a d'abord modifié le droit français en y instituant la clause de réserve de propriété, et si elle est présente dans un contrat commercial, la transmission du bien n’a plus lieu à la livraison, mais à son paiement.
Pourquoi alors rien n’a-t-il changé ? Pour une raison simple : comme cette clause doit être négociée, elle n’est mise en œuvre que si le rapport de force est favorable au vendeur. Résultat, loin d’avoir favorisé les PME, elle s’est retournée contre elles : quand une PME achète des produits à une grande entreprise, celle-ci impose la clause de réserve de propriété, et la PME est condamnée à payer quasiment comptant. Allez imaginer la même chose pour un petit sous-traitant de Renault ou PSA, ou un fournisseur de Leclerc ou Carrefour. Pensez-vous vraiment qu’il va prendre le risque de perdre un contrat en exigeant la présence de la clause de réserve de propriété ?

Plus récemment ces délais ont été plafonnés par la loi à soixante jours, et on constate une amélioration. Il était temps, car comme le reconnait l’Observatoire des délais de paiement dans l’introduction de son rapport 2010 : « Simultanément, les efforts sur la réduction des délais fournisseurs ne sont plus majoritairement supportés par les PME, comme ce fut le cas entre 1999 et 2007, mais s’étendent désormais à la sphère des ETI et des grandes entreprises.» 
Il était temps, mais, notre handicap reste très important vis-à-vis de l’Allemagne, et comme le note ce même rapport : « le niveau moyen des retards de paiement ne semble quant à lui pas diminuer : pour Altares, en 2010 les entreprises en France « peinent à ne pas alourdir les reports de paiement ». »

Tant que l’on ne l’aura pas rendu systématique, tant que l’on en fera un point de négociation, rien ne changera : les PME financeront la grande industrie et la grande distribution, les banques tiendront entre leurs mains leur survie quotidienne, et nous n’aurons pas d’entreprises moyennes.
Aussi, plutôt que de procéder par incantations, plutôt que de jeter l’anathème sur les banques ou la grande industrie, pourquoi ne pas s’attaquer à la cause, et, à l’occasion de la crise actuelle et de l’élection qui arrive, ne pas modifier notre droit commercial, et faire de la clause de réserve de propriété la règle.
Est-il utopique de vouloir pour une fois s’intéresser à la source d’un problème, et non pas à des conséquences secondaires ou à des boucs émissaires ?

(1) J’ai même été rapporteur auprès de Michel Hervé et Daniel Houri pour leur Rapport sur le développement des PME-PMI en France (1983)
(2) L’informatique n’était pas encore née, et tout était tapé sur des machines à écrire.
(3) Entreprise de plusieurs centaines de personnes
(4) C’était ce crédit qui avait soutenu la croissance des grands groupes de distribution, car ils avaient fait financer leurs investissements par leurs fournisseurs : comme un hypermarché était payé comptant par ses clients et payait ses fournisseurs à 90 jours ou plus, il bénéficiait d’une trésorerie positive qui pouvait financer sa croissance, et/ou être placée. Ainsi la grande distribution largement financée par le crédit interentreprises, se trouvait-elle en positon de force, car elle était génératrice de trésorerie, et donc de placements à court terme.


       

30 sept. 2011

PEUT-ON ÊTRE ÉLU EN PARLANT VRAI ?

Il est toujours pertinent de parier sur l'intelligence
Communément on croît que les hommes politiques sont condamnés à la langue de bois, et qu’il est suicidaire de dire ce que l’on pense. Je crois exactement le contraire.
Avant de m’expliquer sur ce point, je vais revenir sur ma vision de la crise actuelle, vision que j’ai présentée en détail dans mes deux derniers articles(1).
En résumé, nos problèmes actuels ne viennent ni de la crise financière, ni des endettements cumulés, car ceux-ci ne sont que des effets, et non des causes. La cause, c’est la convergence en cours entre nos pays (nous qui étions les « maîtres du monde ») et les pays ex-émergents, et aujourd’hui largement émergés (Chine, Inde et Brésil). Car, cette convergence, amorcée au début des années 90, et qui a pris toute sa puissance au début des années 2000, conduit à une baisse inexorable de notre niveau de vie.
Une métaphore pour me faire comprendre : prenez deux bassins ayant des niveaux d’eau très différents, séparés par des vannes, et approvisionnés par un cours d’eau. Commencez à ouvrir un peu les vannes : les niveaux vont alors se mettre à converger. Tant que la fuite est inférieure à l’apport d’eau, les écarts entre les niveaux se réduisent, mais le niveau le plus élevé ne baisse pas, au contraire. Ouvrons davantage les vannes. À un moment donné, la fuite devient supérieure à l’apport, et alors, le niveau le plus élevé baisse. Cette baisse durera tant que les niveaux ne seront pas identiques.
C’est très exactement ce qui nous arrive. La mondialisation a rendu communicante nos économies, et a amorcé la convergence, d’abord lentement, puis de plus en plus vite à partir des années 2000. Grâce à l’endettement, nous avons masqué un temps cette baisse, mais cela ne peut plus durer. Comme nous sommes encore en 2011, trente fois plus riche qu’un Indien, neuf fois qu’un Chinois et quatre fois qu’un Brésilien, la convergence n’est pas terminée, et va s’étaler sur les dix à vingt ans à venir… sans compter les dettes qu’il va nous falloir rembourser (Voir pour plus de détails, mes articles précédents, avec notamment des données précises issues de la Banque Mondiale).
Nous voilà donc face à une diminution de notre revenu d’environ 50% pour les années à venir, soit une baisse de 3 à 6 % par an si ceci s’étale sur 10 à 20 ans. C’est cette baisse qui fait craquer les coutures les plus fragiles.
Comme je l’ai indiqué précédemment :
  • Cette baisse est non seulement inévitable – on ne peut pas revenir en arrière sur la mondialisation, comme on ne peut pas séparer deux gaz après les avoir mélangés –, mais juste – comment pourrions défendre le fait de rester trente fois plus riche qu’un Indien ou près de dix fois qu’un Chinois ? -. De plus, ces pays sont maintenant suffisamment puissants pour ne pas accepter un quelconque retour en arrière.
  • Elle doit être supportée chez nous par les 50% de la population les plus forts (salariés des entreprises dominantes et des services et entreprises publics, et proportionnellement au revenu) et les budgets de l’État les moins prioritaires (pour pouvoir réinvestir dans l’Éducation, la Justice et la Recherche), ce qui veut dire pour eux un effort annuel de 5 à 10% par an. Le capital accumulé et la multiplication de dépenses non nécessaires rendent tout à fait possible un tel effort.
  • Il est urgent aussi de définir comment passer les difficultés immédiates actuelles. Mais si ceci n’est pas fait en intégrant la baisse à venir, aucune solution valide ne peut être trouvée. Pour prendre une métaphore médicale, on ne soigne pas une maladie en s’attaquant uniquement à ses conséquences.
Bref, en un mot, il y a une réalité à laquelle il faut faire face.

J’en reviens maintenant à ma question du début : peut-on être élu en parlant vrai ?
Je réponds oui, ce pour trois raisons majeures :
1.       La majorité des habitants de nos pays ne sont pas stupides :
Ils sentent bien que ce qui leur est dit est inexact, que les analyses sont fausses, et que souvent on leur ment. Comment en serait-il autrement quand tous ceux qui monopolisent le discours public ne font que se contredire semaine après semaine ?
De plus, malgré les critiques faites à notre système éducatif, l’intelligence collective s’est fortement accrue, et le pourcentage de ceux qui ont voyagé aussi. Pourquoi donc penser que la plupart sont hermétiques à un raisonnement simple et fondé ? Parier sur le manque d’intelligence est une forme de mépris.
Personnellement, j’ai fait le pari inverse en écrivant mes articles et en affirmant, haut et fort, que « la convergence était inévitable » et que « nous n’éviterions pas la baisse de notre niveau de vie ». Ai-je été traîné dans la boue ? Est-ce que mon analyse et mes conclusions ont déclenché colère ou rire ? Non, c’est exactement le contraire : je n’ai jamais déclenché autant d’intérêt et autant d’adhésion. Par exemple, mon deuxième article a été mercredi dernier le 2ème le plus lu sur AgoraVox, et y a été approuvé à 70% des lecteurs.
                                                              
2.       Les politiques sont rattrapés par leur déni de réalité :
Si nous continuons à refuser cette baisse et que nous la nions, toutes les anticipations resteront fausses, et donc toutes nos actions aussi. Nous irons de désillusions en désillusions, de plan d’urgence en plan d’urgence… jusqu’à ce qu’une quasi guerre civile survienne.
La confiance entre des dirigeants et un peuple repose sur l’existence d’une vision, fusse-t-elle dure, et non pas sur l’agilité d’une girouette capable de réagir au moindre souffle de vent. Elle repose aussi sur la sensation que celui qui dirige est sincère et juste. Comment être sincère sans avoir un cap ? Comment être juste quand on est le jouet des évènements ?
La rupture de la confiance va avec la montée des égoïsmes : égoïsmes des puissants qui, cyniquement, tirent un parti maximum de leur pouvoir actuel ; égoïsmes des salariés protégés qui, voyant leurs dirigeants préoccupés d’abord de leur fortune personnelle, maintiennent leurs avantages au préjudice des autres. Tout le monde sait où conduit la montée des égoïsmes.

3.       Le monde à construire dépasse celui des territoires locaux et des nations :
La convergence a été amorcée par la mondialisation des échanges et des entreprises. Ce n’était alors que le rapprochement des économies et des organisations. Avec le développement d’Internet, c’est la convergence entre les hommes qui s’amorce. Celle-ci sera infiniment plus longue, mais elle est déjà en cours. Il ne s’agit pas d’une dissolution des cultures dans une bouillie mondialisée, mais d’un tissage de plus en plus fin et dense entre les cultures et les origines. Ce nouveau métissage est porteur d’un futur qui s’invente de partout localement tous les jours. Nous allons être collectivement riches de nos différences et de nos échanges.
Comment ne pas voir ce mouvement en cours ? Comment les politiques pourraient construire pour la jeunesse un projet sur le repli et le protectionnisme ? Comment ne voient-ils pas l’archaïsme de leurs approches ? Comment ne pas comprendre que la progression des revenus n’est pas une fin en soi, mais uniquement une fuite en avant, de plus en plus artificielle et fausse ?
Et après, ils s’étonnent de ne pas soulever d’enthousiasme…

Même si mon propos porte sur tous les pays développés, j’observe bien sûr la campagne des présidentielles françaises au prisme de tout ce que je viens de dire.
Ce qui me frappe c'est que les seuls à formuler un diagnostic s’approchant du mien sont l’aile gauche du monde politique, et plus précisément Jean-Luc Mélenchon et Arnaud Montebourg. Ils pointent le doigt sur la mondialisation comme source des problèmes actuels ; ils l’inscrivent dans un processus en cours, loin d’être terminé ; ils insistent sur la nécessité de changer fondamentalement l’approche, si l’on ne veut pas voir se poursuivre la désagrégation du tissu social.
Mais je diverge sur deux points majeurs :
  • La mondialisation est souhaitable, ce qu’ils ne disent jamais : comment se dire humanitaire et vouloir maintenir le reste du monde en état d’infériorité ? Comment ne pas voir que nos villes sont déjà peuplées de personnes issues de ces pays dont on veut se protéger ? Où arrêter une vague de protectionnisme si on l’enclenche ? Comment ne pas déraper dans la montée d’égoïsmes multiples ?
  • La mondialisation est irréversible : comment détricoter les fils de la mondialisation, ou, pour reprendre ma métaphore,  séparer les molécules de gaz, une fois le mélange fait ? Comment croire que des barrières douanières seraient la solution, alors que les produits sont le fruit de processus complexe de fabrication ? Comment éviter les effets boomerang ?
Si je ne suis pas en phase avec les conclusions tirées par cette aile gauche, je ne vois pas les autres afficher une vision réaliste du futur :
  • Ils se centrent sur la crise financière, sans évoquer d’où elle vient.
  • Ils croient que l’endettement est due au passé, et qu’il s’agit « seulement » de le résorber.
  • Ils ne voient pas que la convergence entre les pays va continuer à nourrir cet endettement, si nous ne prenons pas acte de notre baisse tendancielle de revenu.
  • Ils imaginent qu’une croissance future viendra tout résoudre, les uns grâce à une incantation demandant aux entreprises d’investir et de se développer, les autres à une nationalisation les obligeant à le faire.
  • Ils parlent tous d’un miracle venant des petites et moyennes entreprises, en oubliant que l’Allemagne, elle aussi, est confrontée à la baisse de son revenu.

Je crois pourtant qu’il est encore temps et possible de parler vrai :
  • Pourquoi ne pas expliquer que la mondialisation ne peut plus se faire à notre profit, qu’il est juste de partager, et que donc elle va se poursuivre pour améliorer le bien-être des autres pays ?
  • Pourquoi ne pas montrer que nous avons une richesse accumulée, tant dans des sphères publiques que privées, qui peut permettre d’amortir ce choc, en protégeant les plus faibles ?
  • Pourquoi ne pas faire de « consommer moins, en vivant mieux » un projet mobilisateur ?
  • Pourquoi ne pas parier sur l’intelligence et le partage, plutôt que sur la domination et la compétition ?
Sommes-nous donc condamnés à être comme des animaux dans la jungle ?

29 sept. 2011

LOST IN CONNECTIONS

Pour être présent au présent (dans l’avion vers Bangkok) (suite)
La vie ne répond à aucun projet, elle advient, elle dérive de possible en possible, elle émerge des chocs immanents. Comme le dit joliment Francesco Varela, elle enacte. Comment pourrais-je dès lors avoir une chance de témoigner de cette naissance improvisée si je n’étais pas improvisé moi-même ? Comment pourrais-je être sensible à ce qui émerge devant moi, si je lis le monde au travers de guides, de projets préétablis, prépensés, de prêt-à-porter mentaux ?
Dans le film Lost in Translation, Bill Murray incarne un acteur perdu dans un Japon qu’il ne comprend pas, et ne veut pas comprendre. Il s’enferme dans son hôtel pour s’en protéger, sorte de moustiquaire qui l’isole de ce qu’il sent comme une agression. Séparé par les vitres qui l’entourent, baigné dans le décor d’un luxe anonyme et international, il pourrait être n’importe où. Il est perdu, sans repères, sans lien. Coupé par sa langue et sa culture, il est Lost in translation, car, au lieu de vivre ce qui se passe, il veut le traduire. Il est emmuré, – « en-Muray » si j’osais… –, dans ses habitudes, ses connaissances, sa vie passée.
Pour entrer en relation avec l’autre, c’est l’inverse qui m’est nécessaire. Pour accéder au réel, il me faut avoir le culot d’abaisser mes protections, me mettre à nu et plonger dans le moment tel qu’il est. M’immerger profondément avec un minimum de repères, sans guide, sans plan, sans projets. Lâcher prise pour dépasser les limites et les différences apparentes, trouver ou retrouver les connexions, me laisser aller au gré des télescopages, des rapprochements incongrus.
C’est une des vertus de ce moment suspendu, de ce non-être dans les airs. Il agit comme une douche qui me vide de mon passé et de ma volonté. Je monte dans un avion avec une idée de pourquoi je pars, pourquoi je monte, pourquoi je vais là-bas. J’en redescends non pas nettoyé de fonds en comble, mais plus propre, moins pollué, un peu plus vierge, un peu plus prêt à suivre les imprévus du déplacement. Je ne comprends pas ceux qui voudraient que le déplacement soit instantané, que l’on puisse aller d’Europe en Asie en quelques minutes. Au contraire, je trouve cela toujours trop rapide, trop brutal.

28 sept. 2011

COMME UNE BOUTEILLE À LA MER

Pour être présent au présent (dans l’avion vers Bangkok)
Le plus souvent quand on voyage, on va quelque part parce que l’on y recherche quelque chose ou quelqu’un. Un souvenir, une photo entraperçue, un amour évanoui, une silhouette effacée, un rêve d’enfance, un cri évanescent, un mouvement dans les blés, un clair obscur… enfin quelque chose ou quelqu’un, quoi…
Pas facile de partir pour rien. Juste pour se déplacer pour aller ailleurs, sans espoir, sans attente, sans compte à régler. Juste comme cela. Pour changer d’endroit, sans savoir ce que l’on va y trouver, sans non plus rien à fuir. Un mouvement pur et brutal. Simplement un déplacement, comme une pierre qui tombe, suivre une attraction qui nous dépasse.
La pomme qui est tombée un jour sur Newton, est tombée sans raison, sans projet, sans but, elle est juste tombée parce qu’elle le devait, mûre à point, incapable de résister à la force de la gravitation qui l’attirait vers le bas. Est-elle tombée pour Newton, pour lui permettre cette percée conceptuelle qui allait révolutionner la physique ? Non, évidemment non. Elle est tombée gratuitement. Elle se sentait bien sur son arbre, elle ne voulait pas le quitter, cela s’est produit, voilà tout… et cela a tout changé… ou beaucoup.

Quand je voyage, je cherche à me rapprocher de la pomme, à avoir sa force, la force d’attendre sur mon arbre le moment où je devrai tomber, sans projet, sans envie, simplement par nécessité, par gravité, parce que je serai mûr… Rêve impossible. Suis-je dans cet avion comme une pomme, vide d’a priori, vide de projet ? J’aimerais, car je serais alors dans l’émotion pure, dans la réceptivité maximum à l’instant, à ce qui advient. Mais non, probablement non, certainement non. Dommage. J’aimerais devenir une pomme et attendre sur mon arbre.
Ou alors être une bouteille à la mer ballottée par les courants. Mais pas une bouteille jetée intentionnellement, une bouteille avec un message dedans, une bouteille dont on attend quelque chose. Non, surtout pas. Non, je voudrais être une bouteille partie d’on ne sait où, pour aller nulle part. Une bouteille qui flotte au hasard des flux et reflux.
Seule chance de saisir ce qui se passe, de profiter des moindres forces de la vie. Pouvoir être dans la vie, neuf, vide de mon passé, de mes racines et de mes pensées. Être simplement présent au présent, à cette tranche flottante entre le passé qui s’enfuit et le futur qui apparaît. Pouvoir ensuite être le témoin, le metteur en mots, et exprimer ce que j’ai vu, ce qui m’a interpellé.
(à suivre)

27 sept. 2011

IL VA DEVOIR VIVRE DANS LA PEAU D’UNE AUTRE

L’habit ne fait pas le moine, et la peau non plus
Elle l’avait fui, deux fois. La première, elle était partie avec un amant. Après un accident de voiture, il l’avait reprise, torche vivante, et l’avait soignée. Elle en était sortie vivante, mais défigurée. La deuxième, elle s’était jetée par une fenêtre, et leur fille l’avait vue s’écraser dans le jardin.  Il ne s’en est jamais remis, et leur fille non plus.
Il aimait recoudre des poupées, et c’est lui qui allait l’être. Il ne voulait rien, rien de précis, avançait comme sa moto, trop vite et sans direction précise. Pour un cachet de trop, il a perdu le contrôle de ses sens, et, hasard de la vie, croisé le chemin qu’il ne fallait pas, celui de la fille apeurée. Du coup, il a perdu sa liberté, son identité, sa peau, et est rentré de force dans une autre, la sienne : il est devenu elle.
Il l’avait aimée, et croyait, par sa faute, détruite. Il vient de la retrouver, incroyablement belle, jeune et intacte. Comment pourrait-il se douter que cette « elle », parfaite et désirée, est en fait un « il », transformé et contraint ? Sa mort va « la/le » libérer.
Sa vie n’avait donc été qu’un enchaînement de malheurs. Pour rompre cette malédiction et se venger, pour effacer la plaie de son passé, il l’a enchaîné, recouvert d’une nouvelle peau et patiemment remodelé. Il a fait de lui, cette « elle » dont l’absence lui est insupportable. Il a confondu extérieur et intérieur. Il a imaginé que, de la contrainte, pouvait naître un nouvel amour. Il le paie de sa vie.
Il était né homme, il est maintenant elle. Il était né dans une peau, il se trouve dans une autre. « Il/elle » va devoir poursuivre sa vie. Comment se vivre femme quand on ne l’a jamais désiré ?
(Ce texte est la trace que m’a laissée le dernier film de Pedro Almodovar, La Piel que Habito)

26 sept. 2011

NOUS N’ÉVITERONS PAS LA BAISSE DE NOTRE NIVEAU DE VIE

On ne peut pas dissocier l’analyse des conclusions
Je fais suite à mon article paru su deux jours la semaine dernière sur mon blog (« La crise n’est pas née en 2008, elle est l’expression du processus de convergence des économies » et « Ayons le courage de faire face collectivement à la transformation en cours »), et relayé sur le Cercle Les Échos sous le titre « Faire face à la convergence des économies mondiales ».
Dans cet article, je montrais que nos pays, après avoir longuement dominé le reste du monde et organisé la mondialisation à leur profit, se voyaient depuis les années 90 soumis à un processus de convergence, amenant progressivement le niveau de vie moyen du Brésil, de la Chine et de l’Inde à se rapprocher du nôtre.
J’expliquais aussi que ce processus allait se poursuivre dans les dix à vingt ans à venir, et que, compte-tenu de notre endettement privé et/ou public qu’il allait en plus devoir rembourser, nous allions avoir à faire face à une baisse très sensible de notre niveau de vie moyen. J’avançais le chiffre de 50%, ce qui correspondait à une baisse de 3 à 6 % par an sur la période.
Je concluais enfin sur la nécessité de ne pas faire porter cet effort sur les plus fragiles, ou sur les budgets tels que l'Éducation, la Justice, la Santé ou la Recherche, ce qui allait supposer une baisse de 5 à 10% supportée par les moins fragiles et les dépenses les moins utiles.
Les réactions et commentaires que j’ai recueillis suite à cet article qui a donc été largement diffusé, m’amène à apporter les précisions et les compléments suivants.
Je suis tout d’abord heureusement surpris par l’accueil reçu et l’acceptation du diagnostic porté. Ceci montre que le langage de la vérité est possible, et que les experts et les politiques ont bien tort de ne pas le tenir. Je nous sens collectivement capables de faire face au réel, et c’est rassurant.
Ensuite certains m’ont dit partager mon analyse, mais pas mes conclusions. Comme je leur ai déjà répondu, on ne peut pas séparer les deux : mes conclusions ne tombent pas du ciel, elles sont le fruit de mon analyse. Donc on ne peut contester les conclusions, sans contester l’analyse. C’est un réflexe courant : refuser le reflet apparaissant dans le miroir quand il dérange.
Concernant donc les commentaires sur mon analyse, d’aucuns ont indiqué que je n’avais pas tout pris en compte, et notamment pas l’écologie et l’environnement. C’est exact. Mon analyse, comme toute analyse, n’est pas exhaustive, car c’est impossible. Par construction, tout raisonnement suppose une focalisation et des choix. La question à se poser n’est pas de savoir si telle ou telle donnée manque, mais si ce manque vient fausser le raisonnement. Or la prise en compte des contraintes écologiques ne vient pas modifier la convergence, mais la vitesse de cette convergence, car elle vient modifier le niveau de la croissance mondiale : le niveau actuel de consommation des ressources naturelles et la dégradation du bon fonctionnement de notre planète vont en effet très probablement freiner le développement. Ce ralentissement, loin de nous être favorable, risque d’abaisser plus drastiquement notre niveau de vie, car seule une forte croissance mondiale peut adoucir la chute. Comment imaginer que nous puissions durablement rester les propriétaires des ressources rares ?
Enfin on m’a aussi souvent interpelé sur les inégalités existantes au sein des pays émergés. Il est vrai qu’elles existent et sont croissantes, mais il en est de même chez nous. Le risque dans tous les pays est la montée des égoïsmes et le renforcement des puissants au préjudice des faibles. Le fait que des inégalités se développent en Chine, en Inde ou au Brésil ne va pas freiner la convergence, elle va simplement la rendre dangereuse, comme chez nous. C’est donc bien un combat mondial pour plus d’équité et de justice qu’il va falloir mener. Au risque de me répéter, je ne crois pas que nous puissions mener ce combat, en donnant des leçons aux autres, leçons que nous n’appliquons pas chez nous.
Agir positivement suppose d’abord que nous comprenions et acceptions que :
  • Nous ne sommes plus les maîtres du monde,
  • La convergence est en cours et va aller à son terme, ce qui est juste et bien,
  • Sous la pression de la convergence et de la nécessité de rembourser nos dettes, notre niveau de vie moyen va baisser durablement,
  • Les efforts devront être supportés par les puissants et les forts,
  • Il est possible de construire un nouveau projet positif, ne reposant plus sur la croissance et la domination,
  • Nous devons nous donner les moyens de passer la situation critique à court terme.
Est-ce que ce que je présente est le scénario du pire ? Je ne crois pas, je le crois réaliste. Et si jamais, la réalité nous était plus favorable, nous aurions alors à gérer de bonnes nouvelles, ce qui est facile. À l’inverse, à force de nous bercer de fausses bonnes nouvelles, à force de croire à des scénarios faussement optimistes, nous n’arrêtons pas d’encaisser des mauvaises nouvelles et des successions de tours de vis.
Ceci rejoint ce que j’écrivais, il y a un an dans mon livre « Les mers de l’incertitude » :
« Ceux qui vont réussir seront des paranoïaques optimistes : ils savent que le pire est possible, se sont préparés en conséquence et sont confiants de leur capacité à s’en sortir.
Comment vont-ils procéder ? Ils vont s’organiser non pas sur le scénario médian, mais sur le pire. En effet, si je centre mes actions sur l’hypothèse médiane, j’ai une chance sur deux d’avoir à faire face à une mauvaise nouvelle (sans parler de celles que je n’ai pas identifiées initialement). Je vais donc être constamment débordé. Si je démarre en fonction de la pire hypothèse, je n’ai alors plus que des bonnes nouvelles à gérer. Ma recommandation est de mettre ainsi l’incertitude identifiée à l’intérieur des marges prises et non pas à l’extérieur. Comme il va se produire en plus des événements totalement imprévus, autant n’être surpris qu’en positif par ceux que l’on a identifiés à l’avance. »
    

23 sept. 2011

HISTOIRES DE VACANCES ET VOYAGES...

Intermède musical 

Séquence nostalgie autour du thème du voyage qui était celui de mes deux derniers articles...

22 sept. 2011

ENTRE-DEUX - 2

Il n’y a pas de présent… (texte écrit cet été dans un avion entre Paris et Bangkok)
A nouveau entre-deux, parti, ailleurs, perdu quelque part entre ce futur que j’ai rêvé – même si je clame que l’on ne doit pas prévoir ce qui va advenir, comment résister à l’inévitable projection ? – et ce passé rapproché, celui qui était encore mon présent, il y a si peu.
Souvenir de ce texte sur le présent impossible, sur l’absurdité de vouloir se centrer sur lui, ou même penser ce qui n’a pas d’existence, encore moins que du sable qui s’échapperait entre mes mains. Le sable, lui au moins, il a un grain que je peux tenir entre deux doigts. Quel était ce texte déjà qui parlait de cette tranche de temps, un morceau de notre passé immédiat et un autre de notre futur rapproché, cette tranche qui était notre présent, celui que nous pouvions toucher, manipuler, un pont glissant entre passé et présent ? Un texte de Bergson, je crois. Impossible de compulser mes archives, suspendu comme je suis dans les airs. Mes livres sont loin de moi, inaccessibles.
Tranche de présent donc, un bout de mon passé, un bout de mon futur, tous deux dans l’immédiat, ce que je quitte sans cesse, ce que je rattrape sans cesse. Cette tranche glisse dans les airs, elle est coupée du reste de ma vie, elle est sans attaches.
Un autre souvenir me revient, un autre texte, celui d’une nouvelle sur le temps et sa non-continuité. A nouveau impossible d’être sûr de l’auteur. Probablement Borges, mais pas certain à cent pour cent… Un chercheur a mis au point une machine à se déplacer dans le temps et veut l’essayer avec son meilleur ami. Celui-ci au début refuse, invoquant Dieu, parlant d’un crime contre l’ordre des choses. Finalement, il accepte, la machine est mise en route, et une fois le saut effectué, ils se retrouvent tous deux dans le noir absolu. Un vide absolu, plutôt, car la notion même d’absence de couleur serait abusive. Ils cherchent à comprendre ce qui s’est passé. Petit à petit, ils ont de plus en plus de mal à se déplacer. Au dernier moment, – mais la notion de moment n’a pas grand sens alors –,  juste avant de s’immobiliser complètement, le savant comprend que le temps n’est pas un continuum, et qu’ils se sont arrêtés entre deux particules du temps. S’ils ont continué à bouger, ce n’est qu’à cause d’une forme d’inertie temporelle : emportés par leur mouvement, ils ne se sont pas arrêtés immédiatement. Existent-ils ensuite ? Peut-on exister entre deux particules du temps ? Peut-on être géographiquement localisés, sans l’être temporellement ?
N’est-ce pas le même risque que je cours dans cet avion ? Suis-je encore vivant dans cet ailleurs dans les airs ? Ne suis-je pas, avec tous ceux qui m’accompagnent, tombé entre deux particules du monde ?