L’entreprise est une construction contingente (2)
Comme l’entreprise
n’est pas née de nulle part (voir mon article précédent), elle n’a pas non plus
vocation à perdurer toujours.
Faisons d’abord un
retour en arrière au XVIIIème siècle. Y avait-il alors des entreprises ?
Non, on ne trouvait pour l’essentiel que des activités agricoles et
artisanales. Les seules structures se rapprochant de ce que nous appelons des
entreprises, étaient celles qui s’étaient développées autour des échanges, que
ce soit des échanges financiers, les banques, ou de marchandises, les
compagnies maritimes. Mais si ces dernières étaient déjà puissantes et avaient
un rôle majeur dans le fonctionnement des organisations humaines, elles
n’avaient que peu à voir avec ce que nous appelons des entreprises, et
l’essentiel de l’activité humaine fonctionnait sur un autre ordre mode
d’organisation. Ce mode était local, et ne fédérait qu’un tout petit nombre
d’individus entre eux.
Ce sont les
découvertes de la machine à vapeur et de l’électricité qui, en autorisant à la
fois la mécanisation des processus autrefois artisanaux et l’essor des
transports, ont permis la naissance de la fabrication en chaîne et l’émergence
de structures collectives capables de produire, expédier et vendre en masse, ce
progressivement dans le mode entier.
Une autre invention
avait aussi été nécessaire à cette émergence, mais celle-ci était née avant
cette mécanisation du monde : c’est la naissance de l’imprimerie. Sans
documents imprimés, impossible d’imaginer le développement de méthodes
standards et leur propagation dans des structures collectives mobilisant plusieurs
milliers de personnes, voire plusieurs dizaines de milliers. Sans imprimés, pas
non plus de communication vers les consommateurs et pas de publicité.
Revenons maintenant
à aujourd’hui.
Pourquoi après
environ deux cents ans d’émergence, d’expansion et de sophistication de ce que
nous appelons des entreprises, est-ce que je m’interroge sur leur mutation
profonde à venir, et donc sur, de fait, leur disparition, du moins en tant que
systèmes tels que nous les connaissons aujourd’hui ?
Parce que les deux
piliers qui ont été à l’origine de la naissance des entreprises sont en train
de muter.
Que s’est-il passé
depuis une cinquantaine d’années ? Nous avons en quelque sorte réinventé l’imprimerie, c’est-à-dire notre façon de stocker et diffuser de l’information.
Comment ? D’abord avec le développement des systèmes informatiques, puis
plus récemment avec Internet. Notre relation à l’information est en train de se
transformer d’une triple façon : effondrement du coût de stockage ;
enrichissement exponentiel de ce qui peut être stocké (à la fois par le
multimédia et par les liens d’abord web, puis maintenant 3.0) ;
accessibilité instantanée, constante et universelle (sans fil, à très haut
débit et sur toute la planète)
Parallèlement à
cette révolution de l’information, nos relations à l’énergie et à la
mécanisation sont, elles-aussi, en train de muter. Sans entrer ici dans une
analyse détaillée et exhaustive, je peux citer : raréfaction des énergies
fossiles, prise en compte des effets cumulatifs sur notre écosystème,
apparition de « moteurs biologiques », robotisation, ...
À ces deux
mutations, s‘ajoutent celles qui portent sur l’être humain lui-même : élévation
du niveau de formation, allongement de la durée de vie, transformation de la
cellule familiale et diminution du nombre d’enfants, modification de la
relation avec la géographie (physiquement par le voyage, virtuellement par les
connexions internet)…
Comment dès lors
imaginer que tout ceci ne va pas impacter en profondeur les entreprises ?
Comment croire que notre façon d’organiser collectivement notre travail et nos échanges ne va pas aussi
muter ? Comment finalement penser que nous nous enrichirons demain
individuellement et collectivement comme hier ?
Bref comment ne pas
voir que les entreprises vont mourir bientôt, du moins sous la forme que nous
leur connaissons aujourd’hui ?
Quelle nouvelle forme
va émerger ? Impossible à dire. Comment la chenille pourrait-elle se penser
papillon ?
(à suivre)